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punition

Qu’est-ce que la punition ?

 

Quels sont les stéréotypes communs sur la punition ?

Une punition est ce que l'on fait subir à l'auteur d'une faute en lui infligeant un châtiment, une peine, une sanction. Elle s’institue dès l’éducation de l’enfant en cas de désobéissance ou en cas de comportement perturbateur. Ensuite, elle s’applique pour tous lors de manquements mineurs à des obligations, jusqu’aux mauvaises actions, à la transgression d'une loi ou d'un commandement, et peut prendre des formes allant d’amendes à l'emprisonnement, de la flagellation au travail forcé, de l'emprisonnement à la peine capitale. La punition est une peine infligée à quelqu'un pour une faute dont il est jugé responsable.

Toute définition de la punition fait intervenir de nombreux synonymes : châtiment, peine, sanction, correction. Or un synonyme ne désigne pas exactement la même chose que le mot utilisé. C’est un mot dit « de même sens ou, plus exactement, de sens équivalent ou approchant », très voisin, « d’une signification presque semblable, qui « ne change pas fondamentalement le sens de celui-ci, avec cependant des nuances ». Un nuage de fumée qui fait que les principales idées, sous-jacentes à la punition, incluent alors, selon le vocabulaire de substitution utilisé, leur vision de la neutralisation ou de la réparation, de la dissuasion ou de la réhabilitation, en fonction de l'autorité estimée légitime de l'organisme qui détient la puissance de sanctionner.

 

C’est ainsi que le recours à la punition est de plus en plus souvent utilisé comme la ressource orientée pour délimiter ou moraliser un secteur de la vie sociale où pour affirmer l’importance des normes qui ont été édictés, afin de se donner les moyens de les faire respecter. La punition devient donc l’image d’un dispositif de gestion des risques individuels et sociaux, le moyen usuel de maintien de l’ordre, moral, politique et de l’espace public. Elle ne semble que représenter ce par quoi on l’explicite, une sanction, un châtiment, une peine, alors qu’il s’agit de l’installation d’un mécanisme par lequel des individus, des idéologies, ou des communautés s’érigent en figures morales, porteuses de valeurs consensuelles, qui peuvent être utilisées de manière abusive, à des fins qui, si elles ne sont pas forcément égoïstes, ne concernent pas vraiment l’ensemble des citoyens. C’est une tendance humaine de présenter des intérêts propres comme étant des valeurs universelles. C’est, par exemple, ce qui permet d’affirmer la liberté d’expression, l’égalité, la liberté, où la justice, mais, en même temps de les limiter sous prétexte de les défendre.

Et c’est pourquoi la punition crée un cadre, un champ mental de la pensée, orienté selon les synonymes qui l’expriment lors de son application dans la réalité. C’est ce qui fait que, le plus souvent, la punition ne donne que peu de satisfaction, tant à l’éventuelle victime qu’au coupable. D’autant que la notion de punition, en affichant des motivations multiples qui se veulent toutes morales universalistes et consensuelles, participe à tromper nos mécanismes intuitifs de vigilance. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, elle se garde bien d’utiliser l’idée de vengeance, qui résulte d’une réaction émotive de compensation par une action du même ordre (œil pour œil) : parce que la vengeance ne passe pas par le filtre de la notion de punition qui est, elle, socialement structurée et orientée. (1)

Ainsi peuvent se mettre en place des punitions dites de sûreté, de différenciation sociale et d’autorité.

La punition de sûreté consiste en un enfermement pour neutraliser les individus dont les actes, les conduites ou les caractéristiques présentent où sont supposées présentées un danger une menace ou même un trouble à l’ordre public, selon la société de référence. C’est une ressource mobilisable dès lors qu’on ne peut pas simplement supprimer l’individu présumé dangereux ou dérangeant sur le champ. Alors on l’enferme : c’est l’internement psychiatrique (l’asile), la rétention judiciaire (la prison) qui se font par l’intermédiaire de la peine, qui est invoquée comme le principal outil de la punition.

Cet éloignement de sureté par la prison peut même être indépendant de la délinquance en s’appliquant à des individus caractérisés par des modes de vie ou un état social qui ne correspond pas à la structure sociale souhaitée même s’il n’y a pas contestation ouverte de l’ordre qu’elle préconise. Par exemple en refusant de leur accorder la qualité de citoyen. C’est alors une sanction, un outil de gestion de la discipline par la punition, un instrument de différenciation sociale. (2)

Et par là, la punition devient un mécanisme d’autorité, qui a pour fonction de rétablir un ordre troublé par un refus ou un défaut de soumission. Cet exercice « ordinaire « d’une autorité qui allait des anciennes lettres de cachet, à la vieille correction paternelle, jusqu’à l’actuel « bien de tous » est revendiqué tant, par exemple, par les « zadistes » que par les progressistes. Ce qui fait de la punition un moyen de pression qui fait tout pour sembler nécessaire, afin d’enfermer les citoyens dans un respect bien délimité des lois ou de la morale.

 

La punition est donc ce qui modifie le paysage, le décor, le champ de perspectives dans lequel nous vivons.

Bien au-delà du rééquilibrage auquel elle se réfère, elle change radicalement les nombreuses possibilités de ce qui aurait pu être, au profit de la vision de ce qu’une autorité pense devoir être !

 

Ce qui se traduit par un monde, comme le devient le nôtre, dans lequel « tout est permis sauf ce qui est interdit » devient « tout est interdit sauf ce qui est permis ».

 * * * * *

Pourquoi les individus réclament-ils toujours plus de punitions, alors que leurs effets ne sont pas sans dangers ?

Tout a commencé, dans nos sociétés abrahamiques occidentales, avec le mythe d’Adam.

Il représente l’humain, l’être qui, parmi les vivants, a su développer la conscience, la connaissance, la science, mais aussi celui qui a été puni d’avoir commis l’acte ayant permis ce développement.

Cette “vieille histoire” biblique décrit le paradis comme une douce harmonie entre l’homme et la nature, puis avec le péché de désobéissance (dit “originel”), c’est toute la nature, y compris la nature humaine, qui devient corrompue. L’homme “à l’état de nature” n’est plus “innocent” mais corrompu, pécheur et finalement mauvais, qui doit d’abord être puni, puis redressé et éduqué. Ce « loup pour l’homme”, doit être contraint par un pouvoir politique fort, car il vaut mieux être tyrannisé par un seul plutôt que de risquer de l’être par tous (“la guerre de tous contre tous”, (selon Hobbes) …

Michel Foucault, par sa critique de Hobbes, et cette idée de réaction contre la « guerre de tous contre tous », ayant forgé le droit pénal, voulait montrer qu’il y a plutôt eu la mise en place d’une « matrice générale » qui a permis l’émergence d’un régime punitif qui domine encore la société contemporaine.

Une stratégie pénale dans laquelle la notion de punition n’est pas l’équivalent, le synonyme de la sanction, de la peine, mais ce qui les permet !

 

Dans Surveiller et punir, Foucault prolonge son combat contre le système carcéral. (La Société punitive de Michel Foucault.) Menant une enquête historique, il montre que le régime des peines a connu une métamorphose, et que nous sommes entrés dans l’âge des disciplines. Dans les prisons, à l’usine et jusqu’à l’école, le pouvoir assujettit les individus et les observe en permanence.

Ces disciplines, au sens de Foucault, sont des « méthodes » d’assujettissement des individus. Elles relèvent d’une « technologie politique » qui vise à produire des « corps dociles », obéissants et utiles. Et en cas de manquement, la sanction tombe…

Au XIXe siècle, la prison s’impose comme le mécanisme punitif majeur. Non parce qu’elle serait plus efficace, mais parce qu’elle s’inscrit dans la logique du temps : cadenasser les corps et corriger les âmes. La prison comme reflet de la société… mais la société est aussi en passe de devenir une prison à ciel ouvert, où s’inventent de nouveaux procédés de normalisation (à travers la médecine, la psychologie...).

