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défaite de l'Occident

Va-t-on vers la défaite de l'Occident?

par Jean Luc, suivi de la contradiction aux thèses de Todd par N.Bouzou

 

On aime bien, à l'heure actuelle, gloser sur l'opposition entre un Occident libéral, dirigé par Washington et cherchant à s'affirmer, face à un Orient despotique, incarné notamment par le Kremlin. On oublie que la Russie post-soviétique avait cherché à s'intégrer à l'Occident jusqu'en 2006; puis elle avait compris que les USA ne cherchaient pas d'allié véritable mais uniquement des exécutants serviles de ses volontés. Un ministre socialiste français, J.-P. Urvoas, n'avait-il pas déclaré, le 22.10.2013, que "les USA n'avaient pas d'alliés, mais uniquement des cibles ou des vassaux"? Il n'aurait pas dû en être étonné. Z. Brzezinski, dans le Grand Echiquier paru en 1997, avait écrit: "Puisque la puissance sans précédent des États-Unis est vouée à décliner, la priorité est donc de gérer l’émergence de nouvelles puissances mondiales de façon à ce qu’elles ne mettent pas en péril la suprématie américaine... une Europe plus vaste permettrait d’accroître la portée de l’influence américaine... L’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses États rappellent ce qu’étaient jadis vassaux et tributaires d’anciens empires". La vassalisation de l'Europe s'était étendue jusqu'à la Russie durant la période eltsinienne, laquelle avait assumé l'héritage de l'URSS, puis son successeur, V. Poutine, y mit un terme. L'Europe de l'ouest n'a pas voulu suivre ce chemin. Elle est restée coi lorsqu'en 2002, les USA ont dénoncé le traité ABM, interdisant les missiles anti-balistiques qui avait été signé en 1972 par ce pays USA et l'URSS. Elle ne se manifesta pas davantage lorsque les USA, en 2019, dénoncèrent le traité sur "les forces nucléaires à portée intermédiaire" signé en 1987. Entretemps, la crise financière de 2008 avait rendu possible l'émergence de la globalisation financière pilotée depuis les USA. Elle fut malencontreusement soutenue par une Chine encore trop peu sûre d'elle-même et qui avait cru naïvement que les USA pouvaient être un partenaire fiable.

 

Le $, instrument essentiel de la globalisation, est, depuis les années 1960, la principale monnaie d'usage dans les échanges internationaux. Il allait désormais être le seul, d'autant que, grâce à la crise de 2008, sous couvert de "moralisation du capitalisme", les paradis fiscaux seraient voués à disparaître, à l'exception toutefois de ceux contrôlés directement par les USA. Le $ serait désormais la monnaie de tous les très riches de la planète. Se requalifiant eux-mêmes en philanthropes, ils ambitionnèrent de régner en maître dans un monde globalisé et de régir l'économie, à tout le moins sa financiarisation, en fonction de leurs intérêts. Un système qui se proclama néolibéral, fondé sur les principes de la "société ouverte" (open society), reléguant aux oubliettes les notions de nation, de souveraineté et d'expression populaire. Cette élite financière représente 0,1% de la population US, leur excroissance la plus extraordinaire est ce qui est appelé aux USA, par les Trumpistes notamment, le "blob", du nom d'un organisme unicellulaire d'aspect visqueux. C'est ce "blob" qui gère la politique étrangère; on y cultive l'entre-soi, on fait en sorte qu'une part toujours croissante du budget de l'Etat fédéral soit consacrée à la résolution de questions internationales. Ce blob n'est plus seulement impérialiste, il tend à devenir parasitaire en ce sens qu'il se nourrit de conflits qu'il prend grand soin d'embraser et d'entretenir. Il a réussi à marginaliser la presse d'opinion, celle qui décrit les enjeux et clarifie les débats et qui est à présent qualifiée de complotiste. La raison doit s'effacer devant l'émotion. Que ce fut au Vietnam, en Iran par Irak interposé, à 2 reprises en Irak même, en Serbie, en Libye, en Somalie, en Syrie, en Afghanistan et maintenant en Ukraine, à Gaza et au Yemen, en attendant Taïwan, le "blob" prend bien soin de ne définir aucun objectif de guerre, de n'établir aucun plan d'ensemble établi, de ne rien anticiper sur la fin des guerres ni à quelles conditions, elles pourraient être arrêtées. Tantôt il s'agit d'armer des "rebelles" qui rêveraient de démocratie (Libye, Syrie, Irak, Afghanistan), alors qu'ils ne rêvent en réalité que de califat, tantôt il s'agit de se mettre à la remorque d'ultra-nationalistes radicaux (Azerbaïdjan, Ukraine et Israël). Concernant ce dernier, on nous dit que ce pays a le droit de se défendre, mais alors qu'en est-il de la défense des Palestiniens, victimes de violations du droit international depuis 1947, lesquelles ont été engendrées par la non-application par Israël (avec l'inconditionnel soutien occidental) de dizaines de résolutions de l'ONU? Quant à la Russie, il s'agissait, en se servant de l'appât ukrainien, d'affaiblir l'Etat russe en détruisant son économie par le biais de sanctions. Et ceci, en application de la théorie dite de la "full-spectrum dominance", définie par la Département de la défense US, comme étant "l'effet cumulatif de la domination dans les domaines aérien, terrestre, maritime et spatial et de l’environnement de l’information, y compris le cyberespace, et qui permet la conduite d’opérations conjointes sans opposition efficace ni interférence prohibitive".

 

L'Europe plus particulièrement, a servi de laboratoire pour mener à bien l'affaiblissement et l'effacement progressif du concept de nation au profit d'une gouvernance mondiale qui reste à définir si tant est qu'elle se réalise un jour. La manœuvre a été initiée et dirigée par les néoconservateurs US. Ceux-ci sont aussi radicalisés politiquement que les néolibéraux le sont économiquement. Le résultat de cette politique a été la lente désintégration de l'ensemble de la zone qu'ils contrôlent, une zone incluant du reste les USA. Ceux-ci ne voulant reconnaître qu'ils se sont fourvoyés en adoptant de telles extravagances, tentent de masquer cet état de fait par un bellicisme de plus en plus outrancier (4% de la population mondiale, mais près de 50% des dépenses d'armement mondiales). Cette politique a mené à la désindustrialisation, prélude à la désagrégation progressive de l'Occident. Une illustration frappante de ceci est le déficit de l’OTAN dans la production d’armes pour le front ukrainien. E. Todd, dans son dernier ouvrage ("la défaite de l'Occident"), considère que la désindustrialisation a été induite en faisant parvenir au "degré zéro" la matrice religieuse de l’Occident, à savoir le protestantisme, dont les exigences furent bien analysées en son temps par Max Weber. Cette religion, bien plus que le catholicisme resté plutôt "bling-bling" dans ses expressions publiques, avait donné aux Occidentaux les outils conceptuels leur permettant de forger un ordre politique favorisant un essor économique vigoureux. L'auteur affirme: "Si le protestantisme a été la matrice de l’ascension de l’Occident, sa mort, aujourd’hui, est la cause de sa désintégration et de sa défaite". Le protestantisme a imposé l’alphabétisation universelle aux populations qu’il contrôlait, "parce que tous les fidèles devaient avoir un accès direct aux Saintes Écritures". Une population alphabétisée devient capable de développement économique et technologique. "Le facteur crucial de l’ascension de l’Occident a été l’attachement du protestantisme à l’alphabétisation" La "religion protestante a modelé, par accident, une main-d’œuvre supérieure et efficace". Et c’est ainsi que l’Allemagne s'est retrouvée "au cœur du développement occidental". L’effondrement du protestantisme aurait donc détruit l’éthique du travail au profit finalement d'une oligarchie s'enrichissant au-delà de toute décence grâce à la dérégularisation financière qu'elle a réussi à imposer. On peut répondre à cela que la méritocratie républicaine à la française, établi sur un fondement de rationalité empreint de laïcité, aurait pu être une solution écartant cette dérive, mais la France a, elle aussi, et surtout depuis 2007, choisi la voie du renoncement et de l'effacement. Moscou l'a bien compris et s'est activé, avec succès, à faire passer ce message dans toute l'Afrique francophone.

 

Comment de telles évolutions ont-elles pu se faire? L'affaissement de l'éthique protestante aurait transformé le capitalisme patriarcal en ce que l'analyste Michel Glouscard a nommé le capitalisme de la séduction (1); celui-ci aurait  ensuite généré, pour s'imposer d'abord, pour survivre ensuite, une création monétaire infinie, laquelle a été rendue possible par des banques centrales indépendantes des Etats. Une création monétaire qui a, pour une grande part récupérée par les classes dirigeantes qui manipulent ces banques supposément indépendantes. Au cours des décennies 1970-1980, l'esprit autoritaire et répressif des "pères fondateurs" du capitalisme aurait été évacué au profit d'un état d'esprit libertaire, lui-même en cours de dissolution du fait de l'apparition de l'exigence libertarienne: tout se monnaye, rien ne doit échapper à la monétisation. Une avalanche de normes fera en sorte qu'il n'existera bientôt plus ni service public ni une quelconque activité échappant à l'emprise des marchés financiers. Le capitalisme patriarcal s'était présenté comme une rédemption, un rachat du péché originel, le capitalisme de la séduction, fondé sur la valorisation des transgressions, a pu se présenter comme étant celui de l'absolution. Avec lui, la culpabilité propre aux monothéismes disparaît. Naturellement, comme il ne saurait être question de richesse pour tous, la classe dirigeante véhiculera l'idée de transgression pour tous, faisant passer auprès de la vile canaille cette lubie pour une liberté permettant l'acquisition de nouveaux droits. Le néolibéralisme peut se définir comme ce qui a altéré et perverti les idées novatrices nées au siècle des Lumières. Elles ont été remodelées pour permettre, après la phase libertaire, l'avènement du libertarianisme, lui-même accoucheur d'un capitalisme qui sera cette fois-ci de surveillance. C'est la nouvelle exigence des marchés financiers mondialisés dirigés par l'"upper-class": la transformation numérique de la société permettra à terme la multiplication de pass rendant à tous la vie infernale; l'évolution du capitalisme se transformera ainsi en un capitalisme disciplinaire. Le but recherché étant la concentration croissante du capital, capital essentiellement créé, répétons-le, par la création ad libitum de la monnaie par les banques centrales et non plus par l'industrie. Bien évidemment, il s'en suivra la militarisation des sociétés, la guerre étant toujours un moyen commode de neutraliser les "classes dangereuses". C'est ce qui explique la montée du bellicisme en Occident. En France a été adoptée, en 2023, une nouvelle loi de programmation militaire. Dans son article L. 2212-6, tiret 1, on peut lire: " Dans le respect du présent titre, peut être soumis à une mesure de réquisition, toute personne physique présente sur le territoire national". On comprend l'enthousiasme de certains politiciens pour la guerre impérialiste...

 

En attendant l'avènement de la guerre généralisée qui, comme toujours, sera "un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas" (Paul Valéry), la mise en œuvre d'une telle  politique a d'ores et déjà des conséquences sociales: aux USA, l'espérance de vie est en recul, 42% de la population est atteinte d'obésité et l'on compte 531 prisonniers par million d'habitants, un record absolu, et qui ne pacifie en rien une société US par ailleurs de plus en plus violente. L'"upper-class" n'a pas hésité, comme la bourgeoisie dans l'Europe des années 1930, à contrer la lutte des classes par la si commode lutte raciale, cette fois-ci derrière un verbiage gauchiste de défense des minorités et de condamnation de l'expression populaire, qualifiée de populiste. Si l'on compare la situation des USA avec la Russie depuis l'accession de M. Poutine au pouvoir, le nombre d'homicides par an dans son pays a été divisé par 4, celui des suicides par 6, le taux de mortalité par alcoolisme par 3, et enfin la mortalité infantile est désormais inférieure à celle des USA. La Russie, dont le peu qui fonctionnait au moment de la chute du communisme, s'était complètement effondrée lors de l'application de la "thérapie de choc" concoctée en Occident. Elle avait alors instauré le "turbo-capitalisme", cher aux Chicago Boys. Celui-ci fut balayé lors de l'accession de M. Poutine au pouvoir; depuis, les résultats sont au rendez-vous: la Russie est à présent devenue exportatrice de produits agricoles à hauteur de 30 milliards de $, alors que depuis l'émergence du  néolibéralisme, la production agricole US a baissé d'un tiers. Elle est le premier exportateur de centrales nucléaires avec, à l'heure actuelle, 35 réacteurs en construction à l'étranger. L'Occident pensait mettre la Russie à genoux en la coupant du système interbancaire SWIFT, une mesure qui n'a guère eu plus d'effet que quelques gouttes de pluie sur les plumes d'un canard. Ce qui indique qu'elle a acquis une parfaite maîtrise des systèmes informatiques, lui permettant, ainsi qu'à l'ensemble de BRICS +, de s'affranchir de la pesante et humiliante tutelle occidentale. Les BRICS + regroupant, outre la Russie qui en assure la présidence cette année, la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, l'Egypte, l'Arabie Saoudite, l'Iran ainsi que les Emirats arabes Unis. Autant de pays qui rejettent l'idée d'un monde unipolaire dirigé par les seuls USA. Ils sont peu ou prou suivis par un nombre croissant de pays de ce qu'on nomme à Moscou, le "Sud global". 

 

La classe dirigeante US et, par-delà, occidentale, a commencé à s'attaquer à la puissance publique autour des années 1980, lors de la mise en œuvre des théories dites néolibérales dont le credo était: "l'Etat n'est pas la solution, il est le problème". Cette fuite en avant vers le "turbo-capitalisme", s'est accompagné d'un "nihilisme impérial exprimé par l’obsession des guerres" pour se donner, à défaut de grandeur, l'illusion de la puissance. Pourtant, en 2021, le PIB combiné de la Russie et de la Biélorussie ne représentait que 3,3% de celui de l’Occident réuni (en l’occurrence la sphère de l’OTAN plus le Japon et la Corée du Sud). E. Todd constate que ces 3,3%, capables de produire plus d’armes que l’ensemble du colosse occidental, non seulement semblent gagner la guerre en Ukraine, mais réduisent à néant les notions dominantes de l’"économie politique néolibérale", laquelle est vue par un nombre croissant de pays comme une charlatanerie. Mais il est à noter que le PIB russe n'inclut que la production industrielle, alors que celui des USA, plus encore que celui des autres pays occidentaux, comprend les salaires mirobolants d'une pléthore d'analystes financiers, de stratèges en optimisation fiscale, d'économistes se gargarisant de théories fumeuses et de nuées d'avocats pour les défendre les uns contre les autres, car tous se combattent vigoureusement par tribunaux interposés. Tout ceci brasse énormément d'argent, mais produit moins de valeur réelle qu'un rémouleur de foire.

Alors que le capitalisme, tel qu'analysé par Max Weber, avait construit le marché, le néolibéralisme détruit l'ensemble de l'économie. Il n'excelle que dans la prédation, d'où son goût pour les aventures militaires car elles permettent le pillage de pays vaincus. Il déclare qu'est haineux quiconque l'analyse objectivement et ce, avant même qu'il n'ait songé à le critiquer. En se voulant non weberien, débarrassé de l'éthique protestante qui lui avait assuré un fondement spirituel, il est devenu non seulement amoral mais également inefficace. La "destruction créatrice", chère à Joseph Schumpeter est devenue la destruction tout court.

La production industrielle US représentait 45% du total mondial en 1945, elle n'en représente plus que 17 % aujourd'hui. Le pays qui avait voulu répandre l'illusion que la modernisation du monde passerait par son occidentalisation, qu'il aurait dirigé, sent le sol vaciller sous ses pieds. L'"ordre fondé sur des règles" devait avoir pour but d'assurer la prééminence US dans les affaires mondiales. N'y étant parvenu, l'Empire se rétracte sur ses protectorats, lesquels représentent la base ultime de sa puissance. Au besoin en les soumettant en usant de brutalité, comme on l'a vu avec le sabotage des Nord-Streams. Agiter l'hystérie antirusse fait partie de leur stratégie, la lutte contre le communisme était si commode que l'on fait comme si celui-ci existait encore. En réalité, la désignation d'un bouc émissaire renseigne toujours plus sur l'accusateur que sur la victime. Celui-ci étale aux yeux de tous, son impuissance a conduire le monde selon ses lubies et son inaptitude à assurer une direction qui ne serait pas humiliante pour ses subordonnés. Il arrive parfois qu'un conflit local échappe à ses radars, celui-ci a alors toutes les chances d'être réglé pacifiquement, comme le divorce Tchéquie-Slovaquie. A n'en pas douter, le conflit, d'abord linguistique, entre l'Ukraine "ukrainophone" et le Donbass russophone aurait pu être réglé de la même manière. Mais l'occasion était trop belle, faire en sorte que s'entretuent entre eux ceux qui furent des Soviétiques permettrait aux USA, en armant l'un des 2 camps, de dézinguer la Russie!

 

L'Europe, par suivisme et par manque d'ambition, a adopté, après la chute de l'URSS, la feuille de route US. Ce faisant, elle a dû faire le rude apprentissage de la servitude. Elle a accepté d'introduire dans ses credos les divagations américaines sur le sexe et la race. Répétons-le, on est revenu aux années 1930 où les théories raciales étaient alors censées venir à bout de la lutte des classes. Aujourd'hui, c'est la notion de souveraineté qu'il s'agit d'éradiquer. Pour faire du neuf avec du vieux, on saupoudre cela de fantasmagories sexuelles comme la théorie du genre. Un sommet dans ces élucubrations fut atteint avec l'éphémère 1ere ministre britannique, Liz Truss, s'était vantée que 4 des membres les plus importants de son gouvernement n'étaient ni masculins, ni blancs. Pourquoi s'engouffrer dans de telles régressions qui évacuent tout concept politique? De même que les théories marxistes ont fait, tout au long du 20e siècle, la démonstration qu'elles pouvaient être un excellent outil d'analyse, bien que ses finalités (la société sans classes) étaient irréalistes, il apparaîtra bientôt que l'idée de gouvernance mondiale (évidemment sous direction US) n'est qu'une galéjade destinée à masquer la liquidation de l'idée de souveraineté et donc de démocratie. E. Todd parle de l'apparition en Occident d'un "narcissisme idéologique". Celui-ci se déclare génial, porteur de valeurs universelles, alors que le "Sud global" a compris que l'Occident ne savait exceller que dans le vide conceptuel qu'il répandait. Est vilipendé comme complotiste quiconque ne souscrit pas à son délire. Pendant ce temps, sont escamotés les vrais problèmes mais cela permet de masquer l’implosion, étape après étape, de la culture WASP, qui, si elle était critiquable, avait du moins le mérite d'exister. Ce narcissime s'exprime par "une expansion militaire accentuée, dans une phase de contraction massive de sa base industrielle", souligne encore E. Todd.

 

Les credos que véhiculent à présent le néolibéralisme sont confondants d'infantilisme. Ainsi, on nous serine que "l’individu serait plus grand s’il était libéré du collectif". Le collectif, cad les déterminismes aliénants qu'ils sont supposés véhiculer. Or cela a conduit à une débâcle désolante :" Maintenant que nous sommes libérés, en masse, des croyances d'ordre métaphysiques, fondatrices et dérivées, communistes, socialistes ou nationalistes, nous vivons l’expérience du vide" (Todd). Et c’est ainsi que nous sommes devenus "une multitude de nains mimétiques qui n’osent pas penser par eux-mêmes, mais se révèlent aussi capables d’intolérance que les croyants de l’Antiquité". En effet, qu'est la cancel culture des wokistes sinon une manifestation de gens mentalement déséquilibrés, laquelle manifestation a pris racine sur des litotes du genre: there is no alternative; yes, we can, ou encore: wir schaffen das. Le tout étant transcendé par les merveilleux syllogismes que permet le "en même temps". Tout ce que je fais est bien, mais si, en même temps, je fais l'inverse, c'est bien aussi. Donc, si je dis une chose et je fais son contraire, c'est nécessairement bien.

 

Et ainsi, affichant leur bonne foi, les dirigeants européens ont abandonné toute volonté à défendre les intérêts de l’Europe. Ils se sont ainsi coupés de l’énergie et des liens commerciaux avec son partenaire naturel, la Russie. Ils se sont ainsi sanctionnés sans même s'interroger si ces actions pouvaient avoir une quelconque incidence sur le front ukrainien. La moraline (les "valeurs" de l'Occident) et le slogan remplacent l'analyse rationnelle; Todd note l'apparition d'un axe Londres-Varsovie-Kiev, remplaçant un couple franco-allemand devenu fantomatique. C'est "la fin de l’Europe en tant qu’acteur géopolitique autonome". Et cela s’est produit 20 ans à peine après l’opposition commune de la France, de l’Allemagne et de la Russie à la guerre néoconservatrice contre l’Irak. La guerre actuelle en Ukraine, s'il est improbable qu'elle finisse par une victoire pour les USA, a du moins permis une nouvelle étape dans la réduction du rôle de l'Europe à un rang de subalterne et donc, pour la puissance impériale, de renforcer le contrôle qu'elle exerce sur elle. Peut-être est-ce là ce qui était vraiment recherché. Après l'affront de 2003, la cheffe de la diplomatie US, C. Rice, n'avait-elle pas déclarée "qu'il fallait punir la France, ignorer l'Allemagne et pardonner à la Russie"? De fait, les 2 premiers ont pensé sauver la mise en faisant assaut de servilité, ce à quoi s'est refusé la Russie.

 

Le vrai problème, au niveau mondial, n'est pas une supposée volonté de conquête russe, volonté en réalité totalement inexistante puisque la Russie a déjà bien du mal à occuper et à valoriser son immense territoire de 17 millions de km2, mais le vrai problème est le trou noir US, qui, notamment depuis la présidence Biden, se laisse hypnotiser par des ultra-nationalistes qui le manipulent à loisir, tant en Ukraine que, jusqu'à présent du moins, en Israël. L'Occident se considère comme la "communauté internationale", et, au nom de l'unilatéralisme auquel prétend son commandant en chef, s'arroge le droit de déconsidérer tout propos critique concernant son action. Ainsi le fait de chercher à connaître l'évolution de l'Ukraine depuis le coup d'Etat de 2014, coup d'Etat orchestré contre un président démocratiquement élu, est-il stigmatisé comme étant de la "poutinolâtrie". De même, le fait de s'interroger sur la piètre considération qu'éprouve Israël envers les résolutions de l'ONU est-il vilipendé comme étant antisémite. Ce terme, actuellement utilisé en Occident à tort et à travers, illustre d'ailleurs à merveille sa stérilité conceptuelle. Rappelons que le personnage biblique, Noé, avait eu 4 fils. Parmi ceux-ci, il y eut Sem, considéré comme le père des peuples s'exprimant dans des langues dont il aurait posé les premiers fondements. Parmi ces langues "sémitiques", il y a notamment l'arabe et l'hébreu. En aucune manière, le yiddish, longtemps parlé par les Juifs d'Europe centrale, ne peut être considéré comme une langue sémitique. Etre antisémite consiste donc en réalité à s'opposer à la fois aux Arabes et aux Israélites s'exprimant en hébreu, ce qui, on en conviendra, est vide de signification.

 

Depuis les commencements de l'humanité, il n'y a jamais eu d'empire qui ne fût belliciste. L'Occident, sous domination US, n'échappe pas à la règle. A cette fin, il dévalorise tout, l'économie, la morale, la politique, le sens des mots, et bien évidemment ce qui fait la force d'une nation, à savoir la monnaie. Pour l'heure, l'ensemble occidental reste aveuglé par la puissance du $, puissance due à son statut de monnaie internationale qui, jusqu'à ce jour, a pu être préservé. Mais, tout comme son clone, l'€, cette monnaie ne parvient plus à masquer les performances de plus en plus médiocres de l'économie réelle des pays en question; la réponse par une création monétaire insensée n'aura qu'un temps. Il est certes plus facile, quand on est en situation de monopole, de produire de la monnaie que des biens, mais la monnaie qui couvre les besoins d'un Etat désindustrialisé et endetté à hauteur de 32 000 milliards de $ s'érode inexorablement par rapport à des actifs réels comme par exemple, l'or. Ainsi, il fallait 35 $ pour acheter une once d'or en 1971, année où la valeur du $ a été décorrélée de celle de ce métal, il en faut près de 2.000 aujourd'hui. Ceci explique pourquoi les BRICS + stockent des quantités croissantes d'or. Ils font le pari que lorsque sera venu le jour où le $ s'affaissera pour de bon, leurs monnaies verront leur valeur garantie par les stocks d'or de leurs banques nationales. Naturellement, l'€ suit le $ dans cette dérive et même la si vertueuse mais si docile Allemagne, a considéré comme sensé de jeter aux orties son dogme de "Schuldenbremse" (frein à l'endettement) qu'elle avait fourgué dans sa "loi fondamentale". Le grand retour du "Drang nach Osten", sous direction US, mérite bien que l'on oublie tout ce qui avait fait la prospérité de l'Allemagne, ces 60 dernières années. Militariste un jour, militariste toujours, même quand le commandant en chef est étranger!

 

L'Occident otanien, fort de 887 millions d'habitants, pense que la Russie, abritant seulement 140 millions d'habitants, est faible tant économiquement que militairement. Nous avons vu que l'Occident s'est fourvoyé en infligeant des sanctions à la Russie, sanctions que ne la perturbèrent en rien, les analystes économiques du "sud global" estimant au contraire que la Russie s'est renforcée depuis le début de l'"opération militaire spéciale". L'Otan est vue par les anti-impérialistes comme un simple instrument de projection de puissance pour opérer les changements de régime voulu par les USA. Il est à souhaiter que les généraux qui la dirigent fassent preuve de plus de lucidité et de clairvoyance que les économistes occidentaux qui pensaient, en usant de sanctions, pouvoir mettre la Russie économiquement à genoux. Le Kremlin a tenu en échec les stratèges de l'OTAN sur le front ukrainien, malgré une injection en moyens occidentaux dépassant les 200 milliards de $. Militairement, la Russie n'est donc en rien une force négligeable. Elle a menacé l'Occident de frappes nucléaires tactiques (en 1er usage) si son intégrité territoriale venait à être menacée. Les Européens doivent prendre l'avertissement au sérieux. Les USA ne se lanceront jamais dans une guerre nucléaire pour "sauver" l'Europe. Aucun acteur puissant, dans l'Histoire, n'a jamais pris le moindre risque pour sauver un valet de chambre. Pour l'Europe, le choix est simple: soit se perdre dans un militarisme à outrance, qui aura pour effet de la ruiner définitivement, soit de retrouver la voie de 2003. Une voie gaullienne s'était alors dessinée: il aurait été possible de créer une Europe de l'Atlantique à l'Oural, indépendante des USA, mais la volonté politique, chez les Européens de l'ouest, a manqué. La Russie, qui préside les BRICS + cette année, a vu sa puissance considérablement augmentée par sa synergie avec la Chine. Elle apparait à présent, après l'élimination de la présence française en Afrique, comme la cheville ouvrière permettant au monde asiatique, au monde islamique-tant sunnite que chiite-, et à l'Afrique noire, de travailler à l'émergence et au renforcement d'un monde multipolaire, tout en approfondissant les différentes complémentarités entre ses membres. Le parti communiste chinois est resté léniniste dans son analyse de l'impérialisme. Celui-ci mène toujours à la guerre, mais une politique fondée sur la coopération et non la confrontation permettrait d'en amoindrir le risque. Encore faudrait-il que la partie occidentale le veuille bien.

 

(1) https://www.youtube.com/watch?v=dhq5qHKge7g&ab_channel=Paroledephilosophe

Jean Luc


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La défaite de l’Occident ? Quand Emmanuel Todd prend ses rêves pour la réalité.

 

Dans son dernier ouvrage, l’essayiste assure que l’Occident va mourir et que la Russie a déjà triomphé. Quitte à triturer les données.

Par Nicolas Bouzou et Pierre Bentata* - Publié dans l’Express, le 27/01/2024 à 08:15

 

Dans La Défaite de l’Occident (Gallimard), celui qui avait prédit, pour de mauvaises raisons, la chute de l’URSS offre une nouvelle prophétie qu’il pense à contre-courant : l’Occident va mourir et la Russie a déjà triomphé. Evidemment, chacun est libre de prendre ses rêves pour des réalités, à condition de ne pas les présenter comme un travail scientifique. Et c’est là le problème de cet essai. Car Emmanuel Todd a beau rappeler à chaque interview qu’il est statisticien, disciple de l’école des Annales, historien et géographe, son travail reste celui d’un idéologue qui tente désespérément de plier les faits à ses désirs. Sa méthode est la suivante : partir de prémisses fausses pour en déduire une hypothèse fallacieuse, triturer les données pour qu’elles confirment son biais initial et en conclure que la science est d’accord avec son idéologie.

 

Dès les premières lignes, Todd explique qu’en bon wébérien, il considère que la prospérité de l’Occident tient tout entière dans l’existence et la persistance du protestantisme. Or il observe une chute des mariages et des rituels protestants en Occident et particulièrement aux Etats-Unis. Conséquence : le souffle occidental a disparu. On pourrait s’arrêter là, tant l’argumentation a de quoi faire sourire tout sociologue ou anthropologue avec un minimum d’honnêteté intellectuelle. Aucun chercheur ne saurait admettre qu’un phénomène tel que la prospérité ou la stabilité d’une société ne soit le fait d’une unique variable. D’autant plus que la recherche sur les causes et les origines de la richesse de l’Occident a fait l’objet d’un nombre conséquent de travaux académiques de premier plan. Becker et Woessmann ont montré, dès 2009, que l’éducation pour tous, chère aux protestants, avaient joué un rôle majeur dans le développement de l’Europe et des Etats-Unis. Dans Why Nations Fail, Acemoglu et Robinson observent que les déterminants fondamentaux de la prospérité sont la stabilité juridique, la présence d’un état de droit – rule of law – et l’existence d’institutions économiques favorisant la concurrence. Et plusieurs historiens accordent une grande importance à l’émergence de valeurs bourgeoises, dont les racines sont multifactorielles (McCloskey) et sans doute accidentelles (Davies). Plus important encore, Friedrich Hayek a expliqué que la prospérité et la dynamique d’une société étaient d’autant plus grandes que ses membres partageaient des valeurs et des habitudes dont ils avaient oublié la raison d’être. Dès lors, la disparition des rituels protestants ne saurait être un indicateur d’une quelconque décadence. D’après les travaux académiques, une analyse scientifique de l’évolution des sociétés devrait davantage se fonder sur le niveau d’éducation, la stabilité juridique et politique, l’existence d’un état de droit et la solidité de la démocratie.

 

La culture mondiale est celle des Etats-Unis

La raison pour laquelle Todd refuse de considérer ces travaux est évidente : ils montrent la force de l’Occident et, en son sein, la résilience des Etats-Unis. Autant cacher la vérité. Sauf que, pour affirmer que les Etats-Unis s’appauvrissent, l’auteur ne peut faire l’économie de la construction d’un indicateur de richesse nationale. Puisque le PIB par tête ne confirme pas sa thèse, il en invente un nouveau, le Produit intérieur réel. On passe alors du sophisme au délire pur et simple. En pseudo-marxiste qui considère que seules les productions matérielles ont de la valeur, Todd décide de réduire drastiquement le poids des services dans le PIB américain. Guérir, éduquer, former, tout cela n’a pas de valeur, pas plus que de défendre les droits des citoyens. Non, ce qui compte, c’est la production d’acier et de boulons. On croirait entendre Ceausescu tentant vainement d’acheter des avions européens avec de la ferraille. A l’appui de sa thèse, Todd invoque les dépenses de santé américaines, trop élevées pour révéler une quelconque valeur. Il décide donc que seuls 40 % de ses dépenses sont valables, et applique ce rabotage à l’ensemble des services. Après ce tour de magie, les Etats-Unis sont devenus statistiquement aussi pauvres que les Russes, l’idéologie anti-occidentale est sauve. Todd ne sait pas que, si les dépenses de santé sont si élevées aux Etats-Unis, c’est en grande partie parce que les Américains déboursent beaucoup plus pour leurs médicaments que partout ailleurs sur la planète car, les prix y étant plus libres, les laboratoires font payer aux Américains les faibles tarifs imposés partout ailleurs. Autrement dit, le poids des dépenses de santé aux Etats-Unis ne révèle pas la décadence du pays mais son extraordinaire richesse et son rôle centre dans le financement de la santé mondiale.

 

Une fois ces réalités rétablies, que reste-t-il de l’argumentation de Todd ? Rien. Et d’ailleurs, il n’était pas nécessaire de lire ce livre pour se convaincre de l’inanité de sa thèse. Il suffisait de regarder autour de soi. La culture mondiale est celle des Etats-Unis ; tout le monde connaît son système judiciaire, consomme ses films et ses séries sur Netflix, rit de ses comiques et parle globish. Que connaît-on de la Russie, de son humour ou de ses séries ? A la fin d’une récente interview, Todd se demandait : "l’histoire dira si je suis l’héritier de Marx et de Weber combinés ou de Woody Allen". Sans être prophète, on peut déjà lui répondre qu’il restera au mieux un disciple de Lyssenko.

 

* Nicolas Bouzou, chroniqueur à L’Express, dirige le cabinet d’études économiques Asterès

* Pierre Bentata est maître de conférences en économie à la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille

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Quels  défis stratégiques pour la France ?

 

Le directeur de l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart, distingue, dans son ouvrage "les ambitions inavouées", 3 groupes de pays dans le contexte géopolitique actuel. Il y aurait ainsi les puissances terrestres (Allemagne, Russie, Chine), les puissances maritimes (USA, G.B., Inde), et enfin les puissances du ciel, ne dissociant pas leurs ambitions politiques de préoccupations d'ordre transcendantal (Turquie, Arabie Saoudite, Iran). Il ne sera question, dans cette introduction, que du 1er groupe (Allemagne, Russie, Chine), les 2 autres seront traités ultérieurement.

La France, dans ses relations internationales, se trouve ainsi confrontée à ce qui s'apparente à un nonagone, une figure géométrique à 9 cotés au sein de laquelle s'exercent les principaux rapports de force. Dès lors qu'il est question de stratégie, la réalité géopolitique l'emporte sur toute autre considération. Il est alors néfaste de se laisser embabouiner par des discours à prétention éthique, lesquels ne sont jamais rien de plus que de la manipulation. Mais l'Occident en général et la France en particulier, les aime tant au point de se présenter aux yeux du monde sous l'aspect d'irréprochables démocraties. Toutefois, pour prendre un exemple marquant, elles sont restées coi, lorsqu'en 2014, sous la houlette de Mme Nuland, sous-secrétaire au Département d'Etat US, a été organisée l'éviction d'un président élu, Victor Ianoukovytch, qui fut le candidat victorieux de l'élection présidentielle en Ukraine. L'observateur de cette élection, l'OSCE, en fit un rapport sans appel. Le 8 février 2010, Joao Soares, alors président de l’Assemblée parlementaire de cette organisation qui regroupe 57 Etats, déclara: « L’élection a offert une démonstration impressionnante de démocratie. C’est une victoire pour tout le monde en Ukraine. Il est temps maintenant pour les dirigeants politiques du pays d’écouter le verdict du peuple et de faire en sorte que la transition de pouvoir soit pacifique et constructive". Mais, vu de Washington et donc de Bruxelles, la démocratie ne vaut que si elle sert les intérêts de la caste dirigeante US et ses affidés européens et la dictature n'est condamnable que si elle dessert leurs intérêts.  

En septembre 2001, lors d'une visite en Allemagne, le président russe, V. Poutine, a appelé de ses voeux "la construction de l'Europe comme un centre puissant et autonome dans la politique mondiale", ajoutant que "la guerre froide était terminée", de sorte que la Russie "serait un noeud intégrationniste spécifique liant l'Asie, l'Europe et l'Amérique". Il était inutile pour le dirigeant russe d'exprimer une telle ambition, l'Allemagne n'était pas et n'est d'ailleurs toujours pas un pays souverain. La politique de guerre froide a donc été maintenue du fait de la volonté de son protecteur US et a fini par déboucher sur un conflit de haute intensité dans lequel s'est impliqué l'ensemble de l'Europe. S'y affrontent à présent, par Ukraine interposée, la Russie et les USA. Autrement dit, une puissance de second ordre, ayant cherché avec constance à faire émerger un monde multipolaire, combat, à ses portes, une puissance impériale qui cherche imposer partout ses règles, celle d'un monde unipolaire qu'il a l'ambition de diriger. Ce qui se traduit notamment par l'obligation de l'usage du $ pour les échanges internationaux et l'acceptation de l'extraterritorialité du droit US.  

Les analystes ont longtemps parlé du modèle allemand; en effet, ce pays a su créer une économie prospère, fondé sur l'exportation qui générait de colossaux excédents commerciaux, mais se reposant adroitement sur le partenaire US pour maintenir ses dépenses militaires au plus bas. Sa prodigieuse puissance industrielle a provoqué une appréciation de l'€ sur le marché des changes, lequel € aurait pu devenir une monnaie internationale de réserve s'il y avait eu une volonté politique en ce sens. Cela n'a en fait qu'entraîné des difficultés pour les pays du sud de l'Europe, mais aussi pour la France, qui a stupidement laissé filer son outil industriel. L'Allemagne, s'étant remarquablement bien adaptée à l'environnement mondial bien que s'étant abstenue de faire jouer un rôle à l'€, exerce néanmoins une "semi-hégémonie" de fait en Europe. Ainsi, dans les années 2010, a-t-elle envoyé la France dans les cordes pour son projet d'UpM (Union pour la Méditerranée), qui n'est plus qu'une coquille vide, de même que pour l'"autonomie stratégique européenne" qui, plus que jamais, est une pure fiction. L'alignement sur les USA reste l'alpha et l'oméga de la politique allemande.

Mais voilà, du fait de la guerre contre la Russie en Ukraine, le suzerain US exige désormais de son vassal allemand qu'il crache au bassinet. Cela s'est traduit par 100 milliards d'€ de commandes militaires pour l'industrie US, et rien pour Thales, Dassault-Aviation ou Safran; le couple franco-allemand ou la nouvelle version Thénardier-Cosette. De plus, l'industrie allemande se voit coupée de ses sources énergétiques russes. Pire encore, il lui faut acheter à un prix exorbitant du gaz de schiste US et ce, alors que l'on ne sait rien concernant la durée de vie de ces gisements, ni de leur rentabilité à long terme. La question des Nord-Stream a empoisonné les relations germano-américaines pendant plus de 20 ans; cela s'est terminé de la manière dont on sait...L'Allemagne aurait dû se méfier et prendre plus de précautions face aux menaces US répétées concernant cet investissement qui lui aurait permis d'être le distributeur gazier de toute l'Europe. Le bienveillant allié américain de l'Allemagne n'avait-il pas déjà saboté l'accord initié par 3 pays européens (France, Allemagne, GB) avec l'Iran quant à son programme nucléaire et n'avait-il pas, depuis 2005, obtenu l'appui des pays Baltes, de la Pologne et de l'Ukraine pour contrer le projet Nord-Stream? Certes, Berlin avait fini, en juillet 2021, par obtenir l'accord des USA quant à l'exploitation des gazoducs litigieux,  mais les accords, comme les promesses, n'engagent que ceux qui y croient surtout s'ils sont paraphés par un joueur de poker. La guerre en cours a fourni un prétexte commode pour faire plier l'Allemagne au nom d'un fumeux concept de solidarité unissant les démocraties face aux autocraties. On peut considérer, suite à cela, que dans un mouvement d'humeur, le Kremlin ait décidé de faire sauter des installations dont une entreprise russe, Gazprom, est l'actionnaire majoritaire. L'ex-communiste V. Poutine ne sait peut-être toujours pas ce qu'est un droit de propriété! Moscou a toutefois fait savoir que tout cela était réparable, mais il est fort douteux qu'à l'avenir Berlin ose encore contrer Washington. D'autant que les US ont pris la relève de la Russie en vendant aux Européens leur très onéreux et très polluant gaz de schiste, gaz de schiste que les dirigeants européens ont refusé d'exploiter chez eux, sous la pression des écologistes. Ceux-ci n'ont d'ailleurs rien trouvé à redire à la remise en service des centrales à charbon. Pour les écologistes, les gaz à effet de serre sont comme le cholestérol, il y a le bon et il y a le mauvais. De sorte que le gouvernement allemand a fait savoir que le charbon resterait exploité sur son territoire au moins jusqu'en 2038. Mais même ainsi, le patronat allemand, inquiet pour ses profits, a fait savoir qu'il ne voyait de solution que dans une vigoureuse politique de délocalisation, et tant pis pour les millions de migrants censés remplacer une main d'oeuvre que les mères allemandes n'ont plus voulu fournir. Avant sa démission, l'ancien patron des patrons allemands avait dit: "Nous ne pouvons pas nous limiter à être économiquement actifs uniquement avec les démocraties. Cela représente à peine 10 % de la population mondiale". Défendre la démocratie au prix de la servilité, ce n'est pas défendre la démocratie, ce n'est rien de plus que créer des démocraties Potemkine. En tous cas, cette affaire des Nord-stream a bien fait rire en Afrique où l'ancien colonisateur européen a découvert la joie d'être lui-même colonisé. La conséquence en a été un basculement de tout le continent, d'Alger au Cap, vers l'ensemble OCS (Organisation de coopération de Shangaï). C'est à vrai dire cela qui restera comme le fait géopolitique et géoéconomique majeur de cette année 2022. 

 

La soumission volontaire est la voie royale qui mène à l'humiliation. L'Allemagne, 75 ans après la fin de la 2e guerre Mondiale, s'est désormais positionnée comme étant l'ennemie de la Russie, reprenant sa vieille politique inaugurée sous le 2e Reich, de "Drang nach Osten" devant mener à une "Ostkolonisation". Pense-t-elle enfin pouvoir en tirer un bénéfice substantiel maintenant qu'elle s'est totalement placée dans le sillage US? Berlin avait obtenu de Bruxelles la signature de l'Accord global sur les investissements entre l'UE et la Chine (accord signé le 30.12.2020). Mais Bruxelles fit savoir à Berlin que l'Allemagne restait un sous-fifre. La Commission européenne suspendit cet accord peu de temps après au motif que la Chine pratiquerait un génocide à l'encontre de la population ouïghoure, une population génocidée dont le nombre est tout de même passé de 5,5 millions en 1978 à 13 millions en 2020, la politique de l'enfant unique ne lui ayant pas été appliquée (1). En tout état de cause, l'Allemagne, après avoir été privée de l'énergie russe, ne pourra pas se passer du marché chinois, bien que l'économie chinoise risque maintenant de lui faire une sérieuse concurrence. Car en effet, l'an dernier Pékin a su négocier avec Moscou des conditions très favorables quant à son approvisionnement énergétique. Les dirigeants chinois, dorénavant, ne parlent plus de partenariat avec la Russie mais emploie le terme de coordination, ce qui implique, à terme, une coopération militaire. L'Inde et le Pakistan, 2 pays en froid, sont les deux autres grands bénéficiaires de la réorientation des exportations russes. Nul doute que la Chine va s'employer à faire baisser les tensions entre ces deux pays membres de l'OCS et partenaires du programme "routes de la soie". En tout état de cause, le gouvernement allemand, par nécessité, relève le défi et semble vouloir éviter de se faire de la Chine un ennemi. Le récent voyage d'O. Scholz dans ce pays pourrait indiquer que l'Allemagne ne se laissera pas dicter sa conduite avec la Chine de la même manière qu'elle a été contrainte de le faire avec la Russie. L'impression domine cependant que le gouvernement allemand pense sauver sa relation avec la Chine en se soumettant aux injonctions US concernant ses dépenses d'armement. De son maintien avec la relation chinoise dépendra également le cours de l'€ (l'économie allemande représente 1/3 du PIB de la zone €). Le maître mot en Allemagne à présent, est "re-globalisation", ce qui signifie l'acceptation du monde multipolaire réclamé tant par Pékin que par Moscou et par d'autres capitales. Serait-ce enfin le début d'une émancipation? L'avenir nous le dira. 

Quels enseignements tirer de tout cela pour la France, suite aux circonvolutions de la politique allemande? L'Allemagne finira peut-être par comprendre qu'elle n'a plus aucun intérêt à se plier aux oukazes US et contraindra l'Europe de Bruxelles de cesser de se considérer comme rien de plus qu'un Hinterland US. La France, "accro" depuis plusieurs décennies à une germanolatrie difficilement compréhensible, devrait alors suivre. Paris et Berlin pensaient pouvoir flouer le "maître du Kremlin" pour faire plaisir à leur maître US qui les surveillait de près (cf les écoutes téléphoniques des dirigeants européens). Cela a permis ensuite aux USA de faire la guerre à la Russie par Ukraine interposée et à affirmer sa mainmise sur l'Europe en lui faisant supporter le coût des sanctions. Le président de l'Ukraine, contrainte de payer le prix du sang, n'a lui aussi aucune marge de manoeuvre comme l'a illustré le refus US d'un plan de paix conclu, en mars dernier, sous l'égide d'Israël et de la Turquie. Refus qui a entraîné la mort de 150 000 soldats ukrainiens (chiffres du Mossad). La France essaie de faire survivre la fiction du couple franco-allemand alors que Berlin n'a nul besoin de la France pour suivre sa route. Berlin, qui ne tient pas à se brouiller avec la Turquie, a ainsi accueilli avec froideur le partenariat stratégique franco-grec signé en septembre 2021. D'autant que si devait intervenir un élargissement de l'UE vers l'Ukraine, Berlin ne voudra y être entravé ni par la France ni par une Pologne ultra-atlantiste et osera peut-être même affronter les USA pour enfin défendre ses intérêts. Ce qui impliquerait pour la France de prendre les devants en reconstruisant une relation avec la Russie. Cela sera d'autant plus nécessaire qu'il n'y a aucun pays pouvant ou voulant remplacer à court terme la fourniture de matières premières russes, car les méthaniers devant approvisionner l'Europe en GNL ne seront pas fonctionnels avant 2 ans. Quelle solution pourront envisager les décideurs européens lorsque les stocks de gaz actuels seront épuisés? Il faudra, d'une manière ou d'une autre, reprendre langue avec le Kremlin et il ne fait aucun doute que celui-ci, pour reprendre ses fournitures, exigera une négociation globale incluant la sécurité à ses frontières.    

 

Ce qui nous amène à voir la situation de la 2e puissance continentale telle que définie par Thomas Gomart, la Russie. Immense territoire de plus de 17 millions de km2, ce pays partage ses frontières avec 14 autres nations. Dès son accession au pouvoir, en 2000, V. Poutine s'est attelé à la reconstruction d'une économie grandement dévastée par les errements de son prédécesseur. Son gouvernement a ainsi réussi à développer la production dans 5 domaines stratégiques assurant de confortables excédents commerciaux (le pétrole, le gaz, le nucléaire civil, les armements et les céréales). Il aurait bien voulu éviter un face-à-face avec une Chine 10 fois plus peuplée que son pays, d'où son offre d'ouverture faite à Berlin en 2001, mais l'Europe, soumise et servile face à son suzerain US, n'a pas voulu répondre à cet appel vers le grand souffle continental comme l'Angleterre l'avait fait en son temps face au grand large océanique. L'ancien chancelier allemand H. Schröder s'y était bien essayé mais son initiative resta vaine. Quant à l'enthousiasme pro-européen initial des dirigeants russes, il a été rapidement refroidi quand, en 2002, les USA se sont retirés du traité ABM, concernant les missiles balistiques et bien plus encore, quand en 2019, ils ont fait de même pour le traité INF concernant les forces nucléaires à portée intermédiaire. Et ce, après un considérable élargissement de l'OTAN, dont la vocation avait été de contrer un Pacte de Varsovie qui avait cessé d'exister en 1989 et qui ne reverra certainement jamais plus le jour.

Nécessité faisant loi, le Kremlin s'est alors essayé à un rôle de chantre de la désoccidentalisation vis-à-vis de son opinion comme du reste du monde d'ailleurs. Ce qui a conduit V. Poutine à réhabiliter le régime soviétique. La "mémoire historique" prônée par les dirigeants s'est traduit par l'échafaudage d'un socle idéologique mêlant les références aux périodes impériales et communistes. L'opinion publique, traumatisée par la quasi-anarchie de la période eltsinienne, a, dans sa majorité, absorbé ce récit et accepté un mode de gouvernement fondé sur ce que l'ancien officier du KGB devenu président a nommé la "dictature de la loi". Le Kremlin, en outre, constatant que la période suivant 1991 (fin de l'URSS) est devenue celle de l'émergence d'une sorte d'anarchie militariste US, a totalement réorganisé l'appareil militaire russe.

Un des auteurs étrangers qui est étudié par les stagiaires de l'Académie militaire russe est l'Américain Z. Brzezinski. Ce dernier a publié en 2017 "le Grand échiquier". Sa thèse était qu'il fallait totalement détacher l'Ukraine de la Russie, de sorte que celle-ci ne parviendrait jamais plus au rang de grande puissance. Cette doctrine venait en complément de celle de Wolfowitz qui justifiait l'unilatéralisme US (Voir café politique précédent). Tout cela se traduisit politiquement par un élargissement constant de l'OTAN  qui devait aller jusqu'à inclure l'Ukraine. Toutefois, conscient de ce que son analyse pouvait avoir de provoquant pour le Kremlin, Brzezinki se prononça en fin de compte pour une finlandisation de l'Ukraine, ce qui, il est vrai, aurait vraisemblablement eu pour effet d'éviter la guerre actuelle (pour mémoire, la Finlande, qui avait soutenu le 3e Reich pendant la 2e guerre mondiale, avait, dès 1944, proposé à Staline une stricte neutralité, à vrai dire bienveillante envers l'URSS, en échange d'une non-ingérence soviétique dans ses affaires intérieures. Ce qui était bien joué à une époque où l'on ne parlait pas encore de guerre froide). En 2014, année de l'éviction de V. Ianoukovich, l'Ukraine a délibérément choisi le camp européen, ce que le Kremlin aurait pu accepter, ayant lui-même voulu initialement s'y intégrer. Mais Kiev a aussi affirmé sa volonté d'adhésion à l'OTAN, ce qui, vu l'évolution de l'OTAN, était devenue une ligne rouge pour les dirigeants russes. Les Ukrainiens se sont ensuite amusé à dynamiter tous les monuments et statues de l'époque soviétique qui subsistaient et ont célébré les "combattants pour la libération de l'Ukraine", dont Stephan Bandera (1909-1959). Celui-ci, en son temps un nazi notoire (il en portait l'uniforme), avait participé à la mise en oeuvre de la politique raciale du 3e Reich. Lui et d'autres de ses compagnons rejoignirent les forces US lorsque l'armée allemande commença à vaciller. Ce fut à Munich qu'il fut finalement abattu par un agent soviétique en 1959. Cette glorification des "nationalistes intégraux" ukrainiens parut suffisante aux yeux du Kremlin pour justifier son discours sur la "dénazification" de l'Ukraine lorsqu'il mit en oeuvre son "intervention militaire spéciale". Celle-ci a-t-elle été un échec, comme le proclame à l'envi l'Occident? On remarquera que pour lui, la surprise a été conséquente lorsqu'il constata non seulement l'échec des sanctions, mais leur effet boomerang sur l'économie européenne. La Russie, par contre, a réussi à réorienter son commerce extérieur des "nations hostiles" principalement vers les pays de l'OCS, mais pas uniquement. Le FMI a prévu une croissance de l'économie russe pour 2023, alors que les "sanctionneurs" qui péroraient sur le délitement de l'économie russe se sont retrouvés dans la position de l'arroseur arrosé. Dans ce contexte, la question monétaire prend une nouvelle dimension. Un nombre croissant de pays s'éloigne des monnaies occidentales et commercent à l'aide de leur propre monnaie, sans que les USA ne puissent s'y opposer. La meilleure "prise" pour le camp antioccidental a été l'Arabie Saoudite qui a annoncé son intention d'abandonner ce qu'on a nommé le pétrodollar (depuis la signature du Pacte du Quincy, en 1945, l'Arabie Saoudite, mais à sa suite, toutes les pétromonarchies libellent leurs facturations en $, quel que soit le pays acheteur). Si une telle évolution devait se concrétiser, cela permettra aux petromonarchies de se débarrasser de la tutelle occidentale et de lui faire porter la responsabilité du terrorisme islamique qui a sévi dans les pays arabes laïcs déstabilisés, à grands frais, par l'Occident. Un tel discours est reçu positivement dans nombre de capitales africaines, asiatiques et aussi sud-américaines.

La russophobie affichée par les milieux atlantistes est majoritairement très mal vécue en Russie, et le Kremlin ne se prive pas pour faire l'analogie entre l'Occident décadent et le 3e Reich, entre les manoeuvres de l'OTAN et l'opération Barbarossa décidée en son temps par Hitler. Il peut présenter comme une victoire le fait que l'Ukraine soit devenu un trou noir pour les forces atlantistes. Les USA y ont déjà déversé pour 120 milliards de $ de fournitures et d'armement; tout cela étant, selon la terminologie du Kremlin, ensuite passé à la broyeuse sur le champ de bataille. Divine surprise pour les généraux russes, la machine de guerre occidentale semble déjà être à l'os! Ce qui est, à vrai dire, stupéfiant, lorsque l'on sait que le budget du Pentagone représente 11 fois le montant du budget militaire russe. Dans ces conditions, il semble peu probable que les 4 provinces conquises et annexées par la Russie puissent un jour être à nouveau sous souveraineté ukrainienne. 

En réalité, "l'opération militaire spéciale" décidée par le Kremlin n'a fait qu'accelérer une évolution qui avait commencé bien avant, dès la crise financière de 2008. La Russie, qui avait organisé en 2009 la première réunion des BRICS-à l'époque d'ailleurs uniquement les BRIC, sans l'Afrique du Sud- s'était alors tournée vers ces pays mais aussi vers l'ASEAN (association des nations de l'Asie du Sud-Est), anticipant un lent déclassement d'un Occident devenu incapable de maîtriser des marchés financiers qu'il avait lui-même dérégulé. Ne considérant les discours "réchauffistes" comme n'étant que du verbiage de politiciens occidentaux n'ayant plus de prise sur rien, Moscou continue de baser sa stratégie sur une hausse de la consommation de gaz et de pétrole. Le secteur nucléaire est pareillement favorisé, le Kremlin anticipant que ses exportations dans ce domaine représentent 2/3 des revenus de la Russie en 2030. Il est en outre le 2e exportateur mondial d'armes. Enfin, le secteur agricole a connu une remarquable percée, la Russie étant devenu le 1er exportateur mondial de blé. Le tournant anti-occidental amorcé en 2008 s'est amplifié avec la guerre de l'OTAN contre la Libye, au cours de laquelle les Occidentaux se sont livrés à une interprétation très libre des résolutions de l'ONU. Ce qui justifia, aux yeux du Kremlin, son intervention en Syrie destinée à enclencher un reflux des positions occidentales, génératrices de chaos, au Moyen-Orient. Car, contrairement aux USA qui pratiquent des guerres de destruction totale (opérations "choc et effroi" suivies de l'émergence de groupes terroristes), la Russie entre en guerre pour consolider l'ancrage géopolitique régional qu'il parvient à conquérir. Le but étant de favoriser la consolidation d'un monde multipolaire où l'Occident n'aurait plus aucun rôle dirigeant. La convergence des points de vue russe et chinois (plutôt militaire pour l'un, plutôt commercial pour l'autre) est appelée à durer et à se développer au sein de l'OCS.

Loin de se désoler d'une telle évolution, la France serait bien inspirée de renouer avec la vision gaullienne de refus des blocs. Lors des accords de Minsk, elle a accepté, avec l'Allemagne, d'être une marionnette des USA. Au vu des conséquences actuelles de cette posture, cela devrait lui faire comprendre que la servitude volontaire ne mène à rien. Seuls les faibles sont à la recherche d'un tuteur, et seuls les simples d'esprit font la confusion entre un tuteur et un parrain mafieux. Avec la suspension du traité New Start sur les forces nucléaires en février dernier, le Kremlin a fait savoir qu'il ne considérait plus la France comme un pays indépendant, de sorte que toute négociation future avec les USA concernant les armes nucléaires devra inclure les forces françaises. Néanmoins, avec d'autres, Paris peut mettre sur la table l'intégration de l'Ukraine à l'UE, en incitant en parallèle à la reprise des échanges commerciaux avec la Russie et en abandonnant enfin ses hypocrites "valeurs". Dans son édition du 30.01.2003, le Wall Street Journal claironnait, faisant état du soutien européen à la politique US: "Le vrai lien entre les Européens et les Américains, ce sont les valeurs que nous avons en commun: la démocratie, la liberté individuelle, les droits de l'homme et l'Etat de droit" (cité par le monde diplomatique de ce mois: "les médias, avant-garde du parti de la guerre"). 20 ans se sont écoulés, les centaines de milliers de morts en Irak, Syrie, Libye, Afghanistan, Yémen par Arabie Saoudite interposée, illustrent l'inanité d'un tel verbiage, répété ad nauseam depuis des décennies. Ne serait-il pas temps pour la France d'avoir enfin une politique indépendante ?

 

Il reste à voir la situation de la 3e entité continentale, la Chine, un pays qui représente 18% du PIB mondial. La grande stratégie développée par Pékin et qui consiste à faire d'elle le n°1 mondial en 2050 implique d'une part  l'organisation méthodique et rationnelle de la zone OCS qui poussera certainement son pouvoir d'attraction jusqu'en Europe, et d'autre part l'acquisition des attributs de la puissance maritime qui lui permettra de rivaliser avec les USA. A cela s'ajoutera, et c'est le plus important, la dédollarisation de l'économie mondiale qui lui permettra de neutraliser le pouvoir de nuisance des USA, pouvoir exercé par le biais de l'extraterritorialité de son droit, lié à l'usage mondial du $. Pour ce faire, elle déploie un activisme décuplé dans les instances internationales tout en créant de nouvelles structures, dont les plus connues sont la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures et la Belt and Road Initiative (routes de la soie). Les investissements dans 22 pays en Afrique ont dépassé les 110 milliards de $, ayant permis la construction de 13000 km de voies ferrées, de 1000 ponts et de 100 ports (chiffres donnés par l'hebdomadaire Investir). La totalité de l'appareil productif est contrôlé par l'Etat qui coordonne le tout et en fait un ensemble stratégique. L'investissement est par ailleurs massif dans l'intelligence artificielle, ce qui permet le contrôle des citoyens par le biais de crédit social. Les citoyens loyaux sont récompensés alors que les récalcitrants sont sanctionnés. Concernant les Ouïghours, le culte musulman est l'un des 6 cultes toléré par les autorités mais, comme en Occident, le terrorisme est réprimé; quant au parti communiste, il met en avant la "méthodologie du matérialisme dialectique et du matérialisme historique".    

La grande hantise des USA est la perte d'influence par la mise à l'écart du $ dans le commerce mondial. Car en effet, en ce qui concerne les paiements internationaux, la Chine a lancé son propre système pour se débarrasser du système occidental SWIFT. Il s'agit du" China International Payments System" (CIPS). Le CIPS relie aujourd’hui environ 1300 banques dans 107 pays, dont la Russie qui a pu ainsi contourner les sanctions occidentales, et gagne en volume chaque année. D'autre part, dans l'appareil productif chinois, sécurité industrielle et sécurité nationale vont de pair, de sorte que la taille des entreprises est volontairement réduite afin que l'actionnariat, notamment étranger, puisse être contrôlé. Bien évidemment, il ne saurait être question d'une banque centrale indépendante échappant à tout contrôle. Les autorités imposent que le yuan, tout comme le rouble d'ailleurs, soient des monnaies fondées sur des actifs réels, comme l'or et les matières premières, alors que l'€ et le $ sont des monnaies-dettes. Elles ne sont garanties que par l'émission monétaire des banques centrales. Ce système peut parfaitement fonctionner (voir café politique sur: le mythe de la dette), s'il finance un appareil productif, créateur de richesses, étant lui-même, in fine, garant de la valeur de la monnaie.

Les guerres menées par les USA contre l'Irak et la Libye avaient, entre autres, pour raison d'être la volonté exprimée par les dirigeants de ces pays de s'affranchir du $. Pékin a fait savoir qu'il allait faire en sorte que les transactions pour le négoce du gaz et du pétrole se déroulent de plus en plus à la Bourse internationale de l’énergie de Shanghai. Le Shanghai International Energy Exchange est opérationnel depuis 2015 et est utilisé par un nombre croissant de pays, y voyant là le moyen de ne pas être importunés par les sanctions, voire les guerres, que décrètent et génèrent à intervalle régulier un Occident qui s'imagine encore, comme au 19e siècle, que le monde a vocation à lui appartenir. Il suffirait, pour cela, d'établir des droits de propriété. Mais d'ores et déjà, les sanctions visant la Russie se sont révélées totalement inefficaces, ce qui indique que la désoccidentalisation du monde menée par les BRICS est sur la voie de la réussite. Les dirigeants chinois ont longuement étudié le processus qui a conduit à la liquidation de l'URSS et en ont conclu que c'est la politique d'ouverture à l'Occident, mené tant par le naïf Gorbatchev que par le fantasque Eltsine qui a conduit à ce résultat. Avec la Russie, ils essaient à présent d'entraîner tout le "sud global" à adopter ses positions antioccidentales et à l'intégrer à son modèle de développement. Au 20e Congrès du PCC, qui s'est tenu en octobre dernier, le président Xi Jinping a présenté son pays comme un modèle, mettant l'accent non sur les "valeurs" mais sur le renforcement idéologique qui devrait se traduire à terme par l'émergence d'un "pays socialiste moderne, prospère, fort, culturellement avancé, harmonieux et beau". Il a aussi insisté sur l'unité du pays, ce qui veut dire l'inclusion à terme de Taïwan dans la République populaire (Xi lorgnant surtout sur l'industrie des semi-conducteurs dont Taïwan assure la moitié de la production mondiale et refuse donc qu'elle passe sous contrôle US). D'autant que la Chine a fait d'énormes progrès dans le domaine technologique au point que de nombreuses entreprises européennes ne s'imaginent pas pouvoir se développer sans une coopération avec les entreprises chinoises qui dominent de plus en plus ce secteur d'activités (2). Enfin, au cours de ce congrès, il a été question du "basculement thalassocratique de la Chine", les dirigeants ayant compris que la puissance globale à laquelle elle aspire passe par la maitrise des mers. Mais contrairement aux USA qui disposent de 800 bases militaires déclarées dans 177 pays à travers le monde, la Chine privilégie la création d'infrastructures économiques notamment portuaires. Toutefois, aucun des membres du cercle dirigeant n'est naïf; les dépenses militaires seront fortement augmentées en prévision d'une guerre avec les USA, hypothèse de plus en plus fréquemment évoquée par les dirigeants (l'éviction publique et spectaculaire de l'ancien président Hu Jintao lors du dernier congrès illustre la volonté des actuels dirigeants de neutraliser tout courant qui serait favorable à l'apaisement avec l'Occident). Naturellement, si une guerre devait advenir, la France aurait à faire en sorte de ne pas se laisser aspirer par un tel conflit, comme elle s'est laissée entraîner dans l'hostilité envers la Russie depuis 2014. Car qu'aurait elle à y gagner? Pourtant Paris, lors du dernier sommet à l'OTAN, en juin dernier à Madrid, a fait savoir qu'il suivrait aveuglément la politique - et donc le déclenchement éventuel de guerres - de l'OTAN. La marine française serait alors en première ligne, notamment du fait de sa présence dans le Pacifique Sud et d'une manière générale de sa "zone économique exclusive" (bande de mer située entre les eaux territoriales et les eaux internationales) qui couvre, du fait de ses ilots dans la zone indo-pacifique, une zone de plus de 10 millions de km2. Quel intérêt aurait donc la France à rester dans la zone d'influence de Washington, elle qui vient d'être exclue de l'Afrique et expulsée de l'AUKUS ? Si d'aventure les USA gagnaient la guerre contre la Russie en Ukraine, nul doute qu'ils se lanceraient dans une opération militaire contre la Chine. C'est ce qui explique le soutien, discret mais réel, apporté par la Chine à la Russie. 

Face à cette situation, l'Occident, ou du moins ses classes dirigeantes, s'étrangle de colère. Russophobie et sinophobie se déchaînent sans le moindre complexe. Tant qu'il s'agit de secourir le "bon sauvage" qui risque de se noyer en Méditerranée, les élites font étalage de bons sentiments et s'achètent une bonne conscience à peu de frais. Ce n'est évidemment pas celui-ci qui risque de perturber l'ordre impérialiste, celui "fondé sur des règles". Mais dès lors qu'on ose attaquer ce dernier, tous les coups sont permis. Moscou et Pékin ne sont pas dupes. Leurs historiens multiplient les articles indiquant comment un obscur agitateur de brasserie bavarois a pu sortir de l'anonymat grâce au secours du capital anglo-saxon qui voyait sa domination menacée. A ce sujet, on lira avec profit l'ouvrage de l'historien Jacques Pauwels, "Big business avec Hitler". Les théories fumeuses et totalement irrationnelles qui émergent des milieux progressistes occidentaux, sont-elles de nouveaux écrans de fumée destinés à brouiller les esprits pour leur faire accepter l'idée que l'ennemi est celui qu'on leur a désigné et, de ce fait, considérer comme légitime une nouvelle guerre impérialiste? 

On le voit, les tensions vont aller en s'accroissant. En choisissant l'alignement inconditionnel sur les USA, la France se prive de la possibilité d'être un médiateur entre les pays en conflit. Pékin n'a pas rompu avec l'Europe comme l'a fait Moscou et conserve pour l'heure un lien avec Berlin en tant que partenaire économique. Cela aurait pu et dû inciter Paris à jouer la carte dipomatique. On a bien vu le président français jouer les bons offices au début du conflit ukrainien. Mais on ne peut à la fois être juge et partie, vouloir la négociation et armer l'un des 2 camps. De fait, Moscou refuse à présent tout contact avec Paris.

 

L'Europe n'a jamais voulu se penser comme un ensemble doté d'une volonté politique et disposant d'une autonomie stratégique. Elle s'est laissé aller à l'indolence, certaine que son "protecteur" US la défendrait si on venait à l'importuner. Mais maintenant qu'il y a un conflit de haute intensité à ses frontières, le protecteur en profite pour essayer d'obtenir un retour au moins partiel sur investissement, ce qui, il est vrai, est de bonne guerre ! Il vend ses armes, même non efficaces comme le F 35, son énergie au prix qu'il décide, prend des mesures protectionnistes (Inflation Reduction Act) sans que la France ni aucun pays européen n'ose émettre la moindre protestation. Pourtant une déconvenue états-unienne sur le théâtre ukrainien signifiera la fin d'une époque: celle de l'unilatéralisme américain, justifié par l'exceptionnalisme américain théorisé par les néoconservateurs US et couplé au système dit néo-liberal promu principalement par le Parti démocrate. Lequel a eu pour dogme la dérégulation, au nom de la liberté. Ce qui est particulièrement pittoresque lorsque l'on sait que les théoriciens de cette idéologie, les Chicago boys, ont fait du Chili de Pinochet leur premier terrain d'expérimentation (3). Mais même Pinochet, en laissant la démocratie se rétablir dans son pays, a fini par comprendre que le système néolibéral n'était qu'un système destiné à permettre aux renards de surveiller le poulailler. 

