Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Bonheur, désir et plaisir.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Bonheur, désir et plaisir.
Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. – Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Bonheur, désir et plaisir
Charles Baudelaire, L'invitation au voyage (légèrement modifié)
On remarquera que, pour le poète, ce qui rend possible le luxe, le calme et la volupté, ou, pour être dans le sujet du jour, bonheur, désir et plaisir, est l'ordre et la beauté. 2 notions qui ont été remplacées de nos jours par le conditionnement aliénant et le libidinal abrutissant. L'ordre et la beauté sont sources d'harmonie. Laquelle nous conduit vers le bonheur; en sachant cultiver avec soin nos désirs, nous sommes ensuite en mesure de trouver un épanouissement dans le plaisir et ses agréments.
Le bonheur est fugace, mais l'ordre et la beauté sont pérennes. Ils sont donc toujours à même de pouvoir recréer les conditions rendant cet évanescent bonheur possible.