 

Alors le fondement d'une civilisation est de pouvoir dire : vous avez le choix. Si vous avez bien choisi, on peut vous récompenser, vous honorer. Si vous avez mal choisi, on peut vous punir.  Ce qui ignore les déterminismes : si Jean Valjean vole, c'est parce qu'il a faim. Donc la mainmise du concept de punition nous fait sortir de l’idée du libre-arbitre pour entrer dans les conditions politiques qui expliquent le trajet d'un voleur de pain. Alors que l'autorité devrait être émancipatrice. L'ordre devrait libérer seulement du droit de faire « ce qu’il me plait ».

 

Par exemple, l’utilisation orientée du concept de punition a donné à Marx ou à Marcuse, l'idée que l'individu est toujours victime, et la société toujours coupable. Si vous êtes un délinquant, c'est la faute de la société. (Ce que Michel Foucault théorise dans Surveiller et punir). C'est ainsi que le coupable devient victime. Cette déresponsabilisation implique que " la société est responsable, il faut donc la changer". Ce n'est plus l'individu qu'on punit, ce n'est plus l'individu qu'on rééduque, mais la société qu'on doit révolutionner. 

Il n'existe plus de responsabilité individuelle, ponctuelle et factuelle, puisqu'il n'y a plus de libre arbitre, mais une responsabilité collective et globale. C’est ce qui a ouvert la porte au Wokisme et à tous les communautarismes et leurs exclusions. Si Foucault voulait abolir la punition parce qu’il devait avoir compris les dangers de son application, ses disciples travaillent aujourd’hui à sa radicalisation, à son extension, à sa prolifération et à sa généralisation. La punition est une notion dangereuse dans son application, surtout lorsqu’elle devient une passion contemporaine.

N.Hanar

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NOTES

1- La vengeance est une « Action par laquelle une personne offensée, meurtrie, outragée ou lésée, inflige en retour et par ressentiment un mal à l'offenseur afin de le punir. Elle exerce des représailles ; une revanche ». Parce qu’elle a été affectée émotionnellement par une trahison, une tromperie, une agression, une humiliation, une injustice, une séparation, une défaite, une blessure narcissique, par exemple. Alors l’idée de la compensation s’impose à l’esprit, du fait d’émotions puissantes telles que la colère, la haine, la révolte, et la volonté d’une réparation. Il ne s’agit pas de rendre justice ou de modifier des comportements futurs, mais de soulager un sentiment d'injustice, et de voir l’auteur du préjudice souffrir tout autant. C'est une riposte d’aspect symétrique qui consiste à vouloir rendre à chacun ce qui lui est dû, au regard du droit, de la morale, de la vertu ou autres sources normatives de comportements.

D’abord, l’autre se trouve réduit à l’image que le ressentiment de la vengeance fait de lui. Et celui qui accomplit la vengeance se trouve réduit à elle. Tous deux se retrouvent « dans le même sac », déshumanisés sans relation possible, sans langage, sans éthique, sans visage, sans cette distance qui permet respect et morale.

 

La loi du talion est la manifestation basique d'un principe de juste proportion entre le mal subi et le mal rendu.

Les sociétés veulent estimer cette valeur, viser une cohérence, l'équilibre dans la réparation ou la restitution. Pourtant la dissymétrie subsiste. Il est impossible d’effectuer l’équivalence parfaite, celui-ci se réclamera de circonstances atténuantes, celui-là du caractère irréparable des conséquences.

Il faut alors passer, du registre de la réalité à celui du symbolique, quelle que soit la punition imposée. Afin de réduire le sentiment d’insatisfaction réciproque au moment du verdict, le symbolique puise dans la métaphore, en utilisant le langage commercial ou financier. « Monnaie de sa pièce, règlement de comptes». Dans ce monde où règne l’économie : « il doit payer ». Toujours estimer une valeur ! Ce qui, néanmoins, permet la mise à distance de la violence, tant pour la faute que pour la punition.

 

Mais ce dépassement de la vengeance par la justice dans nos sociétés, persiste par le lynchage, médiatique ou par internet, un défoulement sur une personne dont la rumeur fait entendre qu’elle serait coupable, ou, selon les critères de certaines communautés « amorale ou immorale ».

Ensuite, il y a ce paradoxe de la personne se mettant hors la loi, qui demande ensuite la protection de la loi ou même de la morale, avant d’être puni ? Est-ce toujours acceptable ?

 

Parce que quelque chose, en nous, accepte cette transgression de la limite.

Edmond Dantès, trahi par des « amis » dénoncé comme conspirateur bonapartiste, enfermé dans une geôle du château d'If, s’évade et prend possession d'un trésor caché dans l’île de Montecristo. Riche et puissant il se venge méthodiquement de ceux qui l’ont accusé à tort. Sa vengeance accomplie mais torturé de questions sur le droit de se faire justice, de se substituer à Dieu, Monte-Cristo repart pour l'Orient en compagnie de la femme qu'il aime. Et c’est un immense succès littéraire puis cinématographique : satisfaction du public !

Peut-être parce que nous savons que « trainer une pensée de vengeance, c’est traîner un mal chronique, un empoisonnement du corps et de l’âme ». (Nietzsche). Ce n’est qu’humain.

 

2-La sanction se distingue de la punition. Punir, c’est prendre une position d’autorité et de supériorité, qui permet de faire subir un châtiment à un enfant, à un élève ou à un délinquant de façon simple et efficace. Mais la sanction a un sens différent. Par exemple, les sanctions à l’encontre de la Russie visent à punir Poutine, mais aussi, la perspective d’un hiver sans pétrole ni gaz russes, une explosion des prix de l’énergie font qu’elles peuvent se retourner contre nous.

Toutefois elles sont destinées à rétablir un ordre rompu, comme envahir ses voisins en toute impunité et restaurer un ordre mondial réglé par le droit, en montrant lisiblement à ceux qui peuvent être tentés de faire la même chose, ce qui les attend.

Appliquer une sanction ne mène pas à un résultat automatique. Cette indétermination est consubstantielle à l’idée de sanction: on ne sait jamais a priori si la personne sanctionnée s’amendera ou persévérera dans le mal. Surtout quand une sanction touche autant le « sanctionneur » que le sanctionné. On subit bien plus que quand on prive un enfant de dessert, qui peut seulement aller bouder dans sa chambre

Les conséquences ne sont jamais calculables et elles ne sont jamais à sens unique. Quand on sanctionne, tout le monde est embarqué. Mieux vaut savoir pourquoi on s’y résout et pour quoi on combat.

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paix

Le mythe de la paix.

 

La paix fait référence à un état intérieur, intime, propre à un individu lorsqu’il est empreint de calme et de tranquillité, de repos de l’esprit. Il se ressent à l'écart de toute perturbation, de toute agitation, et rien ne peut venir le troubler. Cette personne se trouve alors dans un état d’esprit le rendant capable de cultiver sa compréhension du monde et d’autrui, avec une vision profonde des choses, dans la recherche de l'action juste. En ce sens, Aristote, (Éthique à Nicomaque) voyait ainsi dans la paix, non seulement un bien, mais le bien souverain, et même la condition de possibilité de tous les autres biens, qu'elle permet d’engendrer.

Pourtant, le plus souvent, lorsque le mot paix est évoqué, elle se voit réduite à la seule absence de guerre, et ne se définit que par des comparaisons ou des références implicites à la guerre. Ainsi la paix ne reflète plus que les rapports sociaux d'entente entre des personnes ou les relations politiques entre des sociétés. Elle se limite alors à une forme d'accord entre des citoyens ou entre des groupes humains, à une absence de combats ou de troubles sociaux, permettant le règne de la concorde, de la prospérité, et du bonheur entre des citoyens ou des états, qui ne se divisent pas en factions armées combattantes.