 

 Jean Luc

 

 

(1) https://oumma.com/les-europeens-les-ouighours-et-les-delires-de-washington/

 

(2) https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-chine-surclasse-technologiquement-les-etats-unis-dans-la-plupart-des-domaines-selon-un-think-tank-australien-20230302

 

(3) https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/milton-friedman-et-les-chicago-boys-8236650

Retour vers les textes du café politique

 

Café politique du 19 octobre 2017

L'Alsace est morte, vive l'Alsace !

 

Intervention de Pierre Klein au café politique du 19 octobre 2017.

 

La chose est établie, les Alsaciens veulent que l'Alsace retrouve une institution politique propre. Ils n'ont strictement rien contre les Lorrains et les « Champardennais ». Ils sont ouverts à toutes les coopérations - et on n'aurait pas eu besoin pour cela de fusionner. L'Alsace ne peut vivre en autarcie, dans l'isolement. Son avenir se situe en forte liaison tant vers l'Ouest que vers l'Est, à 360 degrés.

Les Alsaciens connaissent ce qu'ils partagent avec le reste de la nation, mais en même ils connaissent aussi leurs particularismes, leurs besoins et intérêts propres, leurs potentialités aussi, qu'il soit question de langues et de culture régionales, de formation des formateurs dans ces matières, de droit local, d'économie, de transfrontalier, et estiment qu'ils sont le mieux à même de les définir et de les gérer.

Les Alsaciens veulent que l'Alsace retrouve une institution politique propre et si cela doit avoir du sens en démocratie de respecter la volonté populaire, elle l'aura.

Les élus sont censés représenter le peuple des électeurs, comment justifieraient-ils qu'ils fassent une politique contraire à la volonté populaire. Quelle valeur a le légalisme en démocratie, si la politique conduite n'est pas légitimée par les citoyens.

Les élus qui s'étaient engagés contre la fusion, et qui par la suite travaillent à la mettre en place du Grand Est, ne doivent pas s'étonner, s'ils créent de la déception, voire de la rancœur. Dans la culture politique actuelle des citoyens, ce genre de retournement n'est plus accepté.

Une des conséquences de la réforme territoriale est d'avoir réveillé la conscience politique des Alsaciennes et des Alsaciens et d'avoir installé une contestation sans doute durable. Les Alsaciens sont légitimistes, et bons enfants, mais il y a des choses qu'ils supportent mal, comme

1.             En amont de la fusion

réforme menée sans concertation, issue d'un travail bâclé et conduite sans tenir compte de l'identité réelle de la France, notamment géographique,

il n'a pas été tenu compte des vœux des Alsaciens,

les élus du CR et des CG 67 et 68 ont lors d'un vote d'un vote commun en 2014 refusé à 97% la fusion,

aucun parlementaire alsacien n'a voté en faveur du Grand Est,

non-respect de la charte européenne de l'autonomie locale

sondage : 87 % des Alsaciens étaient opposés à la fusion, 84 % veulent que l'Alsace retrouve une institution politique propre,

pétition de M. Rottner contre la fusion : 67000 signataires,

Ils ont été chahutés, réforme menée par le haut sans consultation. La région Champagne-Ardenne n'a été ajoutée à l'Alsace et à la Lorraine que parce que Madame Aubry n'en voulait dans les Hauts de France.

La réforme a été très peu progressiste. Les Régions restent en gros des chargées de missions que leur confie l'État. À vrai dire, on a créé des petites France, plutôt que de créer de vraies régions.

2.             En aval de la fusion

Y a-t-il véritablement eu réforme ? Les nouvelles régions disposent-elles des pouvoirs et des moyens dont disposent les régions européennes dont elles sont censées pouvoir être en concurrence. On en est loin, vraiment très loin !

La réforme se traduit-elle véritablement par plus de décentralisation, clairement non !

La Région du GE est trop grande, cela met de la distance entre le pouvoir et celui qui le subit.

Cela crée des problèmes liés aux déplacements, de dossiers mal maîtrisés, des coûts. Comme

le GE est une construction artificielle, on fait des réunions un peu partout pour satisfaire tout le monde.

Ce n'est pas la taille qui donne de la puissance, ce sont les moyens et les pouvoirs. À vrai dire, il n'y a pas eu de réforme véritable. Le GE n'a pas eu véritablement de compétences qui n'existaient déjà, soit dans les anciennes régions, soit dans les départements. En gros les missions sont les mêmes. Ce que les trois régions faisaient seules, elles le font maintenant sur un seul budget, qui au final est une addition des trois anciens.

Qu'a fait le GE que le CR d'Alsace n'aurait pu faire ? Des économies ? La Cour des comptes dit que non. En plus les nouvelles régions, comme d'ailleurs aussi les départements et les communes ont perdu la clause de compétence générale qui leur permettait d'intervenir sur d'autres dossiers que ceux leur étant habituellement confiés.

Exemple. Le GE a-t-il créé des classes bilingues en Moselle ? Les a-t-il augmentées en Alsace ? Non !

Ah, l'argument fallacieux du repli !

Il y aurait repli si les Alsaciens vouaient défaire des liens avec la France. S'ils s'en prenaient à la langue et à la culture française. Cela n'est pas le cas. Arrêtons avec les faux procès. Un Alsacien comme moi est capable de parler en Europe à 70 millions de francophones et à 120 millions de germanophones. Et le bilinguisme alsacien facilite grandement l'acquisition de l'anglais. Où est le repli ?

L'Alsace est au premier rang des régions françaises ouvertes sur l'Europe et le monde. Où est le repli ?

50% de sa production industrielle et plus de 60 % des exportations alsaciennes sont le fait d'entreprises étrangères. Où est le repli ?

C'est un aveu de faiblesse dans l'analyse de la situation de la part de ceux qui dénoncent un repli et un populisme alsaciens qui n'existent tout simplement pas.

Le vrai repli n'est-il pas celui qui refuse la propre diversité française. Le vrai communautarisme n'est-il pas celui qui exclut l'altérité ?

Et maintenant

Le débat actuel offre l'occasion aux Alsaciens de réfléchir quant à une possible et nécessaire nouvelle institution politique. Classe politique alsacienne unanime sur institution politique propre. Des différends subsistent quant à la démarche (sortie ou pas sortie du GE) et quant à l'objectif (simple retour à l'ancien Conseil régional ou Collectivité à statut particulier ). Si déjà nous obtenions des compétences de décision dans des domaines qui nous concernent en particulier, ceux de la langue et de la culture régionales, de l'enseignement de l'histoire et de la culture d'Alsace, ceux de l'économie, ceux du transfrontalier, du droit local... L'Alsace, qui voit ce qui se fait ailleurs, est bien placée pour appeler la France à une régénération de la République fondée sur l'acceptation de la pluralité et de la multipolarité, non pour elle-même, mais pour la démocratie, par impératif catégorique. Il reste aux Françaises et aux Français, et donc aussi aux Alsaciennes et aux Alsaciens, et en premier lieu leur classe politique, à intégrer l'idée que l'union s'enrichit de la diversité et à s'inscrire dans une démarche de rénovation d'un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire.

 

Pierre Klein

 

 

Café politique du 19 octobre 2017

L'Alsace est morte, vive l'Alsace !

Pierre Klein nous a présenté son ouvrage récent : L'Alsace est morte, vive l'Alsace !

Le débat s'ouvre.

 

1) La réforme des régions en France suscite bien des critiques.

La réforme régionale française n'a pas pris en compte les données linguistiques et culturelles des régions antérieures.

Il s'est agi de créer des grandes régions économiquement assez fortes dans un système concur­rentiel libéral qui opposerait par exemple le Grand Est au Bade-Wurtemberg. Mais, en fait, il y a des régions européennes qui sont constituées uniquement par des villes. Le Land de Hambourg, celui de Bremen, de la Sarre sont plus petits que le Grand Est ! La question de la taille n'est donc pas un véritable argument de réforme. Par ailleurs, les régions françaises n'ont pas les moyens de se développer alors que le Bade-Wurtemberg dispose d'une banque régionale.

Cette réforme pose aussi la question de la démocratie locale et des différents niveaux démocra­tiques à mettre en place. Le principe de subsidiarité consiste à ne pas faire passer au niveau supérieur ce qu'on peut décider au niveau inférieur ( principe directeur de l'Europe ). Ce principe se heurte au fait que la France est un vieux pays centralisé qui oppose beaucoup de résistance à toute forme de fédéralisme et de démocratisation des instances locales. Mais, en fait, il faut remarquer que même si la démocratie locale structurelle se développait elle ne serait pas pour autant garante de plus de liberté. L'exemple de la Suisse montre qu'il peut y avoir une sorte de conformisme social, un contrôle des citoyens entre eux. Il peut y avoir le poids d'une mimesis. Le diktat imposé par un groupe peut être très efficace : les nazis le savaient très bien, eux qui avaient placé dans chaque quartier un Gauleiter pour développer cette capacité de mimesis so­cial. Un contre-argument est de dire que le seul mimétisme existant en France est celui du jaco­binisme et que ce serait bien de pourvoi donner son avis comme en Suisse sur l'augmentation du SMIC ou sur les questions du rapport homme femme, etc. Evidemment on peut toujours évoquer des baronnies locales, mais le jacobinisme est uniformisateur et impose un certaine manière de vivre ensemble. Il existe une baronnie de cinquante personnes à Paris qui décide pour les Français !

-              Les initiatives locales pourraient être « potentialisées » par des institutions locales qui s'en fe­raient les porte-paroles sans pour autant tomber dans l'anti-jacobinisme. Le jacobinisme est une réalité de fait en France. La question de la décentralisation et de la société civile semblent liées.

 

2) Peut-on encore parler d'identité alsacienne ?

Il y a un particularisme alsacien lié en partie à son caractère frontalier et à son histoire complexe de changement de nationalité. N'oublions pas cependant que la Moselle est transfrontalière avec l'Allemagne et le Luxembourg et que les Ardennes sont transfrontaliers avec la Belgique. Le Grand Est pourrait voir comme une chance de développer plus largement la coopération avec les pays voisins.

Un intervenant venu du Bade-Wurtemberg pose cette question : est-ce que la langue et la culture alsacienne sont encore une réalité ou ne parlons-nous plus que de folklore avec les cinq C : cathédrale, coiffe, kougelhopf, cigogne... Place Kléber, aujourd'hui, il ne voit plus rien de ces cinq C ! Les Alsaciens ne semblent plus avoir cette spécificité culturelle. Ils sont bien davantage mondialisés et cosmopolites. Pour les Allemands, la France semble uniforme. Cette uniformité passe par la langue française.

A contrario, on pourrait avancer que l'identité culturelle et linguistique passe par une volonté poli­tique et n'est pas seulement une affaire de passé. C'est une volonté pour l'avenir. Les Bretons avaient perdu en partie leur identité régionale et ont réussi à la reconstruire de manière moderne sans recourir à un folklore dépassé. Même si le dialecte alsacien régresse, le bilinguisme pré­sente un grand intérêt pour l'activité économique en particulier ( Notons que dans le Palatinat le français est enseigné dès le plus jeune âge ). Par ailleurs, les accords transfrontaliers que l'Alsace peut conclure sont spécifiques par rapport aux Ardennes et à la Moselle. L'euro-région Strasbourg-Ortenau, région transfrontalière, a le mérite d'exister mais rencontre des difficultés liées à l'organisation politique différente de l'Allemagne et de la France. Les communautés lo­cales allemandes ont des pouvoirs importants alors qu'en France il est obligatoire de passer par Paris pour la plupart des décisions.

Si l'Alsace avait une identité forte l'évolution n'aurait pas été la même. Il n'y a d'identité que per­sonnelle. Les identités collectives n'existent pas en soi : je ne peux pas rencontrer l'Alsace et lui serrer la main ! Il n'y a d'identité collective que si que si les identités individuelles décident de partager quelque chose. Pour partager quelque chose, il faut qu'il y ait une socialisation. Ce qui fait défaut à l'Alsace et aussi à d'autres régions françaises c'est la socialisation-transmission. Le premier « crime » perpétré à l'égard des identités régionales en France c'est d'interdire ou de ne pas enseigner l'histoire et la culture des régions. Les régions ont été désappropriées de leur culture et de leur langue. Si nous n 'avons pas d'identité, nous n'avons pas de revendication lin­guistique. Ce n'est pas la langue qui fait l'identité, c'est l'identité qui fait la langue. Qu'est-ce qui distingue un germanophone d'un francophone ? C'est la langue. Qu'est-ce qui distingue un fran­cophone suisse d'un francophone français, ce n'est pas la langue. Qu'est ce qui distingue un Suisse d'un Français ? C'est la culture et avant tout la culture politique. L'enseignement généra­lisé de la langue et de la culture alsacienne serait une nécessité pour construire une identité al­sacienne. Dire que c'est la langue qui fait le ciment de la nation pose question. En effet, quelle langue parlait les collaborateurs durant la seconde guerre mondiale ? Quelle langue parlaient les résistants en France ? Ils parlaient la même langue sans être unis sur rien. Personne ne remet en question que le français soit la langue de la France mais pourquoi en serait-elle la langue unique ? En vertu de quoi ? En vertu d'un colonialisme intérieur.

Et pourtant dans les pays du Maghreb la France est promue par la langue française. Dans la langue on trouve tout. La pluralité régionale peut davantage passer par la société civile.

Attention à la question de l'identité. L'identité individuelle n'existe pas vraiment. Aucun individu n'est isolé. Aristote disait : « L'homme est un animal politique ». L'homme est toujours placé dans un groupe et le groupe a un niveau d'existence sans doute important. Ce groupe peut être soudé de diverses manières : ce peut être par la langue, mais pas uniquement. ll y a toujours un groupe formé qui se définit par rapport à une autre groupe. En ce moment l'exemple de la Cata­logne illustre cette opposition d'un groupe par rapport à un autre. Il peut y avoir un danger inhé­rent à l'identité d'un groupe qui peut entraîner une régression vers une exclusion de ce qui n'appartient pas au groupe avec toutes les possibilités de conflit qui y sont liées.

Pourquoi l'alsacien se perd et les familles ne le transmettent plus suffisamment ? L'exemple bre­ton est différent.

L'apprentissage précoce de plusieurs langues est favorable au développement intellectuel de manière générale. En Alsace ce serait l'apprentissage de l'allemand qui serait intéressant. Ce ne serait pas un obstacle à la maîtrise du français. Les Bretons ont leurs écoles Diwan. Le breton n'est pas pour autant beaucoup plus parlé que l'alsacien mais cet apprentissage d'une autre langue favorise le développement de compétences linguistiques générales.

Notons l'exemple du Luxembourg avec l'apprentissage imposé de plusieurs langues à l'école.

Il y a eu historiquement en Alsace l'interdiction de parler le dialecte et l'allemand après la pre­mière et la seconde guerre mondiale.

Les différents mouvements d'autonomie qui existent montrent qu'il s'agit d'un nationalisme des régions riches comme la Catalogne, l'Italie du Nord, l'Alsace.

 

Conclusion par Pierre Klein

Les Alsaciens ont l'intuition de leur identité, mais si l'Alsace a une histoire, elle n'a pas de mé­moire. Les Alsaciens n'ont pas pu faire ensemble un travail sur leur histoire. Ils n'ont pas de mé­moire comme conscience d'eux-mêmes. Cette absence de mémoire explique en partie la faiblesse de leur identité régionale.

Il n'est jamais trop tard pour agir même si en ce moment dans les maternelles alsaciennes il n'y a plus que 200 à 300 enfants familiarisés au dialecte. Prenons l'exemple du Pays de Galles : sous Blair, grâce à la Dévolution, de larges compétences ont été accordées aux régions de Grande-Bre­tagne. Le Pays de Galles a mis en place une politique de bilinguisme et aujourd'hui, 15 ans plus tard, 50% de la jeunesse est bilingue anglais-gallois. Autre exemple : Israël, en 1945-1946, parlait en grande majorité yiddish alors qu'aujourd'hui l'hébreu est parlé par toute la population. Quand il y a une volonté politique tout est faisable en matière de langue.

L'individu ne choisit pas sa langue dominante. Elle lui est imposée par la société. La France et la Turquie n'ont pas ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Le Conseil constitutionnel a interdit cette ratification en disant que la France c'est l'unicité de la langue, de la culture et du territoire. La nation française est devenue une « ethnie ».

Avant la Première guerre mondiale les Alsaciens ont fait l'expérience d'un gouvernement, d'un parlement, d'une constitution et même d'une citoyenneté. Tout a été supprimé en 1918. Avant 1939, les Alsaciens ont envoyé à la Chambre des Députés 11 députés régionalistes. Après 1945, quelque chose s'est brisé et les Alsaciens ont alors « courbé l'échine » devant l'Etat français. Sur l'autonomisme, quelques précisions : un premier courant se constitue dans les années 1874. Les Alsaciens se battent dans le cadre du Reich allemand pour obtenir une autonomie dans l'Empire ( voir Constitution de 1911 ). En octobre 1918, l'Alsace -Lorraine est même constituée en Etat de plein droit.

Le deuxième mouvement, en 1925-26, sous Herriot, se manifeste quand il est question de suppri­mer le droit local. Ce mouvement autonomiste a été « liquidé » par les Allemands : les nazis n'ont reconnu que les autonomistes pro-nazis, en fait ceux qui étaient séparatistes, le nazisme c'était l'antithèse de l'autonomisme et en 1945 l'autonomisme alsacien restant été « liquidé » par l'épura­tion française. Ce mouvement autonomiste est aujourd'hui quasi-inexistant. Cependant la réforme de régions a entraîné un regain de régionalisme et/ou d'autonomisme puisqu'aux dernières élec­tions départementales le mouvement Unser Land a fait plus de 15% des voix là où il a présenté des candidats.

Retour vers les textes du café politique

alsace

Café politique du 23 novembre 2017.

"La démocratie n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité"

Albert Camus

 La conférence introductive de Mr Bilger est consultable en cliquant sur l'icone ci-dessous:

Le débat

Café politique du 23 novembre 2017.

« La démocratie ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité » nous dit Camus dans ses Carnets III.

Pour introduire cette réflexion, Roland Bilger, ingénieur zurichois d'origine alsacienne, propose une présentation très intéressante de l'esprit et du fonctionnement des institutions suisses vus par les Suisses eux-mêmes. Le débat va permettre à Roland Bilger de répondre aux questions des participants.

 

En introduction, on peut se demander quel secret possède la Fédération suisse pour fédérer plusieurs peuples de cette manière, demande une ressortissante kurde qui s'interroge à ce sujet étant donnée la difficulté des kurdes à se fédérer aujourd'hui.

Historiquement, au XlIIème siècle, a lieu la réunion des quatre premiers cantons qui signent un premier accord. Puis d'autres cantons ont rejoint la Fédération.

En remarque préliminaire, un intervenant allemand précise que pour lui les institutions suisses ne sont pas si difficiles à comprendre. Il relève deux spécificités suisses dans ce système fédéral : la démocratie directe et le gouvernement fédéral consensuel qui comprend deux représentants de chaque parti. 90% des partis représentés dans l'Assemblée nationale sont ainsi représentés dans le gouvernement. C'est différent du système allemand en recherche aujourd'hui d'une majorité qui soutient le gouvernement. Pour les référendums au niveau fédéral chaque citoyen reçoit chez lui les informations sur les différentes opinions en présence. Les partis politiques ont le droit d'utiliser l'affichage publicitaire pour leur campagne d'opinion.

 

1 ) De quel peuple parle-t-on quand on parle de peuple suisse ?

-    Question : Est-ce difficile pour un immigré d'obtenir la citoyenneté suisse ? Pour pouvoir voter en Suisse que faut-il faire ?

-    Réponse : Il ne s'agit pas de la citoyenneté mais de l'établissement en Suisse. Il y a une certaine procédure à suivre en Suisse. Quand quelqu'un est issu de l'Union européenne, il n'y a pas de souci. Il reçoit d'emblée un droit de résidence. S'il s'agit d'un ressortissant qui n'a pas de relation bilatérale avec la Suisse, il passe par différentes étapes. Il a tout d'abord le droit de séjourner à une endroit donné. Si on constate qu'au bout de trois années, il n'y a pas eu de problèmes, la personne reçoit son permis de résidence et elle a le droit de se déplacer dans les cantons. Pour le vote, il faut avoir la citoyenneté suisse. Pour cela il faut aller persuader le conseil communal. Beaucoup de candidats tentent cette démarche mais tous n'obtiennent pas satisfaction. ll s'agit d'une sorte de test concernant la connaissance de la Suisse, de ses institutions, de sa langue, de son histoire. Il s'agit d'évaluer la capacité d'intégration du demandeur.

-   Question : Certaines catégories de la population ne votent pas et ont souvent des emplois peu qualifiés et peu payés. On peut s'interroger alors sur ceux que la démocratie directe touche.

En ce qui concerne la démocratie économique, il n'a pas été question de la démocratie syndicale. Elle semble peu avancée. Une grève générale en 1918 à Zurich menée par le comité d'Olten a été réprimée par le Conseil fédéral. Le consensus s'est donc fait surtout à droite au départ. Historiquement la question du consensus n'est pas si simple. Le parti socialiste suisse a dû attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour siéger au gouvernement.

 

-   Réponse : ll faut partir de la perception que les Suisses ont de leur propre système ( voir le constat fait par un Collège de professeurs de l'Ecole Polytechnique tous les dix ans ). Votre perception des choses part de l'extérieur vers l'intérieur. Pour ce qui est de la démocratie directe, telle qu'elle est pratiquée en Suisse, elle n'existe nulle part ailleurs sur notre planète dans le sens de prendre une initiative de loi, d'engagement national ou d'activités intérieures. En ce qui concerne la vie sociale et économique, une des particularités de la Suisse est qu'elle n'a jamais fait la guerre. Cela peut expliquer en partie l'évolution linéaire de son évolution économique, sans sursauts liés aux guerres. La plupart des syndicats ont été créés par le patronat pour avoir un interlocuteur.

 

2 ) Ce système institutionnel encourage-t-il l'immobilisme et le populisme ?

A la question de la construction possible de minarets dans les localités suisses, les Suisses ont répondu non.

Réponse : Le vote n'a pas été un refus des minarets, donc un refus de l'islam, mais un refus architectural de voir côte à côte des minarets et des clochers dans le paysage. Par ailleurs, il n'est pas possible en Suisse de pratiquer une démocratie directe ségrégationniste. Si une proposition obtient le nombre de signatures pour passer au vote, cette proposition sera présentée au vote.

La participation aux votations se situe entre 30 et 40%. Les Suisses considèrent qu' aller voter est un droit et non un devoir. Les Suisses votent ainsi selon l'importance qu'ils attachent à la question posée. Quand il a été question d'uniformiser la taxation des entreprises le vote a été massif contre la proposition. Toutes les tentatives d'homogénéisation de cette fiscalité se sont heurtées à ce jour à l'adage : une saine concurrence entre les systèmes fiscaux fait baisser les impôts de tous !

 

3 ) La démocratie directe n'encourage-t-elle pas un certain mimétisme ?

La cohésion sociale passerait ainsi par une sorte d'uniformisation des opinions. La minorité ne serait pas alors bien défendue à cause de la pression sociale plus vive encore dans les petites communautés ( comportement panurgique ). La démocratie c'est aussi savoir organiser le conflit. Il

est donc nécessaire qu'il y ait une opposition et des divergences d'opinions ce que ne favorise peut-être pas un système qui sollicite l'opinion par la démocratie directe.

Réponse : Ce qui est très marquant ces dix dernières années en Suisse c'est l'évolution du nombre des minorités ( personnes désireuses de vivre différemment de la ligne générale ). Ce désir particulier de se singulariser se trouve respecté grâce à la procédure des initiatives populaires. L'uniformité est difficilement imaginable en Suisse. Il est vrai qu'on retrouve une perception de la tradition dans chaque canton, chaque canton différant cependant de son voisin.

 

4   ) Le système suisse serait-il essentiellement pragmatique et n'offrirait pas une vision globale de la société .

Réponse : Depuis l'extérieur de la Suisse l'accès aux médias est difficile. Il est difficile de regarder la télévision parce que les Suisses n'ont pas les mêmes droits d'auteurs. Les Suisses ne peuvent donc pas transmettre leur manière de vivre à la communauté internationale. Nous avons donc peu d'opportunités de voir vivre la Suisse de l'intérieur. Par contre, en Suisse même, il est possible de recevoir toutes les chaînes de télévision françaises, italiennes, allemandes... Il existe donc un sentiment de « bulle » dont on ne sait si elle a été voulue de l'extérieur vers l'intérieur de la Suisse ou inversement étant donné qu'on impose aux Suisses des droits d'auteur auxquels ils ne veulent pas souscrire. Ils ne peuvent donc transmettre leur télévision non cryptée dans les pays voisins alors qu'en Suisse par le cable, il est possible d'accéder à toutes les chaînes européennes. La plupart des votations sont pragmatiques en Suisse. L'impact idéologique que nous percevons dans les pays voisins de la Suisse y est beaucoup moins sensible. En Suisse, on considère qu'il y a deux types de revenus : le premier est la rente, c'est-à-dire, le salaire, la retraite, par exemple et l'autre provient de son propre patrimoine. Le travail du politique est de trouver une symbiose entre les deux et de leur permettre de coexister. Les théories économiques générales ne semblent pas intéresser particulièrement les Suisses plus tournés vers le travail et la façon dont le travail leur permet de vivre.

 

5   ) Existe-t-il en Suisse des initiatives populaires pour promouvoir la protection des minorités au sein de l'ensemble confédéral ? Y a-t-il un souci de solidarité entre les personnes qui vivent sur le territoire suisse quelles que soient leurs origines et leurs positions sociales ? Y a-t-il des référendums du type : faut-il être solidaire des Turcs par exemple ?

Réponse : L'action politique n'est pas ciblée. Les nouveaux arrivants qui ont une existence légale sur le territoire en fonction des lois et des accords en cours ont les mêmes droits. Dans la Constitution du canton de Zurich il y a tout un chapitre sur l'action sociale de canton envers ses citoyens et les demandeurs d'asile.

6 ) Question : Aux élections politiques régulières, quel est le taux de participation ? Les cantons alémaniques ont-ils des budgets excédentaires contrairement aux cantons romands ?

Réponse : C'est un peu le cas, sachant que dans la plupart des cantons il est interdit de faire un budget déficitaire

 

En conclusion : Peut-on parler de démocratie participative en Suisse ?

Les Suisses savent qu'en votant ils influencent leur manière de vivre et les politiciens eux-mêmes

n'échappent pas à cette règle. La stabilité de la société suisse semble basée sur le consensus. Il y

a des Suisses qui rentrent chez eux le soir avec le projet de participer au vote.

On pourrait dire que ce sont les institutions politiques qui ont fait la prospérité de la Suisse et non

l'inverse, sachant qu'il y a 150 ans la disette était fréquente et le développement industriel

croupion.

Le modèle suisse suscite bien des critiques en particulier quand on le replace dans le contexte international mais il nous incite à réfléchir à ce qu'est une démocratie au plus près des préoccupations quotidiennes ce qui paraît assez étranger au système français trop jacobin.

Complément concernant les institutions suisses par Michel Mathien.

 

La Confédération s’est construite sur l’histoire de populations menacées et qui ont compris très tôt l’importance de s’entendre face à une menace commune. Dans leurs spécificités territoriales, vallées et plateaux entourés de montagnes, et culturelles en rapport. La Constitution qui a conduit à la Confédération est fort ancienne. Donc il en a résulté une « culture politique » spécifique allant vers la démocratie avant les références à des modèles du XVIIIème siècle, les Etats-Unis et la France. Pour information, citons le livre du sociologue genevois Uli Windisch, Le modèle suisse… et sur lequel on dit souvent des bêtises en France…

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democratie camus

Café politique du 11 janvier 2018

 

Les pays européens face aux guerres du Moyen-Orient: réalité et perspectives.

 

"L'écart gigantesque entre ce que les dirigeants des Etats-Unis font dans le monde et ce que les habitants des Etats-Unis croient qu'ils font est une des grandes réussites de propagande de la mythologie politique dominante." Michael Parenti, politologue US

Le monde tel qu'il va, résulte au moins autant de l'histoire telle qu'elle fut que des décisions des dirigeants actuels qui la font. De fait, il nous faut admettre que l'histoire des USA, par exemple, influe sur son évolution actuelle. Depuis l'origine datée de ce pays et son accession au rang de nation, ce sont principalement deux forces politiques qui le structurent. Lorsqu'il est "entré" dans l'Histoire, il a été fondé par les "pères pèlerins", ceux du Mayflower, fêtés chaque année lors du "Thanksgiving" mais aussi par les migrants européens qui ont suivi. Pour les premiers, il s'agissait de puritains rêvant de créer une nouvelle Jérusalem qui devait par la suite s'étendre non seulement jusqu'à l'ancien monde, mais jusqu'aux terres bibliques, les seconds n'avaient pour préoccupation que de faire fortune dans une contrée qu'ils imaginaient totalement dépeuplée et régie par aucune loi ; ils étaient évidemment dépourvus d'ambition messianique. Les deux groupes s'estimaient constituer l'élite des WASP (white anglo-saxon protestants). Les puritains rédigèrent la Constitution, les migrants économiques obtinrent le "Bill of Rights", des amendements à la Constitution dont le très controversé second qui énonce: « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, il ne pourra être porté atteinte au droit du peuple de détenir et de porter des armes. »

 

La Guerre de Sécession vit s'affronter les deux camps et les nordistes, héritiers des puritains, l'emportèrent. La crise de 1929 exigea que fussent repensés les fondements idéologiques du capitalisme ; les thèses keynésiennes connurent leur heure de gloire qui dura près d'un demi-siècle. Toutefois, dès la fin des années 1960, l'école dite de Chicago théorisa sur le thème du dépassement du capitalisme d'entreprise et du rôle inutilement contraignant de l'Etat régulateur. Le terrain d'essai de la nouvelle économie, appelée "thérapie de choc" fut le Chili dès 1973 et l'Argentine, un peu plus tard. On y introduisit ce qu'on appellera plus tard le néo-libéralisme avec au programme, la fin du contrôle des prix, la privatisation des entreprises et des services publics, la suppression des taxes à l'importation et la coupe dans les dépenses publiques. Le succès fut au rendez-vous, mais uniquement pour la frange la plus fortunée de la population. Quant au remake de la thèse marxiste du "dépérissement de l'Etat" au profit de la gouvernance économique, promise par le futur prix Nobel de l'économie, Milton Friedmann, il faudra attendre !

Les mêmes recettes furent reprises et améliorées, ou radicalisées selon le point de vue, par M. Thatcher en GB et R. Reagan aux USA. Coupes budgétaires, baisses des impôts, désengagement de l'Etat de l'industrie furent au programme. Le succès fut foudroyant car, aux USA, par exemple, depuis la période Reagan un PDG du NYSE, qui jusqu'alors gagnait en moyenne 43 fois le salaire de base, vit le rapport passer à 400, les salaires, du moins pour ceux qui en avaient, devant rester ce qu'ils sont au nom du réalisme économique (en 2017, 23% de hausse pour la fortune des milliardaires). Durant les années 1990, ce furent les anciens pays du Comecon et principalement la Russie, ratant, contrairement à la Chine, sa sortie du communisme, qui servirent de cobaye. Tout ceci s'accompagna d'un corps de doctrine, le néo-conservatisme, nouvelle mouture du puritanisme des origines où l'on établit une doctrine "politiquement correcte", destinée non plus à plaire à Dieu mais à son substitut, le $, sur lequel on avait déjà bien avant pris la précaution de préciser : in God we trust. En bonne éthique protestante, il ne doit pas y avoir d'intermédiaire entre l'homme et Dieu. On prit donc soin de délégitimer tout corps intermédiaire entre l'individu et le marché que l'on dérégula prétendument au nom de l'efficacité, en réalité pour assurer de juteux profits aux secteurs financier et militaire, les grands bénéficiaires et donc les grands promoteurs du néo-libéralisme. On s'attaqua aux Etats, partis, syndicats, sociétés, familles et même aux églises, principalement la catholique d'ailleurs, les habitants d'Amérique latine n'adhérant pas ou restant indifférents à la nouvelle idéologie dont ils avaient déjà pu voir les effets délétères. L'islam, mais uniquement sous sa forme sunnite, bénéficiera par contre d'un régime de faveur, car on allait par la suite lui faire jouer le rôle d'"idiot utile". Il est à remarquer que les "néocons", abréviation des "néoconservativs", s'attaquèrent partout à la notion de souveraineté, sauf aux USA, ou au contraire, on théorisa sur l'"american global leadership". Le think tank le plus influent étant celui dit du "project for the new american century" qui fonde sa théorie sur une " politique reaganienne de puissance militaire et de clarté morale ". De fait, il apparut naturel aux nouvelles élites de s'assurer un leadership du moins en Occident, abusivement proclamé "communauté internationale", si ce n'est à un "Moyen-Orient élargi". Celui-ci servira de terrain d'essai pour l'expérimentation du chaos permanent justifiant la guerre perpétuelle qu'il s'agira par la suite d'étendre autant que faire se pourra. En Europe, Bruxelles se chargea d'imposer la nouvelle doxa, notamment par sa condamnation "ex cathedra" des quatre phobies qu'une presse aux mains des magnats des grands groupes capitalistes combattra comme la peste au Moyen-Age (Europhobie, homophobie, xénophobie, islamophobie). On saluera cette nouvelle Pentecôte, où militants LGBT et salafistes se retrouvèrent sous la même couette ! Mais tout allait être bon pour assurer la transformation du citoyen responsable en un simple consommateur abruti et de la sorte manipulable à l'envi. L'anarcho-capitalisme établi par l'oligarchie mondialisée abreuvant les sans-dents déboussolés d'une sorte de narco-capitalisme reposant sur le matraquage publicitaire véhiculé par un soft power de plus en plus envahissant. Les nouveaux censeurs honoreront ceux qui accepteront cette servitude volontaire au nom du refus de la crispation identitaire et relègueront les autres dans la catégorie infamante des complotistes et des populistes.

 

Venons-en au Proche et Moyen-Orient.

 

En septembre 1978, le Président égyptien A. Sadate et le Premier ministre israélien M. Begin signèrent deux documents dont la référence est la résolution 242 des Nations unies d'octobre 1967 : le premier, portait sur le « cadre de paix au Proche-Orient », le second scellait la « conclusion d'un traité de paix » entre Israël et l'Égypte. Contre ce traité de paix s'est ensuite constitué un "front du refus" constitué par l'Irak, la Syrie, la Libye, l'Algérie, l'OLP et ce qui était alors la République Démocratique Populaire du Yémen. On remarquera qu'il s'était agi de pays et de mouvements laïcs. Un front du refus dont toutefois la faiblesse est apparue dès 1982 puisque le «cadre de paix au Proche-Orient» a été inauguré par l'Opération Paix en Galilée, déclenchée le 6 juin par Israël et qui s'est conclue par l'occupation du Liban. Mis à part les diatribes anti-israéliennes, les dirigeants arabes restèrent passifs face à l'occupation du Sud Liban, à l'exode de la direction de l'OLP, au massacre dans le camp palestinien de Sabra et Chatila, commis en cette même année. Le retrait israélien de 2002 fut le fruit de la résistance libanaise et non celui du fameux « cadre de paix au Proche-Orient » égypto-israélien. Le fer de lance de cette résistance a été incarné par le Hezbollah, chiite et allié de l'Iran. Un nouveau conflit éclata entre Israël et le Hezbollah en juillet 2006. De cette confrontation, le Hezbollah sortit grandi, augmentant l'inquiétude des dirigeants des pays sunnites.

 

Depuis les années 1980, Arabie Saoudite, Qatar et quelques autres monarchies sunnites n'étaient pas avares de financement concernant les groupes salafistes ou reliés aux Frères musulmans. Le tout, dans un premier temps, avec la bénédiction de l'Occident qui avait encouragé, voire participé au financement et à l'armement de djihadistes salués comme des "combattants de la liberté" lors de l'invasion de l'Afghanistan en 1979 par ce qui était encore l'URSS. Le très pro-occidental Shah d'Iran refusa d'envoyer des combattants, il en payera le prix ; l'Occident aussi d'ailleurs, ayant cru naïvement que les religieux iraniens qu'ils favorisèrent seraient solubles dans le sunnisme. Depuis cette période, les pouvoirs sunnites persistent dans une lecture religieuse du conflit qui les oppose à l'Iran et à ses alliés, à savoir le Hezbollah et les chiites dans les autres pays arabes, mais aussi la Syrie, seul pays arabe à avoir soutenu l'Iran lors de l'agression irakienne (1980-1988). Cette attitude permet de masquer les véritables enjeux stratégiques qui secouent la région, car il s'agit en réalité de l'opposition frontale entre d'une part des Etats-Nations et des forces politiques qui agissent pour conserver leur souveraineté politique et économique et dont l'Iran est à présent le fer de lance, et d'autre part le projet de formation d'un ensemble régional néo-libéral sous l'égide des USA et dont les chiens de garde seraient à la fois Israël et l'Arabie Saoudite ( le projet "greater middle east initiative" théorisé par G.W. Bush dès 2003). Les Etats laïcs payèrent le prix fort pour leur insoumission (rébellion islamiste en Algérie à la fin du 20e siècle, mais liquidée par l'armée sans intervention occidentale, destruction par l'Occident de l'Irak, de la Libye et tentative de destruction de la Syrie). Le tout, au nom des Droits de l'Homme, bien sûr ! Certes, ces pays étaient des dictatures, mais pour au moins deux d'entre eux, l'Irak et la Syrie, la liberté religieuse était totale. L'ancien président français estimait, par la voix de son ministre des affaires étrangères, que le président Assad ne méritait pas d'être sur terre, mais affichait une extrême aménité lorsqu'il se rendait chez les Saoud, un clan d'illettrés phallocrates, mis solidement et définitivement en place par F. Roosevelt en 1945 (pacte du Quincy) et qui ne se refuse aucune turpitude. Mais, par la grâce de Dieu, le peuple est maintenu dans le droit chemin par la famille "gardienne des lieux saints de l'islam" qui punit d'amputations ou de décapitations au sabre l'homicide, le viol, le vol à main armée, le trafic de drogue, l'adultère, la sodomie, l'homosexualité, le sabotage, l'apostasie et la sorcellerie. Grâce à leur puissant protecteur, ce clan a pu prendre en otage l'un des trois monothéismes, diffuser son interprétation dans un sens ultra-obscurantiste pour in fine, l'instrumentaliser au profit des anciens colonisateurs du monde arabe. L'autre gardien du dogme néo-libéral, Israël, a su habilement profiter de la tétanie qui a saisi le monde occidental concernant le judaïsme, conséquence de son implication dans le génocide nazi, auquel ni les Palestiniens, ni les Arabes n'avaient pris part. Le grand Israël qui est en train de se mettre en place apparaît comme une compensation sur bien d'autrui, plus précisément celui des Palestiniens, des exactions passées occidentales dont on aura pris soin d'entretenir la mémoire pour mieux masquer les dérives qui ont suivi. De fait, depuis sa création en 1948, toute critique des mesures politiques prises par Israël est présentée comme des critiques antisémites et donc d'ordre religieux, ce pays poussant ainsi à son paroxysme la politisation de la religion.

 

On ne saurait qu'être reconnaissant à Trump d'avoir établi que les conférences sur le climat ne sont que des pitreries médiatiques. En effet, les logiques géopolitique et écologique voudraient que les pays d'Europe s'approvisionnent pour leur énergie en Russie et en Algérie. Mais pour nos chers amis US, il ne saurait en être question, ces deux pays étant en-dehors de l'arc atlantiste. Une fermeture totale du détroit d'Ormuz, par où transitent 90 pour cent du pétrole produit par le Golfe, priverait l'Occident d'une grosse part de sa consommation quotidienne d'énergie ; 20 000 navires empruntent cette autoroute maritime chaque année, assurant ainsi une pollution titanesque. Pour sécuriser la voie, la flotte américaine s'est installée et surveille tout l'Océan Indien. C'est une rente de situation pour le Pentagone qui trouve là une -parmi beaucoup d'autres- justification à son budget de 700 milliards de $ par an. Une opération de contournement du dit détroit par substitution de la voie terrestre à la voie maritime du transport des hydrocarbures du Golfe vers l'Europe serait donc une catastrophe pour le Pentagone mais serait extrêmement bénéficiaire pour l'environnement, un réseau de pipelines polluant bien moins que les supertankers.

 

Mais ceci n'est qu'un des dispositifs établis par les USA pour s'assurer du contrôle du monde par la maîtrise des voies commerciales maritimes. La Chine a bien compris qu'il lui serait inutile de vouloir établir sa puissance sur les océans, mais s'est donnée comme objectif le projet connu sous le nom de "route de la soie", qui ferait de l'ensemble euro-asiatique, lequel englobe le Moyen-Orient, une zone d'échanges qui lui permettrait d'écouler sa production industrielle sans passer par les océans. L'OCS (Organisation de Coopération de Shanghai et l'UEE (Union Economique Eurasienne) complétant le projet en assurant le développement des pays périphériques qu'il s'agit d'inclure dans le projet. Le bras armé de cet ensemble serait évidemment la Russie. Les USA ne se sont pas encore remis de ne plus pouvoir influer sur la politique de ce vaste pays qu'ils pensaient, du temps d'Eltsine, pouvoir transformer en une république bananière. Les guerres de Tchétchénie, financées, déjà, par l'Arabie Saoudite devaient permettre aux djihadistes de déstabiliser complètement la Russie, les stratèges du Pentagone estimant que cela aurait un effet d'entraînement sur toutes les anciennes républiques soviétiques majoritairement musulmanes et qu'ainsi se créerait un "islam belt" contre Moscou. Mais cela ne s'est pas fait et la Tchétchénie est rentrée dans le rang. La Russie a demandé et obtenu l'adhésion à l'OCI (Organisation de la Conférence Islamique) et peut à présent peser sur ses décisions.

 

Par ailleurs, le gaz, comme source d'énergie, se révèle bien moins polluant que le pétrole. Les principaux gisements sont situés, outre la Russie, en Iran, au Qatar et....en Syrie où ils sont encore non-exploités. Le chancelier allemand G. Schroeder avait voulu établir un partenariat avec la Russie, mais aux élections législatives de 2005, la CDU mit au devant de la scène, une illustre inconnue, A. Merkel, que l'on présenta comme une pauvre Cosette ayant eu à souffrir dans sa jeunesse du méchant Thénardier soviétique. On pleura dans les chaumières allemandes, celle qu' H. Kohl surnommait la "gamine" fut élue et remit l'Allemagne sur le rail atlantiste. La France se donna, à peu près au même moment, comme président, N. Sarkozy, qui sortit de ses cartons un ambitieux programme nommé "Union pour la Méditerranée". Il reçut le président syrien le 14 juillet 2008 et il lui rendit visite à l'automne de la même année. On fit échange d'amabilités et de courtoisie, les deux écologistes en herbe parlèrent même d'un programme de dépollution de la Méditerranée. Mais Mme Merkel avait d'autant mieux appris son rôle que son allié US surveillait de près ses communications téléphoniques. Elle fit savoir au président français qu'il était hors de question que surgisse des flots de ce qui fut la "mare nostrum" alors l'Amérique n'était encore peuplée que d'Amérindiens, une Union pour la Méditerranée qui risquerait de concurrencer Bruxelles et d'insuffler une dynamique politique indépendante de l'Union Européenne. Notre bon Nicolas n'insista pas et le projet disparut, noyé dans les brumes germaniques. Il faudra attendre octobre 2016 pour que le successeur de Sarkozy exprime sa "profonde réprobation" concernant ces pratiques d'écoute téléphonique.

 

Mais d'ailleurs on était vite passé à autre chose car firent irruption les "printemps arabes".

V. Poutine, qui n'avait pas oublié les guerres en Tchétchénie, avertit tout de suite qu'il ne s'agissait là que d'une tentative de prise de pouvoir par les Frères musulmans. Mais en Occident, on s'enthousiasma pour le nouveau cours des évènements, l'ours mal léché des steppes asiatiques étant bien incapable de comprendre ce qu'était une "avancée démocratique". La situation évolua rapidement en Tunisie et en Egypte où ce furent effectivement les candidats des Frères musulmans qui remportèrent l'élection présidentielle. Les troubles atteignirent la Libye en 2011 et la Syrie, un peu plus tard. Sarkozy alla guerroyer contre son ancien ami Kadhafi (guerre faite, selon certains analystes assurément conspirationnistes, pour sauver le franc CFA que le Libyen voulait voir disparaître). Il remporta un remarquable succès puisqu'il sut installer dans ce pays le chaos, appliquant la théorie de ses maîtres néocons en qui il s'était finalement reconnu. La situation allait évoluer différemment en Syrie où les premières manifestations furent durement réprimées. Toutefois, et cela a été totalement occulté en Occident, le gouvernement syrien proposa une réforme constitutionnelle assurant une représentativité aux partis d'opposition. L'existence légale de ceux-ci n'aurait été assurée qu'en tant qu'ils ne chercheraient pas à instrumentaliser la religion. La France, ancienne puissance mandataire, aurait été bien inspirée de soutenir cette réforme même si elle ne remettait pas en cause la présidence d'Assad. Hélas, ce pays, jadis si fier de sa politique arabe, en a maintenant perdu jusqu'à son souvenir. Voir interview de l'ancien ministre R. Dumas, donnée en 2011 (https://www.youtube.com/watch?v=BH9-SHxetO1I).

Elle se rangea donc du côté de la coalition formée par les USA, la Turquie, le Qatar et l'Arabie Saoudite, arma et entraîna des milices sunnites. Celles-ci écartèrent l'ASL (Armée Syrienne Libre), qui venait de se constituer et qui était composée de militaires ayant fait défection pour assurer le changement de régime. Détail important, elle se revendiquait non-confessionnelle. Les milices, bien que se proclamant "modérées", ont été encadrées sur place par al Qaïda. Il s'agissait de Jabhat al-Nosra, rebaptisé Jabhat Fatah al-Cham en 2016, groupe à l'idéologie wahhabite soutenu par les Saoud, et d'Ahrar al-Cham, émanation des Frères musulmans soutenue par la Turquie et le Qatar, et donc combattue par les pro-Saoud. Ces milices furent défaites par l'armée syrienne, au prix de terrifiants combats. L'Occident et ses alliés ont alors soutenu les "Forces démocratiques syriennes", dirigées par les forces syriennes kurdes, regroupant diverses composantes dont les YPG (unités de protection du peuple).

 

Pour la Turquie, il n'était alors plus question d'armer la rébellion car elle considérait ces forces comme une extension du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan, de tendance marxiste). "On" organisa, en 2016, un coup d'Etat à Ankara qui devait amener au pouvoir un islamiste soutenu par les USA, F. Gûlen, mais cela échoua. Etait apparu également sur le champ de bataille l'"Etat islamique", création américano-sioniste selon Téhéran et Bagdad. Lourdement armé (par qui?), son but était de créer un Etat unique regroupant les parties sunnites de la Syrie et de l'Irak, arbitrairement séparées selon eux, par les accords Sykes-Picot de 1916. En 2014, les USA créèrent une vaste coalition de 22 pays, destinée à en finir avec l'"Etat islamique", tant en Syrie qu'en Irak. Mais finalement, c'est l'armée syrienne, aidée de forces iraniennes, de celles du Hezbollah et, à partir de l'été 2015, de l'aviation russe, qui est en train de reconquérir le territoire syrien. Les Kurdes qui, imprudemment, avaient joué la carte occidentale, furent abandonnés à leur sort, aussi bien en Syrie qu'en Irak où le gouvernement central annula le référendum d'autodétermination tenu en septembre 2017 et liquida à la fois le Kurdistan irakien et, avec l'aide US, ce qui restait de l'"Etat islamique". Il aurait pourtant du sembler évident aux Kurdes que les atlantistes ne soutiendraient un mouvement marxiste que tant qu'il servirait leurs intérêts immédiats.

 

Que sera l'avenir ? Le Kremlin a court-circuité les Occidentaux en mettant en place le processus d'Astana (Kazakhstan) destiné à torpiller les conférences de Genève dans le règlement de la question syrienne. Russes, Syriens, Iraniens et Turcs s'y retrouvent pour dessiner un futur à ce pays. A noter que la Chine vient d'y envoyer un contingent, à noter aussi que les USA, non invités à Astana, y maintiennent une présence militaire, en violation du droit international, mais à cela, ils sont habitués. En tout état de cause, Moscou aurait cependant tort de crier victoire car les USA ne lâcheront pas le morceau et il apparaît de plus en plus que c'est le Pentagone et l'ensemble de "deep state" qui dicte leur politique à D. Trump, malgré ses fanfaronnades de campagne. Pour autant l'axe Washington -Tel-Aviv - Ryad apparaît pour l'heure bancal. Les Saoud, qui ambitionnaient de diriger l'ensemble du monde sunnite, se sont fourvoyés et ont échoué lamentablement. Ils ont maintenant accepté de passer définitivement à la trappe le sort des Palestiniens afin de continuer de bénéficier de la "protection" US. Ryad s'est ridiculisé au Liban par le rapt du Premier ministre, soi-disant otage du Hezbollah, alors même que le président de la République chrétien, M. Aoun, affiche sa solidarité avec son dirigeant, H. Nasrallah, car il sait bien qui est le protecteur des chrétiens. De même, Ryad a voulu jouer au dur avec le Qatar, précipitant cet Etat détenant d'immenses réserves de gaz dans les bras de l'Iran, et enfin il s'est englué dans une guerre sordide au Yémen qui ne lui apportera rien, les USA continuant à contrôler le golfe d'Aden. Donald Trump a testé l'acceptation de la subordination du jeune héritier des Saoud en décrétant que tout Jérusalem serait capitale d'Israël; la seule capitale arabe s'étant abstenue de tout commentaire est Ryad ! Israël aura l'assurance de sa sécurité tant qu'il jouera auprès des USA la carte de la nation biblique. Mais pourra-t-il toujours masquer une stratégie de conquête territoriale derrière la question religieuse? La perfidie et la fourberie des Saoud et des sionistes est manifeste ; à titre de comparaison, imaginerait-on le Vatican être le vassal des USA ?

 

Mais les voies du Seigneur sont impénétrables. Lorsque les Beach boys californiens surfaient sur leur "sea, sex and sun", ils ne pouvaient imaginer que leurs collègues, les Chicago-boys, allaient réécrire la partition en un "sea, guns and sun" moyen-oriental. Suite à cela, l'axe du monde devrait être, selon le maître du deal de la Maison Blanche, non plus l'alliance du Trône et de l'autel, mais celle de Wall Street (rue du Mur!) et du Mur des Lamentations. L'héritier des Saoud l'a bien compris, et à peine couronné, il s'est offert un western spaghetti à la mode salafiste où oncles, cousins, neveux, invités dans un palace, y furent retenus captifs jusqu'à qu'ils crachèrent au bassinet. Donald Trump a applaudi à l'opération dite anticorruption, ce qui permettra à MBS (Mohamed ben Salman) de construire sa méga cité, nommée Néom, au coût estimé à 500 milliards de $. Située au nord-est du royaume, à proximité d'Israël, ce pays sera convié à la fête et pourra investir tout-à-loisir dans les technologies les plus avant-gardistes. N'est-ce pas Montesquieu qui avait théorisé sur le "doux commerce", permettant de sortir de la barbarie guerrière?

 

On n'en est pas encore là. Lorsque V. Poutine regarde l'échiquier, il peut considérer qu'il n'a pas vendu son âme au diable. Il a dans son escarcelle l'ensemble du monde chiite (Irak, Hezbollah, Iran, ce dernier pays ayant comme priorité de consolider l'arc Téhéran, Bagdad, Damas, ce qui lui permettra de renforcer le Hezbollah tout en ayant une position géostratégique influente en Méditerranée). Quelle que soit l'évolution future de l'Iran, ce pays ne rejoindra jamais l'orbite atlantiste car il le considère comme responsable de l'agression irakienne suite à l'arrivée au pouvoir de Khomeiny. Le Kremlin dispose également d'une carte sunnite (le Hamas), il a de bonnes relations avec l'Egypte d'al Sissi, qui a renversé le pouvoir détenu par les Frères musulmans, il sonde le Soudan qui a retiré son contingent du Yémen qui y avait envoyé en soutien à l'Arabie Saoudite. Il reconnaît l'un des deux gouvernements de la Libye, celui d'Abdullah al Thanni face à celui de Farrez Sarraj, pro-occidental. Mais le général Haftar, qui contrôle l'essentiel de l'armée, penche pour le pro-Russe. Si on ne sait encore comment va évoluer l'Algérie, quoique les militaires ont depuis le temps soviétique toujours été proches de Moscou, le Maroc a su profiter de l'embargo contre la Russie décrété souverainement par Washington et appliqué servilement par Bruxelles. Le royaume chérifien a ainsi pu réorienter ses exportations agricoles vers la Russie et devenir un partenaire prioritaire pour les économies russe et chinoise. Le président du groupe chinois BYD qui vient de signer, le 9 décembre 2017, en présence du roi Mohammed VI, un accord pour la construction de quatre usines de voitures, batteries, bus, camions, trains électriques, a déclaré: « Nous souhaitons bénéficier de la situation géographique du Maroc, en tant que porte d'entrée pour l'Europe". On ne sera jamais assez reconnaissant envers les gazouilleurs de Bruxelles !!!

 

Reste la question syrienne. Washington semble déterminé à se tailler sa propre zone d'influence, et un face à face direct avec Moscou n'est pas à exclure d'autant que la Turquie, irritée par le jeu trouble des Occidentaux qui ont essayé de manipuler les Kurdes, s'est tournée vers la Russie et est en négociation pour l'achat de missiles balistiques. La Turquie est membre de l'Otan, mais les Russes n'accéderont à la demande turque que s'ils pourront bénéficier d'une base militaire sur le territoire turc...Il y a aussi la question des réfugiés: l'Allemagne, dont la chancelière avait déclaré en 2010 que le multiculturalisme était un échec complet a, cinq ans plus tard, été sommée par ses maîtres US d'ouvrir ses portes aux "réfugiés", comprendre aux déserteurs auxquels on avait voulu faire croire que la fin du "régime sanguinaire de Bachar" était proche. Une amnistie en ferait rentrer un grand nombre au pays, mais comment réagirait l'armée qui a payé le prix du sang? En attendant, Big Brother continue de nous imposer Big Other, au nom de valeurs qui sont tout, sauf charitables ; la transformation de sociétés relativement homogènes en un agrégat de communautés méfiantes sinon hostiles les unes envers les autres, semblant être le but recherché.

Alors que les USA, dans les années 1990 avaient voulu créé un "muslim belt" pour soumettre la Russie, celle-ci a réussi à totalement renverser la situation et est en train de créer au sud et au sud-est de l'Europe un "muslim belt" anti-occidental. A cela s'ajoute des tensions croissantes sur les 3 voies maritimes vitales pour l'Occident, le détroit d'Ormuz, le golfe d'Aden et le canal de Suez. En Europe même, l'ensemble des pays de l'ex-Comecon est de plus en plus méfiant vis-à-vis de Bruxelles qui n'a que le pauvre argument du "populisme" à faire valoir envers ceux qui contestent son hégémonie.

Suite à la lourde défaite des forces atlantistes sur le théâtre syrien, dont les 400 000 morts s'ajoutent au 1,5 million des guerres précédentes dans la région, la question, à plus ou moins long terme, va inévitablement se poser : faut-il continuer à privilégier l'alliance avec des joueurs de poker comme les USA qui gardent comme objectif la domination du $ dans le processus de mondialisation et ainsi le contrôle de celle-ci, ou ne vaut-il pas mieux essayer de travailler avec les joueurs d'échec russes et chinois qui avancent patiemment et méthodiquement leurs pions ?

 

Jean Luc

 

Synthèse du débat sur le Moyen-Orient et l'Europe

Café politique du 11 janvier 2018

 

 

Après l'exposé très complet de Jean-Luc, le débat s'ouvre.

 

1.  La complexité de la question actuelle du Moyen-Orient.

A.        Des populations multiples.

Les Arabes dans la péninsule arabique.

Les Juifs en Israël.

Les Perses en Iran. Ils ne sont pas des Arabes et ils parlent une langue indo-européenne.

Les Kurdes, répartis sur de nombreux pays, représentent une minorité qui défend une doctrine marxiste, les libertés fondamentales, la laïcité et l'égalité des hommes et des femmes.

 

B.        Des appartenances religieuses nombreuses et divisées au sein de chacune d'elles.

Les chrétiens dont l'existence est menacée de disparaître et qui ont tendance à rejoindre l'Occident en raison des persécutions.

Les Arabes sunnites divisés en groupes qui soutiennent soit les Frères musulmans, soit les Salafistes ou plus précisément les Salafistes saoudiens et les sunnites libéraux de moins en moins nombreux. On peut supposer que dans l'ASL (armée syrienne de libération) il y a aussi des sunnites libéraux.

Les Chiites en Iran, et majoritaires en Irak. Ils sont présents à Bahreïn et lors de soulèvements récents, ils ont été réprimés par l'Arabie saoudite sans que l'Occident ne s'émeuve beaucoup.

Les deux grandes tendances intégristes sont les Wahhabites (intégrisme religieux financé par les Saoudiens) et les Frères musulmans du Qatar (à connotation politique et financés par le Qatar, voir la chaîne de télévision Al jazeera ).

 

C Des points géostratégiques majeurs.

A l'Est, le Golfe Persique, contrôlé à son extrémité par le détroit d'Ormuz.

A l'Ouest, il y a la Mer Rouge contrôlée par un autre détroit.

Le canal de Suez

 

2.         Le poids de l'histoire.

A.        Les conséquences de l'accord Syskes-Picot de 1916.

Cet accord a été signé le 16 mai 1916 par la France et la Grande-Bretagne avec l'aval de l'empire russe et de l'Italie. Il prévoit le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre.

Les promesses d'indépendance faites aux Arabes ne seront pas tenues malgré parmi les quatorze points de Wilson ce qui concernait le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

On peut parler du démantèlement de l'Empire ottoman et d'un double jeu des Français et des Britanniques à l'égard des Arabes.

La France reçoit les mandats du Liban et de la Syrie.

La Grande-Bretagne, ceux de la Mésopotamie agrandie de Mossoul, de la TransJordanie et de la Palestine.

L'Allemagne ayant pris l'initiative de la construction du Bagdad-Bahn avant la première guerre mondiale ne joue plus aucun rôle dans la région après la défaite de 1918.

La partie Nord-Est de la Turquie promise à l'empire russe ne lui sera pas donnée après la révolution de 1917.

La Syrie et l'Irak sont des entités artificielles créées à l'issue de ce découpage et regroupent diverses populations et diverses religions.

La Turquie moderne et l'Arabie saoudite sont alors constituées.

 

B.        La question kurde.

En 1920, le Traité de Sèvres prévoit la possible autonomie des Kurdes.

En 1923, le Traité de Lausanne revient sur cette autonomie.

Les Kurdes luttent encore aujourd'hui pour la création d'un Etat autonome, le Kurdistan. Ils vivent surtout dispersés entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie.

Les Kurdes se sentent manipulés par l'islam et ont un désir profond de paix et souhaitent que l'Occident cesse d'être hypocrite à leur égard.

La question qui reste posée est celle de savoir pourquoi cette indépendance reste aussi problématique.

 

3.Les enjeux économiques du Moyen-Orient.

•          Les ventes d'armes sont un enjeu majeur dans cette région et elles alimentent les conflits. Les cinq puissances qui ont le droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU ( France, Grande-Bretagne, Chine, Etats-Unis, Russie ) sont celles qui vendent le plus d'armes au Moyen-Orient et notamment aux Saoudiens. La question de l'armement de Daech est posée : ils ont pillé Mossoul, mais cela n'explique pas la quantité d'armes dont ils disposent.

Les Allemands vendent des armes aux Kurdes irakiens. On peut légitimement s'interroger sur leur utilisation à l'avenir. On ne peut pas ignorer comment les Talibans armés par les Etats-Unis ont fait usage de leur armement ultérieurement.

Les ressources pétrolières et le gaz, en particulier en Syrie, restent des enjeux importants de contrôle des territoires par les puissances étrangères ( voir le détroit d'Ormuz contrôlé par les Etats-Unis ).

Le béton de Lafarge et la manière dont il est parvenu aux terroristes en Syrie reste un mystère.

Il y a une vraie interrogation sur la création du Louvre à Abu Dhabi et le sens des engagements que la France contracte ainsi avec les Emirats Arabes Unis.

 

4. Les rapports de force au Moyen-Orient.

Le Pentagone a une influence décisive sur la politique extérieure des Etats-unis, notamment au Moyen-Orient. Il a pour but la conservation d'un leadership américain dans le monde et pour cela, on peut penser qu'il tente de créer le chaos par des conflits consistant à détruire les entités étatiques du Moyen-Orient.

Ls Chinois sont très présents au Moyen-Orient, en Syrie en particulier où ils sont attentifs aux enjeux de la reconstruction. Ils ont envoyé un contingent en Syrie en appui de l'armée syrienne officielle.

Le rôle de Poutine est très important en Syrie.

Les pays du Moyen-Orient peuvent modifier leurs alliances selon les événements ce qui crée une instabilité.

La montée en puissance de l'Iran lui permet de devenir un acteur incontournable sur les questions stratégiques majeures du Moyen-Orient.

Une troisième voie non inféodée aux grandes puissances serait la bienvenue. Nous attendons toujours une politique extérieure européenne commune.

 

Conclusion.

Un participant parle d'utopie salutaire en évoquant une solution qui permettrait à toutes les ethnies et religions de cohabiter en paix au Moyen-Orient. Il reste que des attitudes identitaires se durcissent partout au Moyen-Orient et ailleurs, qui font craindre la continuation des conflits par ailleurs attisés par les puissances elles-mêmes.

L'information est un premier pas dans la tolérance réciproque. Ce café tente d'y participer à sa mesure tout en ayant une pleine conscience des difficultés majeures que vivent toutes les populations du Moyen-Orient.

 

 

Texte de Léa en complément de la synthèse du café du 11 janvier 2018.

 

« Les guerres du Moyen-Orient sont le fruit de systèmes étatiques en place dans la zone du Moyen-Orient.

 

Il s'agit du nationalisme turc, du nationalisme arabe et des islamo-fascismes qui se sont emparés de cette partie du monde.

 

Certes, ces Etats ont évolué économiquement et sont au fait de la technologie des pays développés, mais leur mentalité n'a guère évolué. C'est une mentalité vieille de mille cinq cents ans imposée aux populations.

 

C'est pourquoi les nouvelles générations se révoltent depuis des décennies. Le peuple kurde en souffre depuis trop longtemps. Son pays a été transformé en terrain de guerre.

 

Je trouve que les Kurdes font de la résistance pour sauver une humanité prise en otage par des nations dont la mentalité est restée moyenâgeuse.

 

Rappelons qu'en son temps Danielle Mitterrand, sensible à la cause kurde, avait soutenu Leyla Zana dans son combat pour la liberté de penser et de s'exprimer en kurde alors que celle-ci avait été emprisonnée pour avoir parlé en kurde au cours d'une séance parlementaire à Ankara.

Retour vers les textes du café politique

moyen orient
biologie et culture

Café politique du 15 mars 2018.

Y a-t-il une origine biologique de la culture humaine ?

La question qui m'amène à vous parler aujourd'hui du dernier ouvrage d'Antonio Damasio, intitulé L'Ordre étrange des choses, La vie, les sentiments et la fabrique de la culture est celle de la destructivité constante des hommes les uns par rapport aux autres depuis le néolithique. Je me demande pourquoi le politique n'a jamais ou si peu réussi à réguler la violence et la prédation. Cette question revêt aujourd'hui un caractère encore plus urgent dans la mesure où nous vivons une crise culturelle majeure : nous possédons objectivement tous les moyens nécessaires à la suppression de notre espèce.

Antonio Damasio, neuroscientifique de renom qui travaille aux Etats-Unis depuis plus de trente ans, établit à partir de ses recherches et de ses observations cliniques, un lien entre « la vie humaine telle que nous la connaissons aujourd'hui et la vie primitive qui aurait vu le jour il y a 3,8 milliards d'années. » Il propose une chronologie du développement et de l'apparition de nos facultés fondamentales ( sentiments, conscience, mémoire, langage, socialité, intelligence créatrice ). Il s'aperçoit que nos représentations de l'esprit et de la culture ne prennent pas en compte notre réalité biologique telle qu'il nous la décrit. Cette réflexion nous intéresse dans la mesure où nous pouvons observer la force de vie qui préside à la reconduction continuelle de l'espèce humaine et les risques que cette même espèce humaine prend et qui pourraient aboutir à son anéantissement. En d'autres termes pourquoi ce qui préside à la conservation de l'individu n'a plus de pertinence quand ce même individu est en lien avec ses semblables ?

 

La clé de l'ouvrage de Damasio est que le cerveau et le corps sont étroitement liés et que ce que nous appelons l'esprit n'est pas le produit du seul cerveau mais de son interaction avec le corps. Cela tient au fait que le système nerveux, dont le cerveau est l'aboutissement tardif est un coordinateur au service du corps. Damasio fait l'histoire de l'apparition des sentiments qu'il définit comme expressions mentales des émotions, changements produits dans le corps et le cerveau.

 

Il part des organismes primitifs, premiers organismes monocellulaires ( les bactéries ) pour comprendre les conditions de leur survie. Il constate qu'avant toute émergence d'un système nerveux ces organismes ont survécu grâce aux mécanismes de régulation appelés homéostasie. Certaines conduites des bactéries sont surprenantes : elles cherchent pour survivre la compagnie d'autres bactéries alliées partageant le même but. Elles ont des réactions collectives face aux attaques de tous types et suivent une logique non réfléchie : le groupe cherche automatiquement à dominer par le nombre en adoptant l'équivalent du principe de moindre action. Ainsi, on peut dire que les bactéries observent les principes de l'homéostasie à la lettre. Damasio nous dit : « Certaines bactéries travaillent très dur, mais il y a des bactéries traîtresses, il y en a qui rusent pour ne rien faire et profiter de ce que font les autres... C'est très beau, très étrange parce qu'il n'y a aucune possibilité qu'il y ait une pensée chez elles ». Le livre est né de ce constat : « Il y a chez les bactéries des comportements qui s'apparentent à nos comportements culturels ». Il y a une continuité du désir de durer et d'avancer plus déclaré chez les bactéries que chez l'homme.

 

L'homéostasie est l'impératif puissant, non réfléchi et silencieux qui assure la persistance et la prédominance de tous les organismes vivants. L'homéostasie génère la survie.

 

Ce processus est survenu dans les cellules sans noyau et plus tard il a guidé la sélection des cellules avec noyau.

A une période plus récente (environ 500 millions d’années) sont apparus des organismes complexes composés de nombreuses cellules. Ils ont commencé à développer des systèmes s'étendant au corps entier, les systèmes circulatoires, endocriniens, immunitaires et nerveux.

Ils se complexifient suffisamment pour faire naître le besoin d'une coordination d'ensemble. Les premiers systèmes nerveux étaient très modestes : ils assuraient une fonction élémentaire de l'environnement immédiat comme c'est toujours le cas pour le polype d'eau douce appelé hydre dont les contractions musculaires permettent la progression d'un aliment à l'intérieur du tube digestif.

 

Ce rappel des origines est utile pour bien montrer que le système nerveux et le cerveau auquel il a abouti sont d'abord et avant tout des serviteurs du corps. Pendant longtemps on ne les a imaginés que pour « penser », fonction à laquelle on les résume trop facilement aujourd'hui.