La paix est ainsi un discours à construire sans cesse, qui, par son expression même, est destiné à faire sortir les individus et les sociétés, d'une logique égoïste et individualiste, qui deviendrait mécaniquement violente  ou guerrière, en les libérant des soucis, des angoisses, des troubles de l’existence, par un contexte extérieur et une atmosphère intérieure, leur amenant calme, bienfaisance et sérénité.

 

Pourquoi ce discours sur la paix me parait-il de l’ordre du mythe ?

 

Un mythe est un récit traitant des questions qui se posent dans les sociétés qui les ont conçus, qu’il s’agisse de l’origine de tout ce qui existe, depuis la création du monde jusqu’ à celle de l’humanité, ou de ce qui concerne les modes de coexistence entre les individus, la genèse d'une société humaine, ses relations avec les autres sociétés, et les relations des humains avec la nature ou avec leur identité propre. Les mythes sont alors susceptibles de réunir symboliquement tous les membres d’une société, d’assurer la cohésion de toute la communauté humaine, en justifiant des valeurs d’une civilisation, au travers de références allégoriques communes. C’est ce qu’on fait les religions, païennes, antiques ou abrahamiques, tout autant que des écrits philosophiques ou ceux décrivant l’Histoire.

De nos jours, une philosophie indépendante des croyances et surtout des idéologies sectaires, des intolérantes ou des fanatiques, ne conçoit pas les mythes comme l’expression d’une réalité, mais comme une forme de discours intemporel, destiné à exercer une fonction politique, morale et organisatrice.

 

Le mythe resurgit avec force pendant les périodes de manques, d’angoisses, de trouble, de crise identitaire, de remise en cause des institutions et des traditions, lorsqu’une une société est paralysée, et ne sait ni comment, ni vers où aller. Récemment, le mythe de « nos ancêtres les Gaulois », a été réutilisé par un président de la république, afin de consolider une identité française par une référence aux fondations de la nation, afin de remobiliser la population autour d’un projet commun destiné à faire cesser les conflits internes et à obtenir une paix civile entre des citoyens qui pourraient ainsi retrouver également une paix intérieure, un apaisement de leurs tourments.

Ce qui fait du mythe un discours qui s’affiche comme transparent, mais qui ne vise pas du tout à représenter la réalité mais à la transformer, d’en faire une parole performative en vue d’un environnement paisible, en affichant une structure qui se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur du groupe.

Gaston Bachelard écrivait : "Tout mythe est un drame humain condensé. Et c’est pourquoi tout mythe peut si facilement servir de symbole pour une situation dramatique actuelle".

 

Ainsi, « l’état de nature », hypothèse mythique développée, entre autres, par Hobbes, Locke ou Rousseau, est l’exemple philosophique qui a influencé la mise en place de nos sociétés occidentales démocratiques actuelles. Ce mythe d'origine, raconte l’acceptation d’un contrat social, par lequel les individus renoncent à une partie de leur liberté au profit d'un souverain, qui peut être, selon l’auteur, soit un monarque despotique ou conciliant, soit une assemblée démocratiquement élue. Ce pacte, destiné établir la paix civile en prenant la place des mythes religieux exogènes à l’humain, a été performatif, contre l'état de guerre de « chacun contre chacun », ce qui a permis une re-création de la vision du monde, et en a fait une idée force, qui revient régulièrement à l'occasion d'une transformation collectivement souhaitée, et notamment le passage métaphorique du désordre à l’ordre, par l’instauration d’un état de paix générale.

Cette paix civile, s’obtenait ainsi en instituant un État capable d’endiguer la violence, destiné à remplacer le règne de ce que Héraclite désignait par « Polémos, père de toutes choses », (un conflit universel, à l’origine de toutes les existences), que Hobbes traduisait par "l'Homme est un loup pour l'Homme". C’est  le débat démocratique qui permet qu’existent « en même temps », des divergences, des conflits, des antagonismes, sans pour autant basculer dans la violence.

Mais est-ce vraiment la paix qui en résulte ?

Parce que faire appel au mythe, qui veut « trouver une réponse unique à des problèmes différents » (Claude Levi Strauss), brouille aussi les repères, dérange les acquis culturels et un certain ordre établi, parce qu’il encourage à définir un groupe de la manière la plus étroite possible, avec des référentiels limités. Ainsi, il crée une identité commune, partagée avec les autres membres d’une société, au risque éventuel d'enfermer le groupe dans un culte du passé ou dans celui d’un homme providentiel, l’empêchant de regarder vers l’avant, et pouvant entraîner un groupe auparavant dynamique sur la voie du déclin jusqu’à la disparition.

 

C’est ce que firent le mythe de la société sans classes, cher aux marxistes; le mythe du bon sauvage de Rousseau, qui aurait correspondu à une aube d’une humanité emplie de bonté avant la constitution des sociétés, le mythe de Sisyphe illustré par Camus, pour qui la condition humaine est absurde car on est amené à répéter sans fin les mêmes actes, le mythe des 30 glorieuses qui assurait que la croissance économique ne pouvait qu’être infinie, le mythe de la fin de l’Histoire, où le marché mondial bâti sur une concurrence libre et non faussée supplanterait les nations et leurs rivalités stériles, etc...

Le danger de ces mythes, est de légitimer voire de sacraliser une pensée ou un développement historique donné, lorsqu’ils sont récupérés par une idéologie ou deviennent eux-mêmes une idéologie, lorsque le sens que le mythe peut donner à l’existence, ne sont plus interrogés, mais qu’on le considère comme une nécessité, une fin en soi, sans tenir compte que ses conséquences, inattendues, ne soient autre chose que de simples épiphénomènes. Or, l’inconvénient est que ces conséquences inattendues finissent toujours par survenir.

 

L'effacement de toute crainte de menace radicale, la paix civile, l'abondance - certes mal partagée, mais quand même - ont délogé de nos esprits le sentiment immédiat de notre fragilité et du risque qu'il faudrait prendre pour préserver notre humanité. Cela s'est inscrit dans nos esprits, tournés vers des idéaux tantôt économiques, tantôt communautaires, tantôt identitaires, mais guère hantés par ce pressentiment corrosif que l'essentiel, demain, nous serait retiré.

 

La paix est une construction intellectuelle mythique, et qui est même dangereuse en soi, lorsqu’elle s’inscrive dans un projet relevant du politique, de l’économique, ou de la morale, parce que le mythe est récit, fable, légende, mais « une fable que l'on prend au sérieux » (Comte Sponville), et qui ne cherche pas un sens au monde et à la vie, mais qui est destiné à lui donner un sens.

 

La paix ainsi indique une situation sociale où les parties prenantes s’accordent pour régler les conflits qui les opposent autrement que par la force. L’image d’un état de paix ne signifie donc pas qu’il n’y a aucun désaccord mais qu’il existe des procédures pour gérer les différends sans les résoudre.

Or, critiquant Hobbes, Rousseau lui faisait déjà remarquer que sa conception de la paix civile équivalait à réduire celle-ci à la sécurité, qui ne saurait être qu’un ressenti ou, au mieux, un état provisoire.

 

Alors, peut-on vraiment considérer la paix comme un état provisoire. Peut-on nommer paix ces moments d’absence de rapports de force, multiples dans l’histoire passée et actuelle ? Il n’y a pas eu un seul moment où la guerre n’a pas existé quelque part dans le monde. Par rapport à l’idée de paix, la guerre est un mythe railleur ! Son issue implique le plus souvent la soumission de l’un des belligérants à l’autre. Elle est même souvent considérée comme « juste » lorsqu’elle a pour alibi le droit de « faire la guerre pour rétablir la paix », ou lorsqu’elle vise à modérer la violence ou à défendre l’intégrité d’un territoire.

La situation politique ou sociale qui en découle n’est pas forcement juste. N’est-il pas, à l’instar des accords de Munich, ou des effets des « accords de paix » entre la France et l’Allemagne, des paix injustes ?

Et certaines guerres de conquêtes impériales ont été qualifiées d’opérations de « pacification ».

La paix qu’apportait la civilisation européenne avait contribué à légitimer son hégémonie grandissante sur le monde depuis les États de la Renaissance jusqu’aux nations du XIXe siècle. L’européocentrisme était ainsi marqué du sceau de la guerre, et non de la paix.

 

Ainsi, la préservation d’un ordre social paisible peut parfaitement s’accommoder du maintien d’injustices flagrantes, comme nous pouvons tous faire des compromis avec nos désirs qui ne disparaissent pas pour autant, pour préserver une tranquillité intérieure. Mais est-ce vraiment une paix intérieure ?

 

Aujourd’hui, les états atténuent les effets indésirables de l’économie mondialisée qui était sensée mener à la fin de l’Histoire, à faire cesser les conflits inter-états. Ils le font en pratiquant une politique d’achat de la paix sociale, qui provoque une "explosion de la dette", ne faisant que reculer le temps du conflit.

 

Le mythe de la paix, se présente tout de même comme une finalité désirable qui suppose un degré de civilisation, de culture et d'éducation, où la raison doit prévaloir sur les passions. Or tout mythe est une notion paradoxale. Il est à la fois ce qui fait appel à l’imaginaire et qui s’accompagne ainsi d’un désir d’innovation et de changement, et, en même temps ce qui établit une structure permanente destinée à régir une société, dans laquelle tout devra fonctionner en conformité avec le mythe. Et comme à chaque fois, c’est lorsque se pose aux humains, l’obligation de résoudre une situation paradoxale aux diverses interprétations possibles, qu’ils entrent en capacité de trouver des solutions. Fonction positive du mythe !

 

Kant, avait utilisé ce paradoxe ! Pour lui, l'homme serait un être antagoniste dans son rapport à autrui : il a, par nature besoin de ses congénères (« l’homme est animal politique » d’Aristote, ou le « remarquable désir de compagnie » chez Hume), mais il ne supporte pas pour autant. Son égoïsme, son individualisme, le poussent à rechercher son intérêt et à résister à ceux qui empiètent sur ses désirs, ce qui le conduit à une « insociable sociabilité ». Cette situation paradoxale génère conflits et souffrances que l’Homme va être amené à devoir surmonter.

Pour ce faire, l'humanité en viendra à instaurer des instances supranationales régulatrices, et il pense déjà au 18eme siècle à la mise en place d'une Société des Nations, qui deviendra plus tard réalité, ancêtre de l'ONU. La paix serait donc un idéal régulateur asymptotique, dont Kant discernait les conditions, laissant espérer la conclusion d’un « Traité de paix perpétuelle » (et non provisoire) pour l’ensemble du genre humain par le règne du droit. Bien que : il aurait fallu, pour obtenir la paix, « découvrir une loi régissant l’ensemble des inclinations tout en satisfaisant à la condition de les accorder complètement, [or] voilà qui est parfaitement impossible ». Parce que, ce que l’un gagne, l’autre l’a nécessairement perdu.

 

Les guerres incessantes sur la planète font toujours de la paix, une valeur et un objectif : c’est exactement ce que font les mythes.

Aujourd’hui, la paix intérieure est tout autant que la paix civile, un but à atteindre. Celui d’éprouver une sensation de bien-être, de tranquillité voire de bonheur, en parvenant à isoler la connexion de notre esprit avec le monde, pour y trouver au moins un équilibre. Ce qui permettrait d’être en mesure de percevoir des détails dont nous n'avions pas conscience auparavant et, en même temps, de les apprécier. Dans cet état, la peur, l’inquiétude, les pensées négatives et les préoccupations, qui pourrait nous déranger, seraient écartées, permettant de nous sentir bien et de faire disparaitre tout le stress accumulé. Nous resterions conscients qu'il y a, et qu’il y aura encore, des situations et des expériences que nous ne pouvons pas contrôler et qui nous feront ressentir des émotions négatives, qu'il y aura toujours des fardeaux inutiles dont nous pourrons nous débarrasser, mais nous pourrions apprendre à faire avec, au quotidien, pour ressentir la paix intérieure.

Paix intérieure ou tranquillité intime ?

 

Alors on « fait la paix », par un cessez-le-feu, on rend les armes, aux autres ou à soi-même. Ainsi, grâce au mythe de la paix la guerre ne nous fera pas mourir et la dépression ne nous tuera pas. Mais nous pourrons encore mourir d’ennui dans un paradis imaginaire intime.

 

Tout ce qui s’est fait de grand, tout ce qui a fait progresser notre humanité, n’était au départ que conflictuel comme l’ont montré Gandhi, Martin Luther King, Giordano Bruno ou Copernic.

Chacun peut se donner la possibilité qu’advienne quelque chose d’entièrement nouveau et d’imprévisible, de changer le monde commun, de le transformer, d’initier quelque chose dont le surgissement était imprévu, de déployer en soi des ressources insoupçonnées., en portant son regard vers un lendemain, sinon meilleur, au moins différent.

 

Gandhi disait: «II faut porter en nous le monde que nous voulons.» Mais il ne suffit pas, pour cela, de chercher de vivre en paix, pour soi ou pour l’humanité entière. Gandhi, contre les Anglais, est admirable. Mais cela ne donne pas tort aux Résistants, contre les nazis, ni aux Alliés, contre la Wehrmacht. La violence est acceptable lorsque son absence est pire. “Combattre pour la paix, c'est de bonne guerre.”

 

Le mot “ paix, dans un monde où une entreprise peut en “ tuer ” une autre, où un entrepreneur entre en “ guerre ” contre ses salariés, où on tente de mettre ces derniers en “ guerre ” entre eux, suscite néanmoins les images d’une situation idyllique. Il est tout entier chargé de valeurs et d’associations paradisiaques.

La paix se réduit donc le plus souvent à une simple image, qui expose une totale tranquillité du cours de tous types de relations, une succession temporelle d’actions d’opposition et de réconciliation, de dominations et de leur acceptation. “Mais n'est-ce pas le pire piège Que vivre en paix pour des amants.”  Jacques Brel

 

La paix et une notion tellement évidente, une évidence tellement implantée dans notre esprit, que nous en regardons l’idée avec « une lanterne que l’on promène en plein midi » (Nietzsche). Nous y adhérons et l’acceptons comme une évidence, sans réfléchir à sa finalité et à sa pertinence. Nous discernons les mythes de la création et les mythes explicatifs, mais nous ne percevons pas ceux qui, sans être utopiques, correspondent à un idéal, comme le mythe de la paix.

Comme tout mythe, celui de la paix, permet de palier les limites du rationnel tout en étant un complément du discours rationnel. La fonction du mythe est justement de trouver quelque chose de meilleur et de plus vrai que ce qui se présente du monde à la raison et que la raison ne peut expliquer : une condition humaine absurde ou angoissante, une réalité inconnaissable ou incompréhensible, la distance entre ce que nous sommes et ce que nous voudrions être, ce que le monde est et ce que nous aimerions qu’il soit. Le mythe s’avère donc être un outil logique qui opère des médiations ou des connexions entre des contradictions.

 

Même si la paix est un mythe représentant un idéal, politique ou social qui ne tient pas compte de la réalité, même s’il est utilisé de manière détournée et perverse pour permettre à des pouvoirs ou à des économies de se développer pendant ses périodes limitées d’existence, dans le temps ou dans l’espace, (“La paix est l'intervalle entre deux guerres.” Jean Giraudoux), il y a une nécessité de la présence du mythe de la paix, sans oublier que, comme pour tout mythe, l’ambivalence entre ses bénéfices et ses dangers, en rend les résultats incertains.