 

Le cerveau a aidé les humains à inventer les idées et la culture. Il a été assemblé au moyen de l'héritage génétique au fil de plusieurs milliards d'années.

Dans la marche de l'esprit humain les sentiments ont sans doute permis à l'homéostasie de faire de grands pas : ils offraient une représentation mentale de l'état du vivant au sein de l'organisme, sorte d'image multidimensionnelle. Si cet état est plutôt bon, l'homme ressent du bien-être, s'il est plutôt mauvais pour des raisons de maladie ou de tout autre dysfonctionnement, apparaissent le mal-être, la souffrance voire la douleur, qui sont autant d'avertisseurs que quelque chose ne va pas. En cela les sentiments apparaissent bien comme les adjoints principaux de l'homéostasie (Conatus selon Spinoza ou « dur désir de durer » pour Paul Eluard). Ces systèmes de régulation interne détectent que certains paramètres vitaux s'éloignent trop dangereusement de certaines valeurs et déclenchent des mécanismes de correction visant à rétablir l'équilibre.

Nos portails sensoriels nous avertissent aussi de la présence d'un prédateur et nous poussent à la fuite...

 

L'homéostasie préside ainsi aux destinées du vivant depuis près de quatre milliards d'années.

 

La recherche de la base matérielle de la conscience ne peut donc plus faire l'impasse du cervelet, du tronc cérébral, de l'hypothalamus, de la moelle épinière. S'intéresser au seul cerveau est bien trop réducteur d'autant que nous savons maintenant qu'il existe un premier cerveau qui joue un rôle primordial : le système nerveux entérique qui contrôle en grande partie sa propre fonction. Le système nerveux central ne lui dicte pas son propre comportement. Les systèmes nerveux entérique et central entretiennent une conversation permanente et croisée. La majorité des communications se fait dans le sens intestin-cerveau supérieur.

Les bactéries de l'intestin se comptent en milliards, nombre supérieur à celui des cellules individuelles de notre organisme dans son ensemble.

 

Nous ne sommes pas une conscience posée sur la vie biologique, un cerveau en colocation avec des organes. Nous avons peur, faim, mal, nous désirons, nous connaissons le plaisir. Ce sont les « émotions », mouvements élémentaires de la vie. La conscience formalise ces émotions et les transforme en sentiments.

Mais il reste en nous ce vieux monde intérieur, celui des émotions élémentaires ou encore des muscles dit « lisses », par opposition aux muscles « striés » : ceux que nous n'actionnons pas volontairement et qui vivent sans nous leur vie qui se trouve être la nôtre.

 

Pour que la subjectivité puisse exister il faut que notre sentiment d'ensemble omniprésent accompagne le traitement des images. Ces deux phénomènes proviennent directement du corps proprement dit. Ils résultent de l'activité du système nerveux qui ne cesse de percevoir et de cartographier les événements à l'extérieur comme à l'intérieur de l'organisme.

« Entre le phénomène de la perception cellulaire ( niveau de base de ce processus naturel ) et les états mentaux au sens plein du terme, se trouve un niveau intermédiaire de la plus grande importance, composé des états mentaux les plus fondamentaux : les sentiments. Les sentiments sont des états mentaux centraux qui correspondent à un contenu spécifique et fondamental : l'état interne du corps hébergeant la conscience qui lui est inhérente ». Lorsque les sentiments sont « placés » au sein de la perspective actuelle de l'organisme dans son ensemble, alors la subjectivité émerge.

« La subjectivité a conféré de nouvelles propriétés aux images, à l'esprit et aux sentiments, une impression de propriété attachée à l'organisme dans lequel ces phénomènes surviennent, l'impression que ces phénomènes n'appartiennent qu'à une seule entité, ce qui permet d'entrer dans le monde de l'individualité ».

 

« La plupart des sentiments provoqués résultent d'émotions non seulement liées à l'individu isolé, mais aussi à l'individu au sein d'un contexte social. » « L'homéostasie fondamentale demeure quelque peu autocentrée, consacrée au temple que la subjectivité humaine a érigé : le « soi ». Elle peut être étendue à la famille et à un petit groupe avec plus ou moins de difficultés. Il est également possible de l'étendre à des groupes plus larges, selon les contextes et au terme de négociations où la puissance et les avantages que peut procurer la situation sont équilibrés. Mais l'homéostasie présente dans chaque organisme n'est pas spontanément orientée vers les groupes de très grande taille, notamment quand ils sont hétérogènes - sans parler des cultures et des civilisations dans leur ensemble. Il serait illusoire de s'attendre à ce qu'une harmonie homéostatique spontanée puisse émerger de collectivités humaines aussi vastes qu'hétéroclites ». Les règles qui régissent l'homéostasie individuelle connaissent aussi de graves manquements ( cancers agressifs, maladies auto-immunes ).

 

Ce que Freud a appelé la « pulsion de mort » correspond au déclenchement incontrôlé d'émotions négatives, à la perturbation de l'homéostasie qui en résulte et au chaos dans lequel elles plongent les comportements individuels et collectifs ( voir la colère, la jalousie, l'avidité...). Mais le nouveau consiste en nos temps actuels dans le potentiel de destruction massive d'une puissance inégalée.

On pourrait raisonnablement penser que l'équilibre entre la coopération salutaire et la compétition destructrice dépend des garde-fous de la civilisation et d'une forme de gouvernance démocratique et représentative des citoyens. Lorsqu'une civilisation ne fournit pas de tels efforts, les communautés qui partagent une identité culturelle distincte luttent pour obtenir ce qu'elles désirent par les moyens à leur disposition. Cela peut aboutir à une prise de pouvoir despotique d'une communauté sur une autre. Le seul moyen de mettre un terme à ces luttes destructrices est de se montrer coopératif et de résoudre les conflits par la négociation.

« La gouvernance requiert de longs processus de négociation, qui sont directement liés à la biologie des affects, des connaissances, du raisonnement et de la prise de décision. Nous sommes irrémédiablement pris dans les mécanismes des affects et de leur arrangement avec la raison ».

« Nous traversons une crise, mais nous avons des raisons d'espérer. L'une de ces raisons s'avère particulièrement solide : tant que rien ne prouvera le contraire - tant qu'aucun projet éducatif n'aura été mené avec suffisamment de constance, sur une durée raisonnablement longue, et à une échelle assez étendue - nous pourrons continuer à compter sur l'éducation ; à espérer qu'elle fera émerger, un jour, une condition humaine meilleure ».

 

En conclusion : « La condition humaine embrasse deux univers. Le premier est celui des lois de la régulation vitale établies par la nature et contrôlées par les mains invisibles de la douleur et du plaisir. Nous ne sommes pas conscients de leur structure sous-jacente. La sélection naturelle fonctionne depuis toujours sans nous demander notre avis et sans considération pour autrui. Le second univers est celui qui permet de dépasser les conditions imposées en inventant des méthodes culturelles de la gestion du vivant capables de compléter les mécanismes élémentaires existants ». En connaissant les règles de la régulation vitale, nous pouvons maîtriser en partie nos mécanismes innés. « Culture » et « civilisation » sont les noms que nous donnons à ces initiatives.

Dans l'Ordre étrange des choses, gardons en mémoire que des organismes très anciens ( plantes et animaux ) ont su manifester des comportements sociaux intelligents et ont accumulé des dispositifs biologiques qui leur ont permis d'être plus efficaces. Ils ne disposaient que des précurseurs de l'esprit, de la perception des émotions, de la pensée et de la conscience et non de ces facultés comme telles.

 

Synthèse du café politique du 15 mars 2018.

Y a-t-il une origine biologique à la culture humaine ?

 

Après la présentation par Geneviève, du livre de Damasio, L'ordre étrange des choses, le débat commence.

 

1 ) Quelles influences réciproques du biologique sur la culture humaine ?

-         Il faut toujours prendre garde à la transposition de données biologiques à ce qui est de l'ordre du social. Cela s'était déjà produit avec le darwinisme social. Damasio le mentionne lui-même dans son ouvrage. On avait déduit de la sélection naturelle qu'il fallait des sociétés de compétition, comme les sociétés ultra libérales américaines. Sachant que la sélection naturelle n'est pas uniquement concurrence, on sait qu'il y a des formes de sélection naturelles qui développent aussi la coopération et la solidarité. Il faut donc être toujours assez prudent avec la transposition du biologique sur les structures sociales et politiques.

-         La notion d'homéostasie est très puissante comme celle de sélection naturelle parce qu'elle est tautologique ( A = A ). C'est redondant. La puissance logique de la tautologie est aussi celle de la sélection naturelle : ce sont les organismes qui survivent qui transmettent leurs caractères. En ce qui concerne l'homéostasie les organismes vivants doivent maintenir un certain nombre de caractéristiques physico­chimiques dans des limites assez étroites. Si ces limites sont rompues, c'est la mort. Claude Bernard avait déjà développé cette notion. Canguilhem avait dit que pour cette raison la nature est productrice de normes, les normes étant justement celles de l'homéostasie.

-         Ce qui intéresse Damasio c'est de passer de l'homéostasie aux émotions et aux sentiments. Les perturbations de l'homéostasie se traduisent chez les êtres dotés d'un système nerveux central par des émotions, soit une inclination, soit une aversion avec un ressenti de cela pour les organismes dotés d'un système nerveux central suffisamment évolué.

-         On est ici dans le domaine de la complexité parce qu'il est bien clair que nous sommes soumis à des désirs, à des peurs, à des aversions, mais le rapport avec la biologie est très modulé par la culture. Par exemple, tous les bébés du monde détestent la sensation d'amer ou la sensation pimentée. On est biologiquement programmé pour détester l'amer et le pimenté. Avec une influence culturelle on finit par aimer l'amertume et le pimenté. On voit bien que dans ce qui est naturel il y a une modulation culturelle qui se fait et qui peut faire évoluer depuis l'origine. Ce n'est pas une loi de causalité simple.

-         Par ailleurs nous désirons ce qui est difficile parce que ce qui est difficile est rare ( loi de l'offre et de la demande ). Pourtant ce qui est difficile par définition est ce qui est pénible. Comme nous sommes capables de nous projeter, nous sommes capables de mémoire et d'anticipation, nous recherchons ce qui est pénible dans l'immédiat parce que nous savons que cela va être une source de plaisir ou de satisfaction. On voit que ce qui vient de la biologie et de l'homéostasie peut être modifiée par la culture.

-         Damasio évoque cela, mais il convient de mettre l'accent sur la complexité de ce processus de passage du biologique au culturel. Par exemple, dans toutes les sociétés quand la nourriture est abondante nous avons tendance au surpoids parce que nous sommes programmés pour consommer du gras et du sucré parce que nos ancêtres vivaient dans des conditions de pénurie. Les systèmes nerveux se sont organisés pour essayer au maximum de favoriser la prise d'aliments énergétiques parce que c'était quelque chose de rare et de menacé par la dénutrition et la famine.

-         En psychologie sociale nous savons que nous avons tendance à favoriser l'endogroupe versus l'exogroupe. Nous cherchons à tisser plus de liens avec les gens qui appartiennent à notre groupe et à rejeter ceux qui sont à l'extérieur de notre groupe ce qui explique beaucoup de phénomènes de racisme et de xénophobie qui se développent partout dans le monde. Il y a ici quelque chose d'assez universel qui nous fait supposer qu'existent des mécanismes biologiques sous-jacents.

-         La culture peut modifier ces comportements, mais il convient de se demander de quelle culture nous parlons. Souvenons-nous que le nazisme est apparu dans un pays très développé culturellement : c'était la nation de Leibniz, de Beethoven, de Schiller et de Goethe. La culture en elle-même n'est pas suffisante et non seulement il faut de la culture mais aussi une connaissance de ces mécanismes biologiques et psychologiques pour savoir les exploiter. Par exemple il faut savoir ne pas générer simplement de la frustration mais comme le disait Ruwen Ogien, l'odeur des croissants chauds le matin nous rend quand même plus altruistes. !

 

2 ) L'utilisation du mot « sentiment » par Damasio.

-       Un participant évoque une question de vocabulaire concernant l'emploi du mot sentiment par Damasio, lecteur de Spinoza. Dans les anciennes traductions de Spinoza connues de Damasio ( chez Garnier Flammarion ) le mot latin utilisé par Spinoza est traduit par sentiment. Dans les traductions ultérieures la traduction du même mot est l'affect. Affect paraît plus clair parce que le sentiment en général fait référence pour nous à l'amour, la haine, l'ambition. Or ce que Damasio désigne par sentiment ce n'est pas cela. Ce sont des choses qui nous affectent et qui, soit viennent de l'intérieur de notre corps, soit de l'extérieur. Ce sont des ébranlements dont on prend conscience a posteriori. Nous, les humains, pouvons prendre conscience de nos affects, c'est le redoublement de la conscience.

-       Un paradoxe chez Damasio : son monisme matérialiste nie la dualité de l'âme et du corps. Nietzsche nous dit que la conscience est une tard venue et qu'elle nous amène à faire des erreurs par rapport à la santé du corps. Remarquons qu'aucune espèce animale ne se détruit elle-même entièrement ni même ne détruit toutes les autres espèces, ce que les humains sont capables de faire ( voir la question environnementale actuelle et la destruction des espèces ). Est-ce que la conscience ne serait pas un élément de trop qui nous trompe ?

 

3 ) La question de l'homéostasie : échanges d'arguments sur sa définition et son rôle dans l'évolution.

-         Les organismes sont homéostatiques parce que l'homéostasie est biologique, mais l'homéostasie comme son nom l'indique est la reproduction du même. Comment Damasio explique-t-il l'évolution de la vie en montrant les étapes qui passent de la bactérie jusqu'à nous ? Nous ne sommes pourtant pas exactement les mêmes ! L'effort de la vie depuis 4 milliards d'années donne en fait en même temps du même et du différent réussis.

-         Parler de réussite est contestable. Aujourd'hui nous arrivons plutôt à mettre en oeuvre une capacité d'anéantissement ! C'est comme quand on dit qu'on réussit un peu notre vie : en ratant, en particulier psychologiquement, nous construisons autre chose. Si on transpose ce modèle on peut se demander s'il n'est pas nécessaire qu'on se « plante » une fois pour toutes pour enfin arriver à faire quelque chose de positif !

-         Rater au niveau de 4 milliards d'années ne signifie rien, en fait. On connaît actuellement environ 15 millions d'espèces vivantes sur terre même si nous n'en avons décrit que 2 millions. On pourrait dire que depuis 4 milliards d'années les espèces disparues sont des ratages. Ce n'est pas le cas. Au niveau global de l'évolution de la vie ce ne sont pas des ratages. La peste au Moyen-Âge, la guerre de 1914-1918, pour nous sont des ratages, mais à long terme c'est un nettoyage de la surface terrestre pour faire place à nos descendants !

-         La diversité, le polymorphisme et l'évolution des espèces relèvent de la sélection naturelle et du darwini sme. Il faut remarquer que la reproduction sexuée permet à chaque génération de produire un individu totalement nouveau avec des caractéristiques qui ne sont pas simplement de l'ordre du même. Ce sont chaque fois des différences avec une variabilité génétique.

-         L'homéostasie permet des multiples possibles.

-         Il est intéressant de parler ici de l'épigénétique qui a le vent en poupe aujourd'hui et dont Damasio ne semble pas parler. Il y a une sorte de transmission de la culture à travers l'expression des gènes. L'empathie serait transmissible !

-         Notons l'ouvrage de Joël de Rosnay qui vient de paraître : La symphonie du vivant qui explique le rôle de l'épigénétique.

-         Dans le cadre de l'épigénétique il peut y avoir une transmission des caractères acquis ce qui n'est pas le cas de la génétique normalement.

 

4 ) Est-ce que cette connaissance de l'homme que propose Damasio peut avoir un effet sur les relations sociales ?

-         On pourrait argumenter cela : on sait que la guerre tue et on continue de tuer. La connaissance d'un élément ne garantit pas un changement de comportement.

-         Cela peut permettre une éducation différente des individus : voir l'influence des neurosciences dans l'éducation.

-         La connaissance des mécanismes intimes peut contribuer à faire évoluer les comportements. Par exemple pour arrêter de fumer il ne suffit pas de connaître les méfaits du tabac. Il faut ruser avec sa psyché et arriver à être dégoûté du tabac.

 

5 ) La question de l'existence de l'inconscient.

-         Un participant doute de l'existence des phénomènes non conscients en nous qui pourraient avoir des effets. : nous agissons à partir de ce que nous connaissons ! La conscience sert à nous donner des buts. Dans l'ouvrage La vie secrète des arbres les scientifiques avouent ne pas comprendre comment fonctionnent les arbres. Qu'est-ce qui explique que la sève brave les lois de la pesanteur allant des racines à la cime des arbres ? L'arbre n'est pas conscient de ce qu'il fait, mais il le fait ! Mais nous, nous ne nous contentons pas d'être, nous décidons à partir de notre conscience.

-         Nous parlons de notre conscience humaine, mais que sait-on de la conscience des fourmis « infirmières » ? Pas plus que nous savons quelque chose de la conscience potentielle des arbres ! On peut se demander si l'évolution de toutes les espèces possède une dimension transcendante qui échappe à la vision mécaniste : l'homéostasie finale consisterait à dire que toute cette lutte serait une lutte opérationnelle de survie des espèces qui se terminera avec l'extinction du soleil. Un moment donné la conscience ne suffit plus : il y a place pour la croyance. Se pose donc à la conscience la question du sens qui détermine notre action et donne une relativité à la temporalité de notre existence et de notre finitude en relation avec l'évolution de la vie qui dépasse nos individus. Aujourd'hui il existe une contradiction majeure entre cette hyperfocalisation sur l'individu qui est une espèce de leurre qui comporte un élément destructeur parce que réducteur et auto-centré. La contradiction est de préserver son individualité dans une vision homéostatique de son existence qui finit par être contreproductive de la civilisation.

-         Pourrait-on a contrario penser que l'individualité est une chance de survie sociale ? D'après Damasio nous sommes programmés pour nous protéger individuellement et éventuellement un petit cercle proche de nous. Peut-être que les communications de masse ont fait leur temps et que pour sauver la planète il ne faut plus s'adresser à des pays entiers mais à son voisin et que, de proche en proche, on arrivera à communiquer et à diffuser des idées susceptibles de transformer les choses.

-         Les vols d'étourneaux ont un comportement incroyablement commun parce que chaque individu communique avec trois, quatre, cinq de ses voisins et la communication s'étend de proche en proche. La société de vols d'étourneaux a un comportement magnifique, quasiment artistique. Comme dans les réseaux sociaux !

-         Pour la prise de conscience des défis humains et environnementaux actuels, voir Anders et son ouvrage sur l'arme atomique : Hiroshima est partout. D'autre part depuis une vingtaine d'années existe une prise de conscience du réchauffement climatique ( voir Bruno Latour ).

-         La culture est capable d'évolution depuis 50000 ans. Mais en se développant elle est aussi capable de destruction. C'est inhérent à sa puissance. C'est important de savoir que nous avons un inconscient et que nous ne sommes pas maîtres chez nous ( voir Freud ). D'où tout l'intérêt de connaître les mécanismes secondaires à l'homéostasie comme par exemple dans le domaine politique : il ne faut pas stigmatiser le Front National et la droite parce que cela ne fait que les renforcer. Il est préférable de tenter de comprendre les mécanismes psychologiques qui font aboutir à ce type de position et d'agir autrement.

-         Damasio nous explique que avant même que nous décidions quelque chose, des choses se sont passées en amont de notre conscience et nous ne faisons qu'exprimer ces choses. C'est une part de l'inconscient prouvée scientifiquement.

-         Une préoccupation : dans les collectivités de travail quels sont les mécanismes en oeuvre ? Quels mécanismes individuels et collectifs existent pour s'opposer à cette marche destructive. Cela semble difficile. Qu'est-ce qui peut s'opposer « au cynisme des milliardaires actionnaires » dont parlait ce jour Attali sur France Culture, eux qui ne se préoccupent pas des employés de base. Que pensent ces personnes en utilisant leur pouvoir de destructivité ? - On pourrait imaginer que ce qui empêche les gens d'agir c'est ce que nous avons en moins en nous par rapport aux animaux ? Ils ont des mécanismes qui les protègent contre l'autodestruction !

 

En conclusion : « La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort » nous dit un célèbre médecin de la fin du XVIIIème siècle, M. F. Xavier Bichat.

Peut-être peut-on trouver du sens à vivre à l'intérieur de nous-mêmes cette force de vie issue des temps immémoriaux et à partager son expression avec d'autres humains ?

Retour vers les textes du café politique

gerer l'etat

Café politique du jeudi 12 avril 2018.

Présentation par Jean-Luc.

 

S'imposer par le commerce et le négoce ou par la force et la guerre? La question se pose depuis Sparte et Athènes. La bataille se joue aujourd'hui entre Washington et Pékin, entre l'Etat militariste impérialiste américain et l'Etat-entreprise conquérant chinois.

 

L'architecture globale du monde contemporain s'est mise en place après l'effondrement de l'URSS, suite auquel les USA avaient cru pouvoir substituer à la "guerre froide" un monde unipolaire qui, sous leur férule, aurait dû fonctionner comme une entreprise-monde. Toutefois, l'échec de ce système se déroule sous nos yeux, la Chine affichant son ambition de prendre la relève en se positionnant comme une nation-entreprise, pionnière d'un monde multi-polaire.

 

Après la 2e guerre mondiale, un consensus s'était formé, dans la sphère capitaliste, affirmant que les questions politiques et donc économiques relevaient de la souveraineté du peuple. Au sein de chaque nation, cette souveraineté s'exerçait dans le cadre de l'Etat de droit, dénomination permettant de qualifier l'organisation juridique de la société garantissant les droits individuels et la libre expression des minorités politiques. Néanmoins, ce l'on a longtemps appelé le "monde libre" était en guerre idéologique, se traduisant par le concept de guerre froide, contre les pays communistes. Cette guerre froide a permis et a légitimé pour les USA un leadership croissant dans le monde capitaliste grâce aux organismes qu'ils dirigeaient et dirigent encore, FMI, Banque mondiale, OCDE, OTAN, pour les principaux.

Après la chute du communisme, par effondrement, comme dans les pays du Comecon, par sortie organisée directement par le pouvoir politique comme en Chine, les USA, victorieux par défaut de la "guerre froide" ont imaginé un monde unipolaire, où l'économie se substituerait aux questions politiques. Celles-ci, reléguées dans le champ du "politiquement correct" ne devant plus faire débat mais faire uniquement l'objet d'un consensus. Ainsi, le monde pourrait être géré comme une entreprise-monde dont les USA seraient le guide éclairé (pour le fondement idéologique de cette posture, voir mon introduction : « les pays européens face aux guerres du Moyen-Orient"). Cette conception d'un monde-entreprise unipolaire devait s'appuyer non sur la puissance économique des USA, assez faible au demeurant, mais sur la puissance monétaire, complétée par la puissance militaire, destinée à faire des pays récalcitrants, des "ZAP", des zones à piller.

 

Rapide et très sommaire aperçu concernant le domaine monétaire: en 2008, selon le FMI, le $ représentait 73% des réserves de change en devises dans le monde. Ce pourcentage n'a cessé de décroître depuis, mais jusqu'à cette date, la quasi-totalité du commerce mondial se faisait en $. Pour verrouiller le système, le FMI a créé en 1969, les DTS, "droits de tirages spéciaux", qui permettent à n'importe quel pays de la planète de lier sa monnaie au DTS, lui assurant une stabilité rassurant les investisseurs. Naturellement, le FMI n'accorde sa confiance qu'aux pays qui suivent sa ligne d'ajustement économique. La valeur du DTS est exprimée en $ et fait l'objet d'une cotation quotidienne à la Bourse de Londres bien qu'il soit composé de valeurs monétaires elles-mêmes cotées, à savoir le $ à hauteur de 42%, l'€ à 31%, le yuan à 11%, le yen à 8%, la £ à 8%. Par ailleurs, un pays disposant d'excédents commerciaux au détriment d'un autre, peut voir garantie sa créance par des DTS qui lui sont alloués, le pays défaillant devant alors trouver un "arrangement" avec le FMI. En cas d'échec, le pays est dépecé par les "fonds vautours" dont la prédation se fait sous l'ombre de tribunaux US (extra territorialisation du droit commercial américain) . En 1973, un accord est signé entre l'OPEP et les USA pour le paiement des exportations de pétrole exclusivement en $. Ce système a généré une masse gigantesque de pétrodollars permettant aux USA d'écouler la création monétaire de la FED (banque centrale US), création qui n'est limitée par aucune législation (des esprits "conspirationnistes" se poseraient la question de savoir si le quadruplement du prix du pétrole à la même époque n'avait pas eu pour raison d'être la relance des exportations d'armes vers ces mêmes pétromomarchies). Cette création monétaire illimitée a fini par servir de carburant à une économie parallèle, le marché des produits dérivés, instruments spéculatifs ne reposant sur aucune valeur sous-jacente. Lorsque la machine s'enraye, comme en 2008, la FED, suivie par la BCE, rachète les actifs financiers au moyen de la création monétaire et, pour stimuler le marché, elle permet aux banques d'emprunter à taux 0, mais sans contrôler l'usage que font les banques de cet argent. Parallèlement à cela, comme l'Etat US savait que le monde avait besoin de $ pour commercer, il ne s'est absolument pas soucié de sa dette, qui a dépassé les 21 000 milliards de $. Imagine-t-on une multinationale qui aurait une telle dette? Sa cotation boursière cesserait instantanément. A quoi a servi cette dette? Un rapport de la FED concernant la situation des USA en 2017 donne le chiffre de 54 % de la population en voie de précarisation ou en état de détresse, alors que, selon le FMI, au niveau mondial, le montant total des "produits dérivés", atteint plus de 10 fois le PIB mondial, lui-même étant de 80 000 Md de

 

Aperçu concernant la question militaire: pour assurer la pérennité de ce système, les USA ont développé une force militaire gigantesque. A tel point qu'on peut se demander si les appréhensions du président Eisenhower en 1961, ne sont pas devenues réalités (le complexe militaro-industriel exerçant la réalité du pouvoir). D. Trump, malgré sa tonitruante campagne sur la relance économique intérieure et ses non moins fracassants propos sur l'"Etat profond" qui ruine le pays, a sagement et docilement doté le Pentagone d'une enveloppe de 640 milliards de $ pour 2018 (en hausse de 65 milliards, soit l'équivalent de la totalité du budget russe). Tant que des petits dictateurs locaux voulaient sortir du système de l'économie-monde version USA, le Pentagone a pu s'en débarrasser rapidement (S. Hussein voulait commercer en € et Khadafi voulait anéantir le franc CFA). On a inventé le concept de guerre préventive pour justifier cet interventionnisme diplomatiquement. Depuis, on l'a greffé partout où surgissaient d'authentiques mouvements ou révoltes populaires et, pour en faire une présentation médiatique avenante, on a saupoudré le tout d'une phraséologie droitdel'hommiste et de lutte pour la démocratie. Les choses ont commencé à changer quand les yeux des Chinois se sont débridés et ceux des Russes se sont décillés. A l'heure actuelle, l'empire-monde semble craindre le duopole Chine-Russie (cf discours de Trump du 18.12.2017 sur la sécurité nationale)

 

Venons-en à la Chine. La succession de Mao Tsé Toung s'est soldée par la victoire de Deng Xiao Ping, qui décida, après la répression de Tien an Men en 1979, de sortir la Chine du communisme. Sa source d'inspiration a été le mode de gouvernement mené dans ce qu'on appelait les 4 dragons, et plus particulièrement à Singapour. Le 1er ministre de cet Etat, Lee Kwan-Yew, était en fonction depuis 1959. Sous sa direction, ce qui fut un petit avant-poste colonial allait devenir une économie prospère. Dès son indépendance, acquise en 1965, Singapour proclama sa neutralité et son non-alignement. Sur le plan intérieur, sa première grande décision concerna la lutte contre la corruption, il prit des mesures pour limiter la natalité en instaurant des sanctions financières dès le troisième enfant. Mais parallèlement à cela, il modifia le statut de la

2 femme, en faisant d'abord la promotion des femmes diplômées, créant un "réseau des mères diplômées", suivi d'un "programme des mères diplômées", exemptées de la limite à deux enfants. La restriction de la natalité fut levée à la fin des années 90. La politique économique a été tournée vers le secteur bancaire et financier, destiné à alimenter en capitaux l'APEC (Asian-Pacific Economic Cooperation), l'activité portuaire (actuellement, Singapour est le deuxième port au monde après Shanghai) et la construction navale. Parallèlement à cela, fut menée une politique pénale stricte, n'excluant pas les châtiments corporels pour les toxicomanes et les migrants clandestins. Les résultats furent à la hauteur, le pays connaissant une croissance économique soutenue. Cette politique inspira tant Deng Xiao Ping que l'ensemble de ses successeurs jusqu'à Xi Jinping.

La Chine, qui, économiquement ne pesait rien en 1980, ambitionne maintenant de passer d'un statut d'économie au statut de pays émergent au rang de leader mondial, avant d'être le moteur de l'économie-monde (objectif fixé pour 2050).

Il est intéressant de faire un comparatif entre l'évolution chinoise, qui illustre bien le concept de nation-entreprise et celle de l'ensemble anglo-saxon, leader qui se voulait sans concurrent de l'économie mondiale après 1990, mais qui est en train de perdre la main et cherche désespérément des solutions pour garder son leadership, ou retarder sa chute ! Dans ce cadre, il est inutile de parler de l'Europe, qui s'étant arrimée au monde anglo-saxon, et à moins d'un hypothétique réveil, accompagnera les USA et ses proches dans ses égarements, ses errances et certainement son déclin.

Dans l'empire du milieu, il peut sembler étrange que la transition vers le capitalisme se soit faite sous l'égide du parti communiste. Mais pour le camarade Deng "ouvrir les fenêtres fait entrer l'air pur mais aussi les mouches". Aussi les libertés économiques ne sont-elles pas accompagnées de libertés politiques. Mais même les libertés économiques furent rigoureusement encadrées, le gouvernement refusant le turbo-capitalisme à l'américaine. Il a été affirmé que l'économie devait se fonder sur la production de biens réels et non sur des produits spéculatifs, lesquels, il faut bien le dire, sont une des principales causes du déclassement occidental. De plus, pour les dirigeants chinois, il n'y a pas d'économie prospère sans environnement politique stable. Ils considèrent qu'ils leur faut assurer la stabilité des Etats avec lesquels ils traitent, uniquement par le renforcement des liens commerciaux. Il ne saurait être question de transfert de souveraineté vers une instance supérieure, ni bien évidemment de "guerres préventives". C'est là tout le but stratégique de la "route de la soie", initialement prévue pour créer une zone de libre-échange entre la Chine et les pays formant l'UEEA (Union économique eurasienne), à savoir la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l'Arménie. Cette zone se complète par celle de l'OCS (organisation de coopération de Shanghai (pays précités plus l'Inde et le Pakistan, L'Iran a un statut d'observateur et la Turquie a manifesté son intérêt). D'ores et déjà, l'OCS, créée en 2001, regroupe 43 % de la population mondiale et 1/3 de l'activité économique mondiale. Il s'agit, au sein de ces 2 organisations, non seulement de favoriser le développement de marchés entre les Etats membres mais également de prévenir et d'éviter tout conflit qui pourrait surgir à l'intérieur de la zone. Tout ceci étant théorisé par le camarade Xi sous l'appellation "Nouveau type de relations internationales".

Pour financer le développement économique de ces Etats, a été créé en 2013, la BAII, Banque Asiatique d'Investissement des Infrastructures qui complète la Nouvelle Banque de Développement, laquelle est la banque des BRICS. Le but avoué est de concurrencer le FMI et la Banque mondiale. Mais pour l'heure la devise utilisée pour la capitalisation de ces établissements est encore le $.

 

 

Un mot sur la conception idéologique chinoise. Le "nouveau type de relations internationales" se dit reposer sur une "conception bienveillante de la politique", dont l'objectif est de dépasser la civilisation occidentale fauteuse de guerres pour atteindre "la paix universelle". Pour ce faire, il importe de combattre les armes doctrinales de l'Occident que sont la démocratie et les droits de l'homme, car ceux-ci, outre représenter une vision "occidentalo-centrée" du monde, sont le masque derrière lequel s'avance le bellicisme états-unien. L'ambition affichée est de "substituer la compétitivité marchande entre tous à la supériorité militaire d'un seul" et de relier le libéralisme économique à une "conception éthique des relations internationales". Les conflits internationaux qui ont cours ne sont pas des conflits de civilisation, mais des conflits d'intérêt qui ne peuvent se résoudre de manière militaire, mais uniquement par des négociations commerciales. La "pensée Xi-Jin Ping", est en réalité une nouvelle mouture du confucianisme, elle fait du dirigeant un nouveau "fils du ciel", appelé à penser non seulement la Chine, mais le monde entier. Certes, non pour le dominer, mais pour l'ordonner autour du "doux commerce", comme aurait dit Montesquieu.

Les projets chinois suscitent l'inquiétude des USA, qui essaient de contrecarrer par des révolutions dites de "couleur" les rapprochements réels ou supposés avec le dragon asiatique (succès en Ukraine, échec en Egypte et en Iran, situation incertaine au Venezuela), des coups d'Etat (échec en Turquie) ou par des guerres impérialistes (échec en Irak et en Afghanistan - bilan d'environ 4 millions de morts selon le CICR pour un coût total estimé à 4 000 milliards de $ selon Times magazine - et très certainement en Syrie -bilan de 465 000 morts selon le Monde-). On notera la vigoureuse réaction des autorités en Birmanie désamorçant un conflit naissant.

En réalité, le "Projet pour un nouveau siècle américain", théorisé par Bush Jr. a du plomb dans l'aile. Le concept de "full spectrum dominance" qu'ont développé les stratèges de la Maison blanche, s'est appuyé et continue de la faire sur une propagande éhontée destinée à abrutir l'opinion publique tant américaine qu'européenne. Il ne s'agissait de rien de plus que d'une revendication ouverte d'hégémonie au mépris de l'ordre international tel qu'il existait depuis 1945. La mondialisation à l'américaine signifie la liquidation du droit international dans le but de créer des systèmes de protectorat sur les pays disposant des ressources en matières premières sans lesquelles la gigantesque machine de guerre US ne peut fonctionner. Mais la guerre perpétuelle nécessitant des financements toujours plus colossaux, elle n'arrive plus à être payée par "le privilège du $". Elle est l'une des causes de la lente paupérisation de franges toujours croissantes des populations occidentales et les mouvement dits "populistes" n'ont de succès électoraux que parce que l'électorat se sent floué. En France en 2017, le candidat mondialiste n'a dû son succès que grâce à une manipulation mediatico-judiciaire infâme et à l'idiotisme assumé de sa compétitrice.

Le camp occidental s'est toutefois tiré une balle dans le pied en traitant avec les régimes obscurantistes sunnites. La finalité étant que ceux-ci financent l'intégrisme religieux destiné à maintenir les populations agressées dans un état de sous-développement et d'arriération culturelle et qu'en plus elles acceptent de fournir les troupes supplétives via les organisations terroristes afin de venir à bout des Etats-nations là où ceux-ci défiaient "l'hyper-puissance" ( H.Védrine).

Pour faire face à cet environnement dangereux, le camp anti-occidental développe sa coopération militaire, quoique le Pakistan reste pour l'heure lié aux USA. En fait, les deux poids lourds de l'ensemble sont la Chine et la Russie, la puissance économique chinoise soutenant financièrement et diplomatiquement les efforts militaires de la Russie. Le pari chinois et maintenant russo-chinois est qu'un système coopératif, se projetant sur le long terme, fondé sur la souveraineté des nations, le multilatéralisme et le droit international

4 viendra à bout de l'unilatéralisme états-unien, dont, selon H. Védrine, "la suprématie s'exerce aussi bien sur l'économie, la monnaie, la technologie, les domaines militaires que sur les modes de vie, les produits culturels de masse qui submergent le monde, modelant les pensées et fascinant jusqu'aux adversaires des Etats-Unis".

 

L'avenir dira qui, des constructions supra-nationales agissant en vue de la création d'une zone-monde favorable à la spéculation financière mais destructrice à la fois de l'économie réelle et des sociétés civiles car déconnectée des besoins des populations ou alors des unions reposant sur les souverainetés nationales, l'investissement productif, la mémoire historique et donc la cohésion des ensembles nationaux, dépasseront les questions politiques et feront des pays des entités pouvant être gérées comme des entreprises.

 

Jean LUC

 

Café politique du 12 avril 2018. Synthèse des débats.

Peut-on gérer l'Etat comme une entreprise ?

 

Après l'exposé de Jean-Luc, le débat s'ouvre.

 

1 ) La spécificité des services publics par rapport à l'entreprise.

  • Du temps de la Royauté on ne parlait ni de management ni d'économie. Il était question de Turgot, de Colbert. La transcendance éloignait le Roi des questions concrètes et de l'argent. Jusqu'à la guerre de 1914 le ministère de l'économie ne tenait pas une place importante dans le gouvernement. Depuis Fukuyama il existe une pensée qui dit que l'univers libéral est la fin de l'histoire. Il n'y a donc plus besoin d'avoir de doctrine politique, ni d'idéologie. Tout se règle comme dans une entreprise. Or quand l'Etat crée une école il sait qu'elle servira aux générations futures. On ne peut imaginer une entreprise qui fabrique une chaîne de montage pour l'utiliser deux générations plus tard.

  • En comparant l'Etat à l'entreprise on s'aperçoit que l'entreprise privée est une entité individuelle qui défend ses intérêts propres et ne prend pas en compte des éléments qui ne lui sont pas utiles alors que l'Etat doit assumer le « tout ». Il doit assumer son environnement. Gérer l'Etat comme une entreprise n'est donc pas concevable. L'Etat a une logique collective, il se doit de veiller à la redistribution sociale.

  • La notion de prix coûtant pour un service public n'a pas plus de sens que pour une entrepris eprivée. C'est une abstraction. Il y a des coûts pour chaque petit produit dans l'entreprise privée et ces coûts varient sans cesse. Les entreprises préfèrent parler de bénéfices. Peut-on évoquer les bénéfices dans le cadre des services publics ? Quel sens cela a-t-il ?

  • Pour espérer des services publics satisfaisants, l'exemple devrait venir du sommet de l'Etat. Dans certains pays nordiques des ministères ne sont constitués que d'une vingtaine de collaborateurs, les autres fonctions étant sous-traitées par des entreprises privées.

-        La limite de considérer l'Etat comme une entreprise privée se voit dans l'initiative à laquelle Macron a présidé comme ministre des finances. Les actionnaires d'Alstom ont approuvé à la quasi-unanimité le passage sous pavillon américain du pôle énergie du fleuron industriel. 70% des activités d'Alstom sont vendues au conglomérat General Electric ( G E ). C'est désormais le groupe américain qui décidera à qui et comment vendre les turbines. Par ailleurs notre indépendance nucléaire dans le domaine militaire est menacée : si nous décidons de construire un sous-marin nucléaire, l'accord de la GE est indispensable.

  • Une question se pose à propos du langage « managérial » qui a cours au sommet de l'Etat avec l'utilisation de mots anglais et d'un vocabulaire économique comme la disruption et la libération des énergies. Est-ce que ce vocabulaire ne signe pas un éloignement de Macron et de son gouvernement par rapport à la réalité quotidienne des Français ( voir l'article du Monde en fichier joint ) ?

  • Comment définir l'efficacité des services publics ? Comment mesurer le bien-être des populations que devraient susciter la prospérité et la paix garanties par l'Etat ? Est-ce en faisant la somme de tous les services rendus par l'Etat ?

 

2 ) Quelles propositions pour des services publics satisfaisants. ?

  • La première condition pour avoir des services publics satisfaisants est que l'Etat soit souverain. L'exemple de la Grèce nous démontre que Syriza avait promis de nationaliser le secteur bancaire, mais une fois au pouvoir, Tsipras a reçu des instructions pour ne pas appliquer son programme. Il est vrai que la Grèce dépend de l'Europe.

  • A contrario, l'Islande, plus endettée encore que les Grecs, a nationalisé ses banques et rétabli son économie. Les spéculateurs étrangers n'ont pas été remboursés. Ce programme s'est accompagné d'une forte austérité que peut-être les Allemands et les Français ne supporteraient pas. Il est vrai que l'économie islandaise s'est rétablie en partie grâce à la géothermie, à son contrat avec la Chine pour la fusion de l'aluminium et à ses terres rares.

  • La question financière et la place de banques dans un pays a une grande importance en ce qui concerne les services publics. Le 10 juin il y aura une votation en Suisse qui mérite notre attention. Il s'agit d'une votation sur « la monnaie pleine » qui suppose que les banques ne délivrent plus de crédits supérieurs à leurs avoirs et abandonnent toute spéculation financière. C'est une initiative intéressante qui est à l'envers de ce que nous connaissons en Europe quand les banques centrales facilitent la fuite en avant des banques privées dont elles couvrent les déficits. En proposant cette votation il est clair que les Suisses pensent qu'il est impossible de prolonger le système de la monnaie virtuelle qui incite les personnes à vivre au-dessus de leurs moyens. L'argent-dette tendrait à disparaître et ce serait un retour à l'argent scripturaire. Le franc suisse a par ailleurs cette particularité d'être le seul à disposer de sa contrepartie en or dans les coffres des banques suisses. La Chine est sur la même voie : il y aura le yuan or.

-        Il faudrait proposer aux Français de quoi remédier à leur inculture économique, technologique et géopolitique. Le fait que cette inculture perdure pose question alors que certains pays de l'Est comme l'Estonie ont beaucoup progressé dans ce domaine. Ce serait bien de miser sur l'éducation populaire en France.

  • Comment faire consensus dans une nation en tenant compte des langages si divergents et qui évoluent avec les contextes ? Même si les services publics sont définis dans la Constitution française et au niveau européen, il reste beaucoup de zones d'ombre pour leur mise en oeuvre. L'hôpital public est un bon exemple.

  • Emmanuel Todd écrit dans le Monde diplomatique qu'il existerait un consensus entre l'oligarchie mondiale et les dirigeants politiques comme Macron pour « décerveler » la population. Des éléments de langage seraient ainsi mis en place dans cette visée en particulier par la presse entre les mains de cette même oligarchie. L'Education nationale qui continue sa mission de transmission échapperait à cette intention. Il s'agirait surtout de l'influence des médias informatisés qui privilégient l'aspect anecdotique de l'information et empêchent ainsi la construction d'une pensée.

 

En conclusion, il semble qu'il subsiste un certain flou sur l'avis des populations par rapport aux services publics. Depuis près de trente ans la société de consommation imprègne une partie de nos vies. Nous recherchons notre bonheur individuel. Où est vraiment la conscience citoyenne ? Existe-t-il la possibilité d'un débat de fond sur les questions importantes ? Macron le proposera-t-il dans un deuxième temps ?

Il reste que la question de la mondialisation et de ses effets est à prendre en compte quand nous évoquons les services publics et leur place dans la nation.

 

Peut-on gouverner un pays comme une entreprise ?

Extraits d'articles du Monde du samedi 24 mars 2018 intitulé : Macron et les mots choisis de la réforme, le président et sa majorité usent et abusent d'un vocabulaire managérial pour défendre leurs projets de loi.

 

Premier article :

« Dans le moment actuel, on n'est plus dans le concept, on est dans le « faire », note Mariette Darrigand, auteure d'Emmanuel Macron en dix mots en septembre 2017. Lors de sa campagne le chef de l'Etat avait « réhabilité la dimension conceptuelle du langage politique », n'hésitant pas « à utiliser quelques « gros mots » abstraits, tel progressisme ». Mais le champ lexical « de la technicité et de l'efficacité » a pris le dessus ces dernières semaines....

Damon Mayaffre, chercheur au CNRS et spécialiste de l'analyse du discours politique
décèle les éléments structuraux du discours macronien depuis un an : « Il aime bien le
suffixe « tion » et peu les mots en isme, qui font référence à l'idéologie, à un passé
lointain. Macron les emploie peu, à l'exception notable du « terrorisme ». Transformation,
gestion, innovation... On parle davantage du processus des choses, de la gestion de
l'existant. Il y a un discours managérial, volontairement dépolitisé, qui apparaît »...
Macron utilise une certaine euphémisation, technique très utilisée par les entreprises
confrontées à des décisions douloureuses. Ainsi, en Macronie, la coupe drastique dans le
budget du Grand Paris Express devient une « optimisation » du projet ; la diminution du
nombre des fonctionnaires passe par un «plan de départs volontaires » ; le mots brutal d'«
expulsion » est gommé au profit de ses synonymes administratifs désincarnés, «
éloignement » ou « reconduite ». ... De ce point de vue il y a continuité avec les
précédents quinquennats........

L'irruption d'anglicismes est en revanche une marque de fabrique propre à la Macronie. « En s'exprimant en anglais, il rompt deux tabous : la langue française et la langue de l'entreprise innovante ». Les députés s'en sont fait une spécialité et ne jurent que par le « bottom up », le « team building » et le feed-back.... Cette évolution du discours de la majorité n'est pas anodine pour Emmanuel Macron qui avait lui-même théorisé l'emploi de registres multiples lors de sa campagne. « Je reprends volontiers à mon compte les trois strates du discours politique, expliquait-il à Challenges en octobre 2016. La strate idéologique qui permet de donner du sens et des perspectives ; la strate technocratique qui détaille les moyens techniques d'exécution ; la strate de la réalité et du quotidien, que l'univers politico-médiatique ridiculise et dédaigne. Depuis vingt ans, le champ politique a déserté les première et troisième strates pour s'engouffrer

uniquement dans la deuxième ».........

Article de Nicolas Chapuis.

 

Deuxième article :

« Camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites »

Pour Cécile Alduy ( professeure de littérature à Stanford ) l'euphémisation est une

clé de la rhétorique LRM.

Premier marqueur : la syntaxe est particulière, avec l'emploi intransitif de verbes transitifs comme «faire», «transformer» ou l'usage dans l'absolu de verbes comme « agir » ou « avancer » sans compléments. Avec cet élément de langage répété comme justification de toute mesure : « le président fait ce qu'il a dit ». Deuxième marqueur syntaxique : il découle du mouvement dialectique de la pensée « en même temps », qui suppose de toujours tenir ensemble les deux versants a priori opposés d'un problème ( « liberté et protection », « humanisme et fermeté » ) ... Mais l'équilibre des phrases ne veut pas dire équilibre des politiques entre libéralisation et protection sociale par exemple. Influences de la Macronie dans le choix des mots :

Deux sources au premier abord étrangères : une inspiration littéraire d'une part, une culture d'entreprise d'autre part part. On a deux littéraires à la tête du pouvoir : Philippe un romancier..., Macron, khâgneux et théâtreux, assistant de Ricoeur. Mais tous deux sont passés par le privé ( Areva, Rotschild ) et sa logique de rentabilité et de profit, et sa novlangue du business ). Leur culture littéraire adoucit les propos.

 

Que recèle le mot « disruptif » ?

Le « et de droite et de gauche » se vante d'être disruptif parce qu'il casse la structuration même du paysage politique pour faire émerger d'autres systèmes de fonctionnement... On ne voit pas encore en quoi cela révolutionne la production des politiques publiques par exemple. En fait les résultats viennent banalement des idées qui existaient déjà ( réforme de la SNCF, des prud'hommes, de l'asile ) mais « disruptif » donne un cachet « start-up ». Que signifie le recours fréquent aux anglicismes ?

C'est la marque d'un langage issu du monde de l'entreprise et des grands groupes internationaux... Mais l'anglais est très peu maîtrisé par les Français et là encore c'est un marqueur de classe à double tranchant. L'euphémisation du discours pour faire passer les réformes.

C'est une tendance du discours managérial, surtout en gestion de ressources humaines. On peut citer « libérer le travail » ou « plan de sauvetage de l' « emploi », qui est un comble d'inversion sémantique puisqu'on parle de plans de licenciement. Cela permet de faire avaler la pilule, de camoufler la violence sociale sous des expressions abstraites.

 

Troisième article : Quatre mots-clés du lexique LRM.

 

La disruption : Maître mot du nouveau pouvoir qui sert tout autant à définir une stratégie politique ( « éviter d'avoir à choisir entre une voie ou l'autre et en trouver une médiane » selon le promoteur de ce mot dans les années 1990, le publiciste Jean-marie Dru ) qu'à sortir d'un mauvais pas, en disqualifiant toute critique... Synonyme sarkozyste : rupture. Coconstruction : Méthode d'élaboration des projets de loi avec la participation des syndicats et du patronat. « C'est comme la construction d'une maison : on discute des plans, on demande l'avis de tous, on se laisse convaincre, on trouve une place pour tout le monde, mais c'est quand même le gouvernement qui reste le maître de l'ouvrage »... Synonyme hollandais : concertation.

Libérer les énergies : Il s'agit de supprimer des contraintes, des normes, des dispositions dans la loi pour permettre aux acteurs individuels de l'économie de s'exprimer. La formule « libérer les énergies » se conjugue en général avec son corollaire « protéger les individus », même si ce dernier volet est pour le moment moins visible. Synonyme dans l'ancien monde : libéraliser.

« Bottom up » : Très prisée par les députés LRM, l'expression se traduit par « remonter des idées de la base vers le sommet ». L'élu est ainsi invité à calquer son action sur la démarche d'Emmanuel Macron qui avait lancé sa campagne présidentielle en organisant un grand porte-à-porte national pour consulter les citoyens. Synonyme sous l'Ancien Régime : cahier de doléances.

 

 

Peut-on gérer l'État comme une entreprise..?

 

Depuis l'avènement de l'idéologie néolibérale après la fin des trente glorieuses, on dit qu'il faut moderniser l'État. L'État-providence s'épuisant face à la crise et la mutation de l'économie, l'idée qu'il était mal géré s'est développée en même temps que l'image de l'entreprise se revalorisait, l'entreprise s'impose comme modèle de gestion...

 

Avec l'accession au pouvoir de chefs d'entreprises comme Berlusconi, le pas est franchi : on va gérer l'État comme une entreprise. Toutefois, la réussite en politique des chefs d'entreprises est plutôt rare. Nicolas Sarkozy avait manifestement ce modèle en tête, avec les rapports sociaux que cela implique : il commande, on obéit ! Emmanuel Macron a la même attitude. Entités individuelles...

Le principe d'efficacité des entreprises repose sur le fait que leurs décisions ne prennent en compte que leur intérêt propre : c'est la condition de leur performance, de leur succès et de leur survie.

 

Les entreprises sont des « entités individuelles » parce que leur réussite, leur performance et leur survie dépendent de leur capacité à mettre en œuvre, en production, les éléments judicieusement choisis dans l'environnement. Les entreprises prennent les éléments qui les intéressent, qui leur sont utiles, et laissent les autres en dehors d'elles, ne s'en occupent pas, ne s'en chargent pas. Toute charge inutile grève leur performance.

 

La performance des entreprises tient à la bonne sélection des éléments qui leur sont utiles à leur mise en œuvre judicieuse et productive. Ces éléments sont aussi bien : l'objet de leur production, le capital, l'insertion dans le marché, les effectifs embauchés, etc.

 

Cette performance tient donc à la non-prise en charge des éléments qui ne leur sont pas utiles.

 

Cette sélection individuelle des éléments de production et leur mise en œuvre particulière est une source infinie d'innovation dont les autres entreprises vont pouvoir s'inspirer : elle est à la base du dynamisme économique.

 

Les entreprises sont concurrentes entre-elles, leurs performances ne sont donc pas déterminantes en soi, mais en comparaison avec celles des autres entreprises, et pas seulement nationales.

et entités collectives...

L'État, lui, doit assumer le « tout », c'est en cela qu'il est un État. Il ne peut rien rejeter en dehors de lui. L'État doit assumer tout son environnement, il n'a pas d'en dehors. Si on le faisait fonctionner comme une entreprise, il sélectionnerait les éléments qui lui sont utiles, mais il devrait aussi prendre en charge les éléments qu'il n'aurait pas sélectionnés, contrairement aux entreprises.

Si l'on demandait aux entreprises d'assumer le - tout -, elles y perdraient leur efficacité. Si l'État n'assume pas le tout, il ne remplit pas sa fonction d'État.

Aussi importantes soient-elles, les entreprises demeurent des entités individuelles : elles n'assument pas la responsabilité du tout.

 

Aussi petits soient-ils, les États demeurent des entités collectives : ils assument la responsabilité du tout.

 

C'est là, la différence fondamentale entre l'État et l'entreprise.

Gérer l'État comme une entreprise est donc une aberration, et ne peut être accompli qu'en trompe-l'œil, sauf à l'asservir à une catégorie de citoyens particulière, oligarchie ou autres. Les tentatives de gestion entrepreneuriales de l'État essaient de sélectionner les éléments divers, mais voudraient oublier qu'elles doivent intégrer les éléments qu'elles ont écartés... Les entreprises publiques, par contre, peuvent et doivent sélectionner les éléments qui les intéressent, sans intégrer les autres, car leur périmètre d'action est limité. Finalement, leur mode de gestion efficace est le même que celui des entreprises privées. À ne pas confondre avec les « services publics » qui peuvent être assurés soit par des agents de l'État, soit par des entreprises publiques, soit par des entreprises privées. Ce n'est pas le statut des agents qui assurent ce service public qui le définit en tant que service public, c'est le service qu'il rend au public, sans doute hors service marchand, quoique le financement du service public nécessite la participation financière des « usagers ».

et leur articulation

Le fonctionnement d'un pays repose sur ces deux logiques dynamiques : individuelle pour les entreprises et collective pour l'État, et leur articulation.

D'une part, les entreprises doivent sélectionner et animer les meilleurs types d'organisation de la production, puis l'État doit assurer la meilleure distribution et redistribution : ces deux logiques dynamiques doivent être respectées pour qu'elles puissent s'alimenter l'une l'autre. Et elles doivent être équilibrées pour qu'elles profitent à l'ensemble du pays et de la population, facteur déterminant de leur développement.

Jean Jung.

Retour vers les textes du café politique

etats et religions

L'Etat et les religions

Café politique du 24 mai 2018!

 

L’Exposé.

 

La question des relations entre l'Etat et les religions ressortit du type de légitimation du pouvoir temporel souhaité. Déjà, dans le monde du droit romain, on voulut soumettre la « Potestas » du pouvoir civil à l'«Auctoritas » religieuse et transcendante.

Le siècle des Lumières prôna de substituer au religieux le « contrat social » pour garantir le pouvoir, quand la Révolution mit fin aux privilèges du clergé catholique. Napoléon rétablit les relations entre l'Etat français et la papauté par le Concordat de 1801, que la loi de 1905 abrogea afin d'instituer la séparation de l'église et de l'Etat.

Le lien social laïc semblant montrer son insuffisance, Nicolas Sarkozy souhaita dans son discours du Latran en 2007, remettre la religion au cœur de la vie de la Cité.

Enfin, Emmanuel Macron, dans son discours devant la Conférence des évêques de France le 9 avril 2018, fit repentance et déclara son vœu de rallier l'Etat à l'église ! Quand le cardinal Lavigerie proclama l'inverse en 1890 !

Les relations de l'Etat laïc avec l'église ne doivent pas être en rupture totale, ni faire prévaloir l'influence de l'un sur l'autre pour donner le sens du vivre ensemble. Mais, sous l'égide du Ministre de l'intérieur et des cultes en association avec les organisations religieuses respectives, il doit reconnaître, organiser et garantir la manifestation du sentiment religieux privé (s'il existe encore) dans la sphère publique.

 

I - L'Auctoritas et la Potestas : Quel type de légitimation pour le pouvoir politique?

Notre démocratie traverse une crise quand le « tout économique » remet en cause la légitimité de l'action politique, et ainsi resurgit la très vieille question du mode de légitimation du politique de l'époque romaine. L'Etat est un ensemble institutionnel et juridique qui reposait sur la « Potestas » du pouvoir politique militaire et romain, lequel s'adossait sur l' « Auctoritas » pontificale qui la transcendait.

L'usage de la force politique était ainsi « civilisé », quand l' « Auctoritas » donnait un sens et des limites à l'exercice de la « Potestas ». La religion chrétienne exerça cette autorité qui donna une sacralité capable d'imposer le respect et l'obéissance dans un monde intelligible qui échappait ainsi au chaos ! Qu'on se rappelle le roi Henri IV à Canossa ! Quand les rois de France se réclamèrent plus tard d'une monarchie de droit divin, en prise directe avec Dieu.

 

II- L'autorité de l' « Auctoritas » a périclité suite au mouvement des Lumières

A l'époque moderne, le peuple et le « contrat social » se sont substitués à la religion pour reprendre les mêmes prérogatives et garantir les pouvoirs des démocraties ; mais cette autorité-là paraît de nos jours très fragilisée et demande un substitut...peut-être de nouveau avec le soutien d'un levier religieux comme les républiques islamiques ?

Des Lumières, nous sommes passés à la Révolution de 1789 qui mit fin aux privilèges exorbitants du clergé catholique. La nationalisation des biens de l'église eut en contrepartie la Constitution civile du clergé pour l'église constitutionnelle, et rien pour l'église réfractaire qui refusait de prêter serment. Puis la Convention décida de ne rémunérer aucun culte. La séparation de l'église et de l'Etat était en germe qui fut instituée en septembre 1794, préfigurant la loi de 1905 mais en passant par la phase Concordat qui rétablit des liens avec les religions.

 

III- Le Concordat de 1801 rétablit des liens entre l'Etat et l'église

Bonaparte estima que la religion était nécessaire à la stabilité de l'Etat et, tout en étant partisan du pluralisme religieux ; Talleyrand, évêque suspendu et excommunié, travailla activement à la réconciliation de la République avec le pape, tout en préconisant une « religion de la majorité des citoyens » au détriment d'une « religion d'Etat » ce qui autorisait le gouvernement à ne pas se réclamer d'une obédience quelconque, en s'appuyant sur la tradition du gallicanisme français.

Le concordat est un compromis qui voit la nomination des évêques par le gouvernement mais qui reçoivent l'institution canonique du pape. Cette intervention directe de l'autorité pontificale réintroduit la papauté en tant que source de l'institution canonique, ce qui met fin à la séparation de l'église et de l'Etat d'une part, et au principe de l'église anglicane d'autre part. Evêques et curés recevront un traitement convenable mais devront prêter serment de fidélité au gouvernement.

 

IV - La loi de 1905 de séparation de l'église et de l'Etat

Cette loi abroge le concordat de 1801 dont elle brise les engagements en inventant une laïcité à la française dans l'ambiance anticléricale de la IIIème République : liberté de conscience, garantie du libre exercice des cultes, séparation de l'église et de l'Etat neutre qui reconnait mais ne subventionne aucun culte. La laïcité n'est pas l'athéisme, elle n'est pas non plus une option spirituelle parmi d'autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, elle fait qu'une option n'est pas privilégiée ni séparée des autres, et cela pour accéder à la globalité de l'expérience religieuse humaine.

Mais l'autorité spirituelle a bien trop de manifestations matérielles avec ses lieux de culte et d'enseignement, alors les biens de l'église sont saisis, la liberté de l'enseignement à son bénéfice est réduite...cette loi est bien sûr violemment critiquée par le pape Pie IX !

Rappelons que le Concordat de 1801 et la loi Falloux de 1850 instaurant la liberté d'enseignement au bénéfice de l'église, sont toujours valables en Alsace. Le président de l'Université de Strasbourg est un religieux, ce qui ferait bondir le petit père Combes s'il revenait !

 

V- Le discours du Latran de 2007 de Nicolas Sarkozy : une entorse à la séparation de l'église et de l'Etat ?

Le président Sarkozy voulut remettre la religion au cœur de la vie de la Cité, en substituant la laïcité positive à la laïcité à la française de 1905 ! C'était ainsi reconnaître la place de la religion dans la vie publique pour réconcilier la République laïque et l'Eglise catholique, et enterrer le clivage clérical et révolutionnaire ! Une relecture de l'histoire de France qui nous fit lui trouver des racines chrétiennes, notre nation aurait eu dans le passé ce lien particulier à l'Eglise !

Le christianisme a façonné la nation française, sa culture et son éthique, et nous avons causé des souffrances à son église par la loi de 1905, que nous nous devons de reconstruire rétrospectivement ! La religion n'est plus tabou car les Français ne sont pas tous athées et la laïcité positive concourt à la définition d'une morale transcendante pour le pays !

Les pasteurs, les curés et les rabbins ont autant d'importance que les instituteurs « hussards de la République » !

 

VI-      Le discours d'Emmanuel Macron à la conférence des évêques de France du 09 avril

2018 : de l'entorse à la laïcité au cri de ralliement de l'Etat à l'église catholique.

Le Président semble avoir franchi la ligne de démarcation qui séparait l'église et l'Etat depuis 1905 ; encore un acte de repentance qui veut réparer le lien entre l'église et l'Etat qui s'est abîmé. L'Etat ne devrait plus être neutre, s'il l'a jamais été, mais devrait garantir positivement le libre exercice des cultes en finançant les diverses aumôneries et en demandant à l'église de s'engager en politique. Nous passons d'une laïcité laïcarde à une laïcité positive puis franchement coopérative dans le cadre d'une cohésion nationale à retrouver, où le religieux redeviendrait un moyen de pression politique.

 

VII-     Un contrepoint au discours de Macron : le discours du cardinal Lavigerie en 1890 sur le

ralliement de l'église à la République.

La République avait chassé Dieu de la sphère publique, malmené la Vendée catholique, saisi les bien du clergé, restreint l'enseignement religieux...et à la demande du pape Léon XIII, Lavigerie demande aux fidèles français d'être des sujets loyaux de la République pour une cohésion nationale, en dépit du fait que celle-ci ne plaidait pas pour un véritable dialogue ni une réelle collaboration! C'était renoncer à la légitimation du pouvoir par l'église qui devait se soumettre à la simple légalité :

« ... L'union [...] est en ce moment [...] notre besoin suprême, l'union est aussi, laissez-moi vous le dire, le premier vœu de l'Église et de ses pasteurs, à tous les degrés de la hiérarchie. Sans doute elle ne nous demande pas de renoncer ni au souvenir des gloires du passé, ni aux sentiments de fidélité et de reconnaissance qu'honorent tous les hommes.

Mais quand la volonté d'un peuple s'est nettement affirmée, que la volonté d'un gouvernement n'a rien en soi de contraire [...] aux principes qui seuls peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées ; lorsqu'il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de déclarer enfin l'épreuve faite, et, pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout ce que la conscience et l'honneur permettent, ordonnent à chacun de nous de nous de sacrifier pour le salut de la patrie ... »

 

VIII-   L'enseignement du fait religieux à l'école laïque, une entorse nécessaire à la

séparation ?

Le fait religieux est un élément de civilisation et un lien qui structure l'humanité, mais l'enseigner dans les écoles publiques ne serait-ce pas une intrusion du religieux dans la sphère laïque en contradiction avec la séparation de l'Etat et de l'église? Nous devons nous rappeler que les faits cultuels sont à l'origine de maints faits culturels : sinon comment comprendre la Synagogue de la cathédrale de Strasbourg, le sens des jours fériés comme l'ascension ; comment comprendre les pratiques de l'autre, musulman ou juif ?

Ce ne sont en fait que des traditions qui ne sont plus véhiculées par la famille, les coutumes, et qui mèneront à une inculture religieuses certes, mais aussi plus générale.

Les questions à se poser sur cet enseignement :

. L'histoire de la religion comme un moyen de raccorder le court au long terme. Ce ne serait pas ramener Dieu à l'école ni y venir faire le catéchisme par les instituteurs.

. Bien distinguer dans le discours qui dit la foi, décrit les faits ou émet des idées, soit un rapport religieux, magique ou rationnel au monde. Ce sera difficile de réaliser une observation froide d'un engagement religieux vécu de l'intérieur !

. La quête de sens est multiple dont le monopole n'appartient ni à la Raison ni à la croyance, mais doit répondre à l'angoisse métaphysique de l'être humain.

. Mais la philosophie et le café philo donnent du sens, même si les stoïciens n'ont pas érigé de clochers ni généré des jours fériés.

. L'Alsace et la Moselle sont avantagées qui ont des facultés de théologie d'Etat.

Nous ne pouvons refouler le religieux comme un trou noir de la Raison mais articuler la dialectique de Saint-Augustin « Croire pour comprendre et comprendre pour croire »

 

IX-      Ni Etat ni religion organisée en église ?

Le rapport entre l'Etat et la religion se réglerait de lui-même de par l'apparent athéisme ambiant actuel ; mais le sentiment religieux et la foi n'auraient pas disparu et seraient relégués dans le for intérieur de chacun en raison de la fin de l'organisation religieuse de la société.

Ni Etat ni religion, car l'homme se serait émancipé du gouvernement des politiques et des dieux, car nous serions sur le chemin de la sortie de la religion quand le politique ne pourvoit plus à une vision du Monde, et de fait :

 

. Le rapport de force, Etat-religions s'épuise.

. Le politique fait appel au retour du religieux dans la sphére publique afin de redonner du sens. Ceci, alors que le temporel avait pris le pas sur le spirituel, qui n'avait plus ainsi ni autorité politique ou sociale, pour demeurer dans la sphére privée de chacun (en apparence du moins car le sentiment religieux se vit en communauté).

. Le libéralisme économique est vécu comme une fin de l'Histoire, nous risquons de nous enliser dans cet éternel présent libéral sans début ni fin des temps, un commandement de vivre vite ce qui nous reste de vivre, un temps long particulièrement monotone et insupportable qui nous dirigera jusqu'à la fin des temps ! Nous errons dans un éternel présent aveugle, fait de consommation sans mémoire ni projet, un culte de l'instant épars et singulier, en recherche des pires archaïsmes identitaires, bien piètres substitutifs d'espérances éteintes.

Nous serions en apparence à la fin de l'Histoire accomplie comme si nous baignions dans la Révélation messianique, mais c'est un échec car les utopies sociales n'offriraient plus ce salut qu'on avait copié sur la religion.

En fait, il n'y aurait plus ni transcendance ni immanence, nous n'aurions plus rien à attendre d'une fin céleste ni terrestre, maintenant que nous sommes libérés par notre acte de libération. Nous avons une liberté qui ne se définit plus en « contre », et elle est à elle-même sa propre fin, sans plus être au service d'un devenir plus haut et elle ne sait plus à quoi elle sert !

Nous n'aurions plus l'attente de lendemains meilleurs, d'apocalypse, afin d'agréger le collectif et le social ; il n'existerait plus de fins dernières, ni chrétiennes, ni marxistes, ni autres programmatiques à long terme...nous devrions donc nous fixer des buts simplement humains, sans eschatologie ni révolution, tous mouvements qui poussaient pourtant le flux du devenir.

 

X-        Ni Etat ni religion : Fin du salut collectif

Il n'existerait plus de salut collectif, comme prescrit par Saint-Paul avec son souci de réussite d'un défi collectif et égalitaire, il nous faut revenir au salut et à l'émancipation individuels, au repli sur soi-même en notre libre arbitre.ou avec l'aide de coachs du développement personnel ! Ni l'Etat ni les religions ne nous tiennent plus ensemble, nous sommes ramenés à nous-mêmes, tout simplement ; le but transcendant de l'église ou immanent de l'Etat n'est plus, et nous devons nous déterminer nous-mêmes.

Rien ne nous sera plus assigné du dehors et nous devrons nous appuyer, chacun, sur notre ressort intérieur sans attendre aucune organisation civile ou religieuse de la société.

Conclusion : Il semble impossible de reléguer la religion au seul domaine privé, l'Etat ne peut pas tendre à en être séparé, mais il lui incombe d'intervenir afin de garantir le libre exercice des cultes, cela pour organiser et encadrer l'islam ignoré de la loi de 1905, juguler la montée de radicalismes confessionnels et des sectes qui pourraient infléchir le politique (CF : influence des chrétiens fondamentalistes des USA dans la décision de Trump d'établir Jérusalem comme capitale d'Israël en contrevenant aux traités internationaux). Mais il conviendra de ne pas confondre la laïcité avec l'athéisme ni l'instrumentaliser contre l'islam que l'on accuse de vouloir casser le vivre ensemble avec son voile, car la loi de 1905 n'interdit pas la visibilité publique des divers cultes.

Il pourrait advenir également que le politique actuel ne puisse plus offrir de vision à long terme, non plus la religion chrétienne ou l'Islam. mais le sentiment religieux et le besoin d'une transcendance demeurera dont on ne sait quelle forme privée ils prendront, ni quelle autorité sociale ou politique, ils revêtiront. Prenons patience jusqu'à la prochaine Révélation !

 

Documents consultés

. Marcel Gauchet : « Désenchantement et sortie de la religion », Les éditions de l'atelier, 2004.

. Régis Debray : « Enseignement du fait religieux dans les écoles laïques », Rapport au Ministre de l'éducation nationale.

. Discours du Latran 2007, Nicolas Sarkozy.

. Discours aux évêques de France 2018, Emmanuel Macron

 

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Café politique du 24 mai 2018!

L’Etat et les religions.

Après l’introduction de Gérard, le débat s’ouvre. !

 

1 ) Les Etats européens et les religions. !

- « Sept Etats européens connaissent un régime de religion d’Etat dans lequel une religion se voit accorder un statut de culte officiel. C’est le cas du Danemark, de la Finlande, de la Norvège, de la Suède (pour le luthéranisme), de la Grèce ( pour l’orthodoxie ), de la Grande-Bretagne ( pour l’anglicanisme ) et de Malte ( pour le catholicisme ). Sept autres Etats professent la séparation des Eglises et de l’Etat, la Hongrie, la Lettonie, le Portugal, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, et la France. Une quinzaine de pays ont signé des concordats ou accords bilatéraux avec le Saint-Siège pour régir les relations entre l’Eglise catholique et l’Etat. Seule la France se proclame laïque dans sa Constitution » (tiré de l’ouvrage Etat et religions de Xavier Ternisien paru chez Odile Jacob en 2007 ). 

 

- Depuis 2007 le luthéranisme a quitté le statut de religion d’Etat au Danemark et en Norvège. A noter que depuis ces changements les ministres du culte danois auraient tendance être plus rigoristes et plus conservateurs. 

- Le cas de l’Allemagne est intéressant : le financement des Eglises se fait en partie à partir de l’impôt collecté par L’Etat et redistribué aux Eglises. Cet impôt acquitté par ceux qui déclarent appartenir à une religion ouvre droit aux cérémonies religieuses. L’Etat n’exerce aucune pression morale sur les citoyens. Il se contente de son rôle de collecteur d’impôts. Il reste que le poids social d’appartenance à une religion joue encore un certain rôle en Allemagne.

!

2 ) La question des rapports de pouvoir entre les Etats et les Eglises.

- Avant la période de la religion d’Etat dans l’Empire romain, la religion gréco-romaine se présente comme une religion civique. Les magistrats de Rome ont à la fois une fonction religieuse et civique. Le Pontifex ( le Grand Prêtre ) est aussi un magistrat aux pouvoirs civiques.

De même les magistrats romains ont aussi pour compétence de prendre les augures avant une action importante comme de déclarer la guerre par exemple. Certains d’entre eux ont été critiqués pour avoir omis de prendre les augures avant de déclencher des hostilités. Ils ont été accusés de ne pas avoir pris l’avis des dieux. La religion gréco-romaine n’est pas monothéiste.

Elle se manifeste surtout par l’application des rites. Elle accepte les dieux des contrées conquises par Rome sauf le monothéisme qui refuse ce syncrétisme (ici la religion juive ). Les rites ont une vocation de cohésion sociale. 

- Actuellement, la difficulté souvent rencontrée avec les religions monothéistes est leur intolérance que ce soit avec Sens commun ou les Salafistes. Les religions ont une expression sociale, mais cela ne signifie pas que les religieux puissent exiger l’exclusivité de leur foi et que leur loi religieuse devienne la loi de l’Etat.

- Dans la France actuelle le nombre de croyants chrétiens et juifs qui pratiquent leur religion est de plus en plus faible. En 1960, près de 45% de catholiques fréquentaient leur église contre moins de 5% actuellement. Le fait religieux semble perdre de l’importance, mais n’omettons pas que des minorités fondamentalistes peuvent avoir un grand impact politique. Par exemple Sens commun au moment des manifestations contre le mariage homosexuel ou d’autres mouvements catholiques autrefois contre la légalisation de l’IVG, le service unique d’éducation ou le PACS!

- Une participante fait état que dans le cadre de sa pratique professionnelle elle a été confrontée à une forme de prosélytisme musulman difficile à supporter et à contenir ( irruption de versets coraniques enregistrés lors d’un entretien professionnel ).

 

3 ) La laïcité à la française et ses ajustements permanents.!

- La séparation de l’Eglise et de l’Etat en France subit des modifications importantes depuis les années 1970. L’Etat français apparaît moins fort. Philippe Portier, dans la conclusion de son ouvrage l’Etat et les religions, paru en 2016, parle « d’une deuxième modernité qui remet en cause la fonction messianique du politique. On connaissait à l’Etat hier, d’« être la conscience claire » de la société à partir de laquelle, demain, s’opérerait pour le bien de chacun, la rationalisation des existences individuelles et collectives. Or cette idée s’est trouvée frappée de décroyance : dans un monde cosmopolitique, où la nation se trouve sans cesse exposée à des flux exogènes - économiques, juridiques, sociaux - que ses frontières ne peuvent plus arrêter, la sphère étatique accuse un impotence inédite, qu’on ne connaissait nullement dans le régime antérieur ».

- La laïcité française, en dépit de sa proclamation d’attachement à l’ordre séparatiste, n’a cessé de multiplier les interactions entre les deux pôles ( Eglises et Etat ). Cela fait dire à un participant que cette pratique de la laïcité serait une forme d’hypocrisie.

- C’est la question de l’islam en particulier, mais pas seulement, qui ces derniers temps a conduit l’Etat à des interactions plus fréquentes. Citons la loi « en application du principe de laïcité » promulguée le 15 mars 2004 et qui statue essentiellement sur la question du « signe religieux ostensible » à l’école qui attenterait à la liberté de conscience, à l’égalité des filles et des garçons, à la mixité de tous les enseignements. Citons l’arrêt de la Cour de Cassation dans l’affaire de la crèche Baby Loup qui contribue à déplacer les frontières de la laïcité en confirmant le licenciement d’une employée portant le foulard en raison de la tâche à accomplir ( éducation de la petite enfance ). Le droit du travail est ainsi mis à mal. Il y a recomposition de la relation entre le public et le privé que l’on retrouve aussi dans la question des mères voilées en sortie scolaire.

- On pourrait évoquer avec Philippe Portier une « inflexion sécuritaire » de la laïcité comme réponse à l’islamisme par le contrôle et l’éducation.

- Se trouvent posées les relations entre les pétromonarchies sunnites et l’Occident. Bien des mosquées françaises sont financées par elles et cela crée une forme de dépendance de fait.

 

4 ) Vers une nouvelle définition des relations Etat-Eglises ?

Ernest Winstein présente l’Union Protestante Libérale dont il est le Président.

L’UPL n’a pas de lien avec les églises. C’est une association qui se situe dans la mouvance protestante dans la mesure où le protestantisme invite à une réflexion libre sur l’autorité des textes bibliques. C’est un mouvement assez global issu du mouvement des Lumières du XVIIIème siècle.

Dans un ouvrage de 2015 intitulé Religion et pouvoir politique, co-écrit en particulier par Ernest Winstein et Frédéric Ruscher, Frédéric Ruscher nous invite à réfléchir prioritairement à la fonction du politique alors que la question des relations de l’Etat et des religions est généralement posée en termes de conséquences de ma foi sur mes choix politiques. Dans son article intitulé L’autonomie du politique, un défi pour les religions, il évoque la nécessaire autonomie du politique et le fait que les citoyens n’ont aucun compte à rendre à aucune religion.

Dans un Etat laïc comme la France il est logique que le pouvoir politique reconnaisse l’existence des religions, voire entre en dialogue avec elles. Mais la gouvernance revient au pouvoir politique.

Frédéric Ruscher nous dit que la politique a un but propre, la paix civile et un niveau propre, la liberté civile. L’Etat est ainsi le garant que nos libertés puissent s’exercer et les limites de ces libertés sont bien évidemment l’objet d’un dialogue permanent. Dans ce dialogue nous pourrions dire avec Jacques Maritain que l’engagement des chrétiens doit se faire en chrétiens mais non en tant que chrétiens. « En d’autres termes dit Frédéric Ruscher, le chrétien qui s’engage, s’engage en exerçant au profit du débat les vertus qu’ils a reçues dans sa communauté ».

Notons que la loi de 1905 a été fortement promue à l’époque par le protestantisme notamment libéral car il permettait de mettre toutes les religions sur un plan d’égalité.

 

Conclusion.

Certains comportements comme celui du port du voile intégral peuvent apparaître comme des provocations et remettre en cause l’aspect démocratique et pluraliste de nos sociétés occidentales. Ils sont l’expression de minorités qui incitent à une vigilance permanente sans oublier que la grande majorité des croyants pratique sa religion dans la tolérance et le respect des institutions républicaines.

Retour vers les textes du café politique

guerre froide

Vers la guerre froide ?

Café politique du 29 juin 2018.

 

L'expression « guerre froide » s'était appliquée principalement aux relations entre les USA capitalistes et l'URSS communiste durant la période 1945-1991.

La Chine, moins concernée, s'est orientée dès les années 1980, vers une sortie du communisme qui la propulsa en quelques décennies au rang de super-puissance économique. L'URSS allait connaître une agonie plus douloureuse. La nomination, en 1985, de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du pays, se traduisit par un essoufflement de la peu performante économie soviétique et le résultat en fut l'écroulement à la fois du système communiste et de l'Union Soviétique. L'ancien apparatchik du PCUS, Boris Eltsine, en profita pour décréter la fin officielle de l'URSS et prit la direction de ce qui serait dorénavant la Russie, anciennement « République socialiste fédérative soviétique de Russie ».

Mais Boris Eltsine ne connaissait strictement rien à l'économie de marché. Il voulut brûler les étapes et fit appel à des « Chicago boys », des intégristes de la dérégulation ( les Chinois ayant opté pour le modèle « singapourien », le développement de l'économie et son financement par des capitaux privés restant strictement sous le contrôle de l'Etat ). Le résultat en Russie fut l'apparition d'une économie mafieuse et l'effondrement d'un niveau de vie qui était déjà bien bas.

 

1 ) Sur le plan international, l'invasion du Koweït par l'Irak en août 1990, entraîna dans un premier temps une entente soviéto-américaine, car l'URSS accepta, d'une part, de dévoiler au Pentagone le type d'armes que Moscou avait antérieurement livré à l'Irak, et d'autre part, soutint la résolution de l'ONU condamnant l'Irak. De façon extrêmement naïve Gorbatchev pensait que l'Occident le soutiendrait dans ses réformes s'il affichait une volonté d'entente. Pour prouver sa bonne foi, il abandonna les partis communistes de l'Europe de l'Est à leur sort et se mit à rêver d'une « maison commune européenne ». Mais Washington en profita pour exiger la réunification de l'Allemagne et l'appartenance de ce nouvel ensemble ainsi constitué à l'OTAN. Gorbatchev n'insista plus car on lui avait fait miroiter une aide économique, qui, pensait-il, arrimerait la Russie à l'Europe. Pressentant la fin du Pacte de Varsovie, l'OTAN se tint tactiquement en retrait et chercha à promouvoir le rôle de la CSCE ( Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe ). Finalement, seule l'Allemagne aidera financièrement l'URSS, les autres membres de l'OTAN ayant vite oublié leurs promesses.

 

2 ) L'Histoire poursuivit son cours et la brève entente entre Washington et Moscou durant la première guerre du Golfe ne résista pas à la fin de l'Empire des Soviets.

Bien au contraire, deux théoriciens américains, le politicien Paul Wolfowitz et le Général Colin Powell, entreprirent de définir la nouvelle politique militaire états-unienne, dite « doctrine Wolfowitz ». Celle-ci aboutira au PNAC - project for a new american century -, dont l'effet sera la prétention à l'unilatéralisme américain et la vassalisation des alliés. L'ancien ministre français Hubert Védrine, parlant des USA, nommera cette entité « l'hyper-puissance ». Car, il s'agira maintenant, selon ces deux doctrinaires de bâtir « une force militaire suffisante pour dissuader n'importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis ; de même il s'agira de faire en sorte que « les nations industrielles avancées soient découragées de défier le leadership américain ou de chercher à mettre en cause l'ordre économique et politique établi ». Et ceci, parce que « l'ordre international est en définitif garanti par les Etats-Unis « . En clair, il s'agissait d'organiser le monde en fonction des intérêts américains. Alors même que la Russie sombrait, ces idéologues théorisaient sur « les risques pour la stabilité en Europe d'un regain du nationalisme en Russie ou d'une tentative de rattacher à nouveau à la Russie des pays devenus indépendants ». L'on ne parlait pas encore de la Chine et l'obsession américaine restait la résurgence de l'URSS. D'ailleurs pour que les Européens ne s'imaginent pas que la guerre froide d'avant était terminée, il est précisé : « Nous devons agir en vue d'empêcher l'émergence d'un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l'OTAN » . De sorte qu'il est spécifié que 180 missiles nucléaires basés en Europe occidentale y resteront.

Au cynisme allait s'ajouter le mensonge. Alors que Bush Sr avait promis à Gorbatchev que, certes l'OTAN serait maintenu, mais que jamais elle ne chercherait à s'étendre à l'Est, dès janvier 1994, l'administration Clinton proclama une volonté contraire. En 1997, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et la Tchéquie intégrèrent l'OTAN dont on profita pour y réaffirmer le leadership américain.

3 ) La question du Kosovo.

Ce leadership s'affichera sans fard lorsqu'il s'agira de démanteler la Fédération yougoslave. Des violences y avaient éclaté, notamment entre les Serbes et la minorité kosoware habitant au sud de la Serbie. Une conférence réunit les protagonistes en 1999 à Rambouillet en France, et durant laquelle le président serbe S. Milosevic accepta l'envoi sur place d'observateurs de l'OSCE ( Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe ) et de la Commission européenne, mais non de l'OTAN dont il mit en cause l'impartialité ( on apprendrait d'ailleurs par la suite le rôle de désinformation mené par l'Allemagne durant cette conférence ). Prenant prétexte de ce refus, les USA, la GB et la France entamèrent, sans mandat de l'ONU, une campagne de bombardements qui aboutit à la capitulation de la Serbie et à la création de l'Etat du Kosovo. La Russie ne put s'opposer aux bombardements sur la Serbie dont elle se sentait proche et elle ne fut pas conviée lorsque les Occidentaux imposèrent à ce pays l'amputation de son territoire afin d'y créer le nouvel Etat du Kosovo. L'ONU ne donna pas son aval à cet acte de piraterie puisque sa charte précise que les Etats membres doivent respecter l'intangibilité des frontières et refuser, sauf en cas de vote en assemblée générale des 193 membres, le démantèlement d'un Etat membre. Mais au sein de cette instance internationale, on imagina alors un nouveau concept, aussi pur moralement que flou dans son application, à savoir la « responsabilité de protéger ». Si un Etat y déroge la « commnnuuté internationale » peut le lui imposer manu militari. Toutefois, l'invocation de la responsabilité de protéger n'incluait pas, selon ses concepteurs, la possibilité de renversement d'un pouvoir politique en place, comme cela fut le cas pour la Libye en 2011, où les Etats qui intervinrent au nom de la responsabilité de protéger, outrepassèrent le mandat de l'ONU.

 

4 ) L'affaire ukrainienne.

En octobre 2013, une mission du FMI s'était rendue à Kiev et accepta une assistance de 15 milliards de dollars, moyennant un programme draconien d'austérité. La Commission Européenne promit 840 millions d'euros supplémentaires en cas de signature de l'accord ( elle en versera finalement 2,5 milliards... dont nul ne sait ce qu'ils financèrent ! ). Mais, un mois plus tard, le président ukrainien de l'époque, V. lanoukovitch, le suspendit et manifesta son intérêt pour l'Union économique eurasiatique, regroupant notamment d'anciennes républiques soviétiques. Cela déclencha les évènements spontanés de la place Maïdan ( en réalité téléguidés depuis Washington comme le reconnut la secrétaire d'Etat assistante pour l'Europe, V. Nuland ) et en février 2014, la démission du président en place. Son successeur, P. Porochenko, reprit langue avec les Occidentaux et réprima la rébellion dans la partie orientale de l'Ukraine, le Donbass, peuplé de russophones favorables à la coopération avec Moscou. La situation s'envenima au point de craindre l'irruption d'un conflit de grande ampleur, car les USA livraient des armes à Kiev tandis que le Donbass était soutenu militairement par la Russie. Il a fallu l'intervention de la France et de l'Allemagne en 2015, pour essayer de tempérer les ardeurs bellicistes de part et d'autre. La situation semble pour l'heure figée à défaut d'être stabilisée, d'autant que l'Occident s'est irrité de l'annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014. Mais le Kremlin ne considère pas qu'il a violé le droit international puisque le changement a été entériné par un référendum, ce qui n'avait pas été le cas au Kosovo ( sans même parler de Chypre, illégalement occupé par la Turquie depuis 1974 ). En réalité, Moscou craignait que l'important port militaire de Sébastopol, situé en Crimée, ne tombe entre les mains de l'OTAN.

 

5 ) Pourquoi la Russie se méfie-t-elle autant de l'OTAN ?

En 2002, les Etats-Unis ont unilatéralement dénoncé l'accord ABM ( Anti-Ballistic Missile ) signé en 1972 avec l'Union Soviétique. Ce traité impliquait une limitation des armes nucléaires offensives. Les Etats-Unis ont de plus annoncé vouloir annuler le traité de Start ( stratégie arms réduction treaty ), signé en 2010 avec la Russie. La propagande hystérique anti-russe qui sévit en Occident souligne la prétendue agressivité de la Russie, mais ce n'est pas celle-ci qui annule les traités précédemment signés. De plus, elle ne dispose que d'une seule base militaire à l'étranger, en-dehors du territoire de l'ex-URSS, alors que les USA ont déployé 200 000 hommes dans 800 bases militaires réparties dans 177 pays. Cette unique base est située à Hmeimim, en Syrie.

 

6 ) La question de la Syrie.

Tant que la France avait une diplomatie indépendante, elle tenait à garder le contact avec la Syrie, Etat certes dictatorial mais cependant laïc, assurant la liberté religieuse. J. Chirac fut le seul chef d'Etat occidental à s'être déplacé pour les obsèques d'Hafez-al-Hassad, en 2000. Son successeur, Bachar el-Assad avait été reçu en grande pompe par Nicolas Sarkozy en 2008 et 2010, car il pensait faire de la Syrie une pièce maîtresse de l' « Union pour la Méditerranée », qui se voulait être le grand oeuvre sarkozien. Mais cette union a été torpillée par l'Allemagne qui craignait que sa suprématie en Europe ne soit mise en cause et par les USA qui voyaient d'un fort mauvais oeil les bonnes relations de la Syrie avec l'Iran ( la Syrie avait été le seul pays arabe à avoir soutenu l'Iran lors de la guerre des années 1980 déclenchée par l'Irak, alors soutenu par les Etats-Unis ). La Syrie sombra dans la guerre civile à partir de 2011, l'Occident en général et la France hollandaise en particulier observant comment les djihadistes ( Frères musulmans soutenus par la Turquie et le Qatar d'une part, wahhabites soutenus par l'Arabie saoudite et les E.A.U de l'autre ) allaient autant déchiqueter le pays que s'entre-dévorer entre eux. En septembre 2015, la Russie, initialement méfiante envers le gouvernement syrien qu'elle avait accusé de complaisance à l'égard des rebelles tchétchènes, décida d'intervenir directement aux côtés de l'armée syrienne. Le Kremlin avait finalement tranché en faveur d'Assad, ne voulant pas voir se reproduire le scénario irakien ou libyen qui aurait pu mettre en cause sa présence en Syrie. Par la force des choses et du fait de ses alliances avec les pétro-monarchies sunnites, le camp occidental s'est retrouvé être l'allié tacite de Daech. Brillant résultat ! C'est ce que ne manquèrent pas de souligner le gouvernement syrien, la Russie de même que l'Iran et le Hezbollah, alliés locaux de Damas. Pékin soutint Moscou discrètement mais efficacement, la raison en est que l'une des deux « routes de la soie », la voie sud, devait déboucher en Méditerranée par la Syrie et la Chine restait persuadée que les Etats-Unis et leurs séides n'intervenaient en Syrie que pour empêcher ce projet d'aboutir. Et comme par hasard, la voie nord devait passer par l'Ukraine... On apprendrait par la suite que la France, si encline à la repentance, aura grandement contribué à l'installation d'un pouvoir esclavagiste en Libye. Forte de ces soutiens, l'armée régulière syrienne réussit à reconquérir au prix d'une guerre particulièrement cruelle du fait du fanatisme de ses ennemis ( 500 000 morts ), l'essentiel du territoire syrien. La Russie a alors lancé un processus de règlement politique, dit « Astana » car c'est dans cette ville kazakh qu'il s'y tient, incluant la Syrie, le Liban, l'Iran, la Russie, la Turquie, mais aucun pays occidental. C'est un échec cinglant de la politique américaine de remodelage du Moyen-Orient dont la conséquence est l'union de tous les pays non sunnites autour de Moscou, la Turquie restant pour l'heure hésitante.

 

6 ) La bataille idéologique de la guerre froide.

Actuellement, du fait de la vogue des fake news ( en bon français, des bobards ) et de leur dénonciation, l'impression domine qu'il s'agit d'un phénomène récent. Mais durant tout le XXème siècle les régimes totalitaires s'étaient illustrés par un usage immodéré de la propagande. Aussi, dès les années 1960, l' « United States Information Agency » avait mis au point ce qu'elle avait nommé la « public diplomacy ». Autrement dit, il fallait présenter la politique américaine sous un jour favorable sans que cela n'ait l'air d'être de la propagande. Le but était de communiquer directement avec les populations par la voie des médias afin de promouvoir « l'américan way of life ». Le pari était de pouvoir contrôler l'action des gouvernements en influençant l'opinion publique. C'est le fameux « sott power » que son théoricien principal, Joseph Nye, a défini comme étant « la capacité à influencer autrui par l'attraction plutôt que par la contrainte ou la rétribution ». En 2004, au plus fort de la guerre d'Irak ( opération dite « choc et effroi » ), l'un des conseillers de Busch annonça : « Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité - judicieusement, à votre façon - nous agissons à nouveau, créant d'autres réalités nouvelles, que vous pourrez étudier également, et c'est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l'Histoire et vous, vous tous, ne pourrez que vous contenter d'étudier ce que nous faisons » (1).

Actuellement, un grand nombre de pays ont leurs médias, cherchant par ce biais à défendre leur action politique. Ces efforts, notamment pour les Etats-Unis, ont fini par porter leurs fruits car les principaux médias occidentaux répètent les points de vue américains. Actuellement s'est ouvert un nouveau front sur le net, cet instrument étant devenu un champ de bataille privilégié. En 2008, l'équipe d'un candidat parfaitement inconnu aux primaires démocrates eut l'idée de collecter sur les réseaux sociaux des données personnelles de ceux qui étaient susceptibles de voter pour les démocrates. Et puis, on les bombarda de « messages taillés sur mesure ». La persuasion via les réseaux sociaux fonctionna et le candidat Obama fut élu. Mais en 2016, rien ne fonctionna comme prévu pour les démocrates, les algorithmes n'ayant pas anticipé la tornade Trump. L'occasion fut trop belle pour tenter de reprendre le net en main et l'on accusa des fossoyeurs de la démocratie d'avoir perturbé la vertueuse démocratie américaine. Pour donner toute la crédibilité à cette « salade » l'acte d'accusation fut porté contre la Russie, car cela permit surtout de totalement décrédibiliser les révélations d'Edward Snowden, concernant le fonctionnement de l'Etat américain. Le Pentagone en profita pour exiger et obtenir une rallonge budgétaire de 60 milliards de dollars.

Tel un troupeau bêlant, les membres de l'OTAN répétèrent la fable du « Deep state » américain. C'est que l'oligarchie qui dirige les affaires de l'Occident semble disposer d'une puissance de feu remarquable. Tout comme la France qui dut annuler son référendum en 2005, Tsipras qui dut se renier, Trump, trop hésitant à ses débuts, dut opérer un virage à 180° et faire peu ou prou ce que le « Deep state » lui ordonna de faire, il semble à peu près certain que G. Conte en Italie aura à subir des pressions conséquentes ( « les marchés vont apprendre aux Italiens comment bien voter » ) -2 -. Il est déroutant de constater, suite à l'affaire iranienne, qu'en Europe, personne ne conteste l'application extraterritoriale des lois américaines. Pourtant, ce fut R. Reagan qui, le premier, eut en son temps des exigences de cet ordre. Qui s'y opposa avec succès ? La Grande-Bretagne, qui pressentant ce qui allait advenir, avait fait voter en 1980, le « protection of trading interest act » et la France dont le ministre de la recherche et de l'industrie de l'époque, J.-P. Chevènement s'appuya sur une ordonnance de 1959 pour ordonner en 1982, à une société française, filiale d'un groupe américain, de passer outre aux injonctions de Washington. En 1996, l'Empire voulut récidiver dans le but d'isoler Cuba d'une part, l'Iran et la Libye de l'autre. L'Union Européenne répliqua en saisissant l'Organe de règlement des différends de l'OMC pour y déposer une plainte. Les Etats-Unis n'insistèrent pas. Mais en octobre 2001, la loi dite « USA-Patriot » établit que toute transaction en dollar, peu importe où elle intervient, devient passible des tribunaux américains en cas de manquement aux lois américaines. A l'heure actuelle, suite à l'annulation par ce pays de ce traité de 2015 concernant le nucléaire iranien, nos gouvernants étalent leur servilité. Ainsi, le président français affirma à Sofia, le 17 mai dernier : « Je le dis très clairement : on ne va pas sanctionner ou contre-sanctionner des entreprises américaines ». L'idiotisme de cette posture est totale. Peugeot avait 40% du marché automobile iranien et anticipait son développement. Le chinois Donfeng a immédiatement annoncé qu'il prenait la place laissée vaquante !

 

Conclusion : quel sera l'avenir ?

La priorité absolue pour Pékin et Moscou est de briser l'unilatéralisme américain que la démentielle idéologie néo-conservatrice qui l'anime dont l'une des conséquences en Europe est la mise sous tutelle du débat public par l'imposition du « politiquement correct ». Le but de ces idéologues est la mise à l'écart de ceux qui ne sont rien ( l'immigration massive doit agir dans le sens de la paupérisation généralisée des populations ) et la centralisation du pouvoir mondial par les élites, sous le prétexte de gouvernance mondiale ( la destruction des Etats devant être accélérée également par l'immigration, le droit d'installation primant sur toute autre considération juridique ). En réalité, la bataille qui s'annonce se jouera plus sur le terrain monétaire que dans le domaine militaire, bien qu'il semblerait que la Russie y dispose d'une solide avance. Pékin travaille à la création d'un yuan « off-shore », qui sera coté à Londres et garanti par une contrepartie en or physique. La Chine, pour garantir ces échanges, dispose d'un stock d'or de 4000 tonnes et la Russie, 1800. On comprend, dans ces conditions, pourquoi le cours de l'or (coté à Londres au London Metal Exchange ), a été multiplié par quatre depuis le début du siècle. De sorte que la rumeur qui dit que c'est Pékin qui a financé la campagne du Brexit n'est pas totalement infondée, car pour les stratèges financiers chinois Bruxelles est totalement inféodé à Washington, il fallait donc que Londres en soit libéré. A terme, Chinois et Russes estiment être en mesure d'intégrer la Grande-Bretagne dans l'UEE ( Union eurasiatique ), d'où l'agitation anti-russe des politiciens anglais qui voient l'herbe se dérober sous leurs pieds. D. de Villepin, mais il est hélas bien seul, estime que la France devrait se rapprocher de cette structure. L'adhésion de l'Iran en est prévue pour 2021 et les Chinois sont déjà à pied d'oeuvre en Syrie ( allié historique de l'Iran ) pour y reconstruire l'infrastructure militaire portuaire, en attendant la reconstruction des villes détruites dont le coût total est estimé à 200 milliards de dollars. Toutefois la vraie guerre froide qui risque de se transformer en conflit à couteaux tirés se trouve au sein même de l'Etat des Etats-Unis.

Depuis la présidence Clinton la globalisation devait avant tout être financière et la priorité allait au démantèlement des Etats, au besoin par la guerre et par le soutien discret au terrorisme, la caste parasitaire globalisée ne reculant devant rien pour pouvoir piller l'économie mondiale à son profit. « Permettez-moi d'émettre et de contrôler les ressources monétaires d'un pays et je me moque de celui qui écrit ses lois « Rothschild, cité par Mediapart ( E. Macron, lauréat 2012 de la French American Foundation, était salarié de cette banque... ). Le « moment Trump » devait être un retour au capitalisme d'entreprise, la priorité restant toutefois à la domination américaine, mais par le biais d'artifices juridiques permettant d'affaiblir voire d'éliminer les concurrents internationaux. Mais Trump a largement sous-estimé la puissance du « Deep state » qui lui a fait renoncer à ses projets d'accommodement avec la Russie, de mise en sourdine de l'OTAN et de la fin des interventions impérialistes à l'étranger de l'armée américaine ( Irak, Libye, Yémen, Afghanistan, Somalie ). La lutte est âpre, elle ouvre temporairement une période de grande incertitude, mais se conclura inéluctablement par la fin de la tentative de domination de l'Occident militariste et belliciste sur le reste du monde. On sait le rôle d'aiguillon qu'a eu Singapour dans la résurrection chinoise. Son ancien ambassadeur à l'ONU ( 3 ) vient de publier un ouvrage dans lequel il écrit : « L'ère de la domination occi dentale touche à sa fin. Les élites occidentales... devraient se concentrer sur les grands défis mondiaux. Au lieu de cela, ils accentuent, de diverses manières, leur insignifiance et leur désintégration ».

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1    - New York Times du 17 octobre 2004 : « Without a Doubt - Faith, Certainty and the Presidency of W. Bush ».

2    - Déclaration du commissaire européen Gunther Oettinger.

3    - Kishore Mahbubani, Has the West lost it ?

 

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Synthèse du café politique du vendredi 29 juin 2018.

 

Vers une nouvelle guerre froide?

 

Après l'exposé introductif de Jean-Luc, le débat s'ouvre.

 

1 ) La fin de la guerre froide.

-      La guerre froide se définit comme l'affrontement de deux blocs économiques et idéologiques : le bloc communiste avec une économie étatisée et le bloc occidental capitaliste libéral. Elle dure de 1947 à 1991. Elle se termine avec la dislocation du bloc communiste en décembre 1991.

-      Pendant la guerre froide les conflits entre les deux blocs sont nets et clairs : citons par exemple le blocus de Berlin, la crise de Cuba, Budapest.

-      Le dernier conflit bipolaire est l'Afghanistan de 1979 à 1989. Les Russes et les Etats-Unis tentent de tirer à eux le conflit.

-      Gorbatchev espère la fin de l'OTAN mais la déception des Russes est grande quand ils s'aperçoivent qu'ils ont dissous le Pacte de Varsovie le 1er juillet 1991 mais que l'OTAN subsiste. Le mythe d'une « maison commune européenne s'effondre ». Il est vrai que l'ex-URSS est en position de faiblesse dans le rapport de forces international.

 

2 ) L'état des relations internationales depuis la chute de l'URSS.

-   Aujourd'hui il semble difficile de parler de guerre froide. De nombreux conflits de nature différentes se déroulent en-dehors de la crispation de deux blocs antagonistes depuis

1991.

-   Il semblerait que la première guerre d'Irak de 1990 manque le changement de nature des conflits. Ce sont des conflits bien plus par « foyers » que bipolaires comme avant

1991.

-   L'Europe a une responsabilité certaine dans ce processus complexe d'éclatement des blocs. Elle n'a pas réussi à s'organiser pour créer une gouvernance politique commune et aménager un début de défense européenne qui aurait fait contrepoids à l'OTAN. L'OTAN a pu s'infiltrer facilement en Europe d'autant que les Etats baltiques avaient besoin d'être protégés.

-   La Russie a compris qu'il y avait des opportunités ce qui lui a permis d'annexer la Crimée dont le référendum s'est déroulé hors de toute surveillance des instances internationales. La Crimée n'était pas à l'origine un territoire russe ou turc. Elle est peuplée en partie de Tatars dont personne ne parle.

1

-      Par ailleurs, l'effondrement économique de l'URSS avant sa chute n'est pas dû à Gorbatchev. Il s'est préparé progressivement ( voir les ouvrages sur l'URSS de Hélène Carrère d'Encausse ). Le bloc soviétique était déjà en situation de faiblesse.

-      La dislocation de la Fédération de Yougoslavie pose aussi problème : pourquoi les différents partenaires de cette Fédération se sont-ils trouvés aussi peu autonomes ? Il semblerait que la Serbie, militairement plus puissante ait tenté d'établir sa domination.

 

3 ) La guerre froide cède la place au capitalisme mondialisé et à la financiarisation.

-      Le capitalisme s'est répandu sur l'ensemble de la planète même s'il y a des axes particuliers comme l'axe Iran-Syrie-Russie, ou l'axe Union Européenne-Etats-Unis. Ce sont les conséquences des anciennes stabilités économiques de la guerre froide.

-      La financiarisation de l'économie s'est dévoilée au grand jour lors de la crise de 2008. Celle-ci a coûté près de 7000 milliards de dollars au monde et c'est beaucoup par rapport à ce que l'Afrique nécessiterait ( 600 milliards de dollars comme aide en raison de son expansion démographique ) pour élaborer notamment un plan d'éducation des femmes pour faire diminuer la natalité. Le destin de l'Europe semble lié à celui de l'Afrique ( voir la question de plus en plus importante des migrations ) et non à un conflit avec la Russie dans lequel les Etats-Unis voudraient nous entraîner.

-      Ces 7000 milliards de dollars incluent la BCE, la FED, la Banque Centrale d'Angleterre et la Banque Centrale du Japon. Il y a eu une création monétaire de ce montant qu'on a demandé ensuite aux citoyens de rembourser, les Grecs notamment.

-      On ne peut séparer la financiarisation du capitalisme. Le retour à un système d'Etats Nations semble peu probable puisque l'évolution même du capitalisme va dans le sens de la concentration du capital. L'explosion des profits génère une financiarisation.

-      La financiarisation de l'économie a commencé avec Clinton. Les Etats en difficulté financière ont demandé de l'aide aux banque privées qui, elle-mêmes en 2008 se sont retournées vers les Etats.

-      Le retour à une Europe des Nations pourrait créer davantage de misère. L'exemple de l'Angleterre actuelle avec le Brexit nous montre que les exportations françaises vont mal.

4 ) Il y a des éléments qui montrent la fin de cette bipolarité.

-      Notons le rôle de la Chine qui n'est pas complètement dans l'appartenance à un axe russophone.

-      La stratégie chinoise est de créer un grand ensemble économique qui irait de la Mer de Chine jusqu'à l'Ouest de l'Europe. Le programme dit des « routes de la soie » consiste à intégrer l'Eurasie et l'Europe occidentale à cet ensemble gigantesque. Il s'agirait donc de décrocher l'Europe des Etats-Unis. Pour les Chinois le marché européen est plus intéressant que le marché américain parce qu'il est plus important en termes de chiffre d'affaires.

-      Par ailleurs, que ce soit la Russie ou les Etats-Unis, le pouvoir économique est aux mains d'une bourgeoisie mondiale.

-      En Ukraine, par exemple, des tensions se sont multipliées avec la Russie avant l'affaire Maïdan sur la question du gaz en particulier. En effet, 80% des gazoducs ukrainiens transportent le gaz russe vers l'Europe. Il y a des liens entre les multinationales ukrainiennes et russes. Gazprom possède 50% des gazoducs. L'enjeu de la Russie dépasse la question de la Crimée.

-      Il est difficile de dire que les Etats-Unis sont les instigateurs de la révolte de la place Maïdan dans son ampleur. Ils ont peut-être joué un rôle déclencheur ( en particulier en utilisant internet ) mais ensuite c'est la population elle-même qui s'est emparée de la révolte élargie après la dure répression du gouvernement ukrainien.

-      En ce qui concerne la Syrie, on pourrait penser que la Russie et les Etats-Unis ont eu peur des révolutions arabes à partir de 2011, comme celle qui a eu lieu en Syrie. Les Etats-Unis ont pu craindre pour les intérêts de leurs entreprise sur place et les Russes pour leur zone d'influence.

-      Chaque puissance, Etats-Unis ou Russie, a trouvé son « cheval de bataille » pour contribuer à « casser » les révolutions arabes. On peut même se demander si les Etats-Unis ne sont pas si mécontents que cela de l'action russe en Syrie qui rétablirait le pouvoir de El-Assad ce qui garantirait les intérêts économiques américains.

-      Ce qui est intéressant historiquement c'est de se demander ce qu'auraient pu devenir ces révolutions arabes si elles avaient pu aller au bout de leur expression.

-      Trump veut sortir de l'OTAN qui coûte trop cher aux Américains et pour ce faire il a l'intention de « briser » l'Allemagne qui détient un marché important en Iran. Il va finir par taxer l'industrie automobile ce qui nuirait gravement à l'Allemagne.

Conclusion

Il y a actuellement une grande instabilité internationale liée à de nombreux foyers de ten­sion. La guerre froide n'a plus cours dans son sens classique d'opposition des blocs. Il semble que la financiarisation de l'économie ait pris une place prépondérante au niveau planétaire et que les Etats-Unis restent la puissance hégémonique sur bien des plans même si des puissances montantes comme la Chine tracent leur sillons, sans oublier le poids de l'Afrique en devenir sur les équilibres mondiaux.

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Et en complément toujours du café, voici la contribution d'Ernst Winstein.

 

Voici un texte sur la défense européenne que j'ai commis récemment et mis sur ma page politique Alsace région d'Europe et celle d'Objectif Eurorégion Alsace (https://www.facebook.com/pg/ObjectifAlsace/posts/?ref=page_internal).

 

Ernest Winstein, Défense européenne : un mythe ?

 

L’Europe de la défense, dont la France a sabordé la gestation en 1954, reste d’une brûlante actualité. Lorsque l’on envisage des négociations sur l’évolution de l’Union Européenne, il faut consentir à le placer sur la table.

 

Des engagements armés de la France, en commun avec d’autres pays, ont lieu en différents endroits de la planète. L’actualité - des exercices militaires sur Quiberon - vient de nous rappeler qu’entre la Grande Bretagne et la France il existe un accord de coopération militaire.

On sait que les deux pays ont bombardé, le 14 avril, des installations chimiques du régime syrien. L’envoi par Londres et Paris de bâtiments militaires en mer de Chine méridionale est moins médiatisé - l’objectif serait de dissuader Pékin d’y étendre sa souveraineté.

Le Corps européen, initiative franco-allemande qui rassemble des forces militaires d’Etats européens consentants, a davantage pignon sur rue. Ses interventions extérieures supposent l’accord des états partenaires. Accord implicite, lorsqu’il s’agit d’opérations menées par l’Otan? Pas très clair, en tout cas.

Le président Macron va lancer fin juin une «initiative européenne d’intervention (IEI)», dont la Grande Bretagne sera partie prenante. Cela suppose un accord multilatéral, mais non de l’Union Européenne en son entier.

 

Toutes ces évocations montrent qu’une véritable défense européenne est nécessaire.

Cependant, une telle défense commune supposerait un commandement commun dépendant d’un gouvernement européen, une gouvernance politique émanant démocratiquement du Parlement européen. Or, de cela, nombreux sont ceux, de droite ou de gauche, qui n’en veulent pas. Pourquoi? Du fait de l’existence d’une force de frappe nucléaire française? Sujet tabou? Le député européen « Les Républicains » , Arnaud Danjean, a affirmé lors d’un débat organisé à Strasbourg par le « MESA » le 29 mai 2018, qu’un commandement militaire commun à l’Union Européenne est un mythe, donc que l’Europe fédérale est un mythe.

 

La conclusion s’impose d’évidence : à défaut de défense européenne intégrée à l’UE, on se contente d’accords entre Etats européens.

Une telle façon de procéder répond certainement à des besoins définis. Cependant, elle ne favorise pas la construction d’une Europe où tous les pays sont placés sur un dénominateur commun. Comment les petits pays ne seraient-ils pas tentés par des replis sur leur identité propre? Mais cette question-là aussi reste taboue.

 

Ernest Winstein

(Auteur d’un travail universitaire sur « L’Allemagne et la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) », Centre d’Etudes Germaniques / Université Robert Schuman ; Président de l’association politique Objectif Eurorégion Alsace)

 

P.S. Un de nos correspondants a attiré l’attention sur le statut des pays européens dits neutres. On constatera que certains d'entre eux sont déjà liés à l’Otan par des partenariats (L'Irlande est partenaire de l'OTAN depuis les années 1990). Et qu’ils sont de facto sous la protection du parapluie américain.

Déjà en 2008 la Finlande et la Suède s’inquiétaient « d’une éventuelle menace russe » (Cf. Le Monde / 2008/09/10). Serait-il plus difficile pour ces pays de rattacher à une défense européenne que de s’intégrer à l’Otan? Une Europe fédérale devra de toute façon, définir les latitudes dont dispose chacun des pays fédérés par rapport au pouvoir européen intégré? EW

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Jean-Luc a transmis un article qui complète son exposé et qui donne des éléments complémentaires intéressants.

 

Trump, ou le syndrome de la balle dans le pied

Bruno GUIGUE

 

Les Etats-Unis qui jettent le « multilatéralisme » aux orties, le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, la guerre commerciale qui pointe à l’horizon, le G7 qui tourne à la foire d’empoigne, l’Union européenne réduite à l’impuissance : ce qui pourrait passer superficiellement pour une série de mini-crises est révélateur de tendances profondes. C’est comme un foisonnement de signes cliniques. Il y a ce que l’on voit - de simples péripéties, dirait-on -, et puis, sous cette apparence, comme un délitement souterrain des structures.

 

Pour brosser le portrait d’un monde occidental à la dérive, il faut naturellement partir d’une analyse de ce qui se joue aux USA. D’abord parce que le poisson pourrit toujours par la tête, et ensuite parce que Trump contribue à ce pourrissement en s’ingéniant précisément à le conjurer. Le système politique américain étant ce qu’il est, la nouvelle administration, en effet, a les mêmes objectifs que les précédentes. Héritière d’un empire surdimensionné, elle s’efforce d’en maintenir l’hégémonie en pratiquant le déni de réalité.

 

Son premier cheval de bataille, celui sur lequel Trump joue sa crédibilité, c’est la lutte contre le déclin industriel. Il doit son succès électoral du 8 novembre 2016 au ralliement des cols bleus ruinés par le libre-échange. La guerre commerciale entamée avec la Chine, l’UE et le Canada n’est pas une lubie : elle accomplit une promesse de campagne. Les USA sont le premier importateur mondial, et leur déficit avec la Chine dépassait en 2017 les 345 milliards de dollars. Il faut donc enrayer l’effondrement progressif des capacités productives américaines.

 

Mais pour y parvenir, l’administration Trump est confrontée à un choix de méthode. Les USA ont connu une prospérité sans précédent en misant sur une mondialisation dont ils tiraient profit. Ce règne des multinationales est loin d’être achevé, mais elles produisent de moins en moins sur le sol américain. Pour conserver sa position dominante, le capitalisme américain, en réalité, a sacrifié sa propre classe ouvrière. Remplacée par des Chinois ou des robots, elle vient grossir les rangs des miséreux qui campent dans les faubourgs des grandes villes.

 

A l’autre bout de l’échelle sociale, en revanche, tout va pour le mieux. Tandis que les pauvres sont de plus en plus nombreux, les riches sont de plus en plus riches. Contrairement aux emplois, qui sont délocalisés, les bénéfices réalisés à l’étranger sont rapatriés. Aggravée par une financiarisation débridée, cette distorsion entre la richesse et l’emploi ruine le consensus social américain. L’intelligence de Trump est de l’avoir compris et d’en avoir fait un argument électoral. La limite de cette intelligence, c’est qu’il s’y prend très mal pour résoudre le problème.

 

Lorsque les règles du jeu deviennent défavorables à celui qui les a inventées, il a la tentation de vouloir les changer. Manifestement, c’est ce que fait Trump. Le libre-échange réduisant au chômage les ouvriers de la « Rust Belt », il veut instaurer des protections qui font fi des accords commerciaux internationaux. Or cette démarche représente la quadrature du cercle pour un pays comme les Etats-Unis. Ayant mondialisé son économie sous la pression des multinationales, il leur fera payer cher le moindre retour en arrière. En clair, le protectionnisme est à double tranchant, et c’est ce qu’ont montré les réactions chinoises, européennes et canadiennes.

 

A supposer qu’elle ait lieu - ce qui n’est pas sûr - , la guerre commerciale sera au pire un désastre, au mieux un jeu à somme nulle. Trump le sait, et c’est pourquoi sa politique néo-impériale se contentera sans doute dans ce domaine de proclamations inoffensives. Il n’entend pas passer à la postérité comme celui qui a ruiné les fondements de la puissance américaine. Il préfère nettement ouvrir d’autres fronts où il pense pouvoir obtenir l’avantage. Et l’incohérence - ou l’imprévisibilité - qu’on lui prête souvent ici n’est probablement qu’apparente.

 

Le meilleur exemple est celui de sa politique en matière nucléaire. En pratiquant le grand écart entre l’Iran et la Corée du Nord, Trump montre que le nucléaire, précisément, n’a aucune importance. D’abord parce que la nucléarisation de la Corée du Nord est un fait accompli - et irréversible - et qu’il n’y a rien d’autre à obtenir de ce pays - du point de vue américain - qu’un réchauffement diplomatique destiné à rassurer Séoul dans le but d’alléger la charge du parapluie militaire US. Ensuite, parce que l’Iran au contraire, bien qu’il n’ait aucune arme nucléaire, est un adversaire systémique des Etats-Unis et qu’il s’agit bel et bien de l’affaiblir par tous les moyens.

 

De la Syrie au Yémen en passant par l’Irak, le Liban et la Palestine, Téhéran est une épine colossale dans le pied de Washington. Chef de file de l’axe de la résistance, il est la bête noire d’Israël, Etat-colon expansionniste auquel Trump s’est empressé de faire allégeance en remerciement de la neutralisation du lobby pro-israélien durant la campagne présidentielle. En isolant l’Iran, Trump fait coup double : il satisfait Tel Aviv - et Ryiad - tout en provoquant l’étranglement économique dont il attend un « regime change » par inanition, à défaut d’un soulèvement armé piloté de l’étranger sur le modèle syrien.

 

Mais la partie n’est pas gagnée. Car en coupant ce grand pays des circuits économiques et financiers occidentaux, il l’ouvre à d’autres influences. Ce n’est pas un hasard si l’Iran vient d’adhérer à l’Organisation de coopération de Shangaï au côté de la Russie, de l’Inde et de la Chine, cette organisation représentant désormais 40 % de la population et 25 % du PIB mondial. Le retrait américain de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, de plus, génère une série de dommages collatéraux. Il provoquera le départ de ce pays de nombreuses entreprises européennes, et notamment de Total, première capitalisation boursière du CAC40.

 

Entreprise multinationale dont 30% du capital est détenu par des actionnaires américains, Total devait participer à l’exploitation du gisement gazier offshore « South Pars », le plus grand au monde, situé dans le golfe Persique et les eaux territoriales iraniennes. C’est fini. Le projet passe dans d’autres mains, et pas n’importe lesquelles. Poussé au départ par Washington, Total cédera la place au géant chinois des hydrocarbures CNPC, ravi d’emporter le morceau. En voulant punir Téhéran, Trump a fait un cadeau de choix à la Chine, principal concurrent des USA à la tête de l’économie mondiale et premier responsable du déficit commercial américain. C’est un comble.

 

A l’entendre, Trump rêve de restaurer « la grandeur de l’Amérique ». Il a porté le budget militaire US à des sommets inégalés (700 milliards de dollars) et poursuivi une confrontation avec la Russie dont le seul intérêt - à courte vue - est de couper la Russie de ses partenaires européens, ce qui explique le rôle actif du Royaume-Uni, voltigeur de l’empire US, dans la diabolisation de Moscou. Il n’est pas néoconservateur à la façon de George W. Bush ni interventionniste à la sauce humanitaire comme l’étaient les démocrates. Mais comme il s’est fait élire pour conjurer les affres du déclin, il entretient le mythe d’une Amérique renaissante qui croit qu’il suffit d’aligner des porte-avions pour dominer le monde.

 

Heureusement, cette ambition démesurée rencontre le principe de réalité sur tous les fronts. Le Moyen-Orient est l’épicentre d’une confrontation où Moscou s’est placé au centre du jeu, condamnant Washington à faire tapisserie pendant que les Russes mènent la danse. En dents de scie, la politique américaine en Syrie est vouée à l’échec. L’armée syrienne reconquiert le territoire national, et le dernier carré des supplétifs lobotomisés va rendre les armes. Tandis que Moscou et Damas célébreront les 50 ans d’une alliance désormais adossée au géant chinois, le mariage de Washington avec Riyad et Tel Aviv apparaîtra peut-être un jour comme une erreur de casting.

 

En matière géopolitique, les apparences sont trompeuses. L’excès de puissance ne transfuse pas nécessairement en intelligence stratégique. Les Américains dépensent 2187 dollars par an et par habitant pour leur défense, contre 154 dollars pour les Chinois. On n’observe pas la même proportion dans les résultats. Les menaces proférées simultanément contre Moscou et Pékin sont à l’opposé de la stratégie - payante à l’époque de Kissinger - qui consistait à trianguler la Russie et la Chine afin de diviser les puissances continentales. Trump, lui, semble vouloir en découdre avec tout le monde (Chine, Russie, Iran, Syrie, Corée du Nord, Cuba, Vénézuéla) et - fort heureusement - il n’affronte personne pour de bon.

 

L’Amérique de Trump croit qu’elle peut pratiquer la politique de celui qui retire l’échelle après l’avoir utilisée pour grimper au sommet. Mais la réalité, c’est qu’elle n’est plus vraiment au sommet. La politique néo-impériale de Donald Trump enrichira comme jamais les marchands d’armes et les magnats de la finance. Le paradoxe, c’est qu’elle contribuera aussi à l’hégémonie mondiale de ceux qui, loin des Etats-Unis, investissent dans les infrastructures et non dans les industries de l’armement, et qui combattent la pauvreté au lieu de l’entretenir. Inutile de préciser qui détient les clés du futur. La politique de Trump, pour l’Amérique, c’est le syndrome de la balle dans le pied.

 

Bruno GUIGUE

 

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Retour vers les textes du café politique

Café politique du 13 septembre 2018

Les « brassages planétaires ».

 

A partir du colloque qui s’est déroulé au Centre Culturel International de Cerisy-la-Salle du 1er au 7 août 2018.

La question des « brassages planétaires » concerne les végétaux, les animaux et les migrations humaines depuis la nuit des temps.

Nous ne pouvons prendre pour modèle les brassages des végétaux et des animaux pour les humains et faire de l’anthropomorphisme, mais le concept de « brassages planétaires » créé par Gilles Clément peut alimenter notre réflexion concernant les migrations humaines.

 

Après une analyse des brassages des végétaux, il sera intéressant de se demander ce qu’il en est des migrations humaines aujourd’hui, pourquoi elles focalisent tant les débats des pays européens en particulier. Pour la France, il est surtout question de l’immigration du Maghreb, du Proche-Orient ou du Moyen-Orient, de l’Afrique subsaharienne ou de la corne de l’Afrique, en majorité musulmane, et jugée en cela trop éloignée de nous culturellement. En 1975, 20% seulement des immigrés vivant en France venaient du Maghreb ou du reste de l’Afrique. Au recensement de 2012, le pourcentage atteint 43%.

Dans le même temps la part des origines européennes parmi les immigrés a reculé de 66 à 37%, du fait surtout du tarissement des migrations espagnole et portugaise.

Comment s’effectue le « brassage » de ces nouveaux immigrés avec les « natifs » français ?

Au niveau mondial la question des frontières réapparaît avec force avec la construction ou le renforcement des murs de séparations entre les nations. Ces murs sont conçus pour être étanches, comme le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis. Le collectif, aussi, peut passer par la démarcation comme en Italie aujourd’hui avec la réaffirmation des frontières.

Nous allons suivre la pensée de Gilles Clément, créateur du concept des « brassages planétaires » pour comprendre ce que ce concept recouvre pour les végétaux dans un premier temps.

 

1 ) Gilles Clément et son concept de « brassages planétaires ».

Gilles Clément est un jardinier paysagiste qui a enseigné à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. Il a créé plusieurs concepts comme le « jardin en mouvement », le « jardin planétaire » et le « Tiers-paysage ». Ces concepts découlent de l’observation qu’un paysage naturel n’est jamais figé, que les espèces et les gènes circulent. Les plantations des jardins naturels se redessinent au long de la succession des saisons. Le « métissage » des espèces, le « brassage » s’est tissé au fil du temps. D’où cette idée de jardin planétaire. Gilles Clément intègre la globalisation du monde actuel par la « planétarisation » de la terre comme jardin, comme lieu de vie.

Ses réalisations sont connues : le parc d’André Citroën, les jardins de l’Arche à la Défense, le parc Matisse à Euralille, le jardin du château de Blois, le jardin du Musée du Quai Branly à Paris par exemple…

Voici quelques lignes de l’introduction de l’un de ses derniers ouvrages paru en 2014 :

Eloge des vagabondes, qui donne bien la tonalité de cette immense liberté des végétaux dans le monde. Certaines phrases ont été rajoutées à cette introduction en lien avec le colloque de Cerisy présidé par Gilles Clément lui-même.

« Les plantes voyagent. Les herbes surtout.

Elles se déplacent en silence à la façon des vents. On ne peut rien contre le vent.

En moissonnant les nuages, on serait surpris de récolter d’impondérables semences mêlées de loess, poussières fertiles. Dans le ciel déjà se dessinent d’imprévisibles paysages.

Le hasard organise les détails, mobilise tous les espaces possibles pour la distribution des espèces. Tout convient au transport, des courants marins aux semelles des chaussures. L’essentiel du voyage revient aux animaux. La nature affrète les oiseaux consommateurs de baies, les fourmis jardinières, les moutons calmes, subversifs, dont la toison contient des champs et des champs de graines. Les plantes ne se gênent pas pour franchir les obstacles du relief et des océans. Les chênes que l’on croit avoir toujours occupé nos contrées ont stabilisé leur progression depuis le Sud voici seulement 4000 ans ….

Au cours de son histoire l’homme, animal agité de mouvements incessants, devient libre échangeur de la diversité… L’évolution trouve son compte dans les mécaniques incessantes du brassage planétaire….

 

Sans le savoir, à tout moment, nous pratiquons l’art du brassage planétaire ordinaire et domestique : nous cuisinons les plats savants de l’histoire à partir d’espèces venues des quatre coins du monde… La fraise vient du Chili, on n’y pense pas en la mangeant au dessert car elle pousse dans le jardin juste derrière la maison. La nutrition est une expression obligatoire du brassage planétaire. Le petit jardin, le premier jardin, celui de la première sédentarisation, est le lieu initial du brassage planétaire sous l’influence humaine. Les plantes qu’on y cultive, principalement vivrières, viennent d’ailleurs. On les importe des territoires de cueillette rencontrés lors du nomadisme ancestral. Le potager semble figé sur son terrain mais il est partout. Il peut même devenir nomade au fil des transhumances imposées par les changements climatiques, les guerres ou par le simple désir de voyage.

Sommes-nous capables d’accepter que notre jardin, la planète, ne nous appartient pas, mais que c’est bien nous qui lui appartenons ? …

L’ouvrage, Eloge des vagabondes, s’en tient au jardin : à la planète regardée comme telle.

Au jardinier, passager de la Terre, entremetteur privilégié de mariages inattendus, acteur direct ou indirect du vagabondage, vagabond lui-même.

Oui, tout peut évoluer à la condition d’accepter l’imprévisible invention du vivant… ».

A cette idée de jardin planétaire, Antoine Kremer, directeur de recherche à l’INRA de Bordeaux apporte un éclairage très intéressant concernant les arbres et plus précisément les chênes.

Ses travaux portent sur la biologie évolutive des arbres en réponse aux changements environnementaux. Il constate que les arbres couvrent l’ensemble de notre planète depuis les tropiques jusqu’aux régions boréales. Ce succès évolutif interroge sur les stratégies biologiques, écologiques et génétiques qui ont contribué à l’expansion de ces espèces et à leur adaptation à des environnements très contrastés. Il prend comme exemple le genre Quercus ( les chênes, présents dans tout l’hémisphère Nord), et constate le rôle déterminant des échanges génétiques ( flux géniques ), par graines et par pollen, dans la colonisation des territoires par ces espèces. Si cette colonisation a réussi c’est grâce à l’hybridation entre espèces qui a enrichi la diversité génétique et a facilité l’adaptation à des milieux nouveaux.

Nous connaissons les chênes anciens aujourd’hui grâce aux restes fossiles en nombre qui subsistent comme les feuilles et les grains de pollen. Les chênes européens sont soit pédonculés soit sessiles. Ils sont apparus il y a 5 à 6 millions d’années. A cause des changements climatiques comme l’alternance de périodes glaciaires et interglaciaires au quaternaire, ces espèces de chêne migrent d’Europe du Sud vers le Nord, mais disparaissent au Nord lors des glaciations. Elles subsistent au Sud. Les populations sources se situent en Italie, Espagne et dans les Balkans. Ainsi, à mesure que le climat se réchauffe les espèces migrent.

Comment les brassages se sont faits et ont permis ce succès ?

Le brassage chez un arbre comprend le mouvement des gènes et leur croisement. Les gènes bougent par la dispersion du pollen ( gamète mâle ). Le croisement permet la redistribution de l’information génétique, donc la constitution d’un individu nouveau qui lui-même va migrer.

Le brassage se fait en plusieurs étapes :

- par la dispersion des graines ( colonisation comme migration dans un espace libre ) et par une vitesse de colonisation rapide. Quelquefois des glands sont dispersés à 100km par exemple par les hommes qui se déplacent ( l’homme se nourrissait de glands ).

- par le croisement intraspécifique mais aussi avec d’autres espèces. L’hybridation des chênes date de 15000 ans au temps de la colonisation post-glaciaire. Les deux espèces sessile et pédonculé migrent et s’hybrident. Cette hybridation est asymétrique plus importante d’une espèce à l‘autre.

- par les flux de pollen qui font que les pollens se répandent par le vent le plus souvent.

Tous ces éléments démontrent que le brassage planétaire des espèces a toujours été nécessaire et vital.

2 ) Le brassage planétaire des animaux.

Il en est de même pour le brassage des animaux. Serge Bahuchet, directeur du laboratoire Eco-Anthropologie et Ethnobiologie du Musée de l’Homme nous parle de ce phénomène grâce aux données génétiques récentes.

Il évoque l’ADN de chiens au néolithique issus de chiens orientaux transportés à l’Ouest et qui remplacent les chiens paléolithiques. Le chien serait issu du loup et aurait été domestiqué en Asie et en Europe. Il y a eu de nombreux mélanges entre chiens domestiqués et entre des chiens et des loups. Les chiens américains ne sont pas issus de domestications des loups américains mais sont les descendants de chiens asiatiques arrivés avec les hommes qui migraient.

 

La plupart des animaux domestiqués en Europe sont issus du Proche-Orient. Ils sont capturés à l’état sauvage et mis en captivité vers 11000 ans, puis 2000 ans plus tard ils sont complètement domestiqués, ce sont les chèvres, les moutons, les vaches et les porcs.

Les poules sauvages viennent d’Asie du Sud-Est et arrivent en Chine vers 6000 ans, puis en Grèce vers 700 avant JC.

Le buffle est un des derniers animaux orientaux qui arrive en Europe vers le VIème siècle avant JC.

Sur le continent américain les lamas, alpagas, cochons d’Inde, le dindon et le canard musqué restent locaux et ne se diffusent pas dans l’Amérique précolombienne, contrairement aux plantes, maïs, haricots, piments qui se sont répandus du Nord au Sud du continent.

A l’arrivée des Espagnols au XVIème siècle le cheval est introduit en Amérique. Les colons vont apporter des plantes européennes pour nourrir les troupeaux comme le trèfle.

Les Espagnols relâchent les chevaux qui se multiplient et sont capturés par les Indiens.

Inversement plusieurs types d’animaux migrent vers l’Europe : le dindon, le cochon d’Inde devenu animal d’agrément.

De nombreux autres exemples végétaux et animaux illustrent ce « brassage planétaire » qui a abouti à notre réalité contemporaine.

Qu’en est-il des migrations humaines ? Le brassage s’est-il effectué sur ce modèle de liberté que décrit Gilles Clément en nous disant que seules des conditions climatiques extrêmes peuvent le contrarier ?

Pour esquisser des éléments de réponse je m’appuierai sur François Héran, titulaire d’une Chaire sur les migrations créée récemment au Collège de France. Il s’attelle à nous décrire le cas français, lui qui a présidé l’INED ( Institut National d’Etudes Démographiques ) de nombreuses années.

3 ) L’immigration en France, « brassage humain « ?

Partons d’un tableau de cette immigration.

Chaque année depuis 15 ans la France accueille une immigration légale extracommunautaire de 200 000 personnes environ ( 65000 étudiants installés en France pour une durée de moins d’un an, 50000 personnes ayant migré en France parce que leur conjoint a le droit d’épouser un étranger ou une étrangère, 33000 personnes venues au titre du regroupement familial, 18000 personnes ayant reçu le titre officiel de réfugié ou l’autorisation de suivre un traitement médical de longue durée, 17000 personnes entrées directement au titre du travail non saisonnier. Le tableau se complète par une rubrique « autres » regroupant 12000 personnes dont les mineurs isolés et les « visiteurs » ( des proches ayant promis de ne pas travailler sur place ).

Pour un pays de près de 65 millions d’habitants cette immigration légale extracommunautaire représente 0,3% en proportion et se situe dans la moyenne de l’Union européenne.

L’opinion française a été frappée par le phénomène de l’engorgement du Calaisis par les migrants. Mais il est difficile de faire croire que ce dossier est au coeur de la politique migratoire française. La migration de transit représente jusqu’en 2015 un flux annuel de 2000 à 4000 personnes soit cinquante fois moins que le nombre de titres de séjour délivrés chaque année aux migrants des pays tiers.

Cette migration de transit convertie en migration de refuge a masqué l’accueil très timide des réfugiés syriens en France ( en 2015, 3400 demandes d’asile contre 5100 pour les soudanais ). Pressé par Bruxelles le gouvernement français a accepté d’accueillir 24000 Syriens en deux ans soit finalement dix fois moins que l’Allemagne.

Nous sommes loin d’une France de 42 millions d’habitants en 1939 accueillant 700000 personnes fuyant Franco.

Le poids total de la population issue de l’immigration en France est le signe d’une forme de brassage au cours du temps depuis le XIXème siècle. Pour l’INSEE les immigrés avoisinent 10% de la population vivant en France ( personnes nées étrangères à l’étranger et venues s’installer pour une durée légale d’au moins un an qu’elles aient ou non acquis la nationalité française par la suite ).

A la génération suivante les personnes nées en France de deux parents immigrés ou d’un seul parent réunissent environ 12% de la population. Cela signifie que plus d’un habitant sur cinq en France est immigré ou enfant d’au moins un immigré.

L’acquisition de la nationalité ne change rien ces chiffres : la qualité d’immigré est permanente : elle ne s’efface que si la personne quitte le pays. Plus de 40% des immigrés sont naturalisés et sont à la fois français et immigrés.

La grande majorité des migrants extra-européens s’installe durablement dans le pays d’accueil. Ils contribuent à le peupler.

Le mécanisme est connu : les enfants grandissent, de nouvelles attaches se nouent au fil du temps avec la société d’accueil. Les parents découvrent que le retour au pays devient plus problématique que l’intégration sur place. La migration de travail se double d’une migration familiale et tourne à la « migration de peuplement ». Pour le démographe, peuplement ne veut pas dire remplacement mais complément car les deux populations s’additionnent.

Il est essentiel de lier les deux volets de la migration : circulation et peuplement.

La greffe prend malgré les difficultés de socialisation, de marché du travail, de discrimination. Le huitième de la population immigrée a une origine musulmane, sans pour autant pratiquer toujours la religion. C’est absurde de dire que cette partie de la population n’est pas intégrée. La société française étant inégalitaire et divisée l’intégration dépend de multiples facteurs de génération, de genre, d’origines sociales, d’habitat, de religion…

Etre pour ou contre l’immigration n’a plus de sens alors que près d’un quart de la population française comprend des immigrés et leurs enfants nés en France. Cela incite à ouvrir le débat public sur d’autres bases que celle de la peur et du rejet, du grand remplacement et autres…

 

Conclusion.

Il faut cependant réfléchir à la question d’une migration mondiale « sans frontières » qui libérerait totalement le droit de s’installer dans le pays de son choix.

« Sans la liberté d’émigrer ou de ne pas émigrer, les courants d’émigration forcée qui sillonnent le monde se heurtent à des contradictions majeures comme on l’a vu dans la crise de 2015-2016 : personne ne sait comment concilier la juste répartition avec le fait que les exilés ont eux-mêmes des préférences pour tel ou tel pays. Immigration zéro ou drastiquement réduite, d’un côté ; immigration sans entraves, de l’autre : ce sont là deux formes de déni de la réalité » nous dit François Héran.

La France se doit de réfléchir à l’échelle de l’accueil des exilés du Proche-Orient quelle que soit leur religion. Le concept de « brassage planétaire » a ainsi le mérite d’amorcer la réflexion sur la question de la migration mondiale.

 

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Café politique du 13 septembre 2018

Les brassages planétaires.

 

Après l’exposé de Geneviève concernant le colloque de Cerisy-la-Salle sur les brassages

planétaires, le débat s’ouvre.

 

1 ) Réflexions à propos du concept de « brassages planétaires ».