N.Hanar

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ressenti

Qu’est-ce que le ressenti ?

Dès notre naissance, puis tout au long de notre existence, nous sommes affectés par des émotions, des sensations, des expériences, des savoirs et des opinions. Ces affects sont provoqués par des causes qui nous sont extérieures, et que nous percevons chacun différemment selon notre éducation, notre culture et notre époque.
C’est cette perception subjective et personnelle des émotions, des sensations, des sentiments que l’on éprouve face à une situation, un environnement ou un raisonnement, qui est désignée comme le « ressenti».

Ce ressenti qui provient de l’impression que nous fait ce que nous percevons, n’est donc pas intégré en nous de manière objective, mais en fonction des référentiels, des cadres sociaux, (croyances, lois, habitudes, mythes et légendes), qui nous ont fait être ce que nous sommes.
Alors, nous pouvons ressentir de la satisfaction ou un malaise, de la joie ou de la tristesse lorsque quelque chose nous atteint, ou même ne rien ressentir, rester indifférents ou insensibles, alors que d’autres en seront profondément affectés.
Ressentir correspond donc non seulement à éprouver un sentiment, une sensation, une émotion, mais aussi à avoir une conscience subjective de cet état qui nous altère de façon agréable ou pénible.
Que l’on ressente du chagrin, une injustice, du dépit, du remords, de la peur, de l'admiration, de l'affection, de la jalousie, du mépris, de la pitié, de la fureur, de la haine, de la tristesse ou de la joie, du plaisir ou de la satisfaction, qu’on les appelle des sensations ou des émotions, ces ressentis sont avant tout des sentiments qui se traduisent par une valorisation ou une dévalorisation, selon qu’ils sont appréciés ou rejetés par ce qui fait notre individualité, notre personnalité,.…...
Le ressenti est donc une réaction affective individuelle par laquelle nous éprouvons un sentiment favorable ou défavorable à l'égard d’un événement que l’on trouvera formidable ou honteux, ou à l’égard de quelqu'un, allant de l’admiration à la répulsion.

Nous ne ressentons pas, chacun, les mêmes choses de la même manière. Nous sommes des êtres sociaux, par nécessité pour notre survie, au début de l’existence et, par la suite, en ayant besoin d’organisations sociales qui assurent notre protection. Les comportements individuels, les croyances, les valeurs sont ainsi organisées sous formes de communautés de personnes partageant la même identité culturelle, ethnique ou religieuse, les mêmes lois, valeurs et références, qui facilitent la vie en commun, l’empathie et la sympathie.

La vie en commun de différentes communautés qui ne ressentent pas les événements de la même manière, est permise par la démocratie, « le pire des régimes à l’exception de tous les autres » (Churchill).
Mais ce sont aussi ces différences de ressentis qui peuvent amener à la négation des valeurs et principes d’une société donnée, que certains estiment incontournables et d’autres dépassés ou insoutenables. Ce qui peut mener à des replis identitaires ou communautaristes avec affirmation d'une identité différente et à des conflits au sein d’une même organisation sociale.

La difficulté est de bien cerner l’ambiguïté de la notion de ressenti, puisque la manière dont on ressent les choses, peut mener à donner un sens différent au réel, qui n’a pas d’autre sens que celui qu’on lui donne.
Peut-être parce que « émotions » et « sentiments » sont souvent utilisés de manière interchangeable dans le langage courant, alors que, dans un contexte psychologique ou philosophique, ils peuvent être distingués pour éclairer les différentes formes du ressenti.
Les émotions sont plutôt des réactions primaires ou basiques, des ressentis, mais qui surgissent à court terme en réponse à des stimuli ou à des pensées spécifiques, et qui s’accompagnent de changements physiologiques notables, comme une augmentation du rythme cardiaque, une libération d’adrénaline ou de la transpiration. Ces émotions sont souvent considérées comme universelles et peuvent être identifiées chez les individus de différentes cultures à travers le monde, qu’il s’agisse de joie, de tristesse, de peur, de colère, ou de dégoût. Mais des réactions qui ne se produisent pas pour les mêmes raisons !
Chez tous les humains, le ressenti d’une émotion de tristesse, par exemple, en raison d’une mauvaise nouvelle, peut provoquer un sentiment persistant de pessimisme ou de dépression qui peut durer des jours ou des semaines. Ce ressenti est une interprétation de ce qui s’est produit, qui peut mener un état d’esprit durable qui résulte, non de la seule émotion, mais aussi de toutes les influences qui ont pesées sur la manière dont nous ressentons.

Le ressenti nous fait considérer nos émotions, avec plaisir, comme étant amies, d’autres comme étant ennemies, mais dans les deux cas, nous pouvons tenter de les maitriser, ou au moins en réduire l’impact, quel que soit notre première réaction. Nous voulons rester maitre dans notre maison.

Comme le mot « émotion » est construit à partir de « émouvoir », (ex et movere), soit un « mouvement hors de », hors de ce « soi » auquel nous tenons, bien qu’il soit le fruit d’une construction dont nous ne sommes pas totalement les maîtres. Mais, nous pouvons comprendre que si nous sommes « hors » d’un certain équilibre, nous sommes également capables de raisonner en même temps que nous ressentons, et pouvons enclencher des mécanismes de réaction, différents et possibles.
Le sentiment qui nous envahi par notre ressenti, relié à notre culture, nos savoirs, nos croyances et nos expériences, nous savons que nous ne sommes pas que portés par lui et que notre volonté n’est pas impuissante face à ce que nous ressentons !

Mais toujours, un ressenti est une réaction provoquée par une stimulation extérieure, lors de la confrontation à des événements, à des situations, qui surgissent devant nous, et ils sont importants parce qu’ils constituent des ajustements permanents à notre environnement. En termes Sartriens, ils modifient totalement notre « être dans les monde ».
Amies ou ennemies, qu’elles soient plaisir ou déplaisir, les émotions sont indispensables car elles transforment la vision que nous avons du monde et le ressenti peut s’étendre au-delà de sa définition première : la perception subjective et donc personnelle des émotions, des sensations ou des sentiments que l’on éprouve face à une situation, un environnement ou un raisonnement.
Nous sommes capables de prendre du recul, d’évaluer et de décider si nous avons raison d’avoir peur ou d’avoir été mis en état de jubilation, de nous sentir bien ou de ressentir du mal être, s’il s’agit de quelque chose qui nous sera finalement favorable, un ami ou un ennemi, si donc l’état dans lequel nous sommes est justifié ou injustifié, parce que nous savons envisager le long terme. Ainsi, tout ressenti contient aussi des informations essentielles pour prendre des décisions.

Il n’y a rien de logique ou de paramétrable à l’apparition des émotions, ni dans nos réactions, parce que le bouleversement, le saisissement qu’elles provoquent, rompent notre tranquillité, en fonction de nos différents niveaux de sensibilité et selon la personnalité de chacun, selon que celle-ci soit passionnelle, sentimentale, esthétique, spirituelle, mystique, littéraire, musicale, ou religieuse.
Il serait donc absurde de vouloir maîtriser l’apparition des émotions, car elles nous sauvent dans certaines circonstances comme le décrivait Darwin qui les considérait comme innées, universelles et communicatives, comme un héritage de nos ancêtres, chasseurs-cueilleurs, confrontés à des phénomènes inattendus (changements climatiques, prédateurs) demandant une réponse adaptative rapide et permettant d’expliquer comment une réaction au danger va, au fil des générations, devenir innée et réflexe (tremblements, incapacité de bouger, agitation, fuite, agression...), et physiologiques (pâleur, rougissement, accélération du pouls, palpitations). C’est une théorie qui fait de l’émotion une évaluation d’un évènement utile pour la survie.
Mais nous pouvons agir sur leur ressenti !
Par exemple, certains, vont rechercher des émotions fortes et vont jusqu'à risquer leur vie pour obtenir une dose toujours plus forte de potion cérébrale, afin de ressentir du plaisir. Alors que d'autres trouvent leur plaisir dans une vie pépère et sans histoire, gérant leurs humeurs à l'économie.

On peut également utiliser ce que, dans les années 1980, le psychologue américain John Welwood, appelait le « détournement spirituel ». Il consiste à faire comme si une émotion désagréable n’existait pas: je m’interdis d’être en colère parce que ça peut mal finir, parce que ce n’est pas raisonnable, parce que je suis au-dessus de ça, sous prétexte de me montrer vertueux ou « philosophes », alors qu’en réalité, il s’agit d’un enfouissement de ce qui me dérange (jusqu’au moment où ça finira par exploser). Ce qui suppose une croyance inébranlable en la toute-puissance de la volonté. Je serais le créateur tout-puissant de ma réalité, qui pourtant ne m’obéit pas, et provoque la réaction Zidane et son coup de tête en finale de la Coupe du monde en 2006 : une insulte et les nerfs lâchent avec des conséquences irrémédiables. Un ressenti qui se révéla ennemi alors qu’il aurait tout aussi bien pu se montrer ami, en le motivant à montrer sa supériorité sur son adversaire, par l’obtention d’un bon résultat a ce match.
Les émotions et leurs ressentis, délimitent les frontières de notre humanité. Le racisme, par exemple, procède souvent d’une projection sur des groupes, de caractéristiques qui les lient à des crises dont ils seront tenus pour responsables : contamination, manque d’emplois, de logements etc… Et il en va de même pour la discrimination contre certaines religions, certaines orientations sexuelles ou de genre. Mais c’est alors un ressenti qui ne dépend plus de chacun de nous, ni de notre culture, ou de tout ce passé qui a fait de nous ce que nous sommes, mais qui nous a subrepticement été insufflé.

Notre monde moderne fait sans cesse appel aux émotions et à leurs ressentis différents. La télévision, fait se succéder devant nos yeux des conflits, des catastrophes et des agressions, montrés (et montés par des images), sous des angles multiples, que nous ressentons différemment, selon les biais cognitifs que nous favorisons. Ces démarches, par la pub, le marketing, imprègnent la culture (musique, chansons, livres ou films à succès), modifiant et orientant sans cesse la façon dont nous ressentons.
Les conflits sociaux ou individuels et les faits objectifs sont de plus en plus structurés ainsi. Ce sont des émotions provoquées par certaines informations carrément orientées, qui créent ainsi des ressentis voulus par des doctrines déterminées, mélangeant des situations objectives, imaginaires ou mensongères. Le ressenti est alors configuré en un sens bien déterminé, voulu, qui enferme le sujet.

C’est un danger pour la pensée, qui provient des mouvements populistes et communautaires, de certains politiques lors d’élections, qui agitent ces ressentis qu’ils ont participé à créer, s’en réclament les champions, sans proposer de solutions cohérentes : mais on peut toujours essayer ! Ils se positionnent en banquiers du ressentiment, en agitateurs de la colère. Mais la seule issue qu’ils proposent est l’opposition radicale à autrui. Ce qui conduit à une société morcelée en communautés de ressentis, qui passent alors d’un fait individuel à un fait social. Lorsque le bourreau devient victime et la victime bourreau, notre ressenti ne nous appartient plus. Ni lorsque les gens semblent plus préoccupés par la fin du mois que par la fin du monde, par le pouvoir d’achat que par le pouvoir politique et plus angoissés par le prix de l’essence que par le prix de l’existence.
Le ressenti vient se mettre entre le monde et l’individu et l’implique dans le réel, à l’insu de son plein gré.

Chacun ne réagit plus en fonction de sa propre histoire, de sa mémoire, de sa personnalité et oublie qu’il a la capacité de raisonner, de prendre de la distance face à ses ressentis, de faire jouer sa volonté et de se confronter à eux.

Parce que, malgré les diverses influences, nous vivons dans le même milieu que les autres, et que nous sommes capables d’empathie ou de sympathie, pour combler des lacunes dans ce qui nous apparait évident, et pour progresser !
Nous ne nous accorderons jamais tous sur une définition précise et universellement reconnue, de concepts comme l’empathie, la sympathie, la compassion, la solidarité etc…. Mais toutes ont pour point commun un mode de relation à l’autre, et ainsi de connexion à soi-même, par une forme d’engagement émotionnel. À cet égard, elles sont toutes créatrices de lien et ont une valeur sociale.
L’empathie, est cette faculté, cette aptitude en nous, ce mécanisme psychologique, par lequel un individu peut comprendre, les émotions et le ressenti d'une autre personne, de partager avec elle ce qu’elle ressent, que ce soit de la joie, de la tristesse ou une quelconque souffrance, mais sans forcément les ressentir soi-même, en retour.
Ce qui fait que l’empathie nous permet d’étendre notre vision des choses au point de vue d'autrui, plutôt que de la limiter à notre point de vue, et permet de se changer soi-même, de changer son regard sur autrui, de penser avec raison, d'auto élucider de ses propres démons, de débusquer et repérer les schémas de pensée et paradigmes qui gouvernent nos opinions et représentations, sans jamais y perdre son identité.
Cette disposition à l’empathie est à la fois une faculté innée, autant le résultat de l’éducation que de nos diverses expériences de vie. D’après Edgar Morin, comprendre autrui, c'est apprendre à repérer les clichés et stéréotypes qui emprisonnent nos jugements, les réduisent et les mutilent. C'est faire un travail d'auto élucidation de ses propres [ ] schémas de pensée et paradigmes qui gouvernent nos opinions et représentations. Bien qu’elle puisse être émotionnelle lorsqu’elle désigne la capacité à comprendre les états affectifs d'autrui, elle est surtout cognitive, c'est-à-dire capacité à comprendre les états mentaux d'autrui.
Des ressentis complexes, comme le ressentiment, le sentiment religieux, ou amoureux, l’espoir ou la jalousie, qui sont davantage liés à nos pensées, nos croyances et nos expériences personnelles, nous pouvons alors les comprendre et éventuellement les mettre en doute.

Le ressenti est alors « orphelin de l’émotion » et permet le raisonnement et le questionnement, sur un événement qui n’est pas directement perçu, mais monté, présenté, dénaturé par un processus médiatique qui conduit, selon les cas, à un attendrissement partagé (couronnement d’un souverain), à un déferlement de liesse populaire (les médailles d’or françaises), à une mobilisation charitable (l’abbé Pierre en 1954) ou à une mobilisation politique (expulsion des migrants de Calais).

 

N.Hanar

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NOTE

La philosophie s’est toujours interrogée sur notre capacité à accéder et à comprendre le monde, hors de toutes les influences culturelles qui nous font être ce que nous sommes.
Serions-nous capables de ne pas en tenir compte, grâce à une pensée, un exercice de la raison, qui en serait indépendants et que nous possèderions de manière innée.
Pour Platon, par exemple, l'allégorie de la caverne fonctionne sur une opposition entre la demeure souterraine, lieu de l'enfermement, de l'ignorance et des apparences et le « monde d'en haut », celui de la liberté, du savoir, du réel éclairé par la raison. Or l’humain avait connaissance de monde « antérieurement », nous dirions aujourd’hui : de manière innée, il connait le bien, le beau, la vérité etc…Le monde des perceptions sensibles, des fausses valeurs chargées de prestige social, est opposé au monde de l'intellect, de la connaissance abstraite, et de la justice. Il faut donc ne pas prendre pour vraies les données de nos sens qui sont trompeurs, et font écran à une saisie adéquate du réel, qui ne peut se voir réduit à l'échelle humaine des sens. Seule l'intelligence rationnelle permet d'accéder à la réalité, grâce à notre faculté dialectique, qui permet de s’écarter des préjugés et du conditionnement des esprits.