 

- L’exposé introductif met en lumière le caractère interactif ou interactionniste des éléments vivants de notre monde. Cette approche se différencie de la construction de la pensée à l’occidentale qui se fonde sur une ontologie essentialiste. Le jardin, par exemple, est un écosystème dans lequel les différents éléments interagissent. Des espèces apparaissent du fait de ces interactions. Dans les systèmes naturels il y a toujours des évolutions mais dans ces évolutions tout n’est pas toujours favorable notamment en ce qui concerne les espèces invasives. Du fait des échanges plus nombreux, favorisés par des transports de plus en plus rapides, ces espèces invasives peuvent faire des dégâts. Citons la renouée du Japon, la berce du Caucase, les écrevisses américaines, les abeilles africaines. Chez les animaux, citons les pigeons ramiers. Du point de vue des migrations humaines, nous savons que celles-ci peuvent être facteurs de croissance économique, mais il reste qu’il existe une résistance psychologique à l’immigration ( voir la Suède, le Brexit, le Rassemblement National en France ). Même si rationnellement nous pensons que l’immigration peut avoir du bon, nous ne maîtrisons pas totalement le fonctionnement de notre esprit d’autant que certaines populations ne font pas toujours les efforts suffisants pour s’intégrer dans le pays d’accueil. Des processus d’hégémonies peuvent se dérouler de la part des « souchiens » comme des immigrés.

 

- Un participant nous fait part de son approche subjective de l’exposé sur les brassages planétaires. « Je relève des informations que je n’avais pas et qui m’ont surpris. Quand la nature agit seule cela donne des choses assez surprenantes qui sont plutôt positives. Il y a aussi des statistiques démographiques qui établissent clairement des faits en termes de migrations humaines. C’est une invitation à une approche bienveillante et heureuse du phénomène de l’immigration. Avant de venir à ce café politique je relisais une interview de Pierre Rosanvallon publiée dans Le Monde il y a une semaine environ : ce que dit Pierre Rosanvallon pourrait se conjuguer assez heureusement avec cette approche tout-à-fait subjective que je viens d’énoncer.

 

Rosanvallon dit que la gauche est impuissante aujourd’hui. Cette impuissance vient de l’impensé. Que faut-il penser aujourd’hui ?Jusqu’ici il y avait trois phases en terme d’idées de gauche :

• l’esprit des Lumières

• les réalisations de cet esprit par la démocratie chrétienne et les idéaux de la Résistance comme la gratuité de la santé et de l’école, ce qu’on a nommé traditionnellement la République

• et maintenant nous abordons la troisième phase : notre liberté à nous exprimer dans notre individualité en tant que nous sommes pluriels.

Rosanvallon rappelle que le visage en latin signifie le masque que nous portons, ce que nous affichons pour pouvoir jouir de cette liberté. L’immigration, telle qu’elle est possible, réglementée bien entendu, peut être regardée comme une virtualité d’un supplément de liberté et d’émancipation au sens où Rosanvallon le préconise ».

L’intérêt du débat de ce jour est de se séparer de la doxa sur l’immigration qui n’est pas le terrible phénomène tant décrié.

- L’enrichissement des brassages se traduit aussi dans nos langues et nos pratiques culinaires. Une partie de ce que nous mangeons et disons vient du Moyen et Proche Orient : le café, le sucre candi, les épinards, les mots comme le zéro, l’algorithme…

 

2 ) Une vision négative du brassage humain.

- Le poids des médias est important. Ils diffusent de fake news, il y a le storytelling, en résumé la diffusion d’idées fausses. Le savoir sur l’immigration n’a pas beaucoup de place dans ces « informations ».

- Les médias renforcent les peurs. Nous restons dans les ressentis et dans l’affect et peu dans la pensée. La société française souffre de cet état de choses.

- Les politiques ( de droite et de gauche ) ne font pas état des vrais chiffres de l’immigration et ont des propos démagogiques quand ils projettent de faire diminuer l’immigration légale extra-européenne en France. Depuis plus de quinze ans, cette immigration tourne autour de 200 000 personnes par an, compte tenu du respect des Conventions internationales auxquelles la France a adhéré et qui autorisent les regroupements familiaux par exemple. L’immigration choisie de Sarkozy n’a pas abouti, comme elle a été plutôt un échec dans d’autres pays qui ont tenté de l’adopter comme le Canada ou la Suisse.

- Gilles Clément, pour sa part, a pris position en 2007 par rapport au sarkozisme en refusant tout contrat avec l’Etat à partir de cette date pour se désolidariser de cette pensée de l’immigration. Il s’est présenté aux élections législatives d’Ecologie-les Verts en Creuse à Crozant où il vit.

- La vision bienveillante de l’immigration pose la question de savoir comment la transmettre. Les phénomènes affectifs et psychosociaux vont en sens contraire de cette bienveillance. Il y a tout un travail à faire sur cette transmission. L’idée simpliste qui consiste à attribuer ces phénomènes aux « fascistes » ne suffit pas.

- Les pays qui connaissent une immigration importante comme la Suède et l’Allemagne sont en ce moment en proie à des flambées d’extrême-droite parfois plus virulentes que celles du Rassemblement National en France.

- La peur de l’autre, la peur du différent, existent dans la nature humaine de tous temps.

Il semble difficile de changer les choses.

- Le cerveau reptilien nous guide jusqu’à âge de cinq ans et nous permet de vivre jusque là : nous ne sommes pas alors en mesure de verbaliser nos émotions. Le deuxième cerveau, le cortex nous permet plus tard de formuler ce que nous vivons. On pourrait dire que nous agissons quelquefois sous l’emprise du cerveau reptilien quand nous avons peur de l’inconnu et que nous n’arrivons pas à prendre en compte les éléments objectifs d’une situation comme le bilan clair de l’immigration en France. Cette peur existe, mais elle est irraisonnée et souvent infondée. Il semble donc nécessaire de la réinterroger en permanence pour qu’elle ne nous déborde pas, qu’elle ne nous submerge pas, surtout quand il est question de l’autre dont nous savons qu’il nous met en difficulté mais que nous ne pouvons vivre sans lui. Que les autres soient nos voisins ou qu’ils viennent de loin, ils ont en commun d’être autres. Il est nécessaire de parler de ces réactions et d'accepter de les exprimer.

- Nous pouvons aussi prendre en compte le facteur stress ( culte de la performance ) de plus en plus important dans nos vies professionnelles en particulier. Ce stress ne favorise pas vraiment l’accueil de l’autre.

• Les facteurs géopolitiques jouent un rôle important dans les causes de l’immigration.

• Le budget du Pentagone est de 700 milliards de dollars par an. Il crée le désordre actuel au Moyen-Orient et face à cela il y a le phénomène de financiarisation de l’économie qui détruit le système capitaliste et qui précipite des millions de personnes dans la pauvreté. Il faut s‘attaquer au système qui produit ces désordres. Les migrations ne seront plus des migrations par nécessité quand le développement économique et humain des pays d’origine sera effectif.

 

- La question qui se pose est le devenir de ces brassages humains. Si Bouteflika décède des millions de jeunes chercheront à partir d’Algérie vers la France… Que ferons-nous ?

 

3 ) Un autre discours sur l’immigration.

- Roosevelt a dit : « Il n’y a qu’une seule chose dont nous devons avoir peur, c’est de la peur elle-même ».

- Nous devons nous poser la question suivante : comment nous pouvons et nous devons vivre ensemble. Le fait politique c’est cela : être dans une cité. Il faut un sursaut démocratique qui doit se faire sur la base notamment d’une rigueur vis-à-vis de nous-mêmes. La vie en cité n’est possible et, c’est un historique constant depuis que les cités existent, que par la sublimation du ressenti et non pas des partages de ressentis de surface qui prennent de l’ampleur. Cela finit par ne plus « passer » comme un bol alimentaire bloqué en nous.

- L’accueil heureux des immigrés peut se réaliser grâce à une meilleure connaissance de leurs pays, coutumes, idées, ce qui réduirait la part de crainte de l’inconnu. Notons le travail des associations qui mettent en contact les accueillants et les arrivants.

- Le travail à l’étranger pour les étudiants après leur diplôme pourrait ouvrir l’esprit des jeunes à l’autre.

- La question de la submersion de l’Europe à venir par les populations africaines en expansion est très largement contrée par François Héran. « Si l’on intègre la croissance démographique projetée par l’ONU, c’est-à-dire le passage de 970 millions d’Africains en zone subsaharienne à 2,2 milliards en 2050 (…), les immigrés subsahariens installés dans les pays de l’OCDE pourraient représenter en 2050 non plus 0,4% de la population mais 2,4%. » C’est une hausse importante mais qui ne permet pas de parler d’invasion même en ajoutant la seconde génération. A l’heure actuelle « sur les 420 millions d’habitants de l’Europe de l’Ouest, 5,3 millions sont nés en Afrique du Nord, et 4,4 millions dans le reste du continent africain ». En France ces taux sont de 4,3% pour les natifs d’Afrique du Nord et de 1,5% pour les Subsahariens. Il faudrait un saut en matière de développement pour que l’émigration africaine fasse un bond tant il est vrai que plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont de chance de migrer loin. S’ils émigrent c’est d’abord dans les pays limitrophes.

 

Conclusion

Les politiciens ont développé en nous des passions tristes comme dirait Spinoza. Les réactions qui en découlent peuvent aboutir au communautarisme et il y a une spirale infernale : communautarisme, réaction de la population majoritaire avec encore plus d’hostilité qui favorise encore le communautarisme. Nous arrivons ainsi à la radicalisation.

Il devient urgent de casser ce cercle vicieux en développant un accueil des immigrés digne de ce nom.

Nos gouvernements devraient éviter de soutenir les chefs d’Etat étrangers corrompus.

Retour vers les textes du café politique

 

brassage

Texte de Jean-Louis Goepp en introduction au Café du mardi 23 octobre

 

L’Europe, une utopie nécessaire ?

 

« L’utopie est le rêve nécessaire, et la réalité le défi permanent ». ( Daniel Cohn-Bendit ).

 

L’utopie c’est réfléchir aux caractères moraux d’une société qu’on essaie de transformer.

Dans la mondialisation qui va gagner encore, dans l’Europe, l’Allemagne aura l’importance du Luxembourg aujourd’hui et la France qu’à Malte aujourd’hui.

Votre projet de civilisation est-il de vivre pépère comme le Luxembourg et Malte ?

Si on a un projet de civilisation on ne peut le faire que par l’Europe.

C’est en définissant le rêve qu’on définit la direction. C’est en définissant la direction qu’on peut définir le changement.

Marcel Duchamp appelait les tableaux les « retards ». Le délai est d’une génération pour l’élite, de deux générations pour le public cultivé, de trois générations pour le grand public. Un siècle se passe avant que la foule s’assemble dans l’unanimité ou l’événement inventé par la narration historique.

L’Europe est une oeuvre d’art inachevée ( « inachevé » est le propre de toute œuvre d’art ). Ce que nous voyons n’est pas fait de ce que nous voyons mais de ce que nous sommes.

Nous avons ici un devoir de regard et de lecture pour dire ce qu’est l’oeuvre aujourd’hui et ce qui manque. Notre regard désirant cherche et invente autre chose derrière ce qu’il voit.

Ce que nous voyons de l’Europe.

C’est l’Europe de pères fondateurs : celle de la paix, des Droits de l’Homme, de la solidarité, de la gratuité des soins pour tous, de l’accès à l’instruction pour tous.

L’Europe est exemplaire aux démocraties. Elle n’est pas offensive, elle est universelle. A la libéralisation mondiale des marchés elle oppose une sage régulation. L’individu a sa place dans nos lois qui lui permettent de s’épanouir.

L’Europe a identifié ses ennemis : nationalisme et populisme et Haro sur l’immigration.

Aux détracteurs opposons ce qu’est l’immigration, elle n’est pas ce diable qui nous donne l’effroi.

 

L’oeuvre de l’Europe.

Elle se présente comme unique au monde et unique dans l’histoire des civilisations. Elle est première puissance économique et commerciale au monde. Il lui reste à s’instituer comme puissance politique.

 

Vision à long terme.

Il faut une planification fédérative sur la base d’une vision lointaine du devenir idéal de l’Europe.

Il faut une politique qui se libère des pouvoirs de la finance. Il faut prendre à bras le corps les questions environnementales, de régulation économique et sociale ainsi que la gestion monétaire.

 

Vision à moyen terme.

Il faut constituer des entités régionales homogènes. Vivre ensemble différemment, consommer différemment, surmonter l’affrontement entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Se faire entendre au niveau mondial.

 

Devant nous.

Dire non à l’absence de réglementation sur les contenus internet.

Sortir définitivement de la crise financière. Dire non à la possibilité pour les groupes internationaux d’engager des procès contre les Etats. Faire la zone euro.

Les prochaines élections européennes.

Ne faisons pas la fine bouche, sachons distinguer. La partie n’est pas le tout. Face au populisme et au nationalisme il n’y a que deux camps : on est pour l’Europe, si on est pour l’Europe on ne nuit pas à l’Europe.

 

Nous sommes à pied d’Oeuvre :

- D’un côté nationalisme et populisme

- de l’autre côté, l’Europe instituante et constituante comme un accès au bien vivre ensemble.

 

Il faut une Europe fédérale au service des citoyens. Il faut adopter une logique fédérale. Il faut approfondir la réflexion pour une description exacte de la réalité que nous voulons changer. Exactitude du diagnostic = critique radicale.

Il faut changer le modèle économique et social, sortir de l’égoïsme qui motive le choix économique, sortir de l’échange marchand pour une économie du partage ; décorréler le bonheur de la richesse, militer pour une utilisation collective des biens, passer de l’enrichissement sans limite à une société solidaire.

Il faut donner un agenda à l’Europe, planifier, fédérer. Il faut un espace public, un budget, un modèle social européen ; un service public européen à socle éducatif commun ; une agriculture écologique ; un système financier régulier, une fiscalité améliorée.

Groupons-nous pour une mobilisation citoyenne : débats, symboles, pétitions, moments forts.

C’est du Parlement européen que viendra le changement. Que les citoyens marchent sur le Parlement.

 

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Synthèse du café politique du 23 octobre 2018 L’Europe, une utopie nécessaire ?

 

Après l’exposé de Jean-Louis, le débat s’ouvre.

 

A L’utopie mise à mal dans l’Union européenne. 1 ) La question de l’utopie.

A l’origine de l’utopie il y a souvent le désir d’une société plus juste et plus libre.

Thomas More, philosophe, théologien et humaniste anglais du XVIème siècle, était le grand ami d’Erasme. C’est lui qui a écrit un ouvrage intitulé Utopia ( d’après la racine grecque c’est un « lieu qui n’est nulle part »). Après lui les utopistes auront tendance à proposer des systèmes assez rigides et même quelquefois militaires pour mettre en oeuvre leurs idées. L’utopie européenne ne se serait-elle pas dissoute dans une forme de rigidité, de bureaucratie et d’uniformisation ? On peut penser que cette rigidité n’est pas forcément utile. L’exemple de la Suisse nous montre un système où la fiscalité change selon les cantons sans que cela nuise à l’esprit fédéral.

Ce qui est utopie pour les uns peut être dystopie pour les autres.

Les valeurs de l’Union européenne sont celles proclamées par la Charte des droits fondamentaux, selon laquelle « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe d’Etat de droit ». Par certains de ses aspects, l’utopie européenne semble trompeuse :

Article 63 du TFUE ( Traité sur le fonctionnement de l’UE ) : « Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites ». Cet article interdit toute politique visant à limiter les délocalisations.

Article 48 du TFUE : pour toute modification des traités européens l’unanimité des 28 membres de l’UE est requise. Comme l’unanimité est très difficile à obtenir,  il semble                                                                                                                              très compliqué d’imaginer des changements dans l’orientation de l’UE, d’où un déficit flagrant de démocratie.

Les multiples cessions d’actifs comme celles d’ADP et de la Française des jeux en France, le projet de privatisation de la SNCF, sont des manières de renflouer la dette à  la demande de l’UE.

Le fait d’uniformiser les règles des différents régimes de retraite va dans le sens de ne pas les aligner sur le système le plus favorable aux retraités.) Les contraintes de la géopolitique sur l’UE.

La position américaine par rapport à l’Europe prête à réflexion. L’OTAN reste un instrument de domination américaine sur l’Europe. Les Américains oeuvrent pour éviter tout rapprochement de l’UE et du Kremlin qui l’a proposé à plusieurs reprises.

La question d’une forme de retour à la guerre froide se pose actuellement.

Les différents Etats européens ont des histoires spécifiques : les pays de l’Est récemment intégrés dans l’UE sont encore marqués par leurs 70 ans de communisme et ont découvert difficilement la question du chômage, inconnue sous le régime du socialisme d’Etat. Renan prônait déjà la nécessité d’être attentif aux réalités du

« terrain » et de signifier ces réalités aux « transcendants de la politique ». Dans son discours sur Qu’est-ce qu’une Nation ?, prononcé en 1882 à la Sorbonne, Renan nous dit : « Laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être après des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à  nos  modestes solutions empiriques ».

Par ailleurs peut-on parler d’une culture commune européenne ?

De manière générale la question de l’évasion fiscale au niveau européen continue de poser problème

 

) Le déficit démocratique de l’UE.

Il y a au Parlement européen des députés anti-européens. Que penser de cette contradiction en termes démocratiques ? On pourrait dire avec Churchill que « la démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres ».

La question de la lisibilité et du fonctionnement des institutions européennes se pose.

Les véritables organes dirigeants de l’UE ( Commission, Cour de Justice, Conseil, Banque Centrale ) se trouvent hors de portée de voix électorale.

Les citoyens, privés d’expression politique n’ont dès lors plus le choix que d’être pro ou anti européens et cela enflamme les débats nationaux.

Il est difficile de parler d’« un espace public européen » de débats même  si  le Parlement européen a vu récemment ses pouvoirs se renforcer.

Il semblerait que dans l’Histoire il y ait eu peu d’exemples d’Unions qui se seraient construites démocratiquement.

Les députés européens sont les représentants de partis ce qui interroge toujours sur leur représentativité.

Le trop grand nombre d’Etats intégrés trop rapidement dans l’UE, sans donner à cette UE une direction claire, nuit à la démocratie.

 

B Vers une Europe des citoyens ?

Faire un état des lieux plus positif :

Certains Etats comme la Roumanie ont vu leur économie s’améliorer avec l’entrée dans l’UE.

L’Europe ne prône pas la dérégulation.

L’Europe  des  Pères  fondateurs  a  une  certaine  réalité  par  son  ambition  culturelle   ( Erasmus et autres initiatives..), la place qu’elle donne à l’individu, l’encouragement à l’art, les actions de solidarité.

Dès les années 1980 l’Europe a affirmé les principes d’égalité des chances et des hommes et des femmes.  Les  mouvements  citoyens  ont  à  leur  disposition  les canaux médiatiques pour tenter d’infléchir les processus de décision.

 

Les projets

La question du modèle économique et social reste à définir, mais c’est le propre de la démocratie que de se construire en avançant.

L’UE n’a pas besoin d’être d’emblée un « objet politique » défini, mais gageons que peu à peu elle trouvera son identité : Europe des nations ou Europe fédérale ?

Certains pensent qu’en revenant à une simple coopération des nations, ce serait la fin de l’UE mais aussi la renaissance d’une autre forme de coopération. Les meilleurs réalisations semblent être celles d’Airbus et d’Erasmus et sont des projets intergouvernementaux.

La diversité des cultures peut être un vrai moteur pour une culture européenne respectant les originalités de chaque Etat tout en les mettant en synergie.

 

 

Conclusion.

Certains pensent revenir à un état d’avant l’UE dans lequel les traités bilatéraux reprendraient leur place et où chaque nation serait souveraine.

Il ne faut cependant pas oublier que chaque fois qu’il y a eu des nations indépendantes en Europe le nationalisme a rôdé et a provoqué des guerres comme la guerre de Trente ans, les guerres de religions, les deux conflits mondiaux. L’UE est un gage de paix depuis 70 ans.

Cette élection semble être un tournant citoyen important par rapport à l’Europe, celui   du désaveu profond où celui d’un espoir réaliste d’avancer ensemble malgré toutes les difficultés. Il semble difficile de nier qu’une culture commune européenne est en train de s’élaborer.

Reste la question brûlante de l’économie et d’une éventuelle crise financière à venir qui risquerait de compromettre les élans de construction d’un  espace  public  européen dont les citoyens s’empareraient de manière plus explicite.

 

 

*             *             *             *             *

 

Article du Monde du 23 septembre 2018 Dans Débats et Analyses

Il est encore possible de réanimer l’Union européenne

Par un collectif d’universitaires issus de différents pays de l’Union.

 

 

Extraits de l’article.

 

L’état des lieux.

« Depuis 2005 et l’échec de projet de traité constitutionnel, des craquements de plus en plus inquiétants se font entendre sans que rien ne semble devoir tirer les dirigeants de l’Union européenne de leur sommeil dogmatique. Ni les désaveux électoraux répétés, ni  la fracture économique entre pays de la zone euro, ni le renflouement par le contribuable de banquiers irresponsables, ni la descente de la Grèce aux enfers, ni l’incapacité à trouver une réponse commune aux flux migratoires, ni le Brexit, ni l’impuissance face aux diktats américains imposés au mépris des traités signés, ni la montée de la pauvreté, des inégalités, des nationalistes et de la xénophobie n’ont permis d’ouvrir à l’échelle  de l’Union européenne un débat démocratique sur la crise profonde qu’elle traverse et les moyens de la surmonter.

 

Il est vrai qu’en l’absence d’espace public européen, la question des politiques de l’Union ne peut être débattue qu’au niveau des Etats membres. Or le niveau national n’étant pas celui où ces politiques sont définies, on ne peut y débattre que du point de vue de savoir si on doit la « supporter » telle qu’elle dysfonctionne, ou bien en sortir…

 

Les « débats » nationaux sur l’Union européenne se réduisent ainsi de façon caricaturale à une joute entre pro et antieuropéens. Tous ceux qui critiquent le fonctionnement de l’UE se trouvant qualifiés d’ « anti », le nombre de ces derniers ne cesse de grossir et, avec eux, celui des partis et des gouvernements adoptant vis-à-vis d’elle un point de vue ethnonationaliste.

La trahison des valeurs.

La raison première de la désaffection croissante pour l’Union européenne est le divorce entre les valeurs dont elle se réclame et les politiques qu’elle conduit. Ces valeurs sont celles proclamées par la Charte des droits fondamentaux selon laquelle « L’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. » Leur trahison concerne au premier chef le principe de démocratie, mais il est aussi évident s’agissant du principe de solidarité.

Le danger que la construction européenne faisait courir à la démocratie avait été dénoncé dès 1957 par Pierre Mendès France : « L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une « politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale »….

L’Union ne connaît pas d’élections permettant à une opposition se structurer et d’accéder au pouvoir sur un programme de gouvernement.

Dans un livre récent, un ancien membre de la Cour constitutionnelle allemande, l’éminent juriste Dieter Grimm, attribue ce défaut de démocratie à l’inscription dans les traités de choix de politiques économiques qui devraient normalement relever de la délibération ( et de l’alternance politique ) …

Ce régime est celui qu’appelait de ses voeux dès 1939, l’un des théoriciens du néolibéralisme, Friedrich Hayek, selon lequel une fédération d’Etats fondée sur « les forces impersonnelles du marché » serait l’institution la mieux à même de mettre ces forces à l’abri des « interférences législatives » des gouvernements démocratiques élus dans ses Etats membres…

De fait, la corrosion des systèmes de solidarités, qu’il s’agisse des services publics, du droit du travail ou de la sécurité sociale, est l’un des effets les plus visibles de l’intégration européenne, et le premier facteur de sa désintégration. L’Union européenne trahit là aussi les valeurs dont elle se réclame, puisque la proclamation du principe de solidarité étendu à la protection de l’environnement, a été l’aspect le plus novateur de la Charte des droits fondamentaux de l’UE…

D’autant plus soumise aux lobbys qu’elle échappe au contrôle démocratique, l’UE  poursuit ainsi sa course au moins-disant social, fiscal et écologique entre les Etats….

La seule solidarité qui semble fonctionner efficacement en Europe est celle qui a permis                                                                                                                                           de sauver, sans le réformer sérieusement, un système bancaire en faillite en l’inondant de liquidités, en transférant ses pertes sur les contribuables européens et en plongeant des pays entiers dans la misère. Sans qu’à aucun moment on semble n’avoir songé à demander des comptes à celle ( Goldman Sachs ) qui, dans le cas grec, avait contribué  au maquillage des comptes publics. Il est vrai que nombre de dirigeants européens de premier plan sont issus de cette banque qui s’est assurée en retour les services d’un ancien Président de la Commission européenne …

Faute d’être instituées démocratiquement, les solidarités ressurgissent sur des bases identitaires, ethniques ou religieuses, ouvrant la voie aux démagogues et aux violences.

 

L’UE ne retrouvera son crédit et sa légitimité que dans la mesure où elle s’affirme comme une Europe de la coopération plutôt que de la compétition.

 

Propositions.

Une Europe prenant appui sur la riche diversité de ses langues de ses cultures, au lieu s’employer à les araser ou les uniformiser.

Une Europe des projets, ouvrant à la solidarité continentale.

Lutter contre ce que Roosevelt nommait « l’argent organisé » en séparant les banques de dépôt et d’investissement et en limitant leur pouvoir de création monétaire.

Imposer aux opérateurs économiques de toutes nationalités qui opèrent sur le continent des règles à la hauteur de la gravité des périls écologiques, de la flambée  des inégalités, de la concurrence fiscale mortifère qui conduit à la dégradation des équipements et services publics et des infrastructures routières et ferroviaires.

Créer un cadre juridique commun favorisant l’essor entre les Etats et le marché, de l’économie sociale et solidaire, des biens communs et des multiples formes de la solidarité civile.

Lutter contre les monopoles exercés aujourd’hui par les GAFA ( Google, Apple, Facebook, Amazon ) et demain par des entreprises chinoises.

Se doter d’un parquet ayant les moyens de répliquer à l’imposition extraterritoriale du droit américain aux entreprises européennes.

Répondre de façon équilibrée à la question migratoire.

Restaurer la démocratie.

Une telle refondation de l’Union a pour condition non seulement une restauration mais aussi un approfondissement de la démocratie à tous les niveaux de la délibération politique, local, national et européen.

 

Il serait possible de doter l’Union de ressources budgétaires propres ( notamment par une taxation des transactions financières ) allouées à des objectifs de développement durable et contrôlées par le Parlement européen, et de rendre symétriquement aux Etats leurs propres capacités budgétaires, sans lesquelles leur vie démocratique est privée de substance.

 

Cette perte de substance affecte aujourd’hui toutes les formes de démocratie locale et de démocratie sociale dont les ressources sont asséchées par des gouvernements n’ayant pas d’autre boussole que la gouvernance par les nombres qui régit l’Eurozone.

 

Il faudrait une véritable renaissance de la démocratie sans laquelle les «  élites  dirigeantes » continueront de se couper de l’expérience infiniment riche et diverse de la  vie des peuples et d’en faire la proie des démagogues.

 Extraits de l’article du Monde du 5 octobre 2018, évoquant le dernier ouvrage : L’Europe. Encyclopédie historique, sous la direction de Christophe Charles et Daniel Roche, Actes Sud, 2018.

 

Toute l’histoire de l’Europe le montre : chaque fois qu’elle a été au bout de la désunion, elle s’est enfoncée dans des catastrophes en chaîne. Il suffit de penser aux guerres de religion, à la Guerre de Trente ans ou aux deux conflits mondiaux. L’histoire ce sont toujours des choix négatifs. Un unité fragile, incertaine, pleine de tensions n’est pas entièrement satisfaisante, mais le contraire est pire.

 

Dans sa forme actuelle l’Europe n’existe que depuis 60 ans pour les fondateurs. Il faut un vaste investissement intellectuel et culturel pour reconnecter les gens à l’identité européenne et leur faire comprendre qu’elle n’abolit pas les identités locales ou nationales. Elle est un complément, un ajout, elle peut être une force pour aller vers l’avenir.

Retour vers les textes du café politique

Europe

Texte de Jean-Luc pour le café politique du 21 février 2019

: Quelle issue pour le match Trump-Xi Jinping.

 

> En Occident, le discours officiel veut nous faire croire que la stabilité du monde serait menacée par la prétention, dénigrée comme relevant du "populisme", de certains Etats à vouloir garder leur souveraineté. En réalité, il y a dans le monde un Etat, les USA, qui vit dans l'obsession de sauvegarder la suprématie qu'il a réussi  à  acquérir  dans  les  affaires  mondiales.  Les  instruments  en  sont  la   projection militaire (800 bases militaires US à travers le monde, dont 40 autour de  la Chine), le

$ comme monnaie de réserve mondiale et l'extra-territorialisation du droit US. B. Obama faisait passer cela pour du "progressisme", mais D. Trump, plus direct, considère que tout baratin justificatif est inutile: à ses yeux, la volonté de la Chine   à vouloir non seulement, protéger sa souveraineté mais se créer une zone d'influence par le biais des "routes de la soie" est inacceptable. Cela doit donc    être contré car ce serait susceptible de constituer une remise en cause de la suprématie US.

 

> L'angle d'attaque est le commerce, les USA affirmant être victimes  de  concurrence déloyale et de vol de propriété intellectuelle. En 2017, ils ont importé de Chine pour 505 milliards de $ de marchandises, mais ce chiffre comprend les importations de produits faits par les firmes US installées dans ce pays. Lequel a importé la même année pour 130 milliards de $ de marchandises US. Les USA ont instauré en 2018 des taxes pour 200 milliards de marchandises et la Chine pour

60. Mais pour la Maison Blanche, ce n'est à vrai dire, pas tant l'équilibre commercial qui est cherché que d'empêcher la Chine de devenir une puissance comparable aux USA.

> Le PIB chinois en 2016 a été de 11 200 md $, le chiffre US étant de 18 570 md $, et de fait, de nombreux économistes pensent que la Chine, à terme, dépassera les USA. Y avait-il une fatalité que ce développement se fasse au détriment de l'Occident, comme il s'en afflige à présent? Y  avait-il  une  fatalité  que  des millions de travailleurs US et au-delà, occidentaux, soient précipités dans la précarité?  A l'évidence, non, puisque "rien n’obligeait les dirigeants occidentaux    à ouvrir leurs pays à tous les vents commerciaux,  à  encourager  les délocalisations et à supprimer un à un leurs  instruments  d’intervention économique sous  la  pression des multinationales — lesquelles se sont ruées sur le territoire chinois. Aujourd’hui encore, plus de quatre exportations « chinoises » sur dix (42,6 %) sont effectuées par des entreprises étrangères qui maîtrisent la totalité de la chaîne du produit (de la conception à la vente) et engrangent le maximum de profits" écrit Martine Bulard dans le Monde diplomatique de  novembre 2018.

 

>  Et  en  effet,  contrairement  aux  pays  dits  libéraux,   en   Chine,   les différents gouvernements qui se sont succédés, sans être dirigistes, ont gardé le contrôle de l'activité économique et de son financement. Le résultat a été qu'en    30 ans, le PIB a été multiplié par 17, l'espérance  de  vie  a  été  augmentée  de plus  de  30  ans  et 700 millions de Chinois ont été extraits de la pauvreté. En 1950, le PIB de l'Inde et de la Chine étaient comparables. A l'heure  actuelle, malgré l'effroyable période maoïste, le PIB de la Chine, restée souveraine dans ses choix, est égal à 4,5 fois celui de  l'Inde  dont  les  dirigeants  ont  cru  à  la fable de la concurrence libre et

 

parfaite et de l'ouverture des frontières que cela impliquait. Si l'Inde continue à se débattre avec des problèmes tels que l'illettrisme, l'insalubrité et la mortalité infantile, c'est en outre que, par dogmatisme libéral, elle n'a pas fait les investissements nécessaires destinés à permettre à la puissance publique d'assurer un relatif mieux-être pour la population. Mais cela, les droitdel'hommistes occidentaux ne veulent pas le voir; à leurs yeux, la Chine est une dictature et à ce titre mérite l'opprobre. Soyons direct, car le sujet l'autorise: le droitdel'hommisme n'est que le masque moral qu'exhibent les manipulateurs de la prédation financière lesquels sont en train de transformer la France en victime de ce qu'on a pu désigner par l'oxymore de "fascisme libéral".

 

> Afin de contrer les USA, les autorités chinoises ont lancé le plan "made in China 2025" basé sur l'innovation et l'autonomie dans le processus de production, de sorte que plus aucun composant fabriqué par une entreprise US ne soit utilisé. Les dirigeants chinois préparent intensément la phase qui suivra la période d'échanges commerciaux avec les USA; leur ambition étant de devenir le principal partenaire commercial des pays en voie de développement dont les besoins sont immenses. Le but n'est pas seulement commercial mais aussi monétaire puisqu'il s'agira d'établir avec chaque pays un cadre financier bilatéral afin d'éviter toute  transaction en $. Les USA ont réussi à verrouiller le FMI qui était le seul organisme à prêter de l'argent aux pays ayant besoin d'assistance. Mais ces prêts étaient toujours en $ et les pays débiteurs devaient se soumettre à des conditions d'"assainissement" très strictes (en général la vente de ce qui est rentable et le délaissement des services publics). La "main invisible" du marché, chère à A. Smith, devant être guidée par la main bien visible des institutions supra-nationales. La Chine prête sans conditions d'où la colère des USA, puisque la défense des droits de l'homme, entendre par là le respect du dogme de la concurrence libre et non faussée, n'est dès lors pas assurée. Mais Pékin, qui sait bien à quels incontinences cérébrales peut mener une  posture  idéologique,  affirme  ne  plus  avoir aucune préoccupation de cet ordre et ne veut limiter sa coopération qu'à des questions économiques et aucun cas politiques. Pour renforcer la crédibilité de sa monnaie, elle a opéré des achats réguliers d'or et déclare en détenir officiellement 1853 tonnes. Evidemment, les Chinois rient "jaune" lorsque Washington parle de "révisionnisme". Selon Washington, d'autres capitales n'ont pas à vouloir remettre en cause l'ordre international tel qu'il a été conçu par ses doctrinaires. On remarquera toutefois que la "pax americana" se traduit par des conflits incessants, justifié par la "guerre contre le "terrorisme" lequel, de fait, s'avère bien utile.

 

> La politique de l'Empire du Milieu en Orient est de promouvoir un "partenariat économique régional intégral" intégrant d'ores et déjà la Birmanie, Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Elle cherche à y adjoindre le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde et la Corée du Sud. Ce partenariat régional vise à compléter le programme dit des "routes de la soie" pour lequel 64 pays en Asie mais aussi en Afrique ont déjà apporté leur soutien.

> En 2014, Xi Jinping a créé la Banque Asiatique d'Investissements pour les Infrastructures. Elle associe actuellement 86 Etats (dont certains Etats européens, l'Allemagne ayant un représentant permanent mais pas l'Union européenne en tant

 

que telle). Elle prévoit un investissement de 26 000 milliards $ jusqu'à l'horizon 2030. Les zones d'investissement prioritaires sont en 2019 le Pakistan, le Tadjikistan, l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Inde, le Bengladesh, la Birmanie, l'Indonésie, les Philippines, l'Egypte et Oman. Sont favorisés les transports terrestres (ce qui irrite les US qui ont le contrôle du transport mondial maritime), les secteurs hydraulique, solaire, gaz et pétrole (pas l'éolien).

 

> La question se pose de savoir pourquoi les USA veulent contrer cette émergence de la Chine sur la scène mondiale. Une situation de concurrence est l'essence même du capitalisme et les positions perdues peuvent toujours être reconquises. En réalité, l'oligarchie US est divisée entre les néo-libéraux du Parti démocrate  dont le thème de prédilection est la lente liquéfaction des Etats au profit d'une gouvernance mondiale (Soros et l'Open Society), cad en réalité au profit des multinationales épaulées par un système financier mondialisé, et les néo- conservateurs républicains, dont le plus virulent est D. Trump, et pour qui il est essentiel que les USA gardent le leadership politique, économique et militaire dans les affaires mondiales (Trump pensait que le business  suffisait  mais  le  Pentagone semble lui avoir fait part qu'on ne saurait se passer de ses services!). De fait, le président US considère qu'il n'est pas nécessaire pour les USA d'avoir des alliés mais ceux qui profitent de l'ordre américain doivent l'accepter comme suzerain et payer pour leur vassalisation (Union européenne, Japon, Corée, monarchies sunnites, Israël étant quasiment le 51e Etat des USA, jouit d'un statut d'exception). Quant aux autres, il faudra les déstabiliser, au besoin par la guerre, au nom de l'assistance humanitaire bien entendu. On ne peut que s'étonner devant l'extraordinaire stupidité de l'Union européenne qui a fermé les portes à  une  Russie qui ne demandait qu'à coopérer avec elle (voir le Monde Diplomatique, septembre 2018, "Quand la Russie rêvait d'Europe"). Mais la condition que celle-ci avait posée était l'acceptation d'un monde multipolaire, ce qui était et reste inenvisageable pour le "parrain" US qui, toutes tendances confondues, veut en rester au monde unipolaire. A l'heure actuelle, tous les pays européens, y compris l'Italie, sont sur cette ligne et le resteront tant que ce que les historiens du futur appelleront peut-être le nouvel Anschluss allemand, réalisé grâce à l'€, ne sera pas remis en cause. Après le retrait US du traité ABM sur les missiles balistiques, en décembre 2001, le Kremlin avait compris que les USA allait relancer la course aux armements pour transformer la Russie en une gigantesque Tchétchénie et pour pouvoir la piller à loisir. Elle s'est donc réarmée, non pour agresser qui que ce soit, comme l'affirme la propagande atlantiste, mais pour assurer sa  défense.  Le  prétexte pour le Pentagone de sortir du traité sur les missiles de portée intermédiaire, était donc trouvé. C'est ce qui vient d'être fait mais maintenant, la Chine assure un soutien sans faille à la Russie et espère que la réciproque sera vraie lorsqu'il s'agira pour elle d'expulser l'US Navy de la Mer de Chine, ambition qu'elle ne masque plus.

 

> Mais revenons-en à la question monétaire. Aucun politicien ne sait de manière précise combien représente la masse monétaire contrôlée par les banques centrales "indépendantes", comprendre hors du contrôle des Etats, à savoir, dans la sphère atlantiste, essentiellement la FED et la BCE et si, à terme, la thèse, pour l'instant encore dénoncée comme conspirationniste, de prise de pouvoir planétaire

 

par la finance mondialisée repose sur un fondement réaliste. On constate quand même que l'ensemble des Etats de l'univers atlantiste se sont enfoncés dans une spirale de l'endettement, ce qui a pour effet de les déposséder de leur raison d'être au profit d'institutions financières qu'ils ne contrôlent pas. Celles-ci, par l'octroi du crédit à ces mêmes Etats, par la fixation des taux d'intérêts et par l'émission monétaire, manipulent à leur guise la puissance publique, réduite quant- à-elle au formatage de l'opinion publique par l'élaboration d'un discours politiquement correct destiné à la fois à masquer cette soumission et à la justifier. Le but du jeu est d'endetter les Etats afin de s'assurer une rente, financée par l'impôt que prélève ces Etats. Il faut donc suffisamment les affaiblir pour leur ôter toute velléité de contrôle de l'activité bancaire mais leur garder assez de puissance pour lever l'impôt qui finance le placement sans risque que font les banques  auprès des Etats (50 md d'€ d'intérêts par an pour la France). C'est donc l'impôt  qui fournit la garantie pour l'impression des billets de banque par les banques centrales. A. Greenspan, ancien président de la FED, a constaté, dans "L'or et la liberté économique":"Le déficit budgétaire n‘est rien d‘autre qu'une combine pour confisquer la richesse".

> IL y a donc une véritable fracture entre le monde atlantiste dont les monnaies reposent sur la dette et le monde eurasiatique dont la monnaie repose sur le capital que représente l'or. L'un cherche et cherchera de plus en plus à enrayer son inéluctable déclin par la guerre, l'autre, s'il veut survivre et s'imposer, devra rendre coup sur coup.

 

> La mondialisation, qu'on a voulu nous présenter comme heureuse et donc désirable, est une construction entièrement idéologique dont le credo est: l'Etat a un rôle politique, il doit produire un discours justifiant qu'il est au service de la sphère économique, sans pour autant chercher à la contrôler en quoi que ce soit. Celle-ci, d'ailleurs, étant elle-même de plus en plus inféodée à la sphère financière. Cette praxis a été élaborée dès les années 1910 et elle a abouti à la création en 1913 de la FED. Le stratège de cette opération fut un banquier londonien, Alfred  de Rothschild (voir :https://www.fichier-pdf.fr/2014/11/19/2-la-guerre-des- monnaies-hongbing-song/2-la-guerre-des-monnaies-hongbing-song.pdf

> Tout comme la Banque d'Angleterre, la FED, dont 6 banques privées en étaient les actionnaires principaux, a obtenu alors les pleins pouvoirs sur l'émission de la monnaie. Les banquiers qui y investirent firent une bonne affaire, ses actifs passant de 143 millions de $ en 1913 à 45 milliards en 1949.

> Le 1er grand coup que réussit la FED fut en 1929: les banques empruntaient à cet établissement à un taux de 5% puis elle prêtaient aux traders à 12 %, Wall Street n'exigeant presque pas de couverture pour les achats d'actions; lorsque toute l'épargne disponible aux USA se fut envolée à Wall Street, la FED, en août de cette année remonta ses taux et les banques firent passer le taux pour les traders  à 20 %; les plus avisés vendirent à ce moment là mais ceux qui attendirent trop furent déplumés. Ils ne purent rembourser les banques et ce furent 8 812 d'entre elles qui firent faillite, assurant ainsi aux grands établissements de la Cote Est le monopole du crédit.

> En 1930 est créé la BRI (Banque des Règlements Internationaux), située à Bâle; elle est une sorte de Réserve Fédérale élargie. Banque centrale de toutes les banques centrales, elle ne peut recevoir de dépôts que de celles-ci. Les

 

transactions entre la BRI et les banques centrales, qui dispose d'une totale immunité juridique, se fait à l'aide de DTS (droits de tirages spéciaux), le DTS regroupant diverses monnaies($,£,€, yen et yuan), mais contrairement à celles-ci, ne peut être dévalué.

> Après 1945 et surtout après 1991, il s'agira de faire du dogme de l'indépendance des banques centrales la clef de voute du "monde libre" d'abord, de la mondialisation ensuite. L'objectif ne variant pas, consistant dans l'affaiblissement et le démantèlement de la puissance des Etats au profit du seul Etat US afin que celui-ci assure au $ le rôle de monnaie mondiale. Ce narcissisme monétaire a pour fonction d'écouler sur la planète entière la gigantesque manne monétaire créée par la FED pour éponger la dette toujours croissante de l'Etat fédéral US et le financement de sa présence militaire sur les 5 continents. C'est ce qui forme l'unilatéralisme US, théorisé dans un document appelé le PNAC (program for a  new american century) en 1992 qui énonce notamment: “Notre objectif premier est d’empêcher l’apparition d’un nouveau rival sur la scène internationale. Nous  devons dissuader les concurrents potentiels, ne serait-ce même que d’aspirer à jouer un rôle plus important au niveau régional ou mondial”. Peu de temps après, Bush senior glosera sur "le nouvel ordre mondial". Le but est la création d'un système monétaire mondial unifié, l'€ étant, par Allemagne interposée, lui aussi un des piliers assurant la transition vers le nouvel ordre mondial post-national dominé par la finance.

 

> Au sein du Parti démocrate US, cette prétention à l'unilatéralisme des USA est  en train de se muer en une recherche de la liquidation progressive des Etats, y compris l'Etat US, afin d'assurer un contrôle des affaires du monde par une ploutocratie aussi puissante que discrète. Même les banques centrales seront sur la sellette, leur prérogative étant la création monétaire, la suppression du cash parfois envisagée préluderait à la suppression des monnaies nationales, ce qui aboutirait à un contrôle total de tous les moyens de paiement, de crédit et de tous les mouvements de capitaux par la caste formée par l'oligarchie. La monnaie post- nationale serait alors vraisemblablement le DTS. On souvient d'un certain discours du candidat Hollande: "Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera pas élu. Et pourtant, il gouverne. Mon adversaire, c'est le monde de la finance...Les banques, sauvées par les Etats mangent la main de ceux qui les ont nourri. Ainsi la finance s'est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle". Il avait bien compris qu'il fallait à la fois être démagogue pour être élu, et dénoncer comme populistes ceux qui resteraient méfiants envers cette démagogie; évidemment il fit allégeance à l'intransigeante Allemagne, le soir même de son intronisation. Paroles et paroles et paroles....

 

> Mais finit toujours par apparaître un grain de sable, qui enraye les machineries les mieux huilées. La mutation du monde atlantiste vers un ordre post-politique qui devait finir par emmener dans son sillage la planète entière se retrouve devant 2 redoutables écueils. Lesquels donc? Qui ose défier l'auto-proclamé empire du bien? Coucou, les revoilà, les anciens ennemis de la guerre froide, Chine et Russie, qui n'entendent pas se contenter du rôle de faire-valoir du néo-libéralisme qu'ils considèrent à juste titre comme une doctrine agressive et belliciste.

 

> Lorsque, vers le milieu des années 1980, la Chine sortait du communisme, l'Occident, USA en tête, n'imaginait pas que ce pays-continent ne s'orienterait pas vers une économie capitaliste. Les uns lorgnaient sur son immense masse de travailleurs que l'on pourrait certainement contenter avec des salaires de misère, l'autre voulait attirer les investissements étrangers pour commencer à développer son immense territoire et l'insérer dans l'économie mondiale. L'optimisme régnait  et la Chine fut admise à l'OMC en 2001. Elle posa ses conditions qui furent acceptées: le protectionnisme, mais que pourrait-on vendre à des gens misérables qui, de toutes façons ne sauraient produire que des produits bas de gamme, et la non-cotation du yuan sur le marché des changes, mais on estimait alors qu'il s'agissait d'une monnaie de singe et nul ne se souciait d'une éventuelle cotation!

 

> Pour assurer au yuan une assise, les Chinois achetèrent des obligations US. Ils ont actuellement un trésor de guerre de 1 200 milliards de $ qui risque de peser lourd dans la balance lors des négociations à venir avec les USA. Une vente immédiate de ces titres provoquerait une onde de choc planétaire car tous les  pays créanciers voudraient s'en débarrasser. On se demande d'ailleurs pourquoi la France est le seul pays à avoir massivement acheté de ces titres en 2018?

( ticdata.treasury.gov/Publish/mfh.txt).

Les Chinois, en 30 ans, ont fait du chemin. En 1980 le PIB des États-Unis représentait un tiers du PIB mondial, celui de la Chine un vingtième. Aujourd’hui tout deux comptent pour un quart. 40% de tous les brevets dans le monde sont chinois, soit plus que les trois pays suivants ensemble : États-Unis, Japon et Corée du Sud.

> Mais 5 millions d'emplois industriels US ont migré vers la Chine, d'où l'ire de Trump qui d'ailleurs ne veut pas entendre parler de la dilution des USA dans un grand marché mondial. Il est soutenu en cela par la "rust belt". Mais dans les faits, également par la Silicon Valley, politiquement proche des Démocrates, qui  constate qu'il y a 802 millions d'internautes chinois, mais la Chine a su développer un réseau internet qui lui est propre et au sein duquel, les Gafa ne peuvent récolter aucune donnée. On s'émeut, à Washington, que "le parti communiste n'a pas été dompté par le commerce", officiellement parce que le parti en question peut surveiller ses opposants, ce qu'il fait, mais en réalité parce que l'énorme marché publicitaire chinois est fermé aux GAFA.

 

> On le voit, dans tous les domaines, ce sont 2 conceptions du monde qui s'affrontent. Dans les années 1990, Pékin avait conclu que l'empire soviétique s'était effondrée à cause de ses dépenses militaires insensées. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'empire US survivra-t-il à sa fuite en avant dans le militarisme? Pour la Chine comme pour la Russie, la question se pose de savoir comment éviter l'onde de choc qui suivrait un effondrement US. Cette question concerne naturellement également les Européens et il serait peut-être souhaitable qu'ils en prennent conscience.

* * * * * * * * * 

 

Trump et Xi Jinping, quelle issue pour ce duel ?

Café politique du 21 février 2019.

Après l’exposé de Jean-Luc, le débat s’ouvre.

Dans la lutte pour le leadership mondial entre les Etats-Unis et la Chine, il est intéressant d’analyser qui est le Président chinois et quels sont ces modes d’action.

 

LA CHINE

  1. ) Qui est Xi Jinping ?

  • Xi se considère comme l’héritier des Empereurs qui ont fait l’Histoire de la Chine. Il succède à Deng pour qui l’efficacité économique était un axe essentiel ( peu importe  qu’un chat soit noir ou blanc, disait Deng, pourvu qu’il dévore les souris ! ).

  • Xi accède au pouvoir en mars 2013. Il devait initialement gouverner pour dix ans avant qu’il n’obtienne, à l’issue de son premier mandat, en mars 2018, la suppression de la limite des deux mandats, règle inscrite jusque là dans la Constitution chinoise.

  • Ce vote fait aussi entrer la « pensée Xi Jinping » dans l’article premier de la Constitution, ce qui permet de casser toute opposition doctrinale. Ne pas appliquer  cette pensée devient un motif d’exclusion du Parti.

  • Il renforce le contrôle de la population chinoise par le processus du contrôle social : les individus bien notés ont le droit d’apparaître à la télévision locale pour se montrer en exemple. Ils obtiennent de nombreux avantages comme des facilités de crédit.

  • Xi veut donner à la Chine une place centrale dans un monde qui mettrait l’Occident en périphérie. Il propose une nouvelle cartographie mentale, contraire à celle qui a longtemps fait de l’Atlantique un espace central.

 

  1. ) Les atouts économiques de la Chine dans la lutte pour le leadership mondial.

  • Il est étonnant de constater que la Chine, Etat communiste, soit devenu la deuxième puissance capitaliste mondiale. La question de la « croyance » en économie mérite d’être posée !

  • La Chine étend son influence économique au monde entier ou presque. Elle chasse progressivement les Etats-unis et la France du continent africain. Environ 10000 entreprises chinoises contrôlent près de la moitié des grands chantiers de travaux publics en Afrique. La Chine profite du pétrole et des matières premières africaines même si elle n’est pas toujours perçue positivement par les Africains eux-mêmes.

  • La Chine pénètre les marchés de l’Union européenne. Elle achète de nombreuses entreprises dans les secteurs qui l’intéressent comme la robotique, l’électronique sans parler des ports et des aéroports.

  • La Chine est en pointe dans le domaine de l’innovation numérique : l’iconomie. Elle détient actuellement 40% des brevets mondiaux et est particulièrement performante dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la 5G et de la voiture autonome.

  • En Europe pour aller sur le net on ne peut échapper aux Gafam américains alors que ce n’est pas le cas en Chine où Baidu, créé en 2000, est le plus utilisé. Il est le quatrième site internet le plus visité au monde.

  • L’enjeu de la Chine comme celui des Etats-Unis est de conquérir le marché numérique du milliard d’hommes susceptibles de se connecter bientôt au numérique.

  1. ) La stratégie chinoise en termes de géopolitique.

  • La Chine privilégie une stratégie d’alliances fondée sur l’investissement. L’exemple des relations avec l’Iran le démontre : quand Trump dénonce en 2018 l’accord sur le nucléaire iranien, la Chine continue ses investissements en Iran et en Israël pourtant son ennemi direct. Elle escompte ainsi que des relations commerciales atténueront les divergences.

  • L’entrée de la Chine à l’OMC lui a ouvert les marchés des pays développés sans qu’elle ne s’ouvre elle-même.

  • Les relations sino-indiennes restent difficiles à tel point que l’Inde se rapproche des Etats-Unis et du Japon.

  • La Chine veut reprendre le contrôle de Taïwan sous la protection des Américains.

  • Elle augmente fortement son effort militaire et réorganise ses dispositifs de défense.                 

  • Elle développe des missiles porte-avions pour contester la suprématie navale des Etats-Unis dans le Pacifique.

  • Sa politique en Mer de Chine vise au contrôle cette mer où passe un cinquième du trafic mondial.

 

LES ETATS-UNIS.

Ce qui apparaît de plus en plus est que Trump mène une politique difficile à saisir dans le sens des intérêts de son pays.

 

  1. ) Dans le domaine économique.

  • En dénonçant l’accord avec l’Iran Trump a mis en place le principe d’extraterritorialité qui frappe les investissements de nombreux pays qui réagissent en développant des stratégies de contournement des Etats-Unis. Ils espèrent ainsi créer une monnaie

globale avec des chambres de compensation indépendantes, des agences  de  notation, des bourses de matières premières, des compagnies maritimes. La Chine ainsi que la Russie et un noyau d’Etats européens se tournent vers cette alternative au pouvoir américain.

  • La difficulté pour l’économie américaine réside en partie dans le fait que toutes les délocalisations d’entreprises américaines en Chine entrent en concurrence avec les entreprise installées aux Etats-Unis.

  • Trump a déclaré une guerre économique à la Chine en taxant les exportations chinoises vers les Etats-Unis en 2018.

  • La fragilité de la dette américaine pose souci. La Chine détient à la mi-2018 environ 1100 milliards de dollars de titres de dette émis par le Trésor américain. La Chine commence à vendre ces avoirs. Si elle accélérait ces ventes, les taux d’intérêt américains remonteraient

  1. ) En politique étrangère.

Malgré une puissance militaire hors pair, les Etats-Unis se fragilisent par une politique belliciste. Trump doit justifier les 700 milliards de dollars annuels d’investissement dans le Pentagone et ouvrir toujours d’autres fronts. En ce moment c’est le Vénézuela, plus tard peut-être la Chine. Les Etats-Unis disposent de quarante bases militaires en Mer de Chine. Elles entourent la Chine du Tadjikistan jusqu’au Japon. Cette situation est insupportable pour la Chine d’aujourd’hui.

 

Conclusion.

Les décisions de Trump sur la guerre commerciale, la sortie de l’accord de Paris sur le climat et le refus de l’accord iranien ont cassé une alliance anti-chinoise possible au moment où elle serait très utile à Trump. Les forces militaires des deux géants n’augurent rien de bon si elles se mobilisent dans un avenir qui peut être assez proche.

Retour vers les textes du café politique

trump -Xi

Café politique du 9 avril 2019

Thème : Antisionisme et antisémitisme, un amalgame dangereux

 

La présente intervention va interroger les propos récents du chef de l’État français, à savoir :

« […] nous ne céderons rien aux messages de haine, nous ne céderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme. » (16 juillet 2017, 75ème anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’) et « […] l'antisémitisme se cache de plus en plus sous le masque de l'antisionisme. […] et, donc, « l'antisionisme est une des formes modernes de l'antisémitisme. »1 (20 février 2019, au dîner du CRIF).

Pour comprendre les implications de ces affirmations présidentielles, il nous faut interroger les mots, les événements historiques qui les ont introduits et l’actualité qui en découle.

 

1.(Anti)sémitisme / sionisme

De nos jours, les termes « sémite » et « antisémite » sont essentiellement connectés au mot

« juif ». Pourtant, lorsque l’adjectif « sémitique » est entré dans le lexique européen en 17812, c’était pour qualifier une communauté de langues différentes de celles qu’on a appelées « indo- européennes » (l’hébreu, l’arabe, l’éthiopien, pour celles encore parlées de nos jours).

Le mot « antisémitisme » est né, lui, en 1879 en Allemagne sous la plume du journaliste Wilhelm Marr pour nommer l’hostilité portée aux juifs : cet « Antisemitismus » est évoqué à l’occasion de la fondation de la Ligue des antisémites (Antisemitenliga), et s’imposera.

L’hostilité envers les juifs est d’abord de l’« antijudaïsme » : dès le IIème siècle, on les accuse d’être « déicides »3. Au Moyen Âge, ils sont marginalisés dans nos sociétés (« juiveries » / les ghettos), deviennent des boucs émissaires commodes accusés de tous les fléaux et crimes (peste4, meurtres d’enfants…), et souvent massacrés en nombre. Mais, surtout, ils sont accusés d’être cupides et de se prêter à l’usure et sont donc jugés et condamnés comme hérétiques.

On les estime différents et on leur demande d’afficher cette différence (Louis IX impose la rouelle jaune en 1269). À la fin du XVème siècle, ils sont considérés comme non fiables car n’ayant pas la « pureté de sang » des chrétiens.5

Grâce aux philosophes des Lumières, la perception du juif change : pour la première fois en Europe, est formulé le principe de l’égalité de droit des juifs et leur citoyenneté.6 Au cours de la première moitié du XIXème siècle, leur émancipation se confirme et s’impose à peu près partout en Europe. Mais c’est dans ce même siècle que s’élabore aussi la théorie de la race appliquée à l’homme sur le modèle des classements par genres, espèces et races entrepris par les naturalistes Buffon et Linné au siècle précédent.7 Dans un vaste ouvrage au titre sans appel, Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), Gobineau, le premier, théorisera ce qui permet de distinguer la race supérieure (la blanche) des deux autres, la noire et la jaune, races inférieures, à coloniser, exploiter ou faire disparaître. Dans La France juive (1886), Drumont explique le péril sémite : les Juifs cherchent à dominer le monde et, étant répartis planétairement, composent une « internationale juive » qui complote la destruction de la civilisation chrétienne8. C’est dans ce contexte antisémite qu’éclate, en 1894, l’Affaire Dreyfus fortement alimentée par Drumont. Celui-ci est l’inventeur du mot « racisme », apparu sous sa plume en 1897, dans son journal « la Libre Parole ».9

Puis le principe discriminatoire sera mis férocement en application : pogroms (« destruction, pillage », en russe) dans la Russie tsariste et dans l’Europe de l’Est et, au cours de la seconde guerre mondiale, élimination programmée de la « race juive » par le nazisme qui a activé le concept de « race aryenne », supérieure : ce sera l’Holocauste, la Shoah.

De nos jours, l’antisémitisme se nourrit encore de stéréotypes et de préjugés à l’encontre des Juifs autour de l’argent, du pouvoir et de la volonté de dominer10 (LES Juifs / DES Juifs : article à valeur générique / article partitif à quantité indénombrable). L’antisémitisme est un délit et, à ce titre condamnable. L’État français est doté d’un arsenal de lois pour la protection du citoyen contre tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.11 Or, pour éviter une condamnation, la tendance actuelle est de remplacer le mot « juif » de l’insulte par celui de « sioniste » : c’est le

« nouvel antisémitisme ». Depuis quelque temps, on constate une recrudescence des actes de racisme antimusulman ou antisémite. En forte augmentation, les actes antisémites s’expriment désormais en des termes d’une grande violence de plus en plus décomplexée.

Mais, l’actualité récente nous oblige aussi à examiner un aspect caché des discours : comme le dit Michèle Sibony, « L’antisémitisme n’est pas le racisme le plus virulent, mais le plus manipulé12 ».

Le « plus manipulé » ? Et là, il sera question de sionisme, donc de Sion, la colline sur laquelle fut construite Jérusalem. David, le roi de Juda, s’en empare et en fait la capitale à partir de laquelle il règne sur le vaste territoire des douze tribus, et son fils Salomon après lui. [Cartes 1 et 2] Le nom Sion, désignant à la fois Jérusalem et la terre d’Israël, a servi à forger le terme

« sionisme » qu’inventa le juif autrichien Nathan Birnbaum en 1890 (Zionismus dans sa revue

« Auto-Émancipation »).

Au XIXème siècle commence à s’imposer nettement une tendance nationaliste des peuples. À la fin du siècle, les grands empires connaissent de fortes crises et les volontés d’émancipation par la création de « communautés de destin » deviennent de plus en plus vives. En Russie et en Europe de l’Est, les juifs sont dans ce cas et, estimant avoir les caractéristiques d’une nation, visent à créer un État : c’est l’objet du sionisme.

Les juifs de l’Empire russe, qui vivent dans le Yiddishland, connaissent une misère noire. Avec, en plus les facteurs aggravants de la discrimination raciale et de l’antisémitisme. C’est dans ce climat, de tensions et de bouillonnement révolutionnaire, que naît à Vilnius le Bund, le parti ouvrier socialiste juif (1897). Comme les libertaires juifs, organisation universaliste parallèle, ce puissant mouvement de gauche auquel adhèrent beaucoup d’intellectuels juifs refuse d’envisager la solution du problème juif autrement qu’en développant une autonomie culturelle qui pourrait s’épanouir dans tout État où est implantée une communauté juive. C’est ce que Nathan Birnbaum avait appelé le « sionisme culturel ». Laïcs, le Bund et les libertaires luttent contre la tradition religieuse ; révolutionnaires, ils s’opposent au capitalisme et au colonialisme et, donc, parce que cette idéologie-là en est le corrélatif, au sionisme. Quant aux juifs traditionnalistes de cette partie orientale de l’Europe, ils refusent eux aussi de quitter le pays, mais pour des raisons religieuses qui leur enjoignent d’endurer sur place ce malheur voulu par Dieu jusqu’à ce que le Messie vienne les en délivrer (à Jérusalem à la fin des temps). Et les juifs d’Europe de l’Ouest, citadins cultivés plutôt laïcisés, intégrés – ou en voie de l’être –, ne voient pas l’intérêt d’aller vivre de l’autre côté de la Méditerranée orientale.

Pour qualifier l’idéologie du mouvement qu’il a créé (premier congrès à Bâle en 1897), Herzl adopte le mot de son compatriote : ce sera le « sionisme », mais le « sionisme politique ». Herzl estime que les Juifs constituent un peuple, qu’il est inassimilable aux pays dans lesquels sont établis ses ressortissants et que, donc, il y a lieu de créer un État juif indépendant et souverain. L’antisémitisme ambiant le convainc de la nécessité de trouver « un abri permanent pour le peuple juif » pour résoudre la Judenfrage, la « question juive ».13 Il envisage plusieurs options : en Palestine (1901) ; dans la région d’Al-Arish du Sinaï égyptien (1903) ; en Argentine ; au Congo ; au Kenya actuel (« Projet Ouganda »). Aucune n’aboutit, mais en 1903, le Congrès sioniste décide que l’implantation de l’« État juif » se fera en « Terre d’Israël », – « la terre de nos pères » 14 écrira Herzl –, autrement dit en Palestine alors ottomane.

 

 

2.Un boulevard vers l’antisionisme

L’histoire est en marche : dès 1882, des terres sont achetées en Palestine par le banquier anglais Rothschild et le Fonds national juif créé en décembre 1901. Les terres acquises sont « propriété inaliénable du peuple juif » et ne peuvent être ni revendues ni louées aux Arabes. Et, plus tard, les terres des réfugiés « absentéistes » seront déclarées disponibles tout comme celles des

« présents-absents ».

Le sionisme commence par la dépossession des Palestiniens. À compter de 1882, du fait des immigrations successives, la population juive en Palestine passe de 4% de juifs (autochtones) en 1849 à 17% en 1931. Venus surtout de Russie et d’Europe de l’Est, ils installent des colonies agricoles (les premiers kibboutzim15). Lors du Mandat Britannique sur la Palestine (1922) [Carte 3], la promesse faite par Balfour en 1917, de l’établissement d’un « foyer national juif » est activée 16. L’implantation juive s’appuie sur des milices et des organisations militaires sionistes, telles que la Haganah (créée en 1920), l’Irgoun (1931), le groupe Stern (1940. Begin et Shamir, futurs premiers ministres, en sont membres) particulièrement offensives, qui organisent des attentats contre les civils arabes et/ou les Britanniques. Lorsque l’immigration vers les États-Unis se ferme et qu’en Europe s’installe le fascisme avec ses persécutions, l’immigration vers la Palestine reprend : la population juive y sera de l’ordre de 31% en 1947. C’est une colonisation (avec des colons-soldats), mais que l’on prétend différente, ce qu’énonce le slogan de propagande : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». [Carte 4]

La grève, les émeutes, la révolte arabes exigeaient déjà une réponse urgente : en 1936, c’était le plan de partition Peel (un État arabe et un État juif), qui n’a satisfait personne. [Carte 5]. Le 29 novembre 1947, par la résolution 181 (II), l’ONU pense mettre fin au conflit par le partage de la Palestine en un État juif (70% de la Palestine mandataire), un État arabe et une zone internationale (Jérusalem) sous contrôle de l’ONU [Carte 6], avec une union économique. Les Juifs acceptent, les Arabes refusent. Le nouvel État juif – qui, lors de la déclaration d’indépendance17, le 14 mai 1948, prendra le nom d’Israël –, fera sauter toutes les restrictions à l’immigration juive en promulguant la loi du retour (juillet 1950) qui permet à tout juif, d’où qu’il vienne, de venir s’installer dans « son » pays et d’obtenir immédiatement la citoyenneté israélienne. Arrivent ainsi, à la faveur de l’éclatement du bloc communiste, des milliers de juifs soviétiques18 et d’Europe de l’Est (années 1989-1990). Le rêve sioniste semble donc accompli et le problème de l’antisémitisme résolu.

Mais, en réalité, le rêve sioniste tourne au cauchemar pour les Palestiniens. C’est le refus de la colonisation et des méthodes employées et le mépris de plus en plus marqué de cet Autre palestinien que les opposants appelleront «  antisionisme  »  et  qui  leur  donnera  le  nom  d’« antisionistes ».

Car commence alors la grande dépossession des Palestiniens, planifiée et organisée : rien qu’en 1948, 418 villages sont rayés de la carte19 (Deir Yassin, attaqué le 9 avril 1948, est le plus emblématique) [Carte 7]. Plus de 750 000 Palestiniens sont jetés sur les routes et, désormais apatrides, doivent (sur)vivre dans des camps de réfugiés (Création de l’UNRWA20) ou dans les pays arabes voisins [Carte 8] : c’est la Nakba (« catastrophe » en arabe). Et, bien sûr, la loi du retour sur leurs terres et dans leurs maisons spoliées ne leur est pas applicable. En 1949, la délimitation entre les deux est la ligne de cessez-le-feu, la « Ligne verte » [Carte 9].

Après la guerre dite « des Six jours » (juin 1967), Israël quadruple son territoire par l’occupation de la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est et celle de deux atouts stratégiques : le Sinaï égyptien et le Golan syrien [Carte 10]. Les nombreuses colonies implantées par l’État ont une vocation stratégique et, pour contenter les religieux, vont aussi englober les lieux bibliques et s’étendre vers le sud jusqu’à Hébron. Le sionisme religieux va plus loin : cette terre ne devant être occupée que par des juifs, il y a lieu d’accélérer la colonisation de Cisjordanie (la Judée- Samarie) [Carte 11]. Lorsque le Likoud accède au pouvoir (1977), les « territoires occupés » sont considérés comme « récupérés » par ses propriétaires légitimes et sont judaïsés pour pouvoir recomposer, un jour, le Grand Israël.

En 1981, Israël annexe le Golan (reconnu récemment comme israélien par Trump), mais, en 1985, restitue le Sinaï à Égypte. [Carte 12] Les accords d’Oslo (1993) puis surtout d’Oslo II (1994), donnent à l’Autorité palestinienne l’administration de Gaza et de parties de la Cisjordanie divisée en trois zones21 : la zone A est sous contrôle palestinien ; dans la B, le pouvoir civil est aux mains de l’AP, la sécurité militaire à celles d’Israël ; la zone C est entièrement sous contrôle israélien et de nombreuses colonies vont s’y implanter [Carte 13]. Bien sûr, cette répartition est dite provisoire… A l’heure actuelle, Netanyahou, qui en a toujours refusé le gel, est en train d’étendre les colonies (en démolissant des villages bédouins22) et envisage de les annexer après sa réélection. Des « zones tampons » sont créées ainsi qu’un

« mur de sécurité » (730 kms) [Carte 14] : ils empiètent sur le territoire palestinien. La construction de ce mur, contraire au droit international, est un élément supplémentaire qui entrave un peu plus la possibilité d’un règlement du conflit.23 Les colonies implantées en territoire occupé disloquent les zones d’habitat palestinien ainsi que les routes qui les relient (interdites aux Palestiniens). La Cisjordanie est hérissée de check-points [Carte 15] où le passage des Palestiniens est autorisé par les Israéliens … ou ne l’est pas !

La Palestine est devenue une « peau de léopard » et la solution à deux États une presqu’utopie… L’apartheid24 et la discrimination sont des moyens de domination largement utilisés.

En 1948, sont restés dans le nouvel État 156 000 Arabes (« Arabes israéliens »), Israéliens de

seconde catégorie qui forment maintenant 20% de la population. Les premiers immigrants juifs étaient surtout des ashkénazes. Les communautés juives maghrébines, sépharades, sous- prolétariat dont on se méfiait25, ont été casées dans le désert du Néguev, face à Gaza. Les Juifs venus d’Éthiopie, les Falashas, noirs, souffrent toujours d’un racisme et d’une discrimination accrus.26

Avec le postulat de départ (Jahvé, Son « peuple », le don de la terre), la Bible hébraïque devient un livre d’histoire qui légitime la reprise de la terre ancestrale.27 C’est une conviction du croyant comme de l’athée (ou, peut-être pour celui-là une justification). Les fondateurs d’Israël, athées,

– David Ben Gourion en tête – l’ont utilisée et l’universitaire Amnon Raz-Krakotzkin, militant en faveur d’un État binational, a cette formule percutante « Dieu n’existe pas, mais il nous a promis cette terre.28 » L’historien israélien Shlomo Sand a détricoté pas à pas ce qui, sur ce qu’il appelle un « mytherritoire », constitue une … « mythistoire ». Rien n’y fait : le 19 juillet 2018, la Knesset adopte la loi fondamentale qui, définissant Israël comme l’« État-Nation du peuple juif », lui donne l’outil légal pour agir contre les non-juifs, autrement dit les Palestiniens. Et créer ainsi, légalement – et ouvertement –, une réalité irréversible, un État d’apartheid.29

Non seulement le pays ne sera jamais binational (israélo-palestinien) ou démocratique incluant tous ses ressortissants sur une base d’égalité citoyenne (un « État juif démocratique » est un

« oxymore », dit Michel Warschawski), mais cela semble préfigurer l’annexion de la Cisjordanie où habitent deux millions de Palestiniens. C’est dans cette partie convoitée qu’est située Jérusalem pour le moment encore divisée (quoique annexée), selon un consensus international, en Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est, mais vivement convoitée en son entier par Israël pour en faire la capitale « complète et unifiée » de l’État (en mai dernier, Trump y a fait transférer l’Ambassade américaine). Si le territoire « biblique » est intégré à Israël, les Arabes palestiniens composeront 40% de la population ! D’où la nécessité d’une discrimination actée légalement. En outre, cette nouvelle loi fondamentale enterre la possibilité de l’existence de deux États souverains vivant côte à côte.

L’antisionisme repose aussi sur le refus d’éléments de l’idéologie sioniste : le caractère ethnico- religieux de l’État et la politique israélienne jugée inacceptable, humainement et légalement.

Les stratégies d’éviction des Palestiniens sont connues. On ne les développera pas ici. Mais on doit souligner la facilité avec laquelle Israël arrête et emprisonne hommes, femmes et enfants (plus de sept cents enfants) et use et abuse de la « détention administrative » qui peut être prolongée arbitrairement, sans qu’elle débouche sur un procès équitable. Les interventions à balles réelles font de nombreuses victimes, dont beaucoup de jeunes.

Vol de la Terre et de terres ; destruction ou appropriation des sources de vie30 et 31 ; bouclages des territoires occupés ; sièges cruels, attaques et guerres multiples contre Gaza32 ; destructions des infrastructures (y compris celles financées par l’UE) ; violences et agressivité ; disproportion effarante des équipements militaires ; apartheid décomplexé ; presse internationale timide (c’est un euphémisme !) et orientée, … : il y a largement matière à alimenter l’antisionisme de gauche, humanitaire.

Les opposants sionistes et ceux qui se disent antisionistes luttent contre ces dérives multiples.

C’est un mouvement de solidarité qui milite contre l’impunité d’Israël. Notons aussi que, parmi les Israéliens, des jeunes gens refusent de faire leur service militaire : ce sont les Refuzniks. Certains vétérans de l’armée sont devenus des activistes contre l’occupation. L’ONG Breaking the silence recueille les témoignages des soldats intervenus dans les territoires occupés, pour forcer la société à réagir. Une autre ONG, B’Tselem, enquête et informe sur les violations des droits de l’homme dans les territoires occupés. Qu’ils se disent antisionistes ou non, ces groupes agissent dans la société israélienne comme tous ceux qui s’expriment sous ce qualificatif.

  

3.Un amalgame dangereux

L’antisémitisme est un délit, l’antisionisme une opinion. L’antisionisme est condamnable lorsqu’il est une tactique verbale pour cacher l’antisémitisme (« un antisionisme de circonstance »). Vu l’aggravation du conflit israélo-palestinien et l’interventionnisme tous azimuts des groupes pro-israéliens, l’antisionisme étant le refus d’une politique discriminatoire, il relève de la saine liberté d’expression et, à ce titre, est tout à fait légitime. D’autant plus que, de par le monde et même en Israël, de très nombreux juifs, parmi lesquels des personnalités, n’hésitent pas à s’affirmer antisionistes.

Mettre sur le même plan un délit et une opinion relève, pour le moins, d’une erreur de jugement ou d’une acrobatie « intellectuelle ». C’est, dans une situation de flou conceptuel et légal, un amalgame dangereux susceptible d’ouvrir la porte à tous les extrêmes, y compris ceux qu’on cherche à combattre.

Le 16 juillet 2017, Emmanuel Macron dit : « […] nous ne cèderons rien à l'antisionisme car il est la forme réinventée de l'antisémitisme. ». Le 16 février 2019, Alain Finkielkraut subit une agression antisémite et Sylvain Maillard, député LREM, vice-président du Groupe d’amitié France-Israël, veut aussitôt proposer « une initiative forte […] pour que l'antisionisme soit reconnu et puni en France pour ce qu'il est : de l'antisémitisme ! ». Et d’ajouter que « la haine d'Israël est une nouvelle façon de haïr les Juifs ». Ce à quoi Macron répond le 19 février, dans une conférence de presse : « Je ne pense pas que la pénalisation de l’antisionisme soit une bonne solution. » Mais le lendemain, lors du dîner du CRIF, le discours de Macron change : il rappelle que la France « mettra en œuvre la définition de l'antisémitisme adoptée par l'Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah », l’IHRA (International Holocaust Remenbrance Alliance) dont l’UE est devenue partenaire en novembre 201833.

 

Selon l’IHRA, « [l]’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par la haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des personnes juives ou non-juives et/ou leur propriété, contre les institutions de la communauté juive ou les lieux religieux. » Elle est floue et n’ajoute rien de nouveau (à part « contre les personnes non-juives »), mais l’Union européenne en propose l’adoption (non contraignante juridiquement) telle quelle. Sans les exemples. En effet, la définition est assortie d’exemples, certains relevant nettement de l’antisémitisme (propos haineux, stéréotypes, fantasmes, négationnismes), mais aussi d’autres qui orientent clairement la définition vers l’antisionisme (Israël est cité 9 fois). En décembre 2018, la définition a été adoptée sans les exemples. Et, pourtant, en février 2019, Macron dit que la France choisira la définition élargie, reposant sur un amalgame qui essentialise les Juifs, les associant formellement à l’État d’Israël et donc à sa politique.34

Une première question alors nous taraude : le président de la République serait-il influençable et manipulable ? Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Francis Kalifat (issu du parti d’extrême-droite sioniste Betar), l’aurait fortement incité à transposer le texte dans le droit français35. Or, le CRIF prend systématiquement fait et cause pour Israël.36 On peut noter aussi que, derrière l’IHRA se trouvent le lobby israélien JCPA (Jerusalem Center for Public Affairs) et des groupes de pression et d’influence inconditionnels extérieurs à Israël, particulièrement des lobbies américains37. Sans compter l’aide substantielle apportée par les Évangéliques américains, antisémites, mais sionistes.

Il est vrai que Macron a affirmé qu’« […] il ne s'agit pas de modifier le code pénal », mais de

« […] préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l'ordre, de nos magistrats, de nos enseignants […]. » Mais, au vu des jugements qui ont été émis, on peut douter de la nécessité de « raffermir » ces pratiques. Il ajoute qu’il ne s’agit pas « d'empêcher ceux qui veulent critiquer la politique israélienne de le faire, non […] », mais de « permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d'Israël la négation même de l'existence d'Israël. La haine des Juifs la plus primaire. » Décodons : « critiquer la politique israélienne » actuelle serait possible : c’est effectivement ce que font ceux qui se disent antisionistes. Le « rejet d’Israël » signifie-t-il « la négation même de l'existence d'Israël » ? Ce n’est pas le cas des antisionistes, mais la négation de l’existence d’Israël a toujours été une arme de propagande du gouvernement israélien et de ses thuriféraires. Là, Macron marche carrément dans les pas (de l’extrême-droite) de Netanyahou38. Rappelons à tous deux que le Conseil national palestinien a reconnu l’existence de l’État d’Israël (24 avril 1996) ainsi que le Hamas (27 juin 2006). Et, si l’on comprend bien, cette « négation » est l’expression de la « haine des Juifs la plus primaire. » En quelques mots, deux éléments sont associés : une population de religion juive et l’État qui s’est constitué autour d’elle. Un amalgame certes primaire, mais alarmant et perfide !

Puis on peut aussi s’interroger sur la référence à l’Holocauste pour la définition de l’antisémitisme. Il est évident que ce long moment particulièrement douloureux est une constituante de la mémoire juive et qu’il a été une expression ignoble de l’antisémitisme nazi. Mais on constate aussi qu’on s’y réfère constamment dès qu’il s’agit d’émettre une critique à l’égard de l’État d’Israël et que son instrumentalisation39 – « une obscénité » écrit Pierre Stambul – est censée mettre au pas tous ceux qui s’avisent de critiquer sa politique et donne aux gouvernants israéliens une sorte d’impunité morale.40

Le président Macron rappelle aussi combien l’Éducation nationale est active dans l’enseignement de la mémoire de l’Holocauste et promet un soutien plus grand. On ajoutera que, si cet enseignement est nécessaire, celui de la catastrophe palestinienne – la Nakba –, qui est corrélative de la création d’Israël, l’est tout autant : l’histoire de la Nakba ne peut donc être refoulée et doit être traitée parallèlement, ne serait-ce que pour désamorcer des relents antisémites islamistes qui sont nés de la situation catastrophique en Palestine.

Exercer sa critique vis-à-vis de la politique d’un État, quel qu’il soit, est un droit fondamental et nécessaire. En ce qui concerne Israël, l’amalgame est : antisionisme = antisémitisme, donc racisme. À ce propos, Michel Warschawski est clair : « L’antisionisme de gauche […] est par essence antiraciste. L’assimiler à l’antisémitisme est, dans le meilleur des cas, une imbécillité et, dans le pire des cas, une grossière calomnie qui instrumentalise l’antisémitisme pour neutraliser les voix critiquant la politique israélienne ou le régime colonialiste.41 » Israël qui se veut la « seule démocratie au Moyen-Orient » (une « démocratie fictive » accuse Gideon Levy) ne fait pas exception à la règle : sa politique critiquable peut/doit être critiquée. Or, amalgamer la critique à du racisme, en l’occurrence de l’antisémitisme, c’est faire un déni de démocratie.

« Faire preuve d'un double standard en exigeant de sa part [d’Israël] un comportement qui n'est attendu ni requis d'aucun autre pays démocratique » est l’un des exemples de la définition de l’antisémitisme par l’IHRA. Ce qui est justement reproché au gouvernement israélien : en pratiquant ouvertement le deux poids-deux mesures, il refuse de se conformer aux standards requis42 en démocratie. Il existe dans cet État qui se veut une démocratie à l’occidentale une situation humanitaire que nul État démocratique occidental ne saurait tolérer.

Les opposants dits antisionistes refusent également le non-respect des lois internationales auquel Israël s’adonne depuis des décennies43 – sans que cette pratique suscite autre chose que des « inquiétudes » ou des « condamnations » des gouvernements ou des instances internationales qui sont « profondément préoccupés ». L’État prend appui, à l’occasion, sur un contempteur des lois et droits internationaux comme Trump et recherche ostensiblement l’alliance de gouvernements de droite, voire d’extrême-droite, fussent-ils antisémites ou ayant un passé de pogromistes (les pays de Visegrad, Brésil). L’orientation de la loi sur l’antisémitisme telle qu’elle est vue par Macron ne peut que rendre l’État israélien intouchable, le confortant dans cet irrespect institutionnel et dans sa politique actuelle de fuite en avant. Ce qui ne rend service ni à Israël ni aux Israéliens. Et, par ricochet, ni aux juifs. Ni à l’État français le soutenant dans ce saut périlleux.

Pour obliger le gouvernement israélien à respecter le droit international, s’est imposée l’idée du boycott, initiée le 4 juillet 2005 par plus de 170 organisations civiles palestiniennes, et qui a été développée dans de très nombreux pays. Pour un maximum d’efficacité, la campagne BDS (Boycott, désinvestissement, sanction) privilégie un boycott large concernant les produits israéliens, mais elle incite aussi les entreprises à ne pas investir dans le pays ou à s’en retirer et les artistes et les athlètes à ne pas s’y produire. Et cela a des effets : inquiet, le gouvernement israélien utilise le chantage de l’antisémitisme dans lequel Macron s’est engouffré : « De la même manière, il n’y aura aucune complaisance à l’égard des pratiques de boycott et du BDS plusieurs fois condamnées en France et qui le seront à nouveau. » Il marche ainsi dans les pas du président du CRIF dont l’une des priorités est, justement, l’interdiction de cette campagne en France.

Par ces propos, Macron fait de la France la seule démocratie où l’appel au boycott par des associations afin de dénoncer la politique condamnable d’un État devient un délit. La circulaire Alliot-Marie de février 2010 avait déjà pénalisé le boycott, mais elle est appliquée sans grande vigueur. Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, reste intransigeante sur la liberté d’expression et d’association inscrite dans la Convention européenne des droits de l’homme (article 10) applicable aussi aux actions BDS.44 Ainsi, si la loi annoncée par Macron entre en application, elle restreindrait gravement la liberté d’expression et ferait entrer notre pays dans une régression institutionnelle difficilement acceptable. Et il serait en situation d’incompatibilité avec la vision européenne du droit au boycott !

Le mouvement BDS n’étant ni violent, ni raciste, il n’est en rien antisémite. D’autant plus que de nombreux juifs, dont des Juifs israéliens, et des associations juives y sont particulièrement actifs.45 Exigeant d’Israël, par ce biais, l’arrêt de l’occupation, celui de l’apartheid, la possibilité de retour des Palestiniens expulsés et la nécessité de se conformer enfin au droit international, le mouvement milite pour la justice et le droit fondamental de tout être humain, qui sont aussi ceux des Palestiniens. Établir l’équation antisémitisme = antisionisme est donc une imposture intellectuelle inacceptable … qui contribuerait alors à faire condamner comme antisémites les Juifs antisionistes qui n’acceptent pas la politique de leur pays / de « l’État juif ». Le boycott est une arme efficace parce que pacifique qui a déjà eu raison, en son temps, de la politique d’apartheid en Afrique du Sud, par exemple. Le fameux « deux poids-deux mesures » s’insinue alors dans les esprits : autres temps, autres mœurs politiques ? Israël serait donc nécessairement une exception ? Doit-il le rester ?

C’est aussi vouloir faire oublier l’indéfectible conscience nationale des Palestiniens et leur volonté de rappeler régulièrement leurs droits par la « Journée de la terre » (30 mars), commémorée chaque année depuis 1976 ; la première Intifada (« insurrection » en arabe) de 987 à 1991 ; la seconde (2000 - 2005) ; et, depuis 2018, la « Marche du retour » qui commémorera désormais la Nakba). Et notre devoir à leur égard…

On peut se demander alors quel est l’objectif de Macron… Serait-il électoral ? A-t-il des visées économiques ? Sûrement, mais on est en droit de penser que cela devrait s’accompagner d’un respect minimal des droits humains. Une coopération militaire accrue ? Si c’est l’amitié pour ce pays qui le pousse, il serait bon de lui rappeler que la meilleure preuve d’amitié est celle qui aide à éviter de graves écueils. La France cherche-t-elle à renforcer sa politique proche-orientale en tablant exclusivement sur Israël (dont les interventions militaires de toutes natures46 – souvent des « attaques préventives » – déstabilisent encore plus le Proche-Orient), avec le risque, comme le soulignent de plus en plus de personnes, que cela développe en France l’antisémitisme au lieu de l’estomper, et la violence qui va avec ? Même en politique étrangère, éthique et équité devraient être les deux valeurs sur lesquelles reposent les relations internationales.

Judaïsme et sionisme ne sont pas interchangeables : en faire l’amalgame, c’est boucler la boucle de l’antisémitisme, c’est-à-dire aller dans le sens contraire de ce qu’il est urgent de faire en France (et ailleurs) : lutter contre cet antisémitisme et, partant, contre toute forme de racisme. Il est certain qu’avec un tel amalgame, on aide Israël à aller droit dans le mur !

Les antisionistes se battent contre la politique désastreuse à tous points de vue des gouvernements israéliens. Des juifs israéliens en sont conscients et, par leur contestation dite

« antisionisme » cherchent à endiguer l’irrémédiable. Concernant ce pays, il y a lieu de citer le titre de l’ouvrage de l’un des siens, particulièrement actif dans la campagne antisioniste, le juif franco-israélien Michel Warschawski : Israël : chronique d’une catastrophe annoncée … et peut-être évitable. Pour ce qui concerne la France, il devrait suffire de rappeler qu’elle a inventé un jour les Droits de l’homme, qu’elle en a exporté l’esprit (Déclaration universelle des droits de l’homme), qu’elle en rappelle de temps en temps la substance dans les discours et qu’elle devrait se souvenir que l’esprit et les articles de cette Déclaration valent pour l’humanité entière. L’oublier est une faute morale.

Si le mot « antisioniste » blesse, … qu’on en trouve un autre. Mais que le droit de vivre librement et dignement en Palestine et en Israël l’emporte, et rapidement.

 

Pour aller plus loin :

Pierre Stambul, La Nakba ne sera jamais légitime, Acratie, 2018.

Dominique Vidal, Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron, Libertalia, 2019. Michel Warschawski, Israël : chronique d’une catastrophe annoncée … et peut-être évitable, Syllepse, 2018.

Alain Gresh, Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, Fayard, 2007.

Gideon Levy, Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique Éditions, 2009. Vera Baboun, Pour l’amour de Bethléem, ma ville emmurée, Bayard Éditions, 2016.

Bernard Ravenel, La résistance palestinienne : des armes à la non-violence, L’Harmattan, 2017. Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme, Champs Essais, 2010. Shlomo Sand, Comment la terre d’Israël fut inventée. De la Terre sainte à la mère patrie, Champs histoire, 2012.

 

NOTES

1 Les deux discours sont disponibles sur le site de l’Élysée.

2 Le terme est forgé par le philologue orientaliste allemand August Ludwig Schlözer à partir du nom d’un des

fils de Noé, Sem, dont la descendance (qui occupe à peu près l’espace indiqué ci-dessus) est mentionnée dans le chapitre 10, 22-30 de la Genèse. Le choix semble déterminé par le verset 31 : « Tels sont les fils de Sem, suivant leurs familles, dans leurs pays et dans leurs nations […]. » Schlözer pensait que « de la Méditerranée à l'Euphrate et de la Mésopotamie à l'Arabie ne régnait qu'une seule langue » et donc que « Syriens, Babyloniens, Hébreux et Arabes n'étaient qu'un seul peuple », ce que les chercheurs ont réfuté.

3 Les polémiques théologiques incriminantes n’ont été abolies officiellement que le 28 octobre 1965 par la

déclaration Nostra Ætate (« À notre époque ») du concile Vatican II sous l’égide du pape Paul VI. (*) [Le signe (*) indique que le document est en ligne.]

4 Le 14 février 1349, 2000 juifs ont été brûlés à Strasbourg, victimes de la révolte des corporations et accusés

d’empoisonner les puits et de propager la peste (qui n’avait pas encore atteint la ville…).

5 Le concept de « pureté du sang » (limpieza de sangre) qui distingue les vieux chrétiens des nouveaux chrétiens

– les juifs et les musulmans convertis (les marranes, les conversos et les morisques), a été imposé par les autorités espagnoles et portugaises au XVème siècle.

6 « Loi relative aux Juifs » adoptée par l’Assemblée nationale le 27 septembre 1791, promulguée par Louis XVI

le 13 novembre de la même année. Il y a eu bien sûr des accrocs, sous la Terreur et sous le Premier Empire notamment. Pour l’Alsace, par exemple, voir l’article de Jean Daltroff, « Les Juifs de Haguenau à l’époque de la Terreur ». (*)

7 Nicole Savy, « Le racisme à travers l’histoire : choses, mots et idées », « Hommes et libertés » n° 172, décembre 2015, pp. 35-38.

8 En 1901, est rédigé à Paris à l’intention du Tsar Nicolas II un opuscule appelé Protocole des Sages de Sion dont

le sous-titre est Programme juif de conquête du monde.

9 Ce même journal organise en 1896 un concours qui vise à trouver « […] des moyens pratiques d’arriver à l’anéantissement de la puissance juive en France, le danger juif étant considéré au point de vue de la race et non au point de vue religieux. ». Drumont est présenté comme le président du « Comité national antijuif ».

10 Selon une enquête d’IPSOS, « 53 % des sondés pensent que « les juifs sont plus attachés à Israël qu’à la France », 52 % que "les juifs ont beaucoup de pouvoir", 51 % que "les juifs sont plus riches que la moyenne des Français" et 38 % que "les juifs sont un peu trop présents dans les médias". Dominique Vidal, « Contre l’antisémitisme, avec intransigeance et sang-froid », 15 février 2019. (*)

11 Notamment, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme (26 août 1789) ; l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (adoptée le 10 décembre 1948) ; la loi Gayssot (loi n°90-615 du 13 juillet 1990, loi mémorielle ; le protocole additionnel à la convention sur la cybercriminalité « relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques » dont l’article 6 est intitulé

« Négation, minimisation grossière, approbation ou justification du génocide ou des crimes contre l’humanité », entré en vigueur le 1er mars 2006 ; et celle à venir (de l’IHRA) dont on reparlera plus loin.

12 Michèle Sibony, « L’antisémitisme n’est pas le racisme le plus virulent, mais le plus manipulé », UJFP (Union

juive française pour la paix), 19 février 2019. (*)

13 Dans son livre : Der Judenstaat (« L’État des Juifs »), 1896, dont le sous-titre est Versuch einer moderner Lösung der Judenfrage (Recherche d’une solution moderne pour la question juive (ou : la question des Juifs).

14 « C'est la volonté de Dieu que nous revenions sur la terre de nos pères, nous devrons ce faisant représenter la

civilisation occidentale, et apporter l'hygiène, l'ordre et les coutumes pures de l'Occident dans ce bout d'Orient pestiféré et corrompu. […] C'est avec les Juifs, un élément de la culture allemande qui va aborder les rivages orientaux de la Méditerranée […]. Le retour des Juifs semi-asiatiques sous la domination de personnes authentiquement modernes doit sans aucun doute signifier la restauration de la santé dans ce bout d'Orient négligé. ». Journal de Theodor Herzl, cité par Reuven Snir, Who needs Arab-Jewish identity ?; Brill, 2015, p. 126.

15 L’Aliya (« montée » en hébreu) désigne l’immigration juive en Terre sainte. Le kibbouz est un village

collectiviste.  Sur  les  2  367  000  juifs  qui  ont  quitté  l’Europe,  2  022  000  se  sont  établis  aux  États-Unis.

L’immigration juive vers la Palestine représente 3%, mais, en 1931, elle se monte à 15%. Le socialiste Ben Gourion, ardent sioniste, futur Premier ministre, y arrive en 1906.

16 « Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un Foyer national

pour les Juifs et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et aux statuts politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.

Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de a fédération sioniste. » Publié dans le

« Times » de Londres du 9 novembre 1917 sous le titre : « Palestine for the Jews. Official Sympathy. »

17 « L’État d’Israël sera ouvert à l’immigration juive et aux juifs venant de tous les pays de leur Dispersion ; il veillera au développement du pays pour le bénéfice de tous ses habitants ; il sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l’idéal des prophètes d’Israël ; il assurera la plus complète égalité sociale et politique à tous ses habitants sans distinction de religion, de race ou de sexe ; il garantira la liberté de culte, de conscience, de langue, d’éducation et de culture ; il assurera la protection des lieux saints de toutes les religions et sera fidèles aux principes de la Charte des Nations Unies. Nous tendons la main à tous les pays voisins et à leurs peuples et nous leur offrons la paix et des relations de bon voisinage ; nous les invitons à coopérer avec le peuple juif rétabli dans sa souveraineté nationale. » Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël (1948)

18 Notamment de la République autonome juive (le Birobidjan) de l’ex-URSS. Jean-Marie Chauvier, « Où est passé le Birobidjan ? », Le Monde diplomatique du 26 mars 2008. (*)

19 L’application iNakba pour smartphone a été créée par l’ONG israélienne Zochrot pour sensibiliser le public israélien à cet aspect de la Nakba : « L'objectif est de faire prendre conscience aux Israéliens de ce qu'est

la Nakba, on veut qu'ils apprennent le nom de ces villages. Il faut qu'ils sachent où ils vivent. Parfois ils sortent s'amuser dans des parcs, des forêts, font des barbecues tout près d'un cimetière palestinien sans le savoir. Car c'est ça la politique d'Israël. Effacer toutes traces de ces anciens villages palestiniens. Les rendre invisibles. » (Omar al Ghubari)

20 L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (« Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient ») est actif dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie et dans les pays-refuges : Syrie, Jordanie, Liban.

21 Zone A : 3% du territoire / 20% de population ; zone B : 27% / 70% ; zone C : 70% / 10%.

22 Journal israélien « Haaretz », 1er avril 2019, cité par « Le Brief du Monde » du 4 avril 2019 sous le titre

« Chronique de la mort d’un village bédouin en Israël).

23 Anne-Marie Chaigne-Oudin, « Mur de séparation », « Les clés du Moyen-Orient », 15 juillet 2010. (*)

24 Les dirigeants israéliens, encouragés par les ardents défenseurs de sa cause, les juifs et les rabbins sionistes sud- africains, ont flirté avec l’apartheid sud-africain tant qu’un boycott international ne l’a pas mis à bas (1994). Lors de sa visite en octobre 1969, Ben Gourion fit « […] l’éloge des supériorités de la technique israélienne d’expulsion de la population indigène et déclara que, si elle avait été appliquée par la communauté sud-africaine, elle aurait

"garanti l’Afrique du Sud contre toute subversion intérieure". » Rosa Amelia Plumelle-Uribe, « Le sionisme est- il synonyme de racisme ? », 5 mars 2019, publié sur le site de l’UJFP. (*)

25 « Les Juifs de certains villages s’habillaient comme des Arabes, parlaient leur langue, mangeaient comme eux.

Ils étaient donc des ennemis, comme les Arabes. » dans « Salah, voici la Terre d’Israël », documentaire de David Deri, Ruth Yuval et Doron Glazer (2017).

26 Doute des rabbins sur leur judaïté, leurs enfants refusés dans des écoles religieuses, les femmes soumises à la politique de stérilisation de l’État.

27 Par exemple, dans le « Livre de Josué » : « Je vous conduisis dans le pays des Amoréens, qui habitaient de

l'autre côté du Jourdain, et ils combattirent contre vous. Je les livrai entre vos mains; vous prîtes possession de leur pays, et je les détruisis devant vous. / […] / Vous passâtes le Jourdain, et vous arrivâtes à Jéricho. Les habitants de Jéricho combattirent contre vous, les Amoréens, les Phéréziens, les Cananéens, les Héthiens, les Guirgasiens, les Héviens et les Jébusiens. Je les livrai entre vos mains, /et j'envoyai devant vous les frelons, qui les chassèrent loin de votre face, comme les deux rois des Amoréens: ce ne fut ni par ton épée, ni par ton arc. / Je vous donnai un pays que vous n'aviez point cultivé, des villes que vous n'aviez point bâties et que vous habitez, des vignes et des oliviers que vous n'aviez point plantés et qui vous servent de nourriture. » Josué, 24, 8 et 24, 11-13.

28 Cité in Shlomo Sand, Comment la terre d’Israël fut inventée, Flammarion, Champs histoire, p. 108.

29 « Pourtant, une telle législation a aussi un côté positif : ces lois et celles à venir arrachent le masque. Une des

plus longues mascarades de l’histoire va s’achever. Israël ne pourra plus se définir comme une démocratie, "la seule au Moyen-Orient". Avec des lois comme celles-ci, Israël ne sera plus à même de rejeter le label d’apartheid. Le chéri de l’Occident révélera son vrai visage : ni démocratique, ni égalitaire, ni le seul au Moyen-Orient. Finis les faux-semblants. ». Gideon Levy, « En 2018, le masque d’Israël tombe enfin », Haaretz, 2 janvier 2019. (*)

30 « À Gaza, les paysans confrontés à la pollution de leurs terres », Le Monde, 3 avril 2019.

31 Cette pratique est maintenant mondialement connue depuis l’affaire Ahed Tamimi dont la famille manifeste pacifiquement depuis dix ans tous les vendredis pour obtenir le droit d’accéder à la source d’eau de leur village, Nabi Saleh, qui se trouve de l’autre côté de la rue. Les excès de violences de l’armée israélienne en font réfléchir plus d’un : « […] c’est à Nabi Saleh que j’ai perdu les derniers vestiges de ce que j’appellerais "mon sionisme" – vu l’absence de vocable pour décrire ma nostalgie vis-à-vis de l’idée d’un État pour les Juifs. », Lisa Goldman,

« C’est à Nabi Saleh que j’ai abandonné le sionisme », article publié le 27 décembre 2017 sur le site « Pour la Palestine. Les droits du peuple palestinien dans le respect du droit international ». (*)

32 1956 ; occupation 2002-2005 ; juin 2006 : offensive aérienne et terrestre ; février-mars 2008 ; 27 décembre

2008-17 janvier 2009 : opération « Plomb durci », novembre 2012.

33 Résolution du Parlement européen du 1er juin 2017 sur la lutte contre l’antisémitisme (2017/2692(RSP) qui invite les « États membres et les institutions et agences de l’Union à adopter et à appliquer la définition opérationnelle de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites de manière plus efficiente et efficace […]. » (*)

34 François Dubuisson, « La définition de l’antisémitisme par l’European Monitoring Centre on Racism and

Xenophobia (EUMC) : vers une criminalisation de la critique de la politique d’Israël ? », Centre de droit international, ULB, Juillet 2005. (*) On trouve la traduction de la liste des exemples sur le site du Centre communautaire laïc juif, dans l’article de Nicolas Zomersztajn, « Une définition actualisée de l’antisionisme », 1er février 2019 et dans « La "Définition IHRA" de l’antisémitisme : amalgame et manipulations » du site

« Repères contre le racisme, pour la diversité et la solidarité internationale ». (*)

35 Avant l’intervention du Président Macron, le président du CRIF en fait (réitère ?) la demande en ces termes :

« À l’unisson des autres pays européens, la France a voté en faveur de cette définition lors de son adoption par l’IHRA en 2016 et encore tout récemment fin 2018 dans la résolution du Conseil européen sur la lutte contre l’antisémitisme. Conformément aux recommandations du Parlement européen et du Conseil européen, plusieurs États membres l’ont déjà intégrée dans leurs propres textes de référence. »

36 « On en vient à se demander si le CRIF n’est pas plutôt le porte-parole d’Israël en France, comme une

seconde ambassade de ce pays. Il y a un siècle, ce qui aurait passé pour de la double allégeance s’appelle aujourd’hui soutien à Israël. » Esther Benbassa, « Le CRIF, vrai lobby et faux pouvoir », Libération du 17 février 2010. (*) Esther Benbassa est directrice d’études à l'École pratique des hautes études (EPHE) et sénatrice EELV.

37 Par exemple, l’AJC (American Jewish Commitee) et l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee).

38 Lors de la cérémonie du Vél d’Hiv’, il l’a remercié pour sa mise au point, précisant qu’« on ne peut pas dire "je n’ai rien contre les juifs, mais je ne veux pas que leur pays existe". »

39 Discours de Netanyahou à la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv’ : « Des cendres de la destruction, nous avons fondé l’État juif. Et c’est la force d’Israël, qui est la seule garantie certaine que le peuple juif ne subira plus une autre Shoah. Plus jamais. Nous ne laisserons jamais cela se produire. »

40 Pierre Vidal-Naquet écrit : « Le génocide des Juifs cesse d’être une réalité historique vécue de façon

existentielle, pour devenir un instrument banal de légitimation politique, invoqué aussi bien pour obtenir telle adhésion politique à l’intérieur du pays que pour faire pression sur la diaspora et faire en sorte qu’elle suive inconditionnellement les inflexions de la politique israélienne. Paradoxe d’une utilisation qui fait du génocide à la fois un moment sacré de l’histoire, un argument très profane, voire une occasion de tourisme et du  commerce ». Pierre Vidal-Naquet, Les assassins de la Mémoire, 1987, Éditions La Découverte, p. 130.

41 Michel Warschawski, Israël : chronique d’une catastrophe annoncée … et peut-être évitable, p. 29. Michel

Warschawski est le fondateur de l’AIC (Alternative Information Center), organisme antisioniste qui milite pour la paix.

42 Voir notamment : Nadine Marroushi, « 50 ans d’occupation israélienne ; quatre réalités scandaleuses à propos

de l’ordonnance militaire 101 », 25 août 2017 sur le site d’Amnesty international ; et « Le système des lois d’apartheid d’Israël », 1er août 2018, sur le site de l’UJFP. (*)

43 Voir notamment les articles suivants : « Résolutions de l’ONU non respectées par Israël », Le Monde

diplomatique de février 2009 et celui de Jean-Claude Woillet, ancien expert consultant des Nations Unies,

« Israël, l’éternel dissident international », Mediapart, 12 août 2014. (*)

44 « L’UE se situe fermement dans le soutien à la liberté d’expression et d’association conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui s’applique sur le territoire des États membres de l’UE, y compris en ce qui concerne les actions BDS menées sur ce territoire ».

45 On peut citer, par exemple, Pierre Stambul, Dominique Vidal, Michel Warschawski, Gideon Levy et, pour les

associations, le Collectif judéo-arabe et citoyen pour la Palestine (CJACP), le Réseau juif international antisioniste (JIAN), l’Union juive française pour la paix (UJFP), l’américaine Jewish Voice for peace (JVP).

46 Guerre des Six jours (juin 1967 contre la Syrie et l’Égypte) ; Opération Litani au Sud-Liban (mars 1978) ; invasion du Liban (massacre de Sabra et Chatila dans lequel Israël porte une responsabilité indirecte (Commission Kahane) / directe (Commission indépendante Mc Bride) en 1982 ; deuxième guerre du Liban (juillet-août 2006) ; depuis le début de la guerre en Syrie, des interventions dans sur le territoire syrien et dans l’espace aérien syrien des règlements d compte avec l’Iran.)

 * * * * * 

Synthèse des débats du café politique du 9 avril 2019.

Antisémitisme-antisionisme, un amalgame dangereux.

 

Après un exposé très approfondi de Michèle Abbas, applaudie par les participants du  café, le débat se propose de s’attacher à la politique actuelle d’Israël.

 

1) Quelques remarques sur les notions d’antisémitisme et d’antisionisme.

 

 L’antisémitisme est un racisme. Il est possible néanmoins d’utiliser des insultes antisémites envers des personnes qui ne sont pas juives. L’antisémitisme s’oppose à

l’antisionisme qui est une opinion politique assez vague. Par exemple : être contre Netanyahou et sa politique ne signifie pas forcément être favorable à la suppression de l’Etat d’Israël. Cette dernière opinion ne ferait qu’amplifier la haine entre Israéliens et Palestiniens. Le conflit actuel est une source d’escalade dans la violence, une source de haine, de maintien de la haine des deux côtés. Cette haine est malheureusement exploitée par les deux camps, par Netanyahou d’une part, et les extrémistes arabes de l’autre qui ont un certain intérêt à ce que le conflit s’enlise.

  • Les Juifs sont rejetés comme étrangers mais aussi comme étrangers trop semblables.

Delphine Horvilleur, femme rabbin de France, dit qu’il y a des points communs entre ce qu’on attribuait aux Juifs et ce qu’on attribuait aux femmes. Dans les deux cas il s’agit de catégories subalternes caractérisées par la lascivité et la cupidité !

  • Israël a une responsabilité dans le développement du racisme antijuif et du racisme anti

arabe. Par ailleurs le fait de parler d’Israël, comme Etat des Juifs, peut pour certains être une cause d’agressivité dans le monde, en France en particulier. Une participante du café qui se déclare juive et antisioniste raconte ce vécu. Lors d’une manifestation pour les Palestiniens en France elle se trouve entourée de pancartes : Mort aux Juifs ! En discutant avec les manifestants et en disant qu’elle est organisatrice de la manifestation et qu’elle est juive, elle suscite la réflexion autour d’elle.

  • Le sionisme est une idéologie qui date de la fin du XIXème siècle au moment de la

montée des nationalismes. C’est une idéologie nationaliste et colonialiste. Israël aujourd’hui est un pays nationaliste et colonialiste. Par ailleurs, avant la deuxième guerre mondiale, les sionistes avaient des relations avec des mouvements d’extrême droite comme les mouvements d’apartheid d’Afrique du Sud. Tom Segev, historien israélien, raconte que les sionistes cultivaient des relations avec l’Allemagne nazie. En

1933 le baron nazi Leopold Itz von Mildenstein est venu en Palestine et a fait l’éloge des kibboutz. Il dirigeait le bureau des affaires juives dans lequel siégeait Adolf Eichmann.

  • Aujourd’hui encore les gouvernements d’extrême droite soutiennent l’antisémitisme en

pensant que les Juifs iront en Israël pour fuir l’antisémitisme. De là à penser qu’Israël cultive l’antisémitisme par intérêt… Voir sur le site Orient 21 les informations suivantes : Il existe aux Etats-Unis des organisations israéliennes en lien avec Israël qui travaillent à déligitimer toute critique à l’égard d’Israël. Ces forces s’attaquent aux étudiants solidaires des Palestiniens dans les universités américaines. Les attaques se multiplient sur les réseaux sociaux à l’encontre de ces étudiants. Traités d’antisémites, ils ont de la peine à trouver du travail. Cette enquête a été réalisée par un jeune anglais introduit clandestinement jusqu’au sommet de terre organisation.

  • Historiquement, l’idée de foyer juif viendrait d’Angleterre, pays en grande partie à

l’origine du conflit actuel. Herzl à qui on attribue généralement cette idée a renforcé son opinion en constatant que l’affaire Dreyfus était un signe d’échec d’intégration des         Juifs dans le cadre des Etats nations.

  • Le sionisme a évolué de manière assez proche du communisme. Issu d’une belle idée

au départ, le sionisme s’est transformé. Nathan Birnbaum est le premier à employer le terme de sionisme. Il rejoint avec l’apparition de Herzl les rangs du mouvement  sioniste. Mais il s’en éloigne à partir de 1898 pour rejoindre les courants orthodoxes religieux juifs ( retour en Israël à la fin des temps sous la conduite du Messie ).

  • Il existe des antisionistes religieux en Israël et dans le monde, à Strasbourg par

exemple. Ils attendent l’arrivée du Messie qui réunirait tous les Juifs. En Israël même,  ils sont antisionistes et vivent en communautés.

  • Au début le sionisme était un mouvement de libération. Puis il y a eu occupation des

terres. Les Juifs en ont acheté aux féodaux absents et les fellahs palestiniens ont perdu leur travail.

  • La communauté juive actuelle est cependant loin d’être homogène : s'il y a toujours eu

des Juifs d’extrême droite, n’oublions pas que Ben Gourion était connu pour ses idées socialistes. Il a fondé l’Etat d’Israël avec ses idées et notamment les kibboutz. Des associations israéliennes et palestiniennes travaillent de concert dans le sens de la paix même si ces initiatives sont très peu connues et très peu diffusées dans la presse.

  • L’Etat juif sans les travailleurs arabes du bâtiment et de l’agriculture aurait des

difficultés importantes.

 

2) Israël aujourd’hui.

  • Il est possible de critiquer l’existence d’un Etat sioniste sans vouloir la disparition de l’Etat d’Israël.

  • Depuis deux ans Netanyahou fait voter par la Knesset des lois. Il dit officiellement :            nous ne sommes plus un Etat juif et démocratique. Israël est l’Etat des Juifs, ce qui inclut potentiellement tous les Juifs du monde.

  • L’Etat d’Israël aujourd’hui impose l’apartheid entre Juifs, entre Juifs et Palestiniens d’israël et plus encore entre Juifs et Palestiniens de Cisjordanie qui ne sont pas reconnus comme citoyens d’Israël.

  • Netanyahou cultive des relations avec des régimes d’extrême droite comme la  Pologne, les fascistes belges. Ses meilleurs alliés en Europe sont de cette tendance.

  • L’ONU n’a jamais dénoncé la politique d’apartheid de Netanyahou malgré la Déclaration des Nations Unies concernant les peuples autochtones en 2007. Parmi les pays qui ont voté contre cette Déclaration, citons les Etats-Unis, l’Australie, le Canada

et Israël.

  • La première grave incohérence de l’action onusienne est bien le partage territorial qui a abouti à la création de l’Etat d’Israël en 1947. Il porte en lui le germe de bien des  conflits ultérieurs.

  • Le Monde diplomatique de février 2009 recense les nombreuses résolutions de l’ONU non respectées par Israël. Depuis, le relais a été pris par un journaliste de Mediapart, ancien expert consultant aux Nations Unies qui en fait la liste jusqu’en 2014.

  • La Shoah est souvent instrumentalisée y compris par l’IHRA. Il semble bien difficile d’imposer quoi que ce soit à Israël.

  • En France il existe toujours une déduction fiscale liée aux dons faits à l’armée israélienne.

  • Madame Merkel a déclaré devant la Knesset récemment : la raison d’être de l’Allemagne c’est l’existence d’Israël.

  • L’UE affiche des valeurs communes avec Israël.  Que  dire  alors  de  la  politique colonisatrice d’Israël ?

 

3) Pistes de réflexion sur le conflit israélo-palestinien.

  • L’Union européenne pourrait faire pression sur Israël. Elle en a les moyens légaux. Israël est membre de l’OCDE. Le pays est un Etat européen du point de vue des liens économiques. Elle pourrait suspendre l’accord qui permet à Israël d’exporter avec des

droits de douane assez bas ses produits et ceux qui viennent des territoires occupés. Il existe un article économique sur l’accord UE-Israël qui dit que si les droits de l’Homme sont violés, il est possible de suspendre un accord économique.

  • La vie en Israël n’est pas possible dans un Etat nommé Etat des Juifs qui offre la

nationalité à tout juif du monde. Ou bien Israël devient un pays unifié avec des droits démocratiques égaux pour tous, ou bien ce sera le massacre.

  • Une autre piste est celle de l’abandon d’un Etat unifié qui n’est pas prévu par l’ONU.

  • La piste des deux Etats semble être un moyen crédible pour faire cesser la violence.

  • Ce pourrait être par le biais d’une médiation, étant entendu qu’elle devrait être à l’initiative d’Israël considéré comme première puissance colonisatrice des terres des Palestiniens.

 

Conclusion.

Nous apprenons aujourd’hui 10 avril que Netanyahou a de fortes chances de pouvoir prolonger son action à la tête d’Israël malgré les charges judiciaires qui pèsent contre lui liées à l’exercice de sa fonction de Premier Ministre. Un des arguments ultimes de sa campagne électorale a été le projet d’annexion de la Cisjordanie. Netanyahou n’a jamais fait de propositions de paix.

Retour vers les textes du café politique

antisemitisme
Gilets jaunes

Café du 18 juin 2019

A partir des témoignages de Gilets jaunes de l’Est.

 

1) Témoignage d’Isabelle.

 

Le mouvement des gilets jaunes a surgi de façon inédite, essentiellement « prolo » mais hors des entreprises, à une échelle extrêmement large puisque nationale.

Dès le début, Macron et ses amis n’ont cessé de marteler dans les médias que les Gilets jaunes n’étaient qu’une masse confuse, désorganisée, aux revendications inaudibles. Les directions syndicales le pensaient aussi, estimant qu’elles seules étaient rodées à l’organisation et surtout aux négociations.

 

Un mouvement désorganisé ? Pas tant que ça pourtant…

 

En réalité, l’explosion du 17 novembre, toutes et tous ensemble un même jour, a montré dès le début que le mouvement était organisé à sa façon, via les réseaux sociaux qui ont conduit aux ronds-points, et à des réunions.

 

Les premières journées manifestations nationales ont été impulsées d’en haut, mais non sans échos avec les volontés de la base, par le groupe de la France en colère (les Gjs à l’origine du mouvement) et répercutées régionalement par des représentants (non-élus) des ronds-points (Qgs) locaux en lien avec elle. On pourrait revenir sur le rôle très important joué par les réseaux sociaux. En particulier ceux liés à la France en colère.

 

Mais cela n’empêchait pas d’agir dans ce mouvement par des réunions et coordinations

« physiques ». Pour nous à Strasbourg et dans le Grand-Est, tout a vraiment commencé avec la manifestation du 1er décembre, où étaient annoncées une manif de gilets jaunes mais également une manif de la CGT. Evidemment pas au même endroit ! 600 GJs étaient venus de plusieurs ronds-points d’Alsace, des Vosges ou de Lorraine, à l’appel d’« organisateurs » en lien avec la France en colère qui, au point d’arrivée déclaré en préfecture ont demandé de se disperser. Mais des GJs voulaient continuer et rejoindre la manifestation de la CGT (un tract écrit par nous avait circulé sur les réseaux évoquant cette jonction). Malgré la pression contraire, nous avons réussi à entrainer 400 GJs à se réunir sur la place de la République toute proche et à voter à main levée de rejoindre en cortège la manifestation de la CGT. A partir de là, nous avons décidé d’appeler via une page Facebook à une Assemblée générale le samedi, sur la place de la République à Strasbourg. Notre idée étant donc de construire les bases d’une forme démocratique de discussion pour que les GJs soient maîtres des décisions de leur propre mouvement, qu’ils se voient physiquement, discutent et échangent leurs expériences. Le samedi suivant 8 décembre, 350 GJs venus de différents QGs d’Alsace répondaient présents à l’appel à cette assemblée générale. L’habitude était prise d’une réunion tous les samedis, regroupant sur la durée du mouvement de 350 à 80 personnes selon les semaines.

 

Deuxième étape, qui en a découlé assez naturellement : les GJs les plus impliqués dans le succès de cette AG ont eu envie de se réunir pour la préparer. D’où la naissance de ce « QG République », une réunion hebdomadaire regroupant bientôt entre 40 et 60 GJs. Elle se tient jusqu’à aujourd’hui. Depuis 6 mois, c’est là que nous discutons, analysons la situation, élaborons nos tactiques pour les manifestations, actions,

 

interventions en direction de travailleurs d’entreprises, puis envisageons la coordination avec d’autres gilets jaunes d’autres villes voire régions.

 

Dans le cadre de la réunion hebdomadaire préparatrice à l’AG, nous avons mis en place une commission « entreprises » qui s’est adressée aux travailleurs des boîtes par des tracts et discussions (Usocom, GM, Punch... une boîte en lutte). Des liens ont été pris avec des GJs d’entreprises mais aussi avec certains syndiqués.

 

L’AG du samedi, elle, est devenue un véritable lieu de discussions politiques, d’élaboration d’une plateforme de revendications - adoptée par un vote. Des militants syndiqués, mais aussi des mouvements écolos, l’ont rejointe, pour être partie prenante des actions GJs ou pour y proposer des convergences (manifs syndicales, marche pour le climat).

 

De l’Assemblée de la place de la République à la Coordination des GJs du Grand Est

 

L’Assemblée de Strasbourg et le noyau dur de son QG, sont devenues alors une base à partir de laquelle se sont tissés des liens avec les autres QGs, ronds-points d’Alsace mais aussi de Lorraine. Dont le fonctionnement certes était tout autre, plutôt autour de petits chefs non élus - ce qui ne veut pas dire qu’ils n’étaient pas reconnus. Notre QG de Strasbourg a été invité à participer à des réunions de « représentants » de ronds-points, autant d’occasions de se connaître, travailler jusqu’à un certain point ensemble mais aussi de s’apercevoir que le mode de discussion démocratique que nous construisions sur Strasbourg restait une exception dans la Région. Les discussions sur les ronds-points, ou discussions par sondages sur les réseaux sociaux ne manquaient pas, mais manquait une coordination permettant de décider démocratiquement à partir de ces discussions.

 

Dans ce paysage déjà riche de multiples formes de coordination d’actions, est arrivée l’initiative des GJs de Commercy (en Lorraine), d’une première Assemblée des Assemblées. Elle a réuni les 26 et 27 janvier plus de 350 GJs, 75 délégations venues de toute la France. L’expérience prouvait - si besoin était - qu’il était possible de discuter en AG de manière démocratique à l’échelle nationale. Dommage que la rencontre suivante n’ait été programmée que deux mois plus tard, à Saint-Nazaire.

 

Mais l’exemple de Commercy, et les contacts que nous avons pu prendre d’une ville à l’autre, entre gjs ayant pris l’habitude de bouger d’une ville à l’autre pour manifester le samedi, nous ont donné l’idée de tenter une coordination des Gilets Jaunes de l’Est. Un gros boulot bien sûr. Plus d’une centaine de coups de téléphone, d’aventures multiples pour trouver une salle. Cette coordination des GJs de l’Est a eu lieu le 24 février. Plus  de 250 GJs, après échanges et discussions, ont voté une plate-forme de revendications communes, élu une équipe d’organisation régionale, et mis en place une page Facebook de la Coordination. Si vous avez vu cette banderole géante « Coordination des Gilets Jaunes de l’Est », trimballée beaucoup ensuite, et jusque sur les Champs-Elysées, c’était nous ! Elle fut le point de départ de nouvelles formes de discussions entre Gjs de la Région et de nouveaux échanges. Les GJs du Haut-Rhin s’appuyèrent sur cette expérience pour lancer une « Assemblée générale des GJs du Haut-Rhin » (150 GJs à la première réunion, puis 80 à la seconde).

 

Et pourquoi ne pas tenter une Coordination nationale ?

 

Nous avons décidé, entre GJs de la coordination de l’Est et Gjs d’autres régions avec lesquels nous avons pris contact, d’organiser une coordination nationale, lors de la montée nationale à Paris le 16 mars. Celle-ci a eu lieu à la Bourse du Travail de Paris, réunissant 450 Gilets jaunes de 71 villes qui ont voté un appel à se coordonner nationalement et à préparer dans ce sens la prochaine AdA de Saint-Nazaire.

 

Cette coordination n’a pas eu le pouvoir de décider pour toute la France. Mais ce n’était pas une impossibilité et le contre-pouvoir que représentaient les Gjs face à Macron n’en aurait été que plus fort. Car il s’agissait d’appeler d’autres catégories de travailleurs à rejoindre les Gjs.

 

L’AdA qui s’est réunie à Saint-Nazaire aurait pu aller dans ce sens. Elle a réuni 800 GJs, ce qui était un succès et la preuve que les Gjs aspiraient à se coordonner. Mais ses initiateurs, par choix politique « municipaliste », se sont cantonnés à un

« horizontalisme » empêchant toute émergence d’une direction à l’échelle nationale.

 

Ces tentatives n’ont pas dépassé un certain cap, mais elles nous ont conforté dans notre conviction que c’était bien la tâche de révolutionnaires, d’aider les Gilets jaunes à se donner leur propre direction et se coordonner démocratiquement.

 

2 ) Témoignage de Jean-Claude.

Au début je n’étais pas dans le mouvement. J’ai vu rapidement que ce mouvement était atypique. En mai 68 il y avait les étudiants, puis les ouvriers. Dans les Gilets jaunes il y a des ouvriers, des retraités, des petits patrons, des artisans, des chauffeurs routiers, des femmes seules avec enfants qui vivent avec moins de mille euros par mois. Une de ces femmes me dit un jour : « Moi, je suis là parce que mon frigo est vide le 20 du mois ». Par ailleurs le mouvement permet à beaucoup de casser la solitude et de créer une forme de fraternité.

Derrière la question de la taxe gasoil qui a déclenché le mouvement, c’est la misère ordinaire qui apparaît ( en-dessous de mille euros ) en regard des dividendes très élevés versés aux actionnaires des entreprises du CAC 40.

 

Quelles sont les revendications de ce mouvement ?

 

•          Il faut augmenter les salaires, les petites retraites.

•          La question de la fiscalité ressentie comme injuste. Le kérosène des avions n’est pas taxé, par exemple, alors que le gasoil des véhicules est taxé. Il faudrait une fiscalité très fortement progressive surtout pour les hauts revenus. Ne parlons pas de ceux qui ne paient pas d’impôt du tout comme le propriétaire d’Auchan qui habite en Belgique. L’ascenseur social est bloqué pour nos enfants.

•          La critique de la démocratie représentative. L’élu l’est pour 5 ans et il n’est plus contrôlé dans des décisions durant ce temps.

 

3) Témoignage d’Octave.

J’ai rejoint le mouvement dès le début de manière virtuelle sur les réseaux sociaux parce que je travaillais. J’ai apprécié le fait que ce mouvement recréait du lien entre les gens un peu comme ce soir dans ce café où ont lieu des échanges entre les personnes.

 

Une des initiatives sympathiques du mouvement a été la fondation de maisons du peuple nées un peu partout en France. Il y en une à St Nazaire actuellement, à Montpellier, à Belfort. Ces lieux permettent des rencontres quotidiennes pour partager un repas, une discussion, faire des projections de films, proposer des pièces de théâtre.

Par ailleurs il faut parler du caractère inédit de la répression du mouvement. Dans un premier temps la répression policière, puis dans un second temps une répression judiciaire.

La répression policière a débuté le 24 novembre alors que le 17 novembre s’était plutôt bien déroulé. Il y a eu des mains arrachées, des yeux perdus des mâchoires brisées. Il y a eu plus de 400 blessés graves. A Strasbourg par exemple un jeune de 16 ans a eu la mâchoire explosée alors qu’il passait près des manifestants sans participer à la manifestation.

La répression judiciaire s’est manifestée d’abord par l’interpellation préventive de plus de 2000 personnes le 1er décembre. Puis il y a eu d’autres interpellations qui vont donner lieu à Strasbourg à une trentaine de procès concernant des personnes qui n’ont jamais été violentes et n’ont jamais été condamnées. Certaines personnes ont été condamnées à de la prison ferme ce qui est rare dans les mouvements sociaux.

 

4)Témoignage d’Alain.

Pour compléter ce témoignage il faut dire que la répression judiciaire a aussi pour but de faire peur aux jeunes qui n’ont pas l’habitude des mouvements sociaux contrairement aux syndiqués habitués à manifester et que la police a peu de chance d’intimider.

Pour ma part, je travaille dans la métallurgie et j’ai constaté que si des ouvriers ont participé au départ au mouvement, ils ont ensuite eu peur d’être inquiétés. La peur s’est installée au fur et à mesure des semaines.

Pour ma part, j’approche de la retraite et j’ai rejoint le mouvement pour la question des petites retraites. Pour l’instant les salariés ont eu quelques améliorations, ( prime de pouvoir d’achat, heures défiscalisées prévues en 2020 … ) mais le combustible continue d’augmenter. Pour les retraités il n’y a aucune avancée.

 

5 ) Témoignage d’une Gilet jaune de Perpignan.

Je suis venue au mouvement par l’appel sur Facebook d’Eric Drouet. Je suis descendue dans la rue à Perpignan, j’étais bien, je vivais un mouvement populaire de fraternité. Toute personne seule chez elle, qui n’osait pas parler de sa misère, de ses fins de mois, de ce qu’elle vivait, d’un seul coup quand elle est sortie, elle a trouvé des gens qui pouvaient s’identifier les uns aux autres. Les tabous sont tombés et les gens ont fraternisé.

J’ai fait plusieurs manifestations plutôt joyeuses. Je monte à Paris le 15 décembre, je me trouve à la station Champs Elysées et je vois une manifestation bon enfant. Moi qui suis une « femme à faciès », je me suis sentie appartenir enfin au peuple. Puis, d’un seul coup, la police nous a chargés et a envoyé des LBD sans sommations. J’ai fui.

Quand je suis arrivée à Strasbourg j’ai porté un drapeau tricolore parce que je ne trouvais plus de Gilet jaune ! J’ai écrit sur le drapeau la devise de la République. Puis j’ai eu un Gilet jaune sur lequel j’ai marqué : je suis Gilet jaune, je suis le peuple, je suis

 

le pouvoir ! Avec mon drapeau tricolore sur moi j’ai mené une partie de manifestation devant la cathédrale où nous avons chanté la Marseillaise et j’ai été chargée par la police. A Bruxelles j’ai manifesté et j’ai été arrêtée par la police et mise en garde à vue administrative 12 heures alors que la manifestation était pacifique dans la capitale européenne.

 

6 ) Apport de Jean-Brice.

Je voudrais apporter un regard plus théorique en me fondant sur les idées du philosophe allemand Peter Sloterdijk qui a écrit à propos de la colère. Cela s’applique à la colère des Gilets jaunes qui vient très clairement d’un sentiment de déclassement de catégories sociales qui constatent qu’elles ne sont pas du tout écoutées et encore moins entendues par les pouvoirs publics ou par le patronat.

Autrefois, dit cet auteur, il y avait des « banques de la colère », des dispositifs qui permettaient d’accumuler et de diriger cette colère comme le Parti communiste et l’Eglise catholique par exemple.

Dans les Gilets jaunes il y a des prolétaires et des petits patrons qui ont parfois des intérêts assez divergents mais qui ont en commun le fait de se considérer comme non pris en compte par le pouvoir dans leur impossibilité de « finir leur mois » . La taxe carbone a généré cette colère.

Un autre aspect est le phénomène des réseaux sociaux qui permet de mettre en relation beaucoup plus rapidement les personnes entre elles et de former des groupes. Il y a eu ainsi la création de forums informatiques électroniques.

Denier point, c’est la solidarité.

 

 

7 ) Témoignage d’une historienne franco-allemande.

Je suis en désaccord avec la notion de catégorie sociale dans ce mouvement. C’est une mentalité française qui s’exprime ainsi. Pour moi, les Gilets jaunes démontent cette notion à Strasbourg. Autour d’un rond point j’ai trouvé des personnes de toutes origines pas seulement des pauvres, mais réunies autour de revendications très politiques. Je suis historienne et j’ai quatre enfants qui ont fait des études supérieures poussées et qui vivent aujourd’hui aussi mal que des gens qui n’ont que le RSA. Les catégories sociales me semblent être une représentation imposée aux personnes pour les diviser.

Je suis éditrice pour un site de géopolitique et je suis sensible à la construction par les médias et le pouvoir d’’une représentation des Gilets jaunes comme un mouvement violent. J’ai constaté qu’il y avait une stratégie policière pour mener à la violence et que les personnes qui sont arrêtées sont souvent des personnes qui n’ont pas l’expérience des manifestations.

 

QUESTIONS AUTOUR DES TEMOIGNAGES.

 

1 ) Pourquoi les Black Blocs ne sont-ils pas arrêtés par la police ?

Les Black Blocs n’existent pas en tant que tel comme un groupe de personnes déclarées. Il s’agit de personnes qui se regroupent lors d’une manifestation et qui adoptent une stratégie qui est de s’habiller en noir, d’avoir du matériel défensif ou offensif. Ce sont souvent des militants révolutionnaires. Parmi les blessés et les manifestants judiciarisés, personne s’est revendiqué des Black Blocs parce que pénalement ils n’ont pas intérêt à se déclarer comme tels.

 

2) Que penser des militants radicaux dans les manifestations des Gilets jaunes ?

Un intervenant fait remarquer que ces militants passent d’un pays à l’autre. Ce sont comme des troupes d’élite. Ils ont aussi été présents en Allemagne récemment à Hambourg, cela ressemblait à une guerre civile. Néanmoins la presse en rajoute en passant en boucle leurs voies de fait et leurs destructions.

Si les Gilets jaunes ne les désapprouvent pas toujours c’est que ces militants radicaux répondent par une violence émeutière à une violence sociale vécue au quotidien par eux ( licenciements, procès de France Telecom en ce moment, morts au travail, plus faible espérance de vie du monde ouvrier … ). Les syndicats n’ont pas obtenu grand chose depuis des décennies.

 

3) En Allemagne, des manifestations non déclarées sont impensables.

Pour les Gilets jaunes qui n’ont pas de porte parole, la déclaration des manifestations n’a pas de sens. La déclaration d’une manifestation, en effet, impose de donner un trajet de cette manifestation et il n’est pas possible d’aller où l’on veut. Le cas des Champs Elysées est intéressant à ce sujet. Ce lieu n’est pas autorisé pour une manifestation syndicale. Les Gilets jaunes l’ont imposé par la force. Malgré une répression sévère les Gilet jaunes ont pu chaque samedi imposer leur présence dans ce lieu.

 

4 ) Quelles suites pour le mouvement ?

Sur les suites du mouvement il faut tenir compte des trois éléments qui le freinent :

•          la répression du gouvernement

•          le grand débat

•          la direction des syndicats, en particulier la direction de la CGT. Il y a eu au mois de décembre une fenêtre dans le mouvement, mais la direction a appelé à une grève un vendredi 14 décembre alors que les Gilets jaunes se retrouvaient le samedi 15 décembre. Des militants syndicalistes se sont battus pour participer au mouvement des Gilets jaunes en revendiquant leur appartenance syndicale. La CGT a même diffusé des textes parlant du racisme des Gilets Jaunes, de leur poujadisme.

Le bilan est qu’il subsiste un noyau dur de Gilets jaunes actifs dans le pays.

Par ailleurs il ne faut pas voir ce mouvement uniquement par le nombre de manifestants. Ce mouvement c’est aussi des réunions sur le RIC, des réunions sur les ronds points, des actions diverses et variées.

Il y a différentes suites possibles comme celle de construire des structures municipales, de préparer les municipales dans la perspective de construire des contre pouvoirs locaux. D’autres proposent en parallèle du mouvement de développer le RIC.

Dans la perspective des réformes de Macron, le mouvement des Gilets jaunes reste présent et il devrait être capable de développer les liens avec les travailleurs dans les entreprises et les syndiqués de la base pour créer des contre pouvoirs aux directions syndicales.

 

Alain W. chante en conclusion la chanson Les Gueux, Chanson, Gilets jaunes Détournement de « Mon Vieux » de Daniel Guichard - Musique originale de Jean Ferrat Réécriture Gaëtan Thomas et David B.

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TEXTE de Jean-Luc sur le mouvement des Gilets jaunes.

  

Le pouvoir en place cherche à délégitimer ce mouvement et ne sait comment s'y prendre. A l'heure où, dans les milieux dits progressistes, la question de l'émancipation ne fait plus recette, ce qui est mis en avant est la question de la victimisation. Mais, seuls ont le droit de se déclarer victimes, ceux qui entrent dans le champ de la mondialisation en contribuant à décrédibiliser les Etats (minorités sexuelles et ethniques, naufragés du réchauffement climatique). Les autres n'ont qu'à bien se tenir, car par leur mécontentement, ils manifesteraient avant tout leur égoïsme, autant dire leur populisme, et donc leur extrémisme droitier.

Cette pseudo-morale, affichée par les gens du pouvoir, masque le fait que ce sont eux, les véritables extrémistes. Le parallèle avec les années 1930 est pertinent. L'Allemagne était dans une misère noire sans les années 1920 et 10 ans plus tard, disposait d'un armement flambant neuf et performant. Le NSDAP, parti prétendument ouvriériste, s'était appuyé et avait été soutenu par les milieux d'affaires car le secteur de l'armement semblait financièrement le plus profitable. La ReM qui gouverne la France actuellement, s'est mis dans le sillage de la politique belliciste US. Après une campagne ouvriériste, Trump a porté le budget du Pentagone à près de 700 milliards de $ pour cette année. De l'argent public qui va assurer des profits considérables au secteur privé de l'armement. Mais le militarisme qui s'en s'en suit va bien devoir trouver un débouché. Pour l'heure, on est à la multiplication des foyers de tension (Vénézuela, Moyen-Orient en général et Iran en particulier, en attendant la Chine et la Russie). Le droit international, patiemment élaboré après 1945, est foulé aux pieds par la puissance qui se veut dominante sans que nos élites ne trouvent à y redire. Ah, l'esprit munichois n'est pas mort !

Alors évidemment, le parti au pouvoir, dans son assaut de servilité car il espère bien récupérer quelques miettes, ne veut pas être gêné par des manifestants qu'il cherchera toujours à présenter comme des attardés, des demeurés, ne comprenant rien à rien.

Il s'agira au contraire d'être lucide et de dénoncer les néo-vichystes pour ce qu'ils sont: des collabos.

Retour vers les textes du café politique

Café politique du 19 Septembre 2019

A quoi sert l'OTAN?

(Organisation du Traité de l'Atlantique Nord)  

Texte de présentation de Jean Luc

 

Les questions essentielles concernant la vie des citoyens, dans l'Occident "démocratique", ne sont abordées que sous le prisme déformant de la propagande. Ainsi, nous assure-t-on, il y aurait, non loin des steppes asiatiques, un ennemi quasi-héréditaire, dont l'existence justifierait la dépense annuelle de 260 milliards de $ en armements au niveau européen, dépense qui, selon notre allié mais néanmoins suzerain US, serait d'ailleurs notoirement insuffisante. Or, n'importe quel quidam que l'on croise dans la rue, sait que les problèmes auxquels est confrontée l'Europe, se situent au sud et non à l'est. Les "progressistes" pleurent les pauvres migrants qui se noient, alors que les 260 milliards de dépense annuelle précédemment évoqués seraient bien plus utiles à créer une économie performante en Afrique, ce qui éviterait que des dizaines de milliers de ressortissants de ce continent soient prêts à risquer la mort par noyade en ayant pour seule perspective de devenir le sous-prolétariat de l'Europe. 