Le projet de Kant dans la critique de la raison pure, est d’explorer les limites de la raison humaine. De voir jusqu’à quel point elle peut appréhender le monde avec certitude sans tomber dans la simple croyance ou le dogme. Il n’est pas vrai que les sens corporels retransmettent une image fidèle de ce qu’est effectivement le monde. La réalité appréhendée est altérée : l’expérience sensible (ou physique) du monde, tout comme la pensée qui le saisit dépendent de conditions a priori et absolument indispensables, qui sont présentes en chaque être avant toute expérience du réel. De la naissance jusqu’à la mort elles demeurent, immuables et inchangées à travers les époques et les âges. Pour parler métaphoriquement, c’est comme si les vivants naissaient avec un « logiciel d’appréhension du réel » déjà installé en eux.
Ces conditions a priori de la sensibilité, sont au nombre de deux : l’espace et le temps. Elles permettent l’expérience physique et corporel, à travers les sens, de la réalité. Ensuite, viennent les conditions a priori de la pensée, cette-fois ci au nombre de douze (elles figurent dans une « table »). Elles permettent d’appréhender le monde en se le représentant, via notre intellect.
C’est donc bien moi qui donne un visage au monde grâce aux conditions dont je suis le porteur.
La raison pure, c’est cela, des conditions qui s’exceptent du monde sensible et qui me permettent de me le représenter, mais, en même temps, limitent ce que l’on peut se représenter.

Néanmoins, le monde est une construction active de l’intellect et de la sensibilité du sujet, et ainsi toute expérience du monde est « falsifiée »., et on ne peut pas faire l’expérience du monde tel qu’il est. Mais, raison pratique, nous devons cependant agir en conformité avec la volonté d’être libre ‘base de la morale).

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simplicité

L’art de la simplicité

 

 « Art », ici, désigne l’ensemble des procédés, des méthodes, des règles à observer lors de toute activité, et ainsi agir selon les « règles de l'art ». Je pensais donc que, dans notre sujet, la simplicité concernait les méthodes d’investigation de la réalité par la philosophie, afin de rendre celle-ci plus compréhensible, alors qu’il lui est, le plus souvent, imputé d’être complexe.

Or il semble bien que, pour beaucoup, le sujet « l’art de la simplicité, » soit en relation avec des règles, des recettes permettant d’atteindre le « bien-être », celles prônées par les coaches de vie ou de développement personnel, censées permettre à chacun d’atteindre sa plénitude, par des méthodes «éprouvées!».

Mais il ne s’agit, le plus souvent, que d’un bien-être marchandise, que veut nous vendre la société de consommation, grâce à un merchandising, une technique de vente d’un « bien-être », qui ne se traduit que par une logique autocentrée, et égoïste de l'existence humaine, qui ankylose notre pensée. Car c’est une escroquerie de faire croire que le bien-être ne dépend que de nous, alors qu’il dépend directement des « interactions avec l’environnement social » (1)

La démarche philosophique est l’art de comprendre le sens, souvent « un sens commun », « une continuité », sans contenter de se limiter à ce qui n’est utile qu’à soi. Parce que c’est omettre l’influence des autres, du monde qui nous entoure et de nos propres changements. Et ce peut être simple, sans recours au grand Yaka!

 

La Philosophie a longtemps imaginé et défini des concepts qui se veulent universels (Idée, Essence, Âme, Être, Raison…), afin de classer, de catégoriser, de simplifier la réalité. Les concepts sont alors comme   retranchés » du monde, tentant de maîtriser le terrain du réel par la transcendance, sans garder, comme la Science (qui mesure expérimentalement,) et l’Art, (qui crée à partir de matière, et de son) une relation physique avec la réalité.

 

Le terme transcendance (du latin transcendens; de transcendere, franchir, surpasser) indique l'idée de dépassement ou de franchissement. C'est le caractère de ce qui est au-delà du perceptible et des possibilités de la raison, de saisir les problèmes et les situations, en étant d'un tout autre ordre, celui de la Métaphysique (au-delà de la (et du) physique). - La transcendance avait seulement permis de mettre en place un certain nombre de concepts (l'Un et le Tout, l'Unique et l'Universel, le Même et l'Autre), mais pas du tout de connaître réellement l'être, le contenu fondamental, de ce qu’elle représentait. Elle est utile seulement pour servir de copie, de projection de la réalité immanente, afin de tenter de mieux la comprendre !

 

Depuis surtout le 19e siècle, cette approche philosophique a été remise en question.

Pour Bergson, un concept universel représente un simplisme naïf qui échoue à atteindre la complexité de la réalité, en restant à l’extérieur non seulement du réel concret, mais aussi de soi-même. Les concepts métaphysiques ne sont pas des divinités éternelles, mais ont des origines et des relations.

Ce qui a amené l’idée de Derrida d’une pensée « différant » indéfiniment la réalité de son objet, sans pouvoir la clore, et Deleuze et Guattari à affirmer le caractère indéfiniment « rhizomique » de la pensée.

La réalité est complexe, selon Edgar Morin, et l’approche de sa compréhension ne peut être que dialogique (un dialogue entre des idées qui s’opposent afin d’obtenir une dynamique distincte de tout ce qui aurait pu se produire si les idées avaient opéré isolément). Le résultat agira en rétroaction, sur les idées qui s’opposaient.

Nous sommes très loin de la simplicité, « le simplifié », selon Morin, n’étant «  pas le simple, mais le mutilé ». Le simple est plus que la fraction du tout. Le simple est comme une pièce de puzzle, qui évoque en relation le puzzle entier, et qui contient déjà le tout complexe dont elle est la partie. Tout est à la fois simple et complexe, ou plutôt LE TOUT est à la fois simple et complexe.

 

Par exemple, lorsque nous prenons une décision, nous optons pour quelque chose en renonçant nécessairement à autre chose qui était aussi possible, mais différent de l’option que nous avons prise. Apparemment, nous avons « simplifié » par élimination. Or chaque décision, par ce que nous avons choisi, ouvre de nouveaux possibles, au lieu de « simplifier » le réel, même si nous souhaitions qu’il en soit ainsi.

En fait, les décisions ne simplifient jamais le réel : elles ne peuvent le faire, puisqu’elles en font partie. Autrement dit, chaque décision que nous prenons n’est pas « extérieure » au cours des choses, elle contribue à faire le cours des choses, qui ne s’arrête pas avec nos choix. Bien au contraire, par notre choix, par notre implication dans le cours des choses, nous accentuons sa complexité en y intervenant.

Nous fabriquons tous le réel. Nos postures, nos comportements, notre manière même de regarder le monde nos interprétations du réel, aussi minimes et invisibles soient-elles, ne simplifient pas le réel. Nous en faisons tout simplement partie en contribuant à lui donner ses dynamiques, ses couleurs et ses formes.

Nos toutes petites décisions, ou nos comportements démesurés, bénéfiques ou néfastes, peuvent avoir des conséquences que nous n’imaginons pas à l’avance.

Comme l’« effet papillon ou la légende du colibri racontée par Pierre Rabhi :

La forêt est en flammes et tous les animaux s'affairent pour éteindre l'incendie. Même le petit colibri va au fleuve, met de l'eau dans son bec et vient jeter les quelques gouttes sur les flammes.

Bref, on ne « simplifie » jamais le réel par notre seule action, mais on peut néanmoins contribuer à le faire à partir de notre compréhension des situations où nous nous trouvons mis, ou tous nous trouvons.

(d’après Laurent Bibard, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité, à l’ESSEC - École supérieure des sciences économiques et commerciales)

 

Alors, me direz-vous, la science, qui symbolise des méthodes, des règles à observer,permet-elle de simplifier le réel ?

La science, c'est au départ la somme des connaissances et de la recherche de la connaissance, au moyen de méthodes rationnelles. Elle se base sur la conformité des conclusions avec une hypothèse de départ et la vérification systématique des faits et des données. Loin des croyances.

 

Le réel est le monde dans lequel nous vivons. Il nous entoure et nous compose. Notre corps fait partie du monde réel, il est une partie de la nature et de la société...

Or la science n’a pas pour but de simplifier le réel, puisqu'elle se propose de l'expliquer. Et ce que l’on explique devient plus compréhensible. Or "simplifier" ne veut pas forcément dire « rendre plus simple à comprendre ». Les choses simples sont couramment considérées plus faciles à expliquer et à comprendre que les choses complexes. Est simple, selon Comte Sponville « ce qui est indivisible ou indécomposable (« simple, dit Leibniz, c'est-à-dire sans parties »), [donc] « ce qui est facile à comprendre ou à faire.» Ce serait donc « une facilité à vivre et à être soi, [à] exister tout d'une pièce, sans duplicité, sans calcul, sans composition : c'est être ce qu'on est, sans se soucier de le paraître, sans s'efforcer d'être autre chose, c'est ne pas faire semblant, c'est n'être ni snob ni intéressé, ni hystérique ni manipulateur... ».

Mais cela peut aussi signifier que l'on verrait le réel d'une manière simpliste. Si la science creuse toujours plus profond, on voit bien que ce n'est pas le cas.

Plus la science avance, plus elle explique le monde et plus elle se complexifie et se rend moins facile à comprendre. Elle en est aujourd'hui à l'exploration des quarks et des quasars et à la recherche d'un nouveau paradigme astrophysique. Est-ce qu’il s’agit vraiment d’une simplification du réel ? En creusant toujours plus profond dans la réalité, la science ne finit-elle pas par s'éloigner de notre réalité quotidienne ?

 

Est-ce que ce n’est pas également le cas de la philosophie ?

Afin de simplifier le raisonnement, le philosophe du XIVe siècle Guillaume d'Ockham avait proposé le raisonnement philosophique appelé « rasoir d'Occam », montrant que la théorie la plus simple est la plus sûrement vraie.

« Raser » c’est « éliminer les explications improbables d'un phénomène », préférer « les hypothèses les plus simples » car « pourquoi faire quelque chose de compliqué quand on peut faire simple ? ». Il faut, en fait, seulement utiliser le « rasoir » afin de désigner quelle hypothèse devrait être considérée en premier

Aussi appelé « principe de simplicité », « principe de parcimonie », ou « principe d'économie », le « rasoir d'Occam », exclut la multiplication des raisons et des démonstrations à l'intérieur d'une construction logique.

Ce qui est résumé par Ludwig Wittgenstein,  « La devise d’Occam [ ] déclare que les unités non nécessaires d'un système de signes n'ont aucune signification.

 

[Pluralitas non est ponenda sine necessitate - (les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité).]

Le principe du rasoir d'Ockham consiste à ne pas utiliser de nouvelles hypothèses tant que celles déjà énoncées, déjà faites, suffisent, avant d'en introduire de nouvelles,

 

Ce n’était pas la vision de Platon, pour qui ce n'est pas la brièveté du raisonnement qui détermine sa pertinence argumentative, mais, au contraire, la qualité de la dialectique. On ne doit donc pas s'émouvoir de l'accumulation des hypothèses.

Toutes ses nombreuses digressions, dans ses différents dialogues, sont en fait d'une importance capitale en ce qu'elles « ouvrent le discours à une autre dimension, comme si, en "évoluant" autour d'un objet, la pensée prenait de la hauteur. » La quantité des moyens de vérifier une proposition ne doit être épuisée qu'une fois que l'on s'est bien assuré d'avoir fait le tour du sujet.

Platon trichait un peu, parce que ses dialogues socratiques, étaient construits pour se terminer  par la victoire de l’hypothèse de Socrate. La confrontation dialogique prônée par Edgar Morin, afin de comprendre la complexité de la réalité, permet, elle, à des idées qui s’opposent, d’obtenir une dynamique distincte de tout ce qui aurait pu se produire si les idées avaient opéré isolément.

Les explications les plus simples ne [sont] pas toujours vraies dans notre monde, aussi prodigieusement complexe, pour la science et pour la philosophie, quel que soit leur « art de la simplicité ».

 

Aujourd’hui, la mode est à la « simplicité volontaire », qui ne devrait pas oublier que le mot simplicité est parfois utilisée comme synonyme de simple, simpliste, voire de simplet, stupide et naïf.

 « Les choses devraient être faites aussi simples que possible, mais pas simplistes. », disait Albert Einstein.

 

La mise en œuvre de la simplicité volontaire permet une action directe de chaque citoyen sur son cadre de vie et sur l'espace public, essentiellement en réduisant ou en contrôlant intentionnellement sa consommation et ses conséquences sur la planète.

L'objectif serait celui de mener une vie davantage centrée sur des valeurs définies comme « essentielles.

Toute décision doit être appréciée de manière éthique, pour obtenir une véritable « qualité de vie », améliorée. Les « vraies richesses », opposées aux richesses matérielles peuvent être la vie sociale et familiale, l'épanouissement personnel, la vie spirituelle, l'osmose avec la nature, etc.

Déjà Henri Bergson notait : « Ce qui est beau, ce n'est pas d'être privé, ni même de se priver, c'est de ne pas sentir la privation. » [ ]  « Jamais, en effet, les satisfactions que des inventions nouvelles apportent à d'anciens besoins ne déterminent l'humanité à en rester là ; des besoins nouveaux surgissent, aussi impérieux, de plus en plus nombreux. On a vu la course au bien-être aller en s'accélérant, sur une piste où des foules de plus en plus compactes se précipitaient. Aujourd'hui, c'est une ruée. »

 

À l'évidence, il est urgent pour tous changer nos modes de production et de consommation et d'adopter un comportement moins prédateur envers la nature, mais le changement ne peut pas prendre les mêmes formes pour tous les pays et toutes les catégories sociales. Ce changement nécessaire de civilisation se fera de toute façon, la disponibilité des ressources diminuant.

Mais ce n'est pas la même chose si c'est une contrainte qui ne peut se passer d’appareil de répression, de contrôle et de planification, ou si c'est quelque chose que l'on souhaite planifier pour des raisons éthiques ou philosophiques.

Les tenants de la décroissance pensent que c’est simple, il suffit de réduire le volume de la consommation et de la production. En occultant que c’est aux avancées technologiques qu’elles ont amenées, que nous devons la baisse du taux de pauvreté, la fin des famines en Occident, la hausse de l’espérance de vie, la réduction de la mortalité infantile, etc. Et que nous disposons d’une meilleure médecine, de l’électricité, de la chimie, de l’informatique qui permet de limiter les déplacements, etc…

Et bien entendu en oubliant toutes les conséquences négatives de la décroissance: la hausse du chômage, le cout élevé des logements à construire qui ne seront plus accessibles à tous, comme les nouveaux véhicules pourtant tout autant polluants, au moins au stade de leur fabrication etc….

 

En fait, la complexité à simuler le futur des comportements humains est encore aujourd’hui hors d’atteinte, , les prévisionnistes se sont toujours en grande partie trompés face à la complexité du réel, dans leur vision de l’évolution des comportements sociaux et des dirigeants de sociétés, assemblées ou tyrans.

Parce qu’ils sont soumis à des biais et auront tendance à intégrer dans leurs simulations les effets avec lesquels ils sont en accord.

Parce que nos postures, nos comportements, nos toutes petites décisions, ou nos comportements démesurés, nos interprétations du réel, aussi minimes et invisibles soient-elles, ne simplifient pas le réel, mais, puisque nous en faisons partie, contribuent à le complexifier, à ouvrir autant de possibles que nous en fermons, mais jamais à le simplifier.

N.Hanar

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