 

Pourquoi un tel aveuglement au niveau de nos dirigeants? 
Lors de la chute de l'URSS, événement certes heureux vu ce qu'était cet ensemble, les commentateurs parlaient de dividendes de la paix, car il allait de soi alors que la guerre froide allait cesser. Mais c'était compter sans la voracité de l'un des protagonistes de cette guerre froide, les USA, pour qui il allait devoir s'agir maintenant de créer un monde unipolaire dont ils seraient à jamais le chef incontesté. A un Gorbatchev en difficulté, les USA avaient promis, à la fin des années 1980, que l'élargissement de l'Otan à l'est relevait de la paranoïa. Le Kremlin considéra alors que le Pacte de Varsovie était un encombrant héritage du passé et que le mieux était de s'en débarrasser. Les élites US, oubliant vite leurs promesses car faites à l'URSS en faillite et non à la Russie, ont alors élaboré la théorie dite de "full spectrum dominance". Il s'agissait de faire en sorte, moyennant un budget annuel actuellement de 700 milliards de $, d'assurer à l'armée US une suprématie totale, aussi bien terrestre que maritime, qu'aérienne mais aussi le contrôle de l'espace, du "cyber-space" et enfin à mener une efficace guerre de l'information. Pourtant le successeur de Boris Eltsine semblait, au début de sa présidence, convaincu de pouvoir établir une coopération avec les pays européens (voir à ce sujet: Quand la Russie rêvait d'Europe, le Monde Diplomatique, septembre 2018). Encore eut-il fallu que ceux-ci fussent indépendants.

 

La première guerre d'Irak resta conduite sous l'égide du droit international, mais ce qui allait se passer ensuite mènerait à sa progressive liquidation. Le "Monde Diplomatique" d'avril 2019, établit que la guerre menée par l'OTAN contre la Yougoslavie en 1999 a été entièrement menée à partir de bobards (à l'époque, on ne parlait pas encore de fake news). Bobards établis par les services secrets bulgares et complaisamment relayés par le gouvernement allemand. Nos brillantes élites participèrent donc à une guerre contre un Etat qui n'en avait menacé aucun autre et qui ne faisait d'ailleurs pas partie de l'alliance. Guerre qui n'a pas eu l'aval de l'ONU, et dont les concepteurs invoquèrent simplement des principes "humanitaires" dont on sait à quelles distorsions leur interprétation peut conduire. Il fut ensuite établi une base permanente de l'OTAN au Kosovo nouvellement créé, Etat qui ne sera jamais reconnu par l'ONU, mais on put vite passer à autre chose du fait des actes du 11-9-2001 et la guerre contre le terrorisme qui, nous assurait-on à l'époque, serait rondement menée. Avec le recul du temps, on s'aperçoit qu'il a surtout fallu définir une nouvelle cause sacrée à défendre, maintenant que le communisme avait rendu l'âme, communisme qui avait justifié la création de l'Otan en 1949 au nom de l'endiguement de l'URSS. Il fut donc décidé à l'époque d'attaquer l'Afghanistan et l'OTAN se trouva impliquée dans ce conflit situé pourtant bien loin de l'Atlantique Nord ! Pour autant, la prétendue guerre contre le terrorisme ne se termina jamais et aurait déjà fait selon les estimations, entre 5 et 7 millions de morts dans les pays arabes(1). 


Malgré ce bilan, il ne saurait être question de dissoudre cette si peu efficace OTAN, d'autant que les belles âmes ne trouvent rien à redire à ce qui s'apparente à un terrorisme de masse occidental. Mieux, à la même époque, on l'élargit à la République tchèque, la Hongrie et la Pologne. Celle-ci saura se montrer très reconnaissante en voulant maintenant faire de son pays un "fort Trump", ce qui ne peut que faire saliver l'impétueux homme d'affaires US. Comme si on pouvait solder des traumatismes passés par un conflit actuel ! De fait, on gardera le cap sur l'objectif final, la mise au pas de la Russie dont il faudra coûte que coûte s'en faire un ennemi. Les masques sont tombés: à l'ancienne guerre froide contre le communisme s'est substituée la guerre contre le "terrorisme", qui est le masque derrière lequel se cache ce qui est tout simplement une guerre impérialiste. 

 

Terrorisme ou pas, les USA et à leur suite les pays membres de l'OTAN, ne perdirent donc pas de vue l'essentiel. Ainsi, ils annoncèrent le 13.12.2001, leur retrait du traité ABM (relatif aux missiles antibalistiques). Ce traité avait été signé en 1972 par Nixon et Brejnev, 2 personnages qui n'étaient en rien des utopistes mais qui avaient compris que la course à l'armement ne menait nulle part. A cela suivit la 2e guerre contre l'Irak, menée sur la foi de grossiers mensonges. On remarquera que l'Irak faisait partie d'un "front du refus", hostile à la politique US au Moyen-Orient et donc à Israël, et qui outre l'Irak, comprenait l'OLP, l'Algérie, la Syrie, la Libye et ce qui était alors le Yémen du Sud. Tous seront, peu ou prou, plongés dans le chaudron du diable.


Avec l'élargissement de l'Union Européenne aux pays anciennement occupés par l'URSS, ce furent l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Slovaquie qui furent progressivement intégrés à l'OTAN. Enfin, ce fut le tour de l’Albanie et la Croatie. En 2014 eurent lieu les événements d'Ukraine dont l'une des conséquences fut le retour de la Crimée à la Russie, motif rêvé pour diaboliser l'ogre russe car l'on put parler d'annexion. Il est établi que les USA ont financièrement soutenu les opposants au président ukrainien de l'époque (2). La Crimée d'ailleurs avait été russe jusqu'en 1954 et suite à un décret de Khrouchtchev, rattachée à cette date à l'Ukraine. En 1991, lors de la dislocation de l'URSS, la Crimée s'est proclamée « république autonome de Crimée », puis « république de Crimée» l'année suivante. Elle avait proclamé son indépendance le 5 mai 1992, mais a ensuite accepté d'être rattachée à l'Ukraine à la suite d'un accord entre les deux Parlements et en échange d'une large autonomie au sein de ce pays. Suite aux émeutes à Kiev, le parlement de Crimée proclama l'indépendance le 11.03.2014. Il affirma ne pas être en violation avec le droit international, puisqu'il prenait exemple sur la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo, laquelle fut proclamée par son propre parlement le 17.02.2008. Enfin, un référendum fut organisé le 16.03 de la même année; le choix proposé était soit le rattachement à l'Ukraine, soit celui à la Russie. La seconde option l'emporta avec 97 % des suffrages. L'Occident vitupéra contre ce qu'il considéra comme un coup de force alors qu'il avait salué comme une victoire pour la démocratie la création du Kosovo. Celui-ci est avant tout un territoire où l'OTAN a pu créer sa 2e plus grande base militaire en Europe. De plus, l'Occident n'a jamais rien trouvé à redire à l'occupation de la moitié nord de Chypre par la Turquie, ni bien sûr, à l'annexion du Golan syrien par Israël. Dans la foulée, elle établit un régime de sanctions contre la Russie, ce qui entraîna le rapprochement de plus en plus étroit de ce pays avec la Chine. Les stratèges impérialistes, dans leur aveuglement, ont estimé qu'ils pouvaient à nouveau, comme dans la période Eltsine, diviser les PIB russe par 2. Mais c'est qu'entretemps, il y a l'émergence de la Chine et il se pourrait bien que dans le futur, l'Europe ait amèrement à regretter l'incitation US à retourner à la Guerre Froide. Ses dirigeants eussent été bien mieux inspirés d'exiger de l'Ukraine l'application des accords de Minsk qu'eux-mêmes avaient négocié.

 

Venons-en à la Syrie: un mouvement de contestation sociale apparu en 2011 a été rapidement transformé en une guerre civile avec d'un coté l'Etat syrien appuyé par le Hezbollah libanais et l'Iran et de l'autre, la rébellion islamiste soutenue par l'Arabie Saoudite, la Qatar et la Turquie et donc implicitement par l'Occident dont la propagande a inventé l’appellation de "rebelles modérés". Comme s'il y avait eu une manière "modérée" de faire la guerre! A cette fin, a été montée l’opération secrète « Timber Sycamore », à laquelle ont participé les services secrets occidentaux ainsi que leurs homologues des pays du Golfe. Dotée d’un budget de 1 milliard de $ par an, elle a fourni des armes à ces rebelles "modérés", et qui sont d'ailleurs souvent tombées en d'autres mains (le Monde diplomatique, septembre 2019). Ce n'est donc en rien une guerre de religion, comme se l'imaginent les esprits crédules: la Syrie est une mosaïque religieuse mais le parti Baas est laïc, le Hezbollah et l'Iran, ses alliés, sont chiites, alors que le Qatar qui a depuis changé son fusil d'épaule est sunnite comme l'est majoritairement mais pas entièrement l'Arabie Saoudite. Quant à la Turquie, membre de l'Otan, elle est obsédée par la question kurde et pensait s'en débarrasser en créant un Kurdistan...en Syrie. En 2015, la Russie décide d'intervenir aux cotés de l'armée syrienne, pour éviter à ce pays le sort de la Libye, ce qui fut l'occasion pour la propagande russophobe de se déchaîner en Occident.

On aurait pu espérer qu'avec la présidence Trump, et l'accession à la Maison Blanche d'un business man, la propension à la conflictualité inhérente à l'empire états-unien allait s'atténuer. Le Pentagone peut se rassurer, il n'en sera rien, mais la question se pose, depuis la fin de la présidence Eisenhower, en 1961, de savoir qui dirige réellement les USA, car ce président fut le premier à avoir posé cette question, occultée depuis. Il est en effet souvent question d'un "deep state", mais cette approche est dénoncée comme conspirationniste par les tenants du politiquement correct. On peut toutefois constater que ce pays considère de plus en plus ses alliés de l'OTAN comme de simples vassaux. Non seulement ceux-ci n'ont pas été consultés lorsqu'il s'est agi de déchirer le traité signé en 2015 avec l'Iran concernant son potentiel nucléaire, traité que l'Iran avait jusqu'alors respecté, mais ils ont été sommés de suivre la politique de sanctions décrétées à Washington. L'extraterritorialité du droit américain et la prééminence du $ dans les échanges internationaux permettent de mettre au pas les récalcitrants. Le président russe dans un discours prononcé en juin dernier a déploré la "dégénérescence du modèle de mondialisation universaliste et sa transformation en une parodie, une caricature d’elle-même, où les règles internationales communes sont remplacées par les lois, mécanismes administratifs et judiciaires d’un pays ou d’un groupe d’États influents. Je regrette que c’est ce que les États-Unis font aujourd’hui lorsqu’ils étendent leur juridiction au monde entier". Mais le Kremlin aurait tort de se plaindre de cette évolution: les récents développements concernant la situation iranienne indiquent que c'est la Russie qui pourrait bien être la grande bénéficiaire de cette crise voulue par les USA. En réalité, toutes les guerres que les États-Unis et leurs alliés ont mené au Moyen-Orient, tant d'abord contre l'Iran par Irak interposé (1980-1988) que contre l’Afghanistan (2001), que contre l’Irak (2003), le Liban (2006), la Syrie (2011) et l’Irak à nouveau(2014) par Daech interposé et le Yémen (2015) ont toujours fini par renforcer l’Iran et ses alliés. 

 

Le 02.08 dernier, les USA, sans consulter qui ce soit, ont décidé de se retirer du traité sur les Forces Nucléaires Intermédiaires (FNI), signé en 1987 par Gorbatchev et Reagan, au motif, selon Pompéo, que la Russie l'aurait “délibérément violé, mettant en danger les intérêts suprêmes des USA”. Ceci, naturellement sans en apporter le moindre commencement de preuve. Il convient de garder à l’esprit le facteur géographique : tandis qu’un missile nucléaire USA à portée intermédiaire, basé en Europe, peut frapper Moscou, un missile analogue basé par la Russie sur son propre territoire peut frapper les capitales européennes, mais pas Washington. Si l’on inverse le scénario, c’est comme si la Russie déployait des missiles nucléaires à portée intermédiaire au Mexique. C'est finalement comme pour les sanctions, les USA décident mais c'est l'Europe qui en subit les conséquences! Il est affligeant et désespérant que personne, rigoureusement personne, dans la classe politique européenne, ne relève cette incohérence et cette lâcheté. Au contraire, a déclaré Pompéo dans son annonce, "les États-Unis apprécient grandement la constante coopération et détermination des alliés de l'OTAN dans leur réponse à la violation russe du Traité". Il est vrai que les stratèges politiciens occidentaux sont parvenus à créer une fausse opposition, les fameux populistes, qui n'ont d'autres rôles que d'être les fous du roi (voir le Monde Diplomatique, septembre 2018: Libéraux contre populistes, un clivage trompeur). Quant à la gauche, elle en est réduite à suivre les menées communautaristes de quelques groupuscules se prétendant "racisés" ou en cours de "racisation". La gauche a plongé dans la schizophrénie quand elle a accepté le néo-libéralisme moyennant quoi, elle est en recherche obsessionnelle de groupes à victimiser; c'est ce qu'appelle le Monde diplomatique d'août 2019, une "gauche cannibale". 
 
La Russie a prévenu que si de nouveaux missiles nucléaires devaient être positionnés en Europe, elle pointera ses propres missiles sur les territoires où ceux-ci seraient stockés. On notera qu'à l'Assemblée Générale de l'ONU du 21.12.2018, l'Union Européenne a rejeté la résolution proposée par la Russie destinée à préserver le traité FNI par l'établissement de mécanismes de vérification. De plus, l'histrion qui sévit actuellement à la Maison Blanche a déclaré que de tels missiles seraient également déployés en Asie, menaçant directement la Chine. On rappellera que la Chine n'a pas tiré un seul coup de feu à l'extérieur de ses frontières depuis 1979. On espère surtout que le Japon n'oubliera pas qu'il a servi de cobaye pour l'expérimentation nucléaire en 1945. En réalité, Trump fait tout ce qui lui est possible de faire pour contrer le nouvel ordre mondial, non celui voulu par les néo-conservateurs US, mais le «partenariat stratégique et global de coordination pour la nouvelle ère», concocté dans les 2 anciennes capitales du communisme. On notera la passivité de la presse et des faiseurs d'opinion en général qui ne trouvent jamais rien à redire aux décisions unilatérales des USA, lesquelles peuvent avoir des répercussions sur l'ensemble du monde occidental mais qui montent au créneau pour défendre les "valeurs" à Hong-Kong. Mais tout porte à croire que l'Occident cherche à y promouvoir une guerre des civilisations pour affaiblir médiatiquement la Chine.
 
Alors évidemment, il convient de se demander au service de quels intérêts ont été élaborées en Occident ces politiques démentes. L'ancien candidat F. Hollande, pour une fois d'une éblouissante audace, à moins qu'il ne s'était agi que d'un moment d'inconscience, avait déclaré : "Je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti. Il ne présentera jamais sa candidature. Il ne sera pas élu. Et pourtant, il gouverne. Mon adversaire, c'est le monde de la finance... Les banques, sauvées par les Etats mangent la main de ceux qui les ont nourri. Ainsi la finance s'est affranchie de toute règle, de toute morale, de tout contrôle". Ah, comme cela fut très vite oublié !
Mais enfin, ce n'est pas F. Hollande qui allait défier ses maîtres. Finalement, de quoi s'agit-il quand on parle du monde de la finance?

 

Un peu d'histoire: en 1625, en GB, le roi est désargenté. Un banquier, du nom de William Paterson, eut l'idée suivante: la banque prêterait au gouvernement une somme de 1,2 million de £. Il s'agirait d'un prêt perpétuel, assorti d'un taux d'intérêt annuel à 8%, et de l'agrément national exclusif d'imprimer les billets. Ainsi le capital ne serait jamais remboursé moyennant un paiement d'intérêts annuel. Les espèces réunies, sous la forme d'un "tonnage act" pour le prêt, restent dans les coffres de la banque, qui remet à la Couronne leur équivalent en billets transférables dûment munis de son sceau. Cette dernière lui retourne des reconnaissances de dette, également transférables. Donc l’idée de base de Paterson était que la dette privée du Roi et des membres de la famille royale se transforme en dette nationale perpétuelle, garantie par les impôts levés sur le peuple, et que la banque d'Angleterre émette elle-même la monnaie nationale fondée sur la dette. Les banquiers dégageraient ainsi d’énormes crédits et obtiendraient tous les revenus dont ils avaient rêvé grâce à des intérêts très élevés. On aurait pu croire qu’il s’agissait d’une situation gagnant-gagnant, si ce n’est que les impôts prélevés sur le peuple servaient de garantie. Par la suite, le système sera affiné, notamment par la banque Rothschild, dont l'un des stratèges, écrivait en 1863: "les quelques personnes qui comprennent ce système seront soit si intéressées par ses profits, soit si dépendantes de ses faveurs, que cette classe ne montrera aucune opposition, alors que la grande masse du peuple, intellectuellement incapable de comprendre les avantages que tire le capital du système, portera son fardeau sans se plaindre et peut-être même sans se douter que le système va à l‘encontre de ses intérêts" (3).

 

La dette n'a jamais été remboursée, et son accroissement, de 1,2 million de £ au 17e siècle à plus de 2.100 milliards aujourd'hui, assure de confortables revenus à la Banque Centrale d'Angleterre qui, avec ou sans Brexit, restera indépendante. La fille aînée de la GB, les USA, adoptèrent le même système en 1913, et l'endettement du gouvernement US passa de 0 à 21.000 milliards de $. La France suivit le chemin en 1971, son endettement passa de 0 à 2.400 milliards d'€ et le contribuable voit chaque année filer plus de 45 milliards d'€ de paiement d'intérêts à "ce qui n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti et ne présentera jamais sa candidature".

Qu'est-ce qui assure le plus de revenus à la ploutocratie? La guerre et les crises qui sont pour les Etats des moments de fort accroissement de la dépense publique et donc de transfert de la richesse publique vers le secteur privé, lui-même soumis à cette camarilla financière parasitaire. Ainsi l'endettement US est passé de 16 à 269 milliards de $ entre avant et après la 2e guerre mondiale. La crise de 2008, une crise engendrée par les produits spéculatifs bancaires anglo-saxons, a coûté à la France 1.541 milliards d'€ de PIB perdu en 10 ans(4), augmentant la dette publique de 360 milliards d'€ tout en laissant sombrer ses fleurons industriels (Pechiney, Arcelor, Alstom, Technip, Lafarge, Alcatel et tant d'autres). Mais il n'y a pas que des perdants: alors que durant cette décennie, 72% des ménages au sein de l'OCDE ont vu leurs revenus baisser, 82% de la richesse produite est allée enrichir le patrimoine des 1% les plus fortunés(5). Le néo-libéralisme a transformé la théorie du ruissellement keynésien en théorie de l'évaporation en faveur des premiers de cordée et on comprend son obsession à vouloir réduire sans cesse le rôle de la puissance publique, sauf bien évidemment pour les questions militaires. Les traités de libre-échange, dont l'une des fonctions est de dépouiller encore plus les Etats au profit des multinationales par le biais des tribunaux d'arbitrage, vont dans ce sens également.

 

Dans un tel contexte, on ne peut que s'attendre à un accroissement des dépenses militaires et donc au renforcement du rôle de l'OTAN, les ennemis désignés étant la Chine et la Russie qui n'ont jamais accepté et n'accepteront jamais le système de banque centrale indépendante couplé à la dérégulation bancaire et à l'obsession des flux (des personnes, des marchandises, des capitaux) plutôt que le développement fondé sur l'investissement productif. Un succès économique de ces pays serait une catastrophe pour les USA et leurs vassaux, mais entraînera peut-être une salutaire prise de conscience pour les populations de ces pays. Le bruissement pré-totalitaire en cours, où la dérégulation financière s'accompagne d'une régulation de plus en plus contraignante de la vie des citoyens, quotidiennement sommée de se conformer aux oukases du politiquement correct, servira peut-être de détonateur. Plus que jamais, la marche du monde est régie par l'opposition entre le camp des déstabilisateurs des Etats et celui de la défense des indépendances et des souverainetés nationales.


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(1)https://www.legrandsoir.info/combien-de-millions-de-personnes-ont-elles-ete-tuees-dans-les-guerres-menees-par-les-etats-unis-apres-le-11-septembre.html 

 (2)https://www.zeit.de/2015/20/ukraine-usa-maidan-finanzierung/seite-2

 (3)https://ne-np.facebook.com/groups/1604241563192668/permalink/2391336194483197/

 (4)https://www.capital.fr/economie-politique/la-crise-de-2008-a-10-ans-voila-ce-quelle-a-coute-a-la-france-1314379

(5)https://www.youtube.com/watch?v=W7OY8TeglnM

Résumé de la discussion

Dans l'ensemble, les intervenants se sont déclarés favorables à la pérennité de l'OTAN, bien qu'on soit resté au niveau des idées générales.
L'OTAN devrait avoir un rôle d'endiguement vis-à-vis de la Russie sans qu'il n'a été précisé en quoi la Russie constituait une menace pour l'Europe. L'annexion de la Crimée par la Russie a été considérée comme illégale au regard du droit international, ce que conteste le Kremlin, mais des membres de cette organisation ont eux-mêmes participé à des guerres illégales menée sous l'égide des seuls USA, comme si ce pays était le propriétaire légitime de l' OTAN. 
Il a été question des Tatars de Crimée sans qu'il fut précisé en quoi et de quelle manière ils sont opprimés.
De même pour les pays Baltes: ils seraient sous la pression du Kremlin mais il n'a pas été précisé de quelle nature seraient ces pressions.
L'Europe devrait être reconnaissante vis-à-vis des USA pour son rôle durant la 2e Guerre Mondiale et participer davantage au financement de l'OTAN. Mais les USA sont intervenus après la bataille Stalingrad et suite à Pearl Harbour. Le 3e Reich était déjà condamné.
Il ne peut y avoir d'armée européenne, car il serait impossible de déterminer qui la commanderait. En général, nécessité fait loi, et si la nécessité d'une armée européenne sous commandement européen n'apparaît pas, c'est qu'il n'y pas d'ennemi et donc pas de menace.
De façon un peu cavalière, il a été affirmé la continuité entre l'URSS de jadis et la Russie actuelle. On peine pourtant à voir de quel messianisme révolutionnaire est porteur la Russie d'aujourd'hui.
La question de la finance mondialisée qui serait le véritable maître d'œuvre des politiques menées en Occident a été effleuré.

Retour vers les textes du café politique

Otan
etasunien

L'extraterritorialité du droit étatsunien (1)


> L'Etat US aime à se présenter, aux yeux du monde, comme étant le défenseur à la fois des libertés publiques et des droits individuels. Mais en n'oubliant pas que "charité bien ordonnée commence par soi-même". Ainsi n'a-t-il jamais voulu reconnaître la compétence de la CPI, bien qu'étant, en ce XXIe siècle, la nation guerrière par excellence.
> Pour faire triompher le droit, ou du moins la conception qu'il s'en fait, l'Etat US a su mettre au point une véritable "machine de guerre juridico-administrative", officiellement pour moraliser la vie des affaires, en réalité pour servir les intérêts propres à sa puissance. Car, évidemment, ni l'ONU, ni l'OMC, ni aucune institution multilatérale ne sont consultées lorsque la Maison Blanche décrète des sanctions contre un pays. Terme que récuse d'ailleurs un grand nombre de juristes internationaux, préférant parler de " mesures unilétales de contrainte économique". Les victimes sont tout autant les pays désignés comme ennemis que les pays alliés aux USA, qui subissent de fait une véritable vassalisation de leur économie. De même, c'est en fonction de principes propres à leur juridiction que sont lancées des procédures aboutissant à de lourdes amendes contre des entreprises qui violeraient leurs lois, comprendre par là, qui nuiraient à leurs intérêts.


Lorsque, dans les années 1970, éclate l'affaire du Watergate, la corruption des entreprises apparaît au grand jour et ne peut plus être occultée. En 1977, le congrès vote la loi dite FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), première loi US d'application extra-territoriale. Cette loi fut violemment critiquée par des associations d'actionnaires, car elle ne concernait que les entreprises américaines. Pour rendre cette loi applicable aux entreprises de toute nationalité, le président Carter soumet alors l'affaire au Conseil économique et social de l'ONU qui crée un "Comité spécial sur les paiements illicites". Les travaux sont suspendus en 1979, faute d'accord. L'affaire est alors portée par les USA devant la Chambre de commerce internationale, qui se contentera de rédiger un ensemble de règles de bonne conduite dont auront à s'inspirer les entreprises de tous pays. Après un très long travail de lobbying, ce fut finalement l'OCDE qui, en 1997, adopta un texte reprenant les termes du FCPA. Celui-ci, dans son article 5 déclare: "les enquêtes en cas de corruption d'un agent public étranger...ne seront pas influencées par des considérations d'intérêt économique national". Le gouvernement US peut donc légitimement soutenir qu'en cas de corruption, le droit US s'applique, et par voie de conséquence, les autorités judiciaires US seront compétentes. Restait ensuite à faire en sorte que seul le droit US s'applique.


> Parallèlement au FCPA est édicté en 1992 le "Cuban democracy act", puis en 1996 le "Cuban liberty and democratic Solidarity Act", plus connu sous le nom de loi Helms-Burton. Selon les termes de cette loi, toute relation commerciale d'une firme US avec Cuba est interdite, et cela vaut également pour n'importe quelle entreprise étrangère dès lors que celle-ci a des relations, si ténues soient-elles, avec les USA. Le législateur US mit au point la notion de "fraude comptable", un terme suffisamment vague pour justifier toute sortes d'investigation dans les comptes d'une entreprise.
> En 1996, est voté dans les mêmes termes par le Congrès US, l'"Iran and Libya Sanctions Act", connu sous le nom de loi d'Amato-Kennedy, et ce, au nom de la lutte contre le terrorisme.
> Il est à noter que ces lois furent acceptées par les Européens, alors que rien ne les y contraignait. Ils n'auront pas d'autre ambition que de vouloir négocier des exemptions pour leurs entreprises. Pourtant, en 1982, la France et l'Allemagne s'étaient opposées à la prétention des USA à imposer un embargo qui devait s'appliquer aux filiales européennes de multinationale US suite à la décision de construire un gazoduc où l'URSS serait un partenaire des Occidentaux. Mais Mitterrand et Schmidt avaient dénoncé "l'extension extraterritoriale de la législation américaine" et les travaux purent être menés à leur terme. Mais à cette époque, en Europe, on raisonnait encore en terme de souveraineté nationale.
> En 1996 encore, le ministre français des Affaires Etrangères, H. de Charrette, considère que ces lois US "sont une violation caractérisée des règles du commerce mondial et n'ont rien à voir avec la lutte contre le terrorisme"; il pousse Bruxelles à agir! Bruxelles porta l'affaire devant l'OMC et...retira sa plainte l'année suivante tout en enjoignant aux Cubains à démocratiser leur régime. Les USA avaient gagné mais ils n'oublieront pas la fronde. En 1997, un homme d'affaire espagnol qui passait ses vacances en Floride, est arrêté pour "commerce avec l'ennemi". Le commerce en question consistait en la vente de couche-culottes. La sanction fut de 16 mois de prison. Le Canada s'insurge alors car il s'agit selon lui d'une violation du droit international, d'autant que le gouvernement des USA laisseront ensuite leurs compagnie de téléphone s'installer à Cuba. La France s'engage au niveau gouvernemental à protéger ses entreprises. Un accord est signé avec le gouvernement cubain, et les USA laisseront faire, exhortant Paris à être vigilant sur la question des droits de l'homme. Mais ni les Espagnols, ni les Italiens, ni les Allemands n'oseront suivre la France qui dut faire cavalier seul. Ce qui réjouit le CNPF de l'époque qui déclara que les lois d'extra-territorialité sont "absurdes politiquement et inacceptables dans leur principe". Etait-ce ce qui allait irriter le gouvernement US? En 2000, une plainte fut déposée contre la SNCF au nom du "Foreign Sovereign Immunities Act", un texte datant de 1976 dont la particularité est de ne pas reconnaître l'immunité juridictionnelle des Etats. Le président Chirac avait reconnu publiquement la responsabilité de la France dans la rafle du vel d'Hiv en 1942. Cela pouvait se justifier moralement, mais c'était une faute politique. Les USA avaient reconnu diplomatiquement le gouvernement de Vichy et y avaient envoyé un ambassadeur. Y avait-il eu une protestation US au moment où les faits se sont déroulés, et ce alors que l'ambassadeur était en poste? Y en avait-il eu en 1940, lorsque les premières lois anti-juives furent promulguées? En tout état de cause, la République française accepta de verser 60 millions de $ aux victimes et à leurs descendants. Juste réparation ou extorsion légale de fonds? C'est à chacun de se faire son opinion, mais comment peut-on justifier, sur la base du droit, l'application rétroactive d'une loi?
> On mettra cette affaire en parallèle avec ce qu'autorise la loi JASTA (Justice Against Sponsors of Terrorism Act) de 2016. Le texte stipule que tout pays "ayant fourni un soutien matériel, direct ou indirect, à des organisations étrangères engagées dans des activités contre les USA" peut être poursuivi. Or, ni les pétro-monarchies, ni la Turquie, n'ont eu le moindre problème avec la justice US. Cependant que beaucoup d'observateurs soulignent le rôle de ces pays dans la création et le soutien à Daesch et à Al Nosra.


Le nouveau siècle débuta aux USA par une série de retentissants scandales financiers. Le plus spectaculaire fut celui qui toucha Enron. C'était la 7e capitalisation de Wall Street et Goldmann-Sachs (le remarquable spécialiste de la Grèce et futur employeur de Barroso à qui succéda Juncker) l'avait qualifié comme étant "the best of the best". Il ne s'agissait en réalité que d'une société bidon dont les 3 000 filiales, toutes situées dans des paradis fiscaux, avaient des comptabilités fictives. Enron ne fut pas la seule société qui s'écroula, mais, à la suite de ce scandale, les centaines de milliers de salariés qui avaient, année après année, confié leurs économies à des fonds de pension qui achetaient ces titres devant financer leur retraite, virent celle-ci s'envoler.
> En 2002, est votée la loi Sarbanes-Oxley, traitant de la transparence comptable et une loi déjà existante, le "Bank Secrecy Act" est renforcé. Désormais, les banques US peuvent être tenues pour responsables des fautes commises par des banques étrangères avec qui elles travaillent. La nouvelle législation les autorise de ce fait à demander un accès direct à leurs données. L'application de ces dispositions est facilitée par l'ambiance de l'époque. Les attentats de 2001 avaient été suivis de l'adoption de l'US Patriot Act, le 26.10.2001, en vertu duquel tout Etat ou entreprise qui refuserait de coopérer avec les USA serait à considérer comme leur étant hostiles.

Lorsqu'une procédure est engagée, le PDG d'une entreprise reçoit un courrier du DOJ (département de la Justice), de la SEC (Security and Exchange Commission), qui est le gendarme de la Bourse, de l'OFAC (Office of Foreign Assets Controls), ou encore l'IRS (Internal Revenue Service) qui dépend du fisc US. Il lui est immédiatement proposé de collaborer activement avec les enquêteurs, faute de quoi les licences d'exploitation aux USA de l'entreprise visée pourraient être rapidement supprimées. Commence alors une partie de poker-menteur, l'entreprise contactée de la sorte n'ayant bien sûr aucun moyen de savoir si ses interlocuteurs bluffent pour la déstabiliser ou s'ils possèdent des informations solides la concernant. Pour parer aux intrusions abusives, DOJ, SEC, IRS et OFAC ont accepté de publier en 2012 leur "guidelines", sorte de vade-mecum des bonnes pratiques commerciales, mais ce qui y est énoncé reste suffisamment imprécis pour permettre de multiplier les angles d'attaque. De plus, ces agences travaillent avec le FBI et la NSA, où les chasseurs d'information ont souvent une solide expérience du monde des affaires car ils y ont en général commencé leur carrière. L'enquête proprement dite, se déroule en dehors de tout cadre légal. Elle est confiée à une "law-firm", qui met à la disposition des autorités US des avocats spécialisés et qui sont payés, durant le temps de l'enquête, par la firme elle-même. Le coût peut être de plusieurs centaines de millions de $ dans les affaires les plus importantes. Ces avocats sont assistés par des consultants chargés de récupérer toutes les données informatiques de l'entreprise. Ces avocats se comportent en réalité comme des procureurs car il s'agit de charger l'entreprise au maximum.  A la suite de ces entretiens qui sont d'ailleurs de véritables interrogatoires, aucun procès-verbal d'entretien n'est délivré (document qui peut éventuellement être présenté devant un tribunal).
> L'investigation se termine de 3 manières possibles:
> -le plaider-coupable, c'est de loin la plus courante; elle est suivie d'une lourde sanction financière (versée au fisc US), toutefois la conclusion rapide d'un accord permet d'éviter le procès, alors qu'une procédure judiciaire prendrait des années et mettrait l'entreprise accusée en difficulté du fait de l'image négative que cela aurait sur elle et de l'incertitude que ferait naître l'issue du procès. L'accord se fait avec des hauts fonctionnaires, ceux du DOJ, de la SEC, de l'OFAC ou de l'IRS. Un juge, appelé familièrement rubber stamp judge, se contente d'y mettre son paraphe, sans prendre la peine de prendre connaissance du dossier.
> -l'accord de poursuite différée, l'entreprise reconnaît les faits, met en place à ses frais des mesures de surveillance et paie une amende.
> -l'abandon de toute poursuite. Précisons que dans les 2 premiers cas, le DOJ, qui statue en dernier ressort, impose la nomination d'un "corporate monitor", un surveillant en intégrité, lequel a accès à tous les documents et peut donc transmettre au DOJ tout document qu'il jugera utile.

> A noter la loi française, n°68-678 complétée par la loi n°80-538, dite "loi de blocage", laquelle interdit la transmission d'informations sensibles à un Etat étranger sans le contrôle d'un juge. Cette loi a été reprise par le Règlement européen de blocage en 1996. Mais les autorités US s'en moquent, elles savent bien que pour les dirigeants d'entreprise français, le choix est simple: livrer des informations sensibles et donc tomber sous le coup de la loi française ou du règlement européen, mais uniquement s'il y a procès, ou ne pas le faire et voir se fermer le marché US et ses alliés...Un arrêt de la Cour suprême des USA rendu en 1987, fait référence à cette loi, pour constater qu'elle n'est pas appliquée par les autorités compétentes! Rien n'a vraiment changé depuis.
> Lorsque l'accord entre l'entreprise et le DOJ est signé, il ne peut plus être contesté. La reconnaissance des faits vaut aveu de culpabilité. Aucune procédure d'appel ne peut être mise en oeuvre, puisqu'il n'y a pas eu de procès devant une juridiction, mais simplement une collaboration librement consentie entre l'entreprise et le DOJ.
> D'ailleurs aucune firme européenne n'a jamais voulu entamer une procédure devant un tribunal US, de fait aucun juge n'a jamais eu à se prononcer quant au fondement légal de l'extraterritorialité des lois US. Mais il est vrai que lorsque l'accord est conclu, l'entreprise signe une "muzzle clause", une clause muselière par laquelle elle s'engage à ne pas désavouer le contenu de l'accord devant quelque juridiction que ce soit. Toutefois, les hauts fonctionnaires US abusèrent tellement de leur pouvoir, que cette question finit, en France du moins, par prendre une tournure politique. Car le montant exigé pour les transactions devint tellement énorme qu'il mit en difficulté certaines firmes, ce qui permettait ensuite de les racheter à prix bradé. Ainsi, en 2014, General Electric put recheter la branche énergie d'Alstom. 2 ans plus tard, constatant que les députés ne voulaient ou n'osaient demander une commission d'enquête concernant cette vente qui mettait en cause l'indépendance énergétique de la France, l'UMP Pierre Lellouche proposa la création d'une mission parlementaire d'information sur l'extraterritorialité du droit US. La socialiste Karine Berger en fut nommée rapporteure. Celle-ci put à cette occasion, déplorer le manque de soutien de son parti qui y vit un sujet de droite ! Ils se rendirent aux USA où ils rencontrèrent des agents du FBI qui s'étonnent que leurs interlocuteurs soient surpris de l'absence de l'intervention d'un juge durant les investigations. On leur répondit que la recherche de renseignement économiques et la lutte contre le terrorisme étaient choses complémentaires et n'avaient pas besoin de la publicité qu'entraîne la judiciarisation d'une affaire. Des agents de la SEC leur expliquèrent ensuite qu'ils ont pour mission de veiller à la santé des entreprises US. Les yeux de nos investigateurs nationaux s'ouvrirent complètement lorsque, étonnés que les USA ne lèvent pas les sanctions contre l'Iran, suite à l'accord signé en 2015 concernant le nucléaire iranien, il leur fut répondu que les USA, non seulement restaient maîtres de leurs décisions, mais se réservaient le droit de poursuivre les entreprises étrangères qui auraient eu la naïveté de croire que cet accord pouvait être appliqué (on était en 2016, avant Trump).
> Lellouche et Berger publièrent un rapport, et ...plus rien. Puis ce fut le coup de tonnerre 8-5-2018. Les USA annoncèrent qu'ils se retirent de l'accord signé 3 ans plus tôt avec l'Iran, ce qui signifiait que leurs alliés devaient en faire autant. Pourtant, si nos élites étaient un tant soit peu moins aveuglées par des postures idéologiques, elles auraient vu venir le boulet.


Petit retour en arrière: après le 11.09.2001, les USA remirent au goût du jour la loi FCPA, votée par le Congrès en 1977: officiellement pour traquer le financement des groupes terroristes, mais dans la foulée, on insista aussi sur la lutte contre la corruption. Après tout, mieux vaut ne pas faire les choses à moitié. L'administration, sous couvert de vertu, en profita pour imposer une hausse vertigineuse des amendes.
> En 2006, pour la 1ere fois, une entreprise étrangère, la norvégienne Statoil, a été condamnée pour des faits non commis sur le territoire US. L'amende fut de 10,5 millions de $ au profit du DOJ. En 2008, c'est l'Allemand Siemens qui dut s'alléger cette fois de 800 millions de $. Il avait commis l'erreur de faire enregistrer des certificats de ses actions par la SEC, afin que leur cotation apparaissent à la Bourse de New-York. Du coup, son amende a été démultipliée (une pour la SEC et une autre pour le DOJ). A l'heure actuelle, au vu des résultats des différentes enquêtes, on pourrait conclure que les entreprises européennes sont plus corrompues que les américaines; en effet, parmi les 10 entreprises les plus lourdement sanctionnées, une seule est US. Une seule banque US a été condamnée à verser une somme de 88 millions de $, à comparer avec les 9 milliards versés au fisc US par la BNP, 2 milliards par HSBC, 1,5 milliards par Commerzbank. On s'étonnera quand même de l'ahurissante naïveté des dirigeants de la BNP qui traitaient avec l'Iran, en usant du $ (il semblerait pourtant que l'Europe ait une monnaie).
> Un cadre dirigeant d'une grande entreprise du CAC 40, qui a voulu garder l'anonymat, indique cependant:" Les Américains ont des oreilles absolument partout, généralement tournés vers les concurrents étrangers, jamais vers leurs entreprises. Du coup, elle peuvent tranquillement corrompre ou violer les embargos en utilisant des sociétés bien cachées dans la paradis fiscaux. A ce jeu, on sera toujours les dindons de la farce".

Alcatel, pendant longtemps un fleuron du CAC 40, a été un géant mondial des équipements électroniques et le leader mondial dans son domaine technologique. A la fin des années 1990, la société est présente dans 130 pays. Mais, en 2006, ayant perdu des parts de marché, elle pensa retrouver sa position de leader en s'alliant avec l'américain Lucent. Toutefois, prudente, la société avait au préalable vendu ses actifs stratégiques (satellites, division sécurité) à Thalès, histoire que ceux-ci demeurent exclusivement français. Naturellement Alcatel, mais pas Lucent, éveilla les soupçons du DOJ et de la SEC. Un cadre fut arrêté et passa aux aveux (il y avait eu corruption au Costa Rica, mais avant la fusion). Ce qui lui valut une peine de 30 mois de prison et une amende de 137 millions de $ pour Alcatel. Déstabilisée, la société perdit des marchés et périclita. Ses restes furent finalement achetés par le finlandais Nokia.
> Le tout dans l'indifférence complète du gouvernement français, mais aussi des syndicats.
> Plus grave a été l'affaire Alstom. En 2010, le DOJ ouvre une enquête pour corruption. Il est vrai que la société la pratiquait à grande échelle, mais le PDG, Patrick Kron, s'en accommodait. La justice française ne s'étant jamais intéressée à sa société, cela finit toutefois par émouvoir l'OCDE. Kron assainit, suite à une enquête interne, les pratiques commerciales de l'entreprise et passa à autre chose. Mais pour le DOJ, Alstom pouvait être une proie. Il passa à l'attaque l'année suivante, prenant les dirigeants de la société par surprise en faisant perquisitionner par la police indonésienne les locaux sur place d'Alstom. Elle y découvrit des documents compromettants ce qui permit au DOJ de proposer une transaction. Pour une fois, un patron refusa et Kron ne voulut traiter avec le DOJ au motif que le litige en question était du ressort des autorités indonésiennes. Un tribunal US lance alors des poursuites pénales et arrête un cadre de la société sur un aéroport US. 4 autres sont mis sous les verrous, étant tous des représentants locaux d'Alstom. Le DOJ menace alors Kron d'une amende d'1 milliard de $. Il ne reste au PDG qu'à négocier la vente de la branche énergie à son concurrent General Electric pour sauver ce qui pouvait encore l'être. En France, le ministre Montebourg apprend ce qui se passe par la presse mais le gouvernement dont il fait partie se moque de cette affaire. Il décide alors d'agir seul en publiant, le 14.05.2014, un décret élargissant les secteurs économiques où les investissements étrangers sont soumis à l'autorisation de l'Etat (Alstom produit les turbines pour les centrales nucléaires). Mais Montebourg est isolé et le 27-8-2014, il est remplacé par celui qui sera le futur locataire de l'Elysée. Une co-entreprise est créée mais dans laquelle General Electric est majoritaire. Exit l'indépendance nucléaire de la France! Il ne restera à Alstom que le secteur ferroviaire. Enfin, il avait été prévu dans l'accord initial que l'amende, ramenée à 700 millions de $, serait payée par General Electric, mais c'est Alstom France qui au final la règlera. L'humiliation pour Montebourg est totale ! Mais comme pour l'affaire Alcatel, le silence des politiques sera relayé par le mutisme des syndicats (c'est tellement plus facile de se concentrer sur la SNCF et la RATP) !
> Y a-t-il eu collusion entre GE et le DOJ? Une commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'Etat en matière de politique industrielle a, le 15.03.2018, auditionné Pierre Laporte. Celui-ci, avant d'entrer chez Alstom, avait occupé des fonctions au sein de la direction juridique de GE. Lors d'une réunion de cette direction, celle-ci avait affirmé qu'il lui faudrait moins de 10 ans pour mettre à genoux Siemens et Alstom. Mission accomplie concernant Alstom.


En mars 2014, SEC, OFAC, IRS et DOJ décident de chasser en meute. Cible: 3 banques françaises, Société Générale, BNP et Crédit Agricole. la Société Générale est accusée d'avoir menti sur le taux qu'elle versait au titre de ses emprunts inter-bancaires. C'était exact, mais toutes les banques, y compris US, l'ont fait à la suite de la crise des subprimes, crise dont les apprentis-sorciers de Wall-Street portent l'entière et totale responsabilité. Les banques européennes avaient déjà été condamnées à ce titre, à verser 9 milliards de $ au fisc US. Mais concernant la Société Générale, certainement fragilisée par l'effet Kerviel, les hauts fonctionnaires US estimèrent qu'il lui fallait encore cracher au bassinet, et de surcroit, il demandèrent et obtinrent la tête du n°2 de la banque. Mais ceci n'était qu'un tour de chauffe, car la procédure engagée contre la BNP lui coûtera, à elle seule, 9 milliards de $. L'Etat français laissa faire, bien que les faits incriminés, des transactions effectuées avec un pays souverain, en l'occurrence l'Iran, ne sont interdits ni par l'ONU, ni par l'OMC, ni par le FMI, en théorie seuls organismes juridiquement habilités à établir les normes du droit international.
> Lorsqu'on a face à soi un Etat aussi insignifiant que l'Etat français, autant continuer ses emplettes. En 1958, avait été créé l'Institut français du Pétrole, bras armé de la France dans le secteur de cette énergie et qui donnera naissance à la société Technip. Société entièrement de droit privé et qui, en 2000, fut au top 5 mondial de l'industrie énergétique. Mais elle s'allia à l'américain KBR, et ces deux sociétés investirent au Nigeria dans un programme s'élevant à 6 milliard de $. Evidemment, pour avoir les autorisations sur place, il fallait savoir être conciliant avec les autorités locales...Or Technip possédait des titres cotés à Wall Street; il n'en faudra pas plus pour que le DOJ lance la procédure qui déstabilisera la société française, laquelle finira par passer sous pavillon US.
> A noter, l'existence aux USA, du Committe on Foreign Investment in the US, qui autorise, ou pas, le rachat d'une entreprise US. Trump a considérablement renforcé ses attributions et s'est d'ailleurs opposé personnellement à certains rachats. Il est question d'inciter les pays "amis" des USA de se doter d'un dispositif similaire et d'en assurer la coopération avec celui des USA, rendant de fait exterritoriales les compétences de celui-ci.  


Ce système de lois extraterritoriales US assure des honoraires flamboyants aux "law-firms", de véritables usines juridiques américaines par lesquelles transitent toutes les procédures. Car tous les frais sont à la charge de l'entreprise visée. Ainsi le DOJ, lors de son enquête contre Siemens, a permis à cette société d'assurer le pain quotidien à une centaine d'avocats, 130 auditeurs chargés de plus de 1 750 auditions dans 34 pays. Le tout engloutissant plus d'un milliard de $. D'une manière générale, les principaux cabinets d'avocats traitant du droit des affaires sont US. Sur les 10 premiers en France en terme de chiffre d'affaires, seuls 2 sont français. A plus ou moins longue échéance, c'est le droit dit latin qui risque de disparaître. Celui-ci, fondé sur des codes de lois, n'a pas le même esprit que le droit anglo-saxon, fondé sur le contrat (système dit du "common law"). La procédure du droit latin est de type inquisitorial, le plaignant doit prouver son préjudice, alors que le système anglo-saxon est accusatoire, le défendeur est mis sur le même plan que le plaignant, ce qui facilite les arrangements hors procédure. Mais le vice est que la machinerie étatique US n'est absolument pas neutre et l'on comprend pourquoi il y a de tels dérapages. La Banque mondiale a choisi son camp, ce sera les pays où les litiges se règlent en fonction de jurisprudences édictées en fonction d'une "common law" qui seront considérés comme "business friendly".


En 2013, l'affaire Snowden a révélé que les chefs de l'exécutif tant français, qu'allemand ou brésilien, avait été mis sur écoute. En somme, tout dirigeant d'un pays autre que les USA, est susceptible de dériver vers le terrorisme. En réalité, les grandes oreilles de la NSA (National Security Agency), pouvant siphonner toutes les informations utiles aux multinationales US, celles-ci sont en mesure de proposer à leurs clients actuels ou futurs les meilleurs contrats, faisant de la corruption une vieillerie n'intéressant plus que les historiens. Il a été établi par les spécialistes du renseignement, que seules 35% des ressources de la NSA sont affectées à la traque des terroristes. Grâce au siphonage des informations liées aux transactions bancaires (SWIFT), la NSA est immédiatement informée de toute transaction financière importante. C'est ainsi qu'Airbus et Thalès (aérospatiale militaire) sont particulièrement surveillés. Quand aux pays qui sont encore à l'âge de pierre, et qui ne savent encore rien de l'univers merveilleux du néo-libéralisme, il faut les inciter à procéder aux "ajustements structurels" (terme de novlangue pour dire privatisations) afin de réduire la "surface corruptible" (terme de novlangue pour désigner les services publics). La Russie avait poussé la servilité jusqu'à la caricature au temps de l'assoiffé Eltsine, et les néo-libéraux en sont encore à se demander comment ce pays a pu leur échapper !
> On l'aura compris, le principal souci des USA est d'assurer la prédominance des normes US pour tout ce qui relève du droit des affaires. Ceci est facilité par le rôle du $ comme monnaie de réserve et d'échange. La lutte contre la corruption, tout comme la lutte contre le terrorisme, servent de justification aux innombrables démarches intrusives des USA. Pour renforcer l'efficacité du dispositif et lui donner une caution morale, d'éminents philanthropes ont créé des ONG vertueuses. Transparency International publie chaque année un palmarès de la corruption mondiale. Mais quels sont les critères retenus pour mesurer l'indice de perception de la corruption (IPC)? Mystère. Notons le financement exclusivement US de cette ONG. On mentionnera aussi le rôle du NED: National Endowment for Democracy, qui milite certes pour la démocratie, entendons par là la libéralisation des marchés. Et que dire de la fondation Soros? Encourager partout l'immigration (sauf en Israël) pour noyer la question sociale sous la question identitaire que cette immigration hors contrôle fait nécessairement naître. En réalité, les ONG ne prônent la vertu pour discréditer les concurrents des firmes US. La lutte contre le crime organisé servira bien évidemment aussi de couverture pour collecter des renseignements économiques, voire pratiquer l'espionnage économique, le tout au niveau mondial. En 1998, est créé l'ICCS, International Crime Control Strategy, dont les objectifs définis sont clairement extraterritoriaux. Mais il s'agit d'être "proactif" (terme de novlangue pour signifier ingérence). Bien plus que la CIA, le FBI, le DEA (Drug  Enforcement Administration), la compétence de l'ICCS est extraterritoriale. Tout comme l'est le TPCC (Trade Promotion Coordinating Comittee), qui a pour objet de soutenir les entreprises dans la conquête des marchés à l'étranger. Lorsque ce TPCC est informé qu'un concurrent d'une firme US est en passe de remporter un marché, il met sur écoute les délégations de cette entreprise afin de détecter les éventuelles tentatives de corruption. Sa fonction est également de coordonner les activités de l'International Trade Administration avec celle de l'US and Foreign Commercial Service; il a ainsi pu se vanter, pour l'année 2013, d'avoir permis 18 000 transactions. Les fonctionnaires du Département d'Etat et du Pentagone ont leurs propres réseaux, tout cet ensemble constituant une véritable pieuvre agissant à l'échelon mondial et qui a l'avantage de rendre toute corruption inutile. 


L'Europe, devenue un nain politique (par la faute de qui?), reste toutefois encore un géant économique. L'€ serait à même de remplacer au moins partiellement le $ et d'assurer au continent son indépendance au niveau géopolitique, mais encore faut-il le vouloir. A la fin des années 1990, le parlement européen avait bien fait mine de s'émouvoir des méthodes d'espionnage des USA. Mais on en était resté au stade de l'émotion quoiqu'il avait été établi que des entreprises US avaient pu rafler au dernier moment des marchés au détriment des entreprises européennes dans un nombre conséquent de pays. Et puis, tout fut oublié après septembre 2001, il y avait maintenant d'autres priorités. Un grand nombre de pratiques sera revendiquée par les autorités US comme étant légitimes, au nom de la sécurité nationale, ce qui englobe bien évidemment la sécurité économique des entreprises de ce pays.
> On pourrait encore parler des "think tanks", ces "boites à idées" dont la fonction est le modelage de l'opinion publique à l'échelle la plus vaste possible, afin que soit communément admise l'idée que les USA sont la "nation indispensable" et que le politiquement correct (cad vider les mots de leur sens) qui lui sert d'idéologie, soit la référence universelle. Il s'agit de formater l'opinion publique afin qu'elle soit le débouché naturel des produits des grandes firmes US. Au moins avec Trump, les choses sont plus claires, plus besoin de fatras idéologique, les affaires se règlent à la virile, comme sur un ring de catch. Encore que l'homme sait jouer de la fibre sentimentale. En septembre 2018, Siemens allait signer avec l'Irak un contrat de 15 milliards de $. Ce qui fit rugir le président US, rappelant aux autorités irakiennes que 7 000 soldats US y trouvèrent la mort pour leur faire savoir ce qu'est la liberté. La très docile Allemagne n'a pas osé rappeler aux USA leur soutien apporté à l'Irak pendant sa guerre de 8 ans contre l'Iran.
> On pourrait aussi insister sur le rôle des fonds d'investissement US. Les plus prestigieux d'entre eux, comme Carlyle, regroupe d'illustres personnages: G. Bush, James Baker, John Major, ancien 1er ministre britannique. Grâce à leur connaissance du monde, les rendements sont garantis et ont déjà atteint 34% l'an. Le ticket d'entrée est de 5 millions de $, ce qui permet d'écarter les petits joueurs.


> Face à cette situation, n'ayons pas la naïveté de poser la question de savoir ce que fait l'Europe? Evidemment rien, mais l'Europe n'est pas là pour agir, car ce serait sombrer dans le populisme. Il y a bien le règlement n° 2271/96 du Conseil de l'Europe du 22 novembre 1996 "portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers", mais cela reste purement théorique. D'ailleurs, encore jamais la justice française n'a demandé de comptes à une entreprise française qui passait outre, concernant cette loi de blocage. Pourquoi?
> Lorsqu'en 2018, les USA se retirent unilatéralement du traité signé en 2015 avec l'Iran, dit accord de Vienne, les échanges entre l'Iran et les pays européens avaient, l'année précédent ce parjure, atteint 21 milliards de $. Elle dut renoncer à tous ses marchés et la Chine n'eut plus qu'à se lécher les babines suite à l'aubaine ainsi créée. Il est hautement comique de voir que la seule solution imaginée par les technocrates de Bruxelles a été le retour à la préhistoire, en imaginant un système de troc!
> Juridiquement, une entreprise européenne pourrait déposer plainte devant un tribunal US pour perte de chiffre d'affaires suite au non-respect de l'accord de Vienne par l'un des signataires. Certes, mais comme l'avait déjà noté Bismark en son temps, Macht geht vor Recht. C'est la volonté politique qui manque: actuellement serait étudiée la possibilité de remettre en selle la Banque de France de sorte que tous les échanges avec l'Iran passerait par ses comptes. Le pari consiste à croire qu'aucune autorité US n'osera s'attaquer à une banque d'Etat. Macron à la découverte d'une forme de souverainisme, ce serait une singulière ruse de l'Histoire (mais pour l'instant, rien n'est fait).
> En attendant cet hypothétique revirement, la ponction des autorités US sur l'économie française et européenne va continuer. Ponction qui a l'immense mérite pour les USA de rendre la politique étrangère des pays européens tétanisés par ce chantage totalement inexistante. Voilà en tous cas à nouveau une bien étrange défaite. Plutôt Hitler que le Front Populaire, disaient certains à la fin des années 30. Au vu de la situation actuelle, il deviendra de plus en plus difficile de soutenir: plutôt l'unilatéralisme US que le retour à la souveraineté. Son actuel président, Trump méprise ceux qui ne montent pas sur le ring, avec l'affaire iranienne suivie de l'affaire kurde, les pays d'Europe ont une occasion en or pour leur permettre de s'affirmer et de redevenir un sujet de l'Histoire. Qu'ils renoncent, et ils disparaîtront. Car n'oublions pas que Russes et Chinois sont déjà en tenue de combat et n'hésiteront pas, si nécessaire, à monter sur le ring.

 

(1): Ces propos introductifs sont une note de lecture de l'ouvrage d'Ali Laidi, chercheur à l'IRIS, intitulé, "Le droit, nouvelle arme de guerre économique".

 

Jean Luc

 

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Entretien

Emanuele Coccia : « La Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures »

Par Nicolas Truong

 

Le philosophe explique, dans un entretien au « Monde », pourquoi la pandémie actuelle réinscrit l’homme dans la nature et comment l’écologie doit être repensée, loin de toute idéologie patriarcale fondée sur la « maison ».

 

Philosophe, Emanuele Coccia est maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et l’un des intellectuels les plus iconoclastes de son époque.

Auteur, aux éditions Payot et Rivages, des ouvrages La Vie sensible (2010), Le Bien dans les choses (2013), La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange (2016), il vient de publier Métamorphoses (Payot et Rivages, 236 pages, 18 euros), ouvrage qui rappelle comment les espèces vivantes – notamment les virus et les hommes – sont reliées entre elles, car « nous sommes le papillon de cette énorme chenille qu’est notre Terre », écrit-il.

Il analyse ici les ressorts de cette crise sanitaire mondiale et explique pourquoi, même si elle nécessaire, « l’injonction à rester à la maison est paradoxale et dangereuse ».

Des mesures importantes sont déployées afin que l’économie ne s’effondre pas. Faudrait-il faire de même pour la vie sociale ?

Face à la pandémie, la majorité des gouvernements ont pris des mesures fortes et courageuses : non seulement la vie économique a été en grande partie arrêtée ou fortement ralentie, mais la vie sociale publique a été largement interrompue. La population a été invitée à rester chez elle : les rencontres, les repas partagés, les rites de l’amitié et de la discussion publique, le sexe entre non-concubins, mais aussi les rites religieux, politiques, sportifs ont été interdits.

C’est tout d’un coup la ville qui a disparu ou, pour mieux dire, elle a été retirée, soustraite à l’usage : elle gît face à nous comme si elle était dans une vitrine. Plus d’espace public, plus de terrains de libre circulation, ouverts à toutes et à tous et aux activités les plus disparates vouées à la production d’une félicité à la fois individuelle et partagée.

La population s’est retrouvée seule face à cet énorme vide, elle pleure la ville disparue, la communauté suspendue, la société fermée avec les magasins, les universités, les stades : les directs Instagram, les applaudissements ou les chants collectifs au balcon, la multiplication arbitraire et joyeuse du jogging hebdomadaire sont surtout des rites d’élaboration du deuil, des tentatives désespérées de la reproduire en miniature.

Cette réaction est normale et physiologique. L’interruption de la vie économique –dont nous faisons l’expérience chaque dimanche – a été l’objet d’un nombre infini de réflexions et de mesures d’anticipation et de reconstruction. Le geste de suspension de la vie commune, beaucoup plus inédit et violent, a été abrupt et radical : aucune préparation, aucun suivi.

« C’EST TRÈS IRRESPONSABLE D’OBTENIR LA RENONCIATION D’UNE COMMUNAUTÉ À ELLE-MÊME EN LA CULPABILISANT OU EN L’INFANTILISANT. LE COÛT PSYCHIQUE DE CETTE MANIÈRE DE FAIRE SERA IMMENSE »

La nécessité de ces mesures est hors discussion : c’est seulement de cette manière qu’on pourra défendre la communauté. Mais ce sont des mesures gravissimes : elles assignent à domicile la totalité de la population. Et pourtant, il n’y a eu aucun débat, aucun échange, aucun autre discours que celui de mort et de la peur pour soi et pour les autres.

Quelle est la responsabilité des gouvernements dans cet oubli social du confinement ?

C’est assez enfantin d’imaginer qu’on peut tenir des millions des vies assignées à domicile seulement à travers des menaces ou en répandant la peur de la mort. C’est très irresponsable de la part de ces mêmes gouvernements d’obtenir la renonciation d’une communauté à elle-même en la culpabilisant ou en l’infantilisant. Le coût psychique de cette manière de faire sera immense.

Il n’y a eu aucune considération, par exemple, de la différence liée à la taille des appartements, à leur site, à la quantité d’individus de différents âges qui y résident : c’est à peu près comme si on ignorait les différences de taille de chiffre d’affaires ou du nombre d’employés lorsqu’on prend des mesures sur la vie économique.

Il n’y a eu aucune considération de la solitude, des angoisses et surtout de la violence que tout espace domestique souvent couve et amplifie. Inviter à coïncider avec son propre chez-soi signifie produire les conditions d’une future guerre civile. Elle risque d’exploser, d’ici à quelques semaines.

D’ailleurs, si, pour la vie économique, on a essayé de trouver un compromis entre la nécessité de garder en vie la société et celle de la protéger, pour la vie sociale, culturelle, psychique on a été beaucoup moins fin.

Par exemple, on a laissé ouvert les tabacs, mais pas les librairies : le choix des « biens de première nécessité » renvoie à une image assez caricaturale de l’humanité.

Il y a un sujet iconographique qui a traversé la peinture européenne : celui de « saint Jérôme dans le désert », représenté avec un crâne et un livre, la Bible qu’il traduisait. Les mesures font de chacune et chacun de nous des « Jérôme » qui contemplent la mort et sa peur, mais auxquels on ne reconnaît même pas le droit d’avoir avec soi un livre ou un vinyle.

« Restez chez vous ! » dit le président. Or, dans « Métamorphoses », vous faites une critique du « tous à la maison » et de cette obsession d’assigner la vie à résidence. Pour quelles raisons ?

Cette expérience inouïe d’assignation à domicile indéterminée et collective qui s’étend tout d’un coup à des milliards de personnes nous apprend plusieurs choses.

Tout d’abord nous faisons l’expérience du fait que la maison ne nous protège pas, elle n’est pas forcément un refuge, au contraire elle peut nous tuer. On peut mourir de trop de maison. Et la ville, la distance que toute société implique, nous protège normalement des excès d’intimité et de proximité que toute maison nous impose.

Le malaise de ces jours n’a donc rien d’étrange. L’idée que le chez-soi, la maison soit le lieu de la proximité à la « nature » est un mythe d’origine patriarcale. La maison est l’espace à l’intérieur duquel un ensemble d’objets et d’individus sans liberté vivent dans l’ordre voué à la production d’une utilité. La seule différence entre maisons et entreprises est le lien généalogique qui relie les membres de l’une mais pas de l’autre. Pour cela aussi, toute maison est l’exact opposé du politique : c’est pour cela que l’injonction à rester à la maison est paradoxale et dangereuse.

En quoi l’analyse écologique de la crise sanitaire vous semble-t-elle inappropriée, au mieux romantique et au pire réactionnaire ?

L’expérience de ces jours devrait donc nous apprendre que l’écologie, la science qui devrait nous aider à réparer la planète doit être entièrement reformée, à partir de son nom, qui abrite encore l’image de la maison (oikos en grec veut dire chez-soi, maison). L’écologie n’est pas seulement romantique, elle reste une science profondément patriarcale qui, malgré tous les efforts de l’écoféminisme, n’est pas arrivée à se libérer de son passé.

De fait, en continuant à penser que la Terre est la maison du vivant, et que toute espèce vivante a la même relation privilégiée à un territoire qu’un individu humain avec son appartement, non seulement nous nous efforçons d’assigner à domicile la totalité des espèces vivantes, mais nous projetons un modèle économique sur la nature.

Ecologie et économie marchandes sont nées au même moment, elles sont deux jumelles siamoises qui partagent les mêmes concepts et le même cadre épistémologique, et il est naïf de penser que l’écologie, telle qu’elle est structurée aujourd’hui, pourra jamais combattre le capitalisme.

Non, il n’y a pas de maisons ontologiques, ni pour nous, les humains, ni pour les non-humains, il n’y a que des migrants sur Terre, car la Terre est une planète, un corps qui est constamment à la dérive dans le cosmos. En tant qu’être planétaire, tout être vivant est à la dérive, change de lieu, de corps, de vie, tout le temps. Il est impossible de se protéger des autres, et cette pandémie le démontre. On peut juste éviter quelques conséquences de la contagion, mais nous, nous le pourrons jamais, en tant qu’êtres vivants.

« A LA DIFFÉRENCE DE CE QUE NOUS VOUDRIONS IMAGINER, CETTE PANDÉMIE EST LA CONSÉQUENCE DE NOS PÉCHÉS ÉCOLOGIQUES »

A la différence de ce que nous voudrions imaginer, cette pandémie est la conséquence de nos péchés écologiques : ce n’est pas un fléau divin que la Terre nous envoie. Elle est juste la conséquence du fait que toute vie est exposée à la vie des autres, que tout corps héberge la vie des autres espèces, est susceptible d’être privé de la vie qui l’anime.

Personne, parmi les vivants, n’est chez soi : la vie qui est au fond de nous et qui nous anime est beaucoup plus ancienne que notre corps, et elle est aussi plus jeune, car elle continuera à vivre lorsque notre corps se décomposera.

Le virus est perçu comme quelque chose d’inquiétant, certes, mais aussi de radicalement différent de nous. Or vous montrez dans votre livre qu’il fait partie de nous. En quel sens est-il l’un des visages de la métamorphose du vivant ?

Tous les êtres vivants, peu importe leur espèce, leur règne, leur stade évolutif, partage une seule et même vie : c’est la seule et même vie que chaque vivant transmet à sa progéniture, la seule et même vie qu’une espèce transmet à une autre espèce dans l’évolution.

La relation entre vivants, peu importe s’ils appartiennent à des espèces différentes, est celle qui existe entre la chenille et le papillon. Toute vie est à la fois la répétition et la métamorphose de la vie qui l’a précédé.

Chacun de nous (et chaque espèce) est à la fois le papillon d’une chenille qui s’est formée dans un cocon et la chenille de mille papillons futurs. C’est seulement à cause du fait que nous partageons la même vie que nous sommes mortels. Car la mort n’est pas la fin de la vie, elle est juste le passage de cette même vie d’un corps à d’autres. Ce virus, même si c’est difficile à voir, est aussi une vie future qui se prépare. Pas forcément identique à celle que nous connaissons, ni d’un point de vue biologique ni d’un point de vue culturel.

Le virus et sa diffusion pandémique ont aussi une signification capitale d’un autre point de vue. Nous avons passé des siècles à nous dire que nous sommes au sommet de la création ou de la destruction : très souvent le débat autour de l’anthropocène est devenu l’effort de moralistes pervers de penser la magnificence de l’homme dans la ruine – nous sommes les seuls capables de détruire la planète, nous sommes exceptionnels dans notre puissance nocive car aucun autre être possède une telle puissance.

Avec le Covid-19, faisons-nous l’expérience de notre extrême vulnérabilité ?

Pour la première fois depuis très longtemps – et à une échelle planétaire, globale –, nous rencontrons quelque chose dont la puissance est bien supérieure à la nôtre et qui parvient à nous mettre à l’arrêt pendant des mois.

D’autant plus qu’il s’agit du virus, c’est-à-dire du plus ambigu des êtres sur Terre, celui pour lequel on a du mal même à parler de « vivant » : il habite le seuil entre la vie « chimique » qui caractérise la matière et la vie biologique, sans qu’on puisse définir s’il appartient à l’une ou à l’autre. Il est trop animé pour l’une, trop indéterminé pour l’autre.

C’est dans son corps même qu’il trouble l’opposition nette entre la vie et la mort. Et pourtant cet agrégat de matériel génétique en liberté a fait s’agenouiller la civilisation humaine techniquement la plus développée de l’histoire de la planète. Nous avons rêvé d’être les seuls responsables de la destruction. Nous faisons l’expérience que la Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures. C’est très libérateur : nous sommes enfin libérés de cette illusion de toute-puissance qui nous oblige à nous imaginer comme le début et la fin de tout événement planétaire, dans le bien comme dans le mal, à nier que la réalité en face de nous soit autonome par rapport à nous.

Même une minuscule portion de matière organisée est capable de nous menacer. La Terre et sa vie n’ont pas besoin de nous pour imposer des ordres, inventer des formes, changer de direction.

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Coccia virus et nature
Mythe du deficit

A propos du "Mythe du déficit" de Stéphanie KELTON.

Un Etat doit-il être géré comme une entreprise ou un ménage? Chacun sent intuitivement que la finalité de l'Etat n'est pas de réaliser un profit mais de faire fonctionner une société. Tout comme une entreprise ou un ménage, il utilise une monnaie mais en plus, s'il est souverain, il a le pouvoir de l'émettre. L'Etat n'a donc pas a priori à craindre un déficit qui le mettrait en faillite, puisqu’il aura toujours la possibilité de le combler par la création monétaire. Avec pour seule réserve toutefois, que celle-ci reste modérée, sinon des tensions inflationnistes pourraient apparaître. S'il assure cela, il n'a guère à se préoccuper de la charge que représenterait la dette pour les générations futures. Ah, on pourrait donc transformer le plomb en or? Aux USA, à la fin de l'ère Roosevelt, la dette atteignait 120% du PIB (produit intérieur brut), et pourtant, ce fut à partir de cette époque que le revenu médian des ménages a progressé le plus, alors même que les taux d'imposition étaient restés stables. Un Etat, à la condition sine qua non de disposer de la souveraineté monétaire, n'a en rien à craindre d'une dette qui ne soit pas excessive (cad non inflationniste) ni de l'éventuelle influence de pays étrangers du fait de celle-ci. Car, si par exemple la Chine achète des bons du Trésor US, ce sont des $ émis par les USA que la Chine achète en ayant pour contrepartie un actif financier rapportant intérêt. A chaque instant, cette dette pourrait être rachetée par une simple émission monétaire à laquelle aucun pays ni aucune instance internationale ne pourraient s'opposer.

De fait, malgré ses déficits abyssaux, le gouvernement US n'est jamais à court d'argent. Si ce pays est allé vers une forme de sous-développement, c'est que la dépense publique est en grande partie engloutie par d'ahurissantes et particulièrement inefficaces dépenses militaires. Il semblerait toutefois, si cela se confirme dans les faits, que l'administration Biden veuille sortir des anciens credo et relancer l'économie US par une dépense globale de 6 600 milliards de $; cela porterait le déficit du budget fédéral à 102% du PIB, ce qui fait toujours moins qu'en 1945. Inconscience ou salutaire mesure, l'avenir le dira car évidemment, le gouvernement US ne possède à l'heure actuelle pas le moindre $ pour financer cette mesure.

Selon S. Kelton, économiste US, les décideurs politiques ont, par le passé, été freinés dans leur action pour certains d’entre eux par une série de mythes qui ont eu pour conséquence un ralentissement de l'économie. Elle en dénombre 6:

Mythe n°1: L'Etat doit tenir son budget comme un entreprise.

Pourquoi est-ce un mythe? L'Etat US, car il est souverain, émet la monnaie qu'il dépense et dispose, pour ce faire, d'un droit exclusif, ce que ne peuvent faire ni une entreprise ni un ménage qui ne sont que des utilisateurs de monnaie. Concrètement, la banque centrale US, nommée la Réserve fédérale (Fed), crée une monnaie numérique, la "high-powered money". Le Trésor des USA engage ensuite cette monnaie auprès des banques privées qui n'existe donc que sous forme d'entrées électroniques dans leur bilan (ce ne sont pas des dépôts). C'est avec cet argent que sont financés les entreprises et les ménages demandant des prêts. Concernant les paiements de commandes faites par l'Etat fédéral, quand le Congrès (composé de la Chambre des Représentants et du Sénat) vote une dépense, le gouvernement US signe un contrat avec une société privée. Suite à cela, le Trésor ordonne à sa banque, la Fed, de virer la somme convenue sur le compte de la société qui se voit ainsi crédité, tout comme les banques dans le cas précédent, d'un argent qui n'avait nulle existence auparavant mais qui est maintenant bien réel.

Pour être pleinement efficace, la capacité émettrice de l'Etat ne doit pas voir sa monnaie liée artificiellement à un autre actif dont il pourrait manquer, l'or par exemple, ou à une autre devise par un taux de change fixe qui n'apporte qu'une sécurité illusoire, comme l'a montré récemment le cas du Liban. L'impôt est donc loin d'être la seule source de financement de la dépense publique, il en serait même actuellement, vu l'ampleur de la création monétaire, une source accessoire. D'ailleurs, précisons ce qu'est l'impôt: historiquement, il a d'abord eu pour rôle principal de faire accepter partout la monnaie de l'Etat, puisqu'il fallait payer l'impôt dans cette monnaie. Il représente donc ce qui a permis aux Etats de réaliser l'unité monétaire à l’intérieur d’un pays, unité sans laquelle aucune économie moderne ne pourrait fonctionner. L'impôt a également un rôle dans la lutte contre l'inflation, augmenter une dépense signifie taxer autre chose, non tant pour financer la dite dépense, mais bien davantage pour retirer une somme équivalente du circuit monétaire. L’impôt a également un rôle de redistribution des richesses; le carburant du capitalisme, ce sont les ventes de biens, il faut donc permettre au plus grand nombre d'en acquérir. Enfin la fiscalité peut influer sur les comportements (taxe sur les produits nocifs, aux USA, on l'appelle "l'impôt sur le péché").

Ce qui vaut pour les USA peut-il s'appliquer à d'autres pays? A priori, cela semble difficile, puisque le $ a encore un statut de monnaie de réserve mondiale (le commerce de matières premières se fait principalement en $). Toutefois tout pays disposant de la souveraineté monétaire peut émettre autant de monnaie qu'il veut, le garde-fou étant l'inflation qu'effectivement les USA n'ont pas vraiment à craindre du fait du statut de leur monnaie. Les pays qui ont perdu leur souveraineté monétaire, comme la France, restent sous la surveillance des marchés financiers qui notent leur dette publique comme s'il s'agissait d'évaluer un devoir d'écolier. On parle d'ailleurs souvent, dans les milieux financiers, de bons élèves-Pays-Bas, Allemagne-et de mauvais élèves, les fameux "PIGS"! Et c'est en fonction de la note obtenue que sont établis les taux d'intérêt des prêts accordés aux Etats par les marchés financiers. Pour de tels pays, le budget dépend uniquement des recettes fiscales, sauf si la Banque centrale étrangère dont ils dépendent accepte de créer de la monnaie. La monnaie n'est donc pas un bien que l'on échange mais elle est ce qui permet les échanges de biens, il est donc préférable pour un pays d'en pouvoir contrôler lui-même l'émission.

En résumé, on comprend bien que quel que soit le système politique en vigueur, l'Etat souverain, en tant qu'émetteur de monnaie, doit, avant de ponctionner ménages et entreprises, créer dans un premier temps la monnaie pour permettre à celui qui sera contribuable de l'acquérir. L'Etat est la personne juridique qui s'approvisionne en monnaie auprès de sa banque centrale afin que ses citoyens, utilisateurs de cette monnaie, bénéficient de ce qui permet à l'économie de fonctionner. Un Etat a beau être "riche" et disposer de réserves de change importantes, s'il bloque l'économie, la population reste pauvre (cas de l'Algérie, de l'URSS de jadis et en général de toute économie planifiée). Cependant, un Etat a beau se dire libéral, s'il ne dispose pas de la souveraineté monétaire, son rôle se réduit à celui d'une banque commerciale. Dans les 2 cas, lorsque l'Etat dépense plus qu'il ne prélève en impôts et taxes, il a un déficit budgétaire: il le comble principalement par la création monétaire s'il est un Etat souverain, uniquement par l'appel au marché dans le cas contraire. L'Etat non-souverain peut toutefois, comme l'Etat souverain, émettre des bons du Trésor, autrement dit, réaliser une émission monétaire portant intérêt. Ce qui, comme l'impôt, opère auprès de la population un retrait de masse monétaire puisqu'il lui faut acheter les bons du Trésor. Mais contrairement à l'impôt, ce retrait n'est que temporaire (durée de vie limitée, à l'échéance, il est remboursé). Le rôle de l'émission de bons du Trésor est également de jouer sur les taux d'intérêt. (A) Pour les faire monter, la Fed (émetteur mondial de loin le plus important) vend davantage de bons du Trésor et pour ce faire, offre un taux d'intérêt plus attrayant; elle retire ainsi des liquidités du circuit monétaire. Quand elle veut les rendre moins attrayant, elle baisse le taux d'intérêt. Elle rachète ceux dont les détenteurs veulent se débarrasser et injecte ainsi des liquidités dans le circuit monétaire.

Mythe n°2: Les déficits sont le signe que l'on dépense trop.

En réalité, un Etat ne dépense trop que si cela génère de l'inflation. Comme nous l'avons vu, un Etat émetteur de monnaie n'a aucune obligation d'équilibrer ses recettes et ses dépenses. Pourquoi l'inflation est-elle néfaste? Elle génère toujours pour tout ou la majeure partie de la population une baisse du niveau de vie, car elle se traduit par une hausse des prix plus forte que la hausse des salaires et débouche fréquemment sur la déflation, une baisse des prix et des salaires qui entraîne la chute de l'investissement. Pour les keynesiens (Roosevelt), la hausse de la dépense publique est nécessaire après une récession, car elle se traduit par une baisse du chômage provoquant une hausse de la consommation et donc une hausse des carnets de commande et par suite, de l'investissement. Pour les monétaristes (Reagan et les Chicago Boys), l’obsession est l'inflation. Elle est, selon eux, toujours un problème monétaire qu'il vaut mieux prévenir que guérir. Ils estiment que c’est le plein-emploi qui est source d'inflation, le rapport de force étant alors trop favorable aux salariés. Cela entraîne des hausses de salaires qui sont relayées par une hausse des prix moindres, car ceux-ci restent surveillés par l’État. Ceci génère une baisse des profits et, par contrecoup, la baisse du niveau des investissements. On comprend dès lors pourquoi les pays néolibéraux sont frénétiquement et fanatiquement attachés à une immigration élevée (pour comprimer les salaires par le chômage et ainsi prévenir l'inflation). Toutefois, de plus en plus, on ne considère plus que la masse monétaire soit un problème, puisqu'avec la monnaie numérique, le concept de masse monétaire ne veut plus dire grand chose. Maintenant, quand la Fed estime que le chômage est à un niveau trop élevé, elle baisse ses taux, ce qui favorise l'activité économique (on emprunte plus). Mais ensuite, quand est-ce que la baisse du chômage est-elle supposée produire des effets inflationnistes du fait d'une trop forte poussée des salaires? Quand faut-il alors remonter les taux pour ralentir l'économie? La Fed est constamment à la recherche de ce qu'elle nomme le NAIRU (non accelerating inflation rate of unemployement).

Mais ne risque-t-on pas ainsi, par excès de prudence, d'être chroniquement en sous-investissement? Ralentir la dépense publique et augmenter ainsi le taux de chômage pour prévenir l’inflation est-il vraiment pertinent? Au contraire, la politique budgétaire, lors d'une récession devenue inévitable lorsque le NAIRU a été mal estimé, au lieu de combler les trous (indemnisation du chômage) ne devrait-elle pas avoir, de manière constante, pour but d'accompagner l'investissement privé afin de lui permettre d'aller aussi loin qu'il est possible d'aller dans ses programmes? N'est-ce pas par l'investissement que l'on peut créer des emplois sans pour autant générer de l'inflation? Et ce n'est que lorsque celle-ci apparaît qu'il faut ralentir l'économie. Prendre préventivement des mesures par le biais des taux d'intérêt est un non-sens puisque cela aboutit à une sous-utilisation de l'appareil productif. En conséquence, un budget vertueux n'équilibre pas les recettes et les dépenses mais dépense, même abusivement, tant que l'inflation reste stable. Se contenter de réduire l'impôt des plus riches (méthode néolibérale), n'a aucun effet sur l'économie réelle et ne favorise que la concentration des richesses dans les mains des plus fortunés. Dépenser en apparence excessivement ne veut pas dire faire n'importe quoi, mais créer, par la puissance publique, des emplois même non immédiatement rentables. Ce qui a pour effet d'amortir les effets de la récession, lorsqu'elle se produit, notamment lorsqu’il faut ralentir l'économie.

Car en effet, quels sont les effets délétères d'une récession? Il y a apparition de stocks et donc déflation pour les faire disparaître. Puis lorsque la reprise intervient, il s’en suit une hausse rapide des prix. Les entreprises voulant augmenter leurs marges pour récupérer au plus vite le profit perdu mais alors, l'inflation, à nouveau menace. La dépense publique bien ciblée peut prévenir ou du moins amoindrir les effet d'une récession et veiller de la sorte à la stabilité des prix. Kelton n'est pas contre le revenu universel, mais il ne doit pas être versé sans acceptation de l'emploi par celui qui en bénéficie. Ce qui permet d'éviter la désocialisation de ses bénéficiaires.

En somme, l'équilibre économique doit toujours avoir la priorité face à l'équilibre budgétaire.

Mythe n°3: De toute façon, nous sommes endettés pour plusieurs générations.

Et donc, il faut être fataliste et attendre des jours meilleurs! Mais comme on l'a vu, le seul obstacle à la dépense publique n'est pas l'insolvabilité de l'Etat mais l'inflation. D'ailleurs qu'appelle-t-on une dette? Obama avait coutume de dire que les USA vivaient avec une carte de crédit de la Chine. Certes, et rien n'a changé avec le tonitruant Trump, la Chine réalise, année après année, un excédent commercial avec les USA (420 Mds de $ en 2018). Que se passe-t-il ensuite? Cette somme est créditée sur le compte bancaire de la Chine à la Réserve fédérale. Si, avec cet argent, la Chine achète des bons du Trésor US, la Fed débite le compte chèque et crédite le compte titre de la Chine. Si la Chine veut disposer de son argent, la Fed fera l'opération inverse. Mais d'où viennent les $? De la Chine? Non, des USA. Les USA n'empruntent pas à la Chine, elle lui fournit des $ contre ses produits et celle-ci échange ces $ contre des bons du Trésor ou autre chose. De fait, un banquier US a dit avec raison que "tout ce que nous devons à la Chine, est un relevé d'opérations". Mais agiter la menace chinoise est toujours payant pour les politiciens. De plus, la Chine ne détient que 7% de l'ensemble des bons du Trésor US émis. En outre, plus les bons sont achetés par des détenteurs étrangers, plus le montant des intérêts est versé à l'étranger, ce qui contribue à éviter que ne se créée des tensions inflationnistes au sein de l'économie US.

Evidemment, de telles opérations comptables ne sont possible que pour un Etat souverain. Un Etat, qui comme la Grèce, n'est qu'un utilisateur de monnaie et n'a donc aucun pouvoir d'émission monétaire. Si la dépense publique doit soudainement s'accroître, comme lors de la crise de 2008, le pays est étranglé (taux d'intérêt à 35% !) et est soumis à une terrifiante austérité par ses autorités de tutelle. A comparer avec la liberté dont jouissent les pays souverains ! Ainsi , entre 2008 et 2012, les déficits publics de GB et USA ont triplé, et pourtant le taux d'intérêt moyen sur les bons d'Etat ont baissé, (1,8% aux USA, 3,6% en GB). On voit bien par cet exemple la différence de traitement entre un Etat souverain et un Etat qui ne l'est pas. Pour un Etat souverain, l'émission monétaire sert simplement à influer sur les taux d'intérêt. Voir (A). Ce que les politiciens nomment abusivement dette (mais ils aiment tellement faire peur, se croyant ainsi utiles) ne l'est en rien pour un Etat souverain, car en réalité, il ne la rembourse jamais. Quant elle devient trop importante, il la réduit par une politique dite de "quantitative easing" (annulation par leur rachat par la Banque Centrale; ainsi la Fed, actuellement, le fait à hauteur de 120 milliards de $ par mois).

De plus, certains économistes estiment que ce n'est pas le montant de ce qui est nommé dette qui importe, mais le ratio dette/PIB. Même si, année après année, elle augmente, cela reste sans conséquence tant que l'intérêt versé reste inférieur au montant qu'apporte la croissance économique. C'est ainsi que, parmi les pays disposant de la souveraineté monétaire, le rapport dette/PIB est de 240 % au Japon sans que cela ne lui pose un problème particulier. L'émission obligataire effectuée par la Banque centrale du Japon trouvant toujours preneur au taux d'intérêt qu'elle fixe elle-même. A la limite, une banque centrale pourrait remplacer tous ses bons du Trésor par des liquidités et annuler ainsi la dette. Les comptes bancaires des particuliers ne s'en trouveraient pas modifiés, ils perdraient simplement le montant de l'intérêt versé puisque les liquidités ne sont pas rémunérées. Mais, comme nous l’avons vu, les bons du Trésor ont pour fonction principale d’influer sur la circulation monétaire en jouant sur le taux d’intérêt rémunérant ces bons.

Mythe n°4: Les déficits publics sont une entrave à l'investissement privé.

Les politiciens aiment bien répandre l'idée que si l'Etat « emprunte » pour éponger ses déficits, cela asséchera le marché des capitaux, renchérira le coût de l'emprunt et créera des difficultés au secteur privé. Les Démocrates font campagne pour augmenter l'impôt, et les Républicains, pour baisser la dépense. Or, selon Kelton, si l'Etat dépense plus qu'il n'a recouvré par l’impôt, cela aura pour effet davantage de commandes et le solde sera positif pour le privé, puisque ce dernier aura eu plus de commandes que si le budget de l'Etat avait été équilibré. Si l'impôt rapporte 1000 $ et que l'Etat dépense 1000 $, c'est moins intéressant pour le privé que si l'impôt rapporte 1000 $ et l'Etat dépense 1100 $. Et pourquoi donc? Cela fera 100 $ de commandes supplémentaires pour le secteur privé. Un déficit modéré de l'Etat se transforme en un surplus de profit pour le privé, ce qui est donc favorable à la croissance. On comprend donc pourquoi un léger déficit, même reproduit année après année, est favorable à la croissance.

Les budgets en excédent sont néfastes. L'auteure, dans son ouvrage, cite un économiste qui a étudié les 6 récessions qu'ont connues les USA au cours de leur histoire. Celui-ci avait constaté que chaque récession a été précédée d'une période où l'Etat fédéral avait accumulé des excédents budgétaires dans le but d'éteindre ou d'amoindrir la dette. Mais, de la sorte, il a ôté des capacités d'investissement au secteur privé qui, du fait des profits manquants, dut s'endetter pour garder ses capacités de production. La dette publique devint donc une dette privée, mais le secteur privé, contrairement au secteur public, ne peut pas émettre de monnaie. La récession a été, à chaque fois, la conséquence d'une telle politique. En réalité, c'est le déficit même de l'Etat qui oblige la Fed à émettre des $ pour combler ce déficit. Lesquels $ augmentent le bien-être économique général, obtenu par la transformation de l'argent émis en véritable richesse, de sorte que par le déficit, la dette publique non seulement ne devient pas une dette privée mais enrichit le secteur privé et par là la société dans son ensemble.

Ce qui ne veut pas dire que le secteur privé soit nécessairement vertueux, ainsi, lors de la crise de 2008, provoquée par la spéculation, la Fed a dû racheter pour 4 500 md de $ de produits obligataires, dont 3 000 de bons du Trésor, pour faire baisser les taux et relancer l'économie. Obama ne nous a jamais expliqué en quoi la Chine, cause de tous les maux des USA, aurait été responsable de cette situation (Trump avait d'ailleurs repris le même genre d'argumentations fantaisistes, au lieu de réguler l'activité bancaire comme l'un et l'autre s'étaient engagés à le faire). Mais on sait bien qu'en politique, les promesses n'engagent que ceux qui y croient.

Durant une partie de la période Clinton, le budget fédéral était également excédentaire. Quand l'impôt rapportait 1000 $, l'Etat n’en dépensait que 900 $. Il y avait donc, par rapport à la situation précédente, un manque à gagner, non de 100 $ mais de 200 $ pour le secteur privé. Pour maintenir ses investissements, celui-ci a donc puisé dans son capital propre, réduisant d'autant les possibilités d'investissement futures. Il y eut une récession et pour y faire face, l'Etat fédéral augmenta à nouveau sa propre dépense. Naturellement, ce n'est pas le déficit en soi qui est bon pour l'économie, mais l'usage qui en est fait. Est-ce à dire que la solution libertarienne de suppression de l'impôt serait pertinente? Non, car cela ne profiterait qu'à ceux qui payent des impôts et de plus l'Etat se priverait d'un moyen d'action pour ralentir l'inflation ou pour définir des priorités budgétaire.

Le déficit, dans le cas de pays souverains, entraîne une création monétaire, laquelle augmente la richesse du secteur privé. C'est le fameux argent magique, dont a rêvé un président français mais dont il ne peut que rêver. Comment opère la magie? Comme nous l’avons vu, quand l'Etat créée de la monnaie, c'est pour payer une dépense déjà effectuée. Cela permet de créditer les comptes privés, bénéficiaires de ces commandes, à partir d'un argent qui n'a commencé à exister qu'à partir de cette opération. Il n'y a donc pas concurrence entre emprunts privés, qui se financent sur le marché des capitaux, et une émission monétaire réalisée pour payer une commande d'Etat. Ce n'est donc pas un emprunt, puisqu' auparavant l'argent n'existait pas. Evidemment, la création monétaire, du fait qu'elle crédite des comptes privés, augmente la richesse générale, ce qui peut accélérer l’inflation dont pâtirait le secteur privé. Dans ce cas, la Fed peut racheter les bons que le privé a acheté, ce qui entraîne une diminution de la masse monétaire en circulation. Le retrait monétaire, par des impôts et surtout le rachat de bons qui ainsi ne portent plus intérêt, diminue la richesse générale et gèle l'inflation. Par ces opérations, l'Etat ne concurrence personne, il augmente ou réduit simplement la masse monétaire en circulation. A remarquer d’ailleurs qu'aux US, les ventes de bons du Trésor sont toujours sur-souscrites. Concrètement, seul un nombre restreint de "primary dealers" ont la possibilité d'acheter les émissions, quitte à les revendre par la suite. Ce marché a été créé précisément pour qu'il ne soit pas assimilé au marché privé. Il y a un accord implicite entre la Fed et les « primary dealers » pour maintenir les taux à des niveaux raisonnables; la Fed fait en général savoir ce qui lui convient. "Don't fight the FED", est l'adage que connaissent tous les « primary dealers ». En 1943, les taux étaient au plus bas alors que le déficit fédéral avait considérablement augmenté. Un Etat sans souveraineté, lorsqu'il doit faire face à des dépenses imprévues, doit emprunter sur les marchés financiers privés...aux conditions que ceux-ci leur dictent (35% de taux d'intérêt dans la cas grec en 2012), car il y a concurrence entre l'Etat vassalisé et les emprunteurs privés sur le marché des capitaux.

Mythe n°5: le déficit commercial est un mauvais signal.

 

En économie néolibérale, les salariés qui avaient obtenu des avantages sociaux subissent la concurrence de ceux qui sont contraints d'accepter les conditions de travail les plus défavorables. La politique dite de "libre-échange" est, pour les USA, la cause principale de la désindustrialisation, de la stagnation, voire du recul des salaires et par conséquent du déficit commercial. Si l'Etat y remédie par un déficit budgétaire équivalent (par exemple en créant des emplois publics), une telle situation reste socialement sans conséquences et ôte un argument au discours politique démagogique (celui du déficit commercial, cause du chômage). Si le montant du déficit budgétaire reste inférieur à celui du déficit commercial, il compense moins que ce que coûte ce dernier, la différence est alors supportée par le privé et provoque donc un affaiblissement des entreprises. Se contenter d'ajouter des droits de douane aux importations est une mauvaise solution puisqu'elle ralentit l'économie sans relancer l'investissement, ce qui ne profite à personne. En outre, un pays sans souveraineté monétaire doit en plus, procéder à des "ajustements structurels" pour combler un déficit commercial, cad de réduction du coût du travail, ce qui ajoute une contrainte aux salariés du privé.

L'Etat doit avoir pour raison d'être, entre autres, de favoriser l'emploi. Si l'emploi privé est défaillant, il doit favoriser l'emploi public; le prix à payer est moindre que le coût du chômage et le délitement social qu'il engendre. Cette idée est encore mal acceptée et un petit retour en arrière s'impose pour comprendre la frilosité des mentalités. Pourquoi y a-t-il eu durant une bonne partie du XXe siècle, cette frénésie de guerre commerciale, où l'on se disputait les emplois existants? Tant que le taux de change entre les monnaies était fixe, la valeur de la monnaie de chaque pays était garantie par son stock d'or. Il était donc nécessaire pour chaque pays de générer un excédent commercial pour augmenter le stock d'or et sécuriser ainsi la monnaie. Un déficit commercial avait invariablement pour conséquence de provoquer une hausse des taux d'intérêt, ce qui ralentissait les importations mais aussi l'économie et donc les capacités exportatrices. On entrait ainsi dans un cercle vicieux.

Après la 2e guerre mondiale, a été créé le Gold Exchange Standard par les accords de Bretton Woods. Désormais, seul le $ avait une valeur fixe par rapport à l'or (35$ l'once, soit 31 g), le cours des autres monnaies des pays signataires étant défini par une valeur en $. Mais Nixon, en 1971, a abandonné ce système, craignant que les déficits US deviennent trop importants pour permettre à l'or de garantir la valeur du $. Plutôt que d'augmenter leur stock d'or, les USA ont instauré un système de taux de change flottants: les marchés détermineraient la valeur de chaque monnaie, sachant les USA jouissaient du privilège du $. En effet, le commerce mondial se faisant en $, cela générait une forte demande mondiale pour cette monnaie, ce qui soutenait son cours. Toutefois, dans les mentalités, les réflexes liés au système des taux de change fixe sont d’abord restés: il restait admis que le déficit commercial US impliquait que les USA, à terme, soient contraints de vendre leur stock d'or (un patron de la Fed, A. Greenspan, sa moquant de cette posture, parlait de l'attachement à la "relique barbare"). Evidemment, il n'en a rien été et les échanges mondiaux ont continué à se faire en $, bien que le $ se soit déprécié de manière continue par rapport à l'or (près de 1 800 $ pour une once d'or actuellement, mais cela n’inquiète personne). Ce ne sont en réalité que les pays qui ont adopté un taux de change fixe par rapport au $, pensant assurer ainsi la stabilité de leur monnaie, qui ont sombré car ils s'étaient interdits la dévaluation de leur propre monnaie (Venezuela, Niger, Liban). Idem pour ceux qui ont emprunté en $ et qui ont vu exploser leur dette (Argentine, Turquie).

En réalité, dans le système actuel de création monétaire ininterrompue, pour ceux qui peuvent se le permettre, ce qui est importé doit être vu comme un bénéfice réel puisque cela permet une transformation de monnaie en biens réels. De sorte que les pays vendeurs, lorsqu'ils sont exportateurs nets, sont ensuite acheteurs, dans le cas US, de bons du trésor de ce pays., Au premier rang desquels se situe la Chine. En conséquence, importer n'est pas, en soi, un mauvais signal, l'Etat n'ayant pas pour fonction de s'enrichir (toujours dans le cas d'un pays souverain). Vu ainsi, le déficit commercial, mesuré en $, correspond à un excédent en biens réels. Ce fut un non-sens d'Obama d'avoir affirmé que les "US ont une carte de crédit à la Banque de Chine". Ce serait plutôt l'inverse, puisque c'est la Chine qui alimente sa carte de crédit en $ par le biais de ses exportations. Par leur déficit commercial, les USA exportent leur monnaie, ce qui est un frein à l'inflation. On a vu auparavant que par la création monétaire et le déficit budgétaire qu'elle entraîne, l'Etat fédéral écoule sa monnaie auprès des ménages et entreprises, ce qui leur permet d'effectuer des achats et des investissements bien réels. Le déficit commercial entraîne de la même manière une demande de $ (le vendeur veut être payé), laquelle contribue à sa stabilité sur le marché des changes (l'or n'intervenant plus du tout). Le déficit commercial, tout comme le déficit budgétaire, ne posent l'un et l'autre aucun problème à un pays souverain tant que cela ne génère aucune inflation. Des pays qui, pour des raisons politiques, ont abandonné leur souveraineté monétaire (pays de la zone €) sont ravalés au rang de simple utilisateur de monnaie, comme une entreprise ou un ménage. Pour eux, il n'y a d'autre choix que de rembourser leurs déficits, qu'il y ait de l'inflation ou non. Souci que n'ont ni la GB, le Danemark, la Suisse, ou encore la Norvège. Certes, la BCE peut faire un geste, mais cela dépendra uniquement de son bon plaisir.

On dira que les USA sont favorisés, puisque le commerce mondial se fait, pour une grande part encore, par l'usage de leur monnaie. C'est vrai, néanmoins tous les pays dont les monnaies sont demandées sur le marché des capitaux peuvent financer leur croissance économique par la création monétaire. Le Japon et la Chine ont assuré leur développement en finançant d'abord leur marché intérieur par la création monétaire avant de devenir des puissances exportatrices.

Les pays dits en développement feraient bien de méditer ces exemples plutôt que de s'en remettre au FMI, dont les médications sont toujours les mêmes: baisse des dépenses publiques, hausse des taux d'intérêt pour faire monter artificiellement le cours de la devise et libre-échange. Le résultat d'une telle politique est toujours désastreux, car il plonge ces Etats dans une situation de dépendance dont ils ne peuvent s'extraire. Protectionnisme (qui ne signifie pas autarcie), banque centrale indépendante ayant le souci de combattre l'inflation et hausse de la dépense publique sont la matrice du développement.

Mythe n°6: ça coûte un pognon de dingue. C'est le rôle de l'Etat stratège d'assurer la production des biens et services. Son seul souci doit être la capacité productive du pays mais aussi l'équilibre dans la redistribution (elle ne doit pas être ressentie comme une spoliation ni accusée de favoriser l'assistanat). Les USA sont considérés comme un pays riche, mais un enfant sur 5 vit dans la pauvreté, 87 millions d'habitants sont sans assurance-santé, le salaire médian stagne depuis les années 1970, 1/4 des salariés est quasiment sans retraite et pour l'ensemble des salariés, il est établi que seuls 23% d'entre eux gardent leur niveau de vie à leur retraite. Pourtant l'insuffisance du financement par les cotisations peut être compensé par l'émission monétaire. A. Greenspan lui-même, président de la Fed de 1987 à 2006, avait déclaré: "Je ne dirais pas que les systèmes de retraite par répartition ne sont pas sûrs, car rien n'empêche l'Etat fédéral de créer autant de monnaie qu'il veut et de payer quelqu'un avec". La vraie question à se poser est, une fois de plus, de savoir comment cet argent sera dépensé sans créer de tensions inflationnistes.

En conclusion, on voit qu'il n'est en rien pertinent de ne s'occuper que du déficit budgétaire, comme nous le rabâchent constamment les politiciens. Un Etat souverain peut émettre autant de monnaie qu'il veut si celle-ci génère de la dépense soutenant l'économie. Encore faut-il en finir une fois pour toutes avec les attitudes dogmatiques nocives, comme celle liée à la mondialisation. Durant les 2 mandats d'Obama, élu pour faire face à la crise de 2008, l'économie US a continué à se déliter et 361 000 emplois publics ont été supprimés. Certes le taux de chômage est revenu en suite à son niveau d'avant crise, mais au prix du sous-emploi pour le plus grand nombre (cad ont retrouvé un emploi mais moins bien payé qu'auparavant). Pour autant, les déficits n'ont pas diminué. La Chine s'est affranchie des dogmes du FMI, dit "consensus de Washington", dès son intégration dans les circuits économiques mondiaux. Privilégiant dans un premier temps la consommation intérieure, qui était très basse, elle a consolidé un vaste secteur public tout en privatisant de vastes pans de son économie. Mais ceux-ci sont restés sous le contrôle de l'Etat lequel a refusé d'appliquer les dogmes néolibéraux comme la déréglementation des activités financières et le dessaisissement de l’État au profit des entreprises transnationales et des institutions comme le FMI et la Banque mondiale. La Chine n'a pas connu le processus de décomposition politique qui a mis à terre l'URSS, car elle a estimé que l'Etat souverain devait garder un rôle central dans les processus économiques.

On l'aura compris, disposer d'un Etat souverain plutôt que d'un Etat soumis à des instances supra-nationales est un sérieux atout pour un pays. Il reste à espérer qu'après les débâcles occidentales en Irak, Libye, Syrie, Iran, Mali, Afghanistan, en attendant la chute du prochain domino, l'Ukraine, les électeurs français sauront à l'avenir faire "le bon choix", pour reprendre une expression qui eut son heure de gloire.

 

Jean Luc

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A propos de l'Ukraine.

 

1991, l'ensemble du bloc communiste dirigé par le Kremlin s'effondre. La conséquence immédiate en est la dissolution du pacte de Varsovie, ce qui aurait pu voire dû avoir pour effet la dissolution de l’OTAN, laquelle avait été créée pour faire face au pacte de Varsovie. De telle sorte qu'une intégration économique de l'ensemble européen aurait pu suivre. Une telle évolution ne s'est pas réalisée, bien que les élites tant celles de Russie que celles de la Communauté des Etats Indépendants, regroupant d'abord 3 pays de l'ex-URSS (Russie, Belarus, Ukraine), puis 15 d'entre eux, aient manifesté leur désir de coopérer avec l'Occident. Toutefois, en 1994, a été signé un Accord de partenariat et de coopération entre l'UE et la Russie. Cet accord, pour être viable, aurait dû être complété par un accord d'association avec l'Ukraine (proposé par Chevènement à l'époque), car l'économie ukrainienne était alors très imbriquée avec celle de la Russie, mais cela n'a pas été fait. Il faut noter que l'Etat ukrainien, en tant que tel, n'avait existé que de 1917 à 1920.

D'ailleurs cet accord a rapidement été contré par les USA, qui redoutait et redoute toujours l'émergence d'une zone économique qui pourrait la concurrencer. Bien que l'URSS eut rendu les armes sans combattre, les USA voulurent se considérer comme victorieux contre une URSS qui avait cessé d'exister, mais qui avait été  jusqu'alors l'ennemi principal dans le conflit de faible intensité nommé "guerre froide". Ils ont voulu, bien qu'ils s'en soient initialement défendus (1), un élargissement vers l'est des structures militaires atlantistes héritées de la période passée, car en réalité cela leur permettait de consolider leur domination sur l'Europe. Dès cette époque, des voix US avaient demandé que l'Ukraine soit définitivement séparée de la Russie, afin d'empêcher celle-ci de redevenir une grande puissance (cf analyses de Zbigniew Brzezinski, conseiller de la Maison Blanche). L'Allemagne, quant à elle, joua un jeu trouble, espérant, dans le sillage de Washington, reprendre son ascendant sur la Mitteleuropa. Ce projet fut facilité par le fait que l'ancienne RDA avait noué de solides liens économiques avec les anciens "pays frères".  

 

En 1997, le projet d’élargissement de l’OTAN vers l’est est acté alors que les responsables occidentaux avaient promis à M. Mikhaïl Gorbatchev qu’il n’en serait rien. Mais la promesse ne fut que verbale. Verba volent, scriptura manent, disaient déjà les Romains. Pourtant, aux États-Unis même, des personnalités de premier plan firent part de leur désaccord concernant une telle évolution. George Kennan, considéré comme l’architecte de la politique d’endiguement de l’URSS, prédit les conséquences aussi logiques que néfastes d’une telle décision : « L’élargissement de l’OTAN serait la plus fatale erreur de la politique américaine depuis la fin de la guerre froide. On peut s’attendre à ce que cette décision attise les tendances nationalistes, antioccidentales et militaristes de l’opinion publique russe ; qu’elle relance une atmosphère de guerre froide dans les relations Est-Ouest et oriente la politique étrangère russe dans une direction qui ne correspondra vraiment pas à nos souhaits (NYT 05.02.1997)". Il ne sera pas entendu par les élites de Washington.

 

En 1999, l’OTAN fête son cinquantième anniversaire. Après le champagne, on en profita pour réaliser un premier élargissement à l’est (Hongrie, Pologne et République tchèque). Dans la foulée, est annoncé la poursuite du processus (pays baltes). Durant la même année, l’Alliance atlantique, sur la base de mensonges (2), entre en guerre contre la Yougoslavie, guerre menée sans l'aval des Nations Unies, et donc, en violation du droit international.

De facto, l'Otan cesse d'être une organisation purement défensive, ce que proclame ses statuts, et se transforme en alliance offensive, le tout en violation du droit international. La Russie, ne pouvant utiliser son droit de veto à l'ONU, se sent trahie par l'Occident.

 

V. Poutine arrive aux affaires l'année suivante. L'ancien agent du KGB estime lui aussi qu'en 1991 une page a définitivement été tournée et cherche à se rapprocher de l'Occident (3). Après les attentats du 11.09.2001, il accepte la création de bases US en Asie Centrale, fait fermer les bases datant de l'URSS à Cuba et retirer les soldats russes présents au Kosovo. En contrepartie, il demande aux Occidentaux la reconnaissance de l'espace post-soviétique comme relevant de sa sphère de contrôle (il s'agit de l'étranger proche, selon la terminologie du Kremlin). Quoiqu'en décembre 2001, les USA se retirent unilatéralement du traité Anti-Balistic-Missiles, signé en 1972 avec l'URSS, les relations est-ouest restent bonnes. Tout change en 2003, lorsque l'invasion de l'Irak par les USA, une nouvelle fois sans l'aval de l'ONU, est dénoncée par la France, l'Allemagne et la Russie comme relevant d'une violation du droit international. Il eut été possible, à cette époque, de commencer la réalisation d'une Europe gaullienne, de l'Atlantique à l'Oural, mais les dirigeants européens n'ont pas été à la hauteur. Washington, par contre, a promptement réagi à l'affront, restant dans l'idée qu'une Europe unie et indépendante mettrait un terme à l'hégémonie US sur le vieux continent. Pour accroître la vassalisation de l'Europe, Washington pousse à l'installation d'un bouclier anti-missile dans l'est de l'Europe, contrevenant ainsi à l'Acte Fondateur sur les Relations, Coopération et Sécurité entre l'Otan et la Russie, signé à Paris le 27 mai 1997 (4). Le prétexte en est une très hypothétique menace iranienne !

En mars 2004, six pays de l'ancien pacte de Varsovie adhèrent à l'OTAN, le Kremlin fait part de sa préoccupation 3 ans plus tard, en 2007.

En avril 2008, Washington exerce à nouveau une forte pression sur ceux qui sont abusivement appelés les alliés européens, pour entériner la vocation, selon eux, de la Géorgie et de l'Ukraine d'intégrer l'OTAN. De plus, les USA exigent que soit reconnue la création d'un Etat kosovar indépendant, ce qui constitue une nouvelle violation du droit international, le Kosovo étant juridiquement une province serbe.

Face à cet interventionnisme occidental, la Russie intervient militairement en Géorgie en 2008, violant ainsi à son tour le droit international. Y fait suite l'indépendance reconnue par Moscou de 2 régions géorgiennes, l'Abkhazie et l'Ossétie du sud. Le Kremlin signale, dans la foulée, à l'Occident, qu'il s'opposera, au besoin militairement, à tout nouvel élargissement de l'Otan vers l'est. Quelques années plus tard apparaissent les troubles en Ukraine: Viktor Ianoukovitch y avait été élu président en 2010, selon des modalités reconnues comme répondant aux standards démocratiques. Mais il est renversé en février 2014 par des émeutiers soutenus par Washington, comme l'a reconnu la responsable de l'Ukraine pour le département d'Etat, Victoria Nuland, célèbre pour son mémorable "Fuck the UE"(E). A noter que l'extrême-droite ukrainienne (Praviy Sektor et Svoboda) jouit d'une grande considération dans les milieux atlantistes. 

Moscou riposte à ce qu'il considère comme un coup d'Etat par l'annexion de la Crimée. Un referundum y est organisé mais son résultat n'est pas reconnu par la communauté internationale. La Crimée, russe depuis 1792, avait été intégrée à l'Ukraine en 1954, toutefois elle y bénéficiait d'un régime d'autonomie interne. Par cette opération, le Kremlin voulait avant toute chose empêcher que l'important port de Sébastopol ne tombe entre les mains de l'OTAN (la Russie avait signé un bail avec l'Ukraine permettant l'exploitation du port par sa marine jusqu'en 2042, mais elle n'avait plus confiance dans la signature ukrainienne). Parallèlement à cela, la Russie soutient les revendications indépendantistes d'une région orientale de l'Ukraine, laquelle est russophone, à savoir le Donbass. En septembre 2014 est signé l'accord de Minsk I (France, Allemagne, Ukraine, Russie), accordant une autonomie de facto au Donbass qui reste ukrainien. Mais cet accord n'est pas appliqué par Kiev, qui craint que cela ne débouche sur une ingérence russe dans le Donbass. Paris et Berlin restent passifs face à cette situation. Une nouvelle rencontre a lieu entre les 4 signataires, ce qui aboutit aux accords de Minsk II (février 2015). Ceux-ci n'auront pas plus de succès que Minsk I, Kiev refusant une nouvelle fois son application. A nouveau, Paris et Berlin laissent faire. Pour le Kremlin, cette situation indique que les deux capitales ouest-européennes signataires sont aux ordres de Washington et en déduit qu'il faut dorénavant négocier directement avec les USA. Mais ceux-ci n'ont qu'une obsession: bouter la Russie hors d'Europe. La tension monte d'un cran lorsqu'en février 2019, les USA se retirent unilatéralement du Traité sur les forces nucléaires intermédiaires, signé en 1987 entre Reagan et Gorbatchev. Les Européens, comme à l'accoutumée, ne réagissent pas, alors que des armes nucléaires US sont stockées en Allemagne et en Italie. Plus stupéfiant encore est, lors de la rencontre Biden-Poutine en juin 2021 aboutissant à une prolongation pour 5 ans du traité sur la réduction des armes nucléaires dit "New Start", le silence, voire l'hostilité de certains Etats européens, concernant cette rencontre dont le résultat les concernait tout particulièrement. 

 

Le suivisme des Européens à l'égard de l'erratique politique US est consternant (affaire des Mistral en 2015), et ce, alors même que sur le plan économique, la première victime des tensions USA-Russie est l'Europe. Ses dirigeants n'ont pas compris, ou ne veulent pas comprendre, que ce que redoute les USA, est une union européenne indépendante, qui cesserait d'être sous l'influence US. La Russie mène une politique nationale, alors que les USA sont une puissance impériale qui n'a pas d'alliés mais que des vassaux. Ils feront donc tout ce qu'il leur est possible de faire pour attiser le conflit avec la Russie, dans le seul but de neutraliser l'Europe et de l'amarrer à leur "destinée manifeste". Cela se traduit par ce qu'un auteur, Robert Kurz, a nommé la "démocratie balistique". Cette tendance trouve en Europe un appui solide grâce à l'action des politiciens atlantistes, déblatérant à longueur de journée sur les droits de l'homme et jamais sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, droit pourtant affirmé dans la Charte des Nations Unies de 1945. En réalité, Washington a compris que les Européens avaient une mentalité que l'on pourrait qualifier de munichoise et les traite comme tels ( retrait non concerté d'Afghanistan- éviction de la France, sans contrepartie pour ses contrats annulés, de la nouvelle alliance militaire dans le Pacifique entre USA, GB et Australie, sanctions contre la Russie dont seule l'Europe pâtit mais pas les USA, chantage à l'Allemagne concernant le gazoduc le Nord-Stream II). On notera que la Turquie, très désinvolte également dans son approche du droit international, ne fait l'objet d'aucune sanction de la part des Occidentaux.

 

Moscou a également compris le rôle de vassal dans lequel se complaisent les Européens (illustré très récemment par l'accueil glacial de Macron à Moscou). Le Kremlin, qui en conséquence, s'est résolu à négocier seul avec Washington, a décidé de placer la barre très haut: la demande russe porte sur le gel officiel de l'élargissement de l'OTAN à l'est, le retrait des troupes occidentales des pays de l'est de l'Europe et enfin, le rapatriement des armes nucléaires US déployées dans l'ouest de l'Europe.

 

L'arme principale de la Russie pour obtenir gain de cause n'est pas d'ordre militaire mais est l'arme monétaire. Une décorrélation du système bancaire russe du système SWIFT aurait pour conséquence la dédollarisation d'une partie non négligeable du monde (à terme l'ensemble des pays faisant partie du projet "Route de la soie"). Pour contrer cela, les USA gesticulent pour faire croire qu'ils sont prêts à aller jusqu'au conflit armé, mais qui se déroulerait sur le continent européen, loin de chez eux. L'Ukraine étant l'appât idéal. Pour l'instant, ils se contentent de glapir mais il est à peu près certain qu'ils n'iront pas au-delà. Ils n'oseront attaquer la Russie tandis que celle-ci gagnera la guerre des images, vraisemblablement en organisant le transfert des habitants du Donbass en Russie même. L'intégration n'y posera aucun problème, Moscou ayant déjà accueilli un million de migrants ukrainiens (à noter que le PIB annuel/habitant est de 10126 $ en Russie, contre 3726 $ dans l'Ukraine occidentalisée). 

On peut considérer que c'est également l'Allemagne qui détient une partie de la solution, du fait des tensions autour du gazoduc Nord Stream II. Washington veut stopper le projet, entre autre raison, pour vendre son propre gaz de schiste. Berlin ferait bien de se poser la question de la raison d'être, sur le sol allemand, de 40 000 militaires US. Une alliance germano-russe permettrait certainement à l'Allemagne de se débarrasser de cette encombrante présence et de bénéficier du gaz russe, bien moins cher et moins polluant que le gaz US. Peut-être, rêvons un peu, que la France disposera en mai prochain d'un président plus soucieux des intérêts français et européens que des intérêts US et soutiendra d'une main ferme une éventuelle politique d'émancipation de l'Allemagne. La Hongrie d'Orban montre la voie; déjà cliente de la Russie, son président ne se laisse intimider par personne, c'est la raison principale pour laquelle il est stigmatisé comme étant d'extrême-droite par les bien-pensants. La Croatie et la Macédoine du Nord ont apporté leur soutien à Moscou. C'est peu mais c'est un début. Cela peut valider la stratégie du Kremlin qui est de faire se fissurer l'OTAN pour, à terme, la faire disparaître. Ce qui permettra à l'Ukraine, berceau de la civilisation russe, d'avoir enfin des relations harmonieuses avec son voisin, comme avec l'ensemble de l'Europe d'ailleurs. Ce n'est qu'à cette condition que pourra être réalisé le projet de "maison commune" européenne, cher à Gorbatchev. 

Pour l'heure, néanmoins, prudence. Les USA, depuis 2001, ont démontré leur inefficacité sur les différents champs de bataille. Mais de cela, l'upper-class mondialisée s'en moque bien. Pour ces parasites, ce qui importe est que soit pérennisé le démentiel budget du Pentagone (16 fois le budget militaire de la Russie), permettant de s'assurer de juteuses plus-values boursières grâce aux sociétés d'armement et clé de voute de l'impérialisme US. 

Jean Luc

  

(1) https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/DESCAMPS/59053

(2) https://www.monde-diplomatique.fr/2019/04/HALIMI/59723 

(3) https://www.monde-diplomatique.fr/2018/09/RICHARD/59048 

(4) https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_25468.htm 

(5) https://www.bbc.com/news/world-europe-26079957 

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Suivi de la tentative "philosophique" de Bernard

A propos de l’Ukraine

 

Un conflit, c’est d’abord l’affrontement de désirs et de volontés différentes. L’origine peut en être une cause lisible : divergence d'opinion, de comportement, la recherche d'appropriation, des raisons de droits, la peur de l'inconnu, des intérêts opposés, intellectuels ou religieux, des questions de valeurs ou de croyances, etc…

Toutes ces causes peuvent être « listées », ainsi que leurs conséquences, qui, elles-mêmes deviennent cause de nouveaux conflits…...

Mais nous en sommes spectateurs et témoins: mais comprendre comment  les faits se produisent, à partir de causes internes aux faits, ne nous avance pas à grand-chose à propos des actions possibles à mener. Or, si, par exemple, les prisons, la folie, la médecine, la sexualité ont changés  « dans les faits », c’est en grande partie grâce à ceux qui ont étudié, dénoncé, les structures et les systèmes, extérieurs aux faits, qui permettent qu’ils se produisent. C’est sur ces structures que l’on peut intervenir. Et c’est pourquoi : la philosophie !

 

Parce que, « par-delà », ces motifs d’affrontement, ce qui permet leur émergence comporte surtout des dimensions « métaphysiques » - symboliques, mémorielles, identitaires, religieuses, situées donc en dehors de l’objet même du conflit. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas en faire l'économie.

Le conflit, qui nous occupe aujourd’hui, semble ne porter que sur des territoires, (voire leur impact économique), or ce sont ses dimensions métaphysiques qui l’emportent sur le reste.

 

L’approche philosophique, se doit de s'interroger sur ce qui, dans ce conflit, excède le conflit.

 

Le monde d’aujourd’hui ne se divise plus en deux blocs antagonistes, ceux de la guerre froide, mais en plusieurs sphères d’influences idéologiques, qui sont fondées en grande partie sur l’existence passée d’empires idéalisés, voire quasi mythiques, ce qui engendre des conflits territoriaux. Tous oublient que les empires, dans l’histoire, ont subi des transformations, des modifications de leur composition et de leur « sphère d’influence ».Même l’idéologie qui les sous-tendait, évoluait dans le temps. Celle des Tsars, n’était pas la même que celle de l’URSS, mais elles se confondent curieusement dans un désir de permanence territoriale et de « valeurs de la nation », qui ne correspondent et n’ont jamais correspondu à une réalité.

 

Ce qui importe peu, car toute idéologie se présente comme ayant un « être » intemporel propre, qui correspondrait à un condensé idéal des intérêts et des aspirations d’un groupe social déterminé ».

C’est cet être, qui, par interprétation de Spinoza explique et justifie toutes les actions du groupe social concerné, sans que soit tenu compte de tout accord et de toute morale. (Selon Spinoza, le désir fait partie de l’être lui-même car « toute chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être » (théorie du conatus, « effort »), parce qu’il est la force qui nous constitue, qui nous anime, notre être même, considéré dans « sa puissance d'agir ou sa force d'exister »). Ce qui permet de considérer toute condamnation, comme injustifiée.

 

Toute idéologie, imagine et fabrique des symboles: emblèmes, drapeaux, personnages mythiques ou non, épopées, histoires etc…. pour  en faire usage à travers un "système symbolique" qui se manifeste par des séries de symboles, qui s’associent, se combinent afin de donner un sens voulu, à des évènements, des situations, des actions, des transformations, des mouvements, des idées, etc.... qui, alors, représentent quelque chose d'autre que ce qu'ils montrent.

Ce qui permet de désigner de manière opérative, une appartenance, une croyance, une origine, un lien logique ou causal et ainsi de mobiliser une population par des générateurs de conflits, d'obscurités, d'insécurités, qui désignent, nomment, et classent les êtres, les intentions  et les situations, dans un système symbolique commun puissant. Puissance dangereuse, qui peut être utilisée agressivement, informer ou tromper : Poutine déploie des troupes de « protection » d’une population !

 

Selon Bourdieu, le système symbolique crée un «pouvoir symbolique », qui a une importance particulière dans les systèmes de domination, car il participe à l'instauration d'une violence symbolique et d'une hiérarchisation tacite des positions et rapports sociaux.

Dans le cas qui nous occupe, il renvoie à des notions comme « peuple » ou « nation », des constructions qui permettent à la violence effective de s’accomplir, à l’encontre de territoires, désignés comme hiérarchiquement inférieurs dans la « sphères d’influence »à laquelle ils sont censés unilatéralement appartenir,  et dont la correspondance possible à d’autres sphères est contestée.

C’est à ce pouvoir symbolique que s’oppose Poutine en refusant que l’Ukraine rejoigne l’Otan.

 

Ce pouvoir symbolique est définit par Bourdieu, comme « un pouvoir qui est en mesure de se faire reconnaître, au niveau économique, politique, culturel ou autre, tout en parvenant à se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de violence et d’arbitraire. Il vit de sa non-reconnaissance comme pouvoir. Dans le cas contraire, s'il est mis à jour, il perd toute sa capacité dominatrice.

C’est le risque (le pari ?), que prend (ou ne prend pas ?), Poutine, et c’est là tout le problème de la situation actuelle en Ukraine.

La position de Poutine  est « Machiavélique » car il manifeste à la fois une volonté de reconnaissance, en pariant sur le retour à la force physique, et se dissimule en tant que pouvoir, puisque, dans un premier temps, ce sont des « républiques indépendantes », qu’il reconnait, qui l’exerceront..

En même temps, émule de « Machiavel, qui montre, dans « le Prince » qu’avoir l’air d’avoir du pouvoir c’est déjà avoir du pouvoir, il soigne son image et sa réputation autant que ses armées, et prend l’apparence de l’homme puissant pour le devenir, en cherchant par la guerre à agrandir son domaine d’influence.

« Pour le Prince, la vérité n’a aucune valeur : il doit savoir la dissimuler, où là révéler, où là transformer, en fonction des circonstances. Ce réalisme politique tranche avec l’idéalisme des amoureux du bien commun ou du sens de l’histoire. » (Selon un écrit de Charles Pépin).

 

Cet « idéalisme des amoureux du bien commun ou du sens de l’histoire », prenait, pour nous, la forme de la démocratie, qui, selon Claude Lefort, « s'institue et se maintient dans la dissolution des repères de la certitude ». Elle inaugure une histoire dans laquelle les hommes font l'expérience d'une indétermination dernière quant aux fondements du Pouvoir, de la Loi et du Savoir dans tous les registres de la vie sociale

Ce  « seul régime qui assume la division », en étant gage de la liberté, dans l’indétermination et par une situation conflictuelle constructive, est insupportable à toute idéologie. La caractéristique de l’idéologie étant qu’elle ne veut pas que dominer mais qu'elle veut surtout modeler la société et les individus

 

Or, sommairement, s’opposent aujourd’hui, les sphères d’influence de l’Europe, de la Russie, de l’Asie  de l’ouest et de la Turquie, de la Chine et des Etats Unis, qui semblaient figées territorialement, alors qu’il ne s’agissait que d’une construction illusoire, d’un  équilibre instable, les symboliques qui les constituaient étant totalement différentes.

 

D’autant, selon François Heisbourg, qu’au cours des trois dernières décennies, nous avons vécu une période exceptionnellement peu guerrière. Bien sûr, ça ne veut pas dire nous étions absolument en paix, entre les guerres des Balkans, l’Irak, le 11-Septembre, al-Qaïda et Daech. Mais à l’échelle des temps historiques, c’était une relative embellie. Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase.

Le Pacte de Varsovie, l’Otan n’ont pas connu, sur leur sol, la guerre ouverte, traditionnelle et létale, mais une guerre froide, au cours de laquelle l’Union soviétique et les États-Unis partageaient quelques référentiels communs, dont les Nations unies étaient un élément central. Tout le jeu consistait à obliger l’autre à être celui qui franchirait le seuil, de la dissuasion nucléaire, celui du recours à la force en un holocauste nucléaire. Or ce système s’était déjà affaiblit, au profit d’un système d’alliances, sensé, jusqu’à peu, offrir une forme de stabilité internationale.

Certains pensaient même que la guerre froide avait été remplacée par une guerre informatique, donc non militaire : vol de données, interférence informatique dans la conduite d’élections, attaques informatiques contre des infrastructures stratégiques, des hôpitaux, etc… à la portée de toute personne pouvant lancer des attaques depuis un ordinateur ou un smartphone, comme des hackers de 15 ans, capables de semer un désordre inimaginable depuis leur garage.

 

Alors que nous sommes face à Poutine, qui remet en cause la légalité de l’acte de désagrégation d’un « empire historique slave », ainsi que la validité du droit européocentré arrogant de l’Occident, édicté par les « vainqueurs » de guerres militaires ou économiques. C’est pourquoi, il agit pour empêcher l’annexion de l’Ukraine par l’empire atlantiste. Il a le sentiment d’une volonté européenne de lui prendre les terres proches, notamment l’Ukraine, tout en allant à l’encontre des « valeurs traditionnelles » russes ou de son organisation sociale.

Comme doivent le ressentir la Chine et l’Inde, avec lesquels il négocie afin de construire un front eurasien, anti-occidental.

Donc Poutine considère que l’Ukraine, appartient à sa sphère d’influence et a besoin de la protection d’un État puissant, garantissant sa sécurité. Sa position s’inspire probablement d’une extrapolation de la théorie de Thomas Hobbes, selon laquelle, en dehors de toute protection, les états, comme les individus, se trouvent entre eux à l’état de nature, un « état de guerre” permanent, sans nécessité de déclaration des hostilités. Seule une force supérieure peut assurer – par la crainte qu’elle inspire – la paix.

 

Les discussions entre les états occidentaux et les « sphères d’influence » déclarées, sont déconnectées de ce qui motive l’action des dirigeants des états qui constituent ces sphères. Nos états occidentaux se focalisent sur des faits d’états de guerre », et non sur ce qui les motive.

Ils prennent des sanctions économiques qui ont des aussi conséquences à l’encontre de ceux qui les mettent en place, mais surtout sur les peuples visés et non sur leurs dirigeants responsables de la situation, qui ont prévu des moyens pour les contourner, quitte à faire souffrir leur peuple dont l’unité, le nationalisme, seront ainsi consolidés.

On dit bien que la guerre de 14/18 a pris fin en 1945 !

 

Les « occidentaux » pensent que l’effet mécanique de la guerre, est de fracasser une réalité unique et indivisible qu’ils ont construite, sur la base de « valeurs » qui ne sont que les leurs. Toutes les autres sont hostiles, et ennemies. La diabolisation des figures de proue ennemies, désignées soit comme celles de fous ou de personnes ayant "perdu contact avec la réalité", n’est, en fait, qu’un déni de ce qui fonde la réalité..

C’est d’ailleurs, toutes proportions gardées, ce qui s’est produit lors de notre débat !

 

Toute vision normative de la réalité engendre le conflit, puisqu’elle diverge avec celle de l’Autre. Nous estimons que notre type de démocratie, qui, en assumant des divisions, des oppositions nécessaires et donc « normales », soit le seul régime acceptable. C’est un conflit interne que nous jugeons fécond, parce qu’il permet une évolution, par la remise en cause permanente de certitudes.

Comme le disait Héraclite, « le combat (polémos) est de tous les êtres le père ». À rebours de la dialectique hégélienne, la solution n’est pas à chercher dans le dépassement du conflit, mais dans sa « permanence », son acceptation critique et réfléchie.

 

Il en résulte que la politique, ne peut fonctionner qu’à partir d’un couple opposé : l’ami et l’ennemi. La désignation d’un autre auquel on s’oppose, provoque une tension structurante, pour emmener le peuple dans une direction définie, pour le rassembler, lui permettre de se définir comme communauté,

Refuser le conflit, c’est ouvrir le domaine du flou et de la démesure, ce qui est bien plus dangereux (pour les dirigeants surtout !), que l’acceptation de l’inimitié et de l’adversité.

C’est alors, pour ceux qui engendrent le conflit, un stimulant, une interférence, une source de vie en commun, qui libère des conventions, des déterminismes internationaux et sociaux, et qui mène vers l’avenir, tout en l’occultant provisoirement. (Même si le conflit se charge également d'émotions telles que la colère, la frustration, la peur, la tristesse, la rancune, donc d'agressivité et de violence).

 

C‘est peut-être pour cela que la situation actuelle « arrange » tous les dirigeants, les médias et les commentateurs, qui restent au niveau brut des faits, plus bas que celui des pâquerettes ! Ce serait pratiquement leur « autosuffisance », par la mise en place d’une autosuffisance au sein de chaque « sphère d’influence », qui leur permettrait de dissimuler leurs idéologies sous l’image du combat contre l’idéologie.

En fait, nous sommes tous "idéologues", utilisateurs incompétents ou partiaux d'idées, avec la tendance à accuser autrui d'emploi malsaine d'idées inadmissibles, mais nous ne le sommes pas toujours à juste titre, et nous n’en sommes pas toujours, malheureusement, conscients.

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Retour vers les textes du café politique

Ukraine jean luc

Perspectives extra-européennes de la guerre en Ukraine

 

Commençons par un bref rappel historique. Le 8-12-1991, l'URSS cesse officiellement d'exister. L'Ukraine, ancienne république socialiste soviétique, acquiert le statut d'Etat indépendant. Le 5-12-1994, est signé à Budapest, par l'Ukraine, la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, les USA et la GB, un Mémorandum sur les garanties de sécurité des anciennes républiques soviétiques et la non-prolifération des armes nucléaires. L'Ukraine abandonne son arsenal d'armes de ce type et les remet à la Russie; en échange, son intégrité territoriale est garantie par ce dernier pays, ainsi que par les USA et la GB. Il y a donc eu une reconnaissance internationale et par conséquent russe des frontières de l'Ukraine, telles qu'elles furent établies en 1991.

Au sein de ce pays qui, auparavant n'avait connu l'indépendance que de 1917 à 1920, de vives tensions apparaissent entre une partie occidentale, désirant se rapprocher de Bruxelles, et une part orientale, voulant conserver des liens privilégiés avec la Russie. En 1998, est créé la Rada (parlement) de Crimée; cette région russophone à l'exception des Tatars, bénéficia ensuite, au sein de l'Ukraine, d'un régime d'autonomie interne. En 2004, l'élection présidentielle voit la victoire du candidat pro-russe, mais celle-ci est contestée par des manifestations de rue. Le scrutin est annulé par la Cour suprême du pays et une nouvelle élection est organisée à la fin de l'année. Elle voit la victoire du candidat pro-occidental.

 

Dès cette époque, les USA suivent de très près ce qui se passe dans le pays. L'influent géopoliticien US Z. Brzezinski écrit, dans son ouvrage, intitulé le vrai choix: « L’extension de l’orbite euro-atlantique rend impérative l’inclusion des nouveaux Etats indépendants ex-soviétiques, et en particulier l’Ukraine". (https://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/CHAUVIER/11836)

A Kiev, le 21 février 2004, faisant miroiter les perspectives d’adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN, la secrétaire d'Etat Mme Albright annonce que «le sauvetage de la démocratie en Ukraine doit faire partie du même agenda que sa promotion au Proche-Orient». De sorte, assure-t-elle, qu'en cas d’élections frauduleuses, non seulement l’Ukraine serait sanctionnée, mais ses dirigeants seraient privés «de leurs propres comptes bancaires et de privilèges de visa». Les médias occidentaux se mobilisèrent pour cette cause, louable si toutefois l'on s'en tient à cela, tout en restant discrets sur le rôle d’encadrement de la vie politique ukrainienne par un vaste réseau d’institutions et de fondations américaines.

Mais, au sein du pays, la fracture est-ouest demeure et en 2010, l'élection présidentielle voit la victoire du candidat favorable à un rapprochement avec Moscou (V. Ianoukovytch). En novembre 2013, celui-ci décide de ne pas signer un accord d'association avec l'Union européenne préalablement négocié et relance un "dialogue actif" avec Moscou. Ce revirement inattendu entraîne d'importantes manifestations à Kiev (occupation de la place Maïdan), suivies de contre-manifestations dans le sud et l'est du pays (régions désormais désignées sous le vocable de "Novorossiya" par ceux qui n'hésitent plus à s'affirmer comme sécessionnistes). La situation dégénère en affrontements armés dans les oblasts (régions administratives) russophones de Donetzk et de Louhansk, lesquelles s'érigent en "républiques populaires" (Elles avaient été rattachées à l'Ukraine lors de la création de la République Soviétique Socialiste d'Ukraine en 1919). La Rada de Crimée proclame l'indépendance de cette région le 11-03-2014. Un referendum fait suite le 16-03, à la suite duquel la Crimée est rattachée à la Russie. Les résultats de cette consultation ne seront évidemment reconnus ni par l'Ukraine, ni par l'Occident puisqu'ils contreviennent au Mémorandum signé à Budapest en 1994. En Ukraine même, le pro-occidental P. Porochenko est élu président. En septembre 2014 est signé le protocole de Minsk, suivi en février 2015, des accords de Minsk, paraphés par L'Ukraine, la Russie, l'Allemagne ainsi que par la France. Un cessez-le-feu est décidé concernant les 2 oblasts formant ce qui est connu sous le nom de Donbass et une réforme constitutionnelle en Ukraine aurait à accorder un régime d'autonomie interne au Donbass. Enfin l'usage de la langue russe y serait officiellement reconnu. Cet accord, conclu sous l'égide de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe), ne sera jamais appliqué et les violences ne cessèrent pas (les estimations varient entre 13 000 et 22 000 morts au Donbass entre 2014 et 2022). Le président russe, V. Poutine, prend finalement prétexte de cela pour reconnaître officiellement les 2 républiques sécessionnistes, le 21.02.2022, et lancer une "opération militaire spéciale" sur le territoire ukrainien, 2 jours plus tard.

 

Les 2 et 24 mars 2022, deux votes de l'Assemblée générale de l'ONU condamnent, par une majorité de 140 pays sur 193, l'intervention militaire de la Russie. Toutefois, seuls les Etats-membres de l'OTAN, le Japon et l'Australie, pays occidentalisés, fournissent par la suite une assistance militaire à l'Ukraine et adoptent des sanctions économiques contre la Russie. On note l'absence de soutien à la résolution de l'ONU de la part de Sénégal, qui préside actuellement l'Organisation de l'Unité africaine, organisation qui, suite à l'éviction de la France du continent africain, est désormais préservée des ingérences occidentales. Et qui, de fait, ne considère pas comme illégitime la coopération avec d'autres Etats souverains, comme par exemple la Russie (https://www.youtube.com/watch?v=gQzVnxQ9o_s), notamment à partir de la 37e minute.

 

Dans ce qui est très rapidement devenu une véritable guerre opposant deux Etats, quel est l'enjeu? Est-elle l'épicentre d'un affrontement planétaire entre «démocratie et autocratie», comme le proclame à l'envi le président US Joseph Biden, thème répété encore et encore par les commentateurs et les politiciens occidentaux? Ou permet-elle enfin à l'Occident de manifester ouvertement son irritation et de régler son compte à un pays de culture européenne, si docile envers le monde anglo-saxon durant la première décennie de son histoire post-soviétique, mais si indocile ensuite et devant être puni pour cela? Pourtant, l'Ukraine peut difficilement être considérée comme un parangon de vertu démocratique alors qu'au classement mondial de la liberté de la presse, le rapport de Reporters sans frontières 2021 la classe au 97e rang. Quant à la corruption, l'ONG Transparency International, classe en 2021 l'Ukraine 122e sur 180 pays étudiés. C'est certes mieux que la Russie (136e), mais on est loin des standards de l'UE. On notera que selon le think tank californien Oakland Institute, qui s'est spécialisé dans l'étude des multinationales agricoles, le premier détenteur de terres agricoles en Ukraine est Kernel, propriété d’un citoyen ukrainien mais déclarée au Luxembourg, avec environ 570 500 hectares ; suivi par UkrLandFarming (570 000 hectares) liée aux fonds d'investissements US Blackrock et Vanguard, la société d’investissement privée états-unienne NCH Capital (430 000 hectares), MHP (370 000 hectares), et Astarta (250 000 hectares). Les autres principaux acteurs comprennent le conglomérat saoudien Continental Farmers Group avec 195 000 hectares (Saudi Agricultural and Livestock Investment Company, société appartenant au fonds souverain d’investissement d’Arabie saoudite, en est l’actionnaire majoritaire), et la société agricole française AgroGénération avec 120 000 hectares. On comprend ainsi mieux la sollicitude occidentale envers l'Ukraine, peut-être la victime d'un autocrate, mais surtout une source d'enrichissement pour de grands fonds d'investissement grâce à l'exploitation du "tchernozium", la fameuse terre noire d'Ukraine.

 

Les USA, si vertueux en théorie, n'ont du reste jamais ménagé leur soutien à nombre de dictatures durant la Guerre Froide, au nom de la lutte contre le communisme, puis, faisant fi du droit international, se sont lancés par la suite dans plusieurs aventures militaires au nom de la lutte contre le terrorisme dit islamiste, quitte à soutenir des Etats qui instrumentalisent ce terrorisme (en particulier les pétro-monarchies du Golfe). La France, en bonne suiviste de l'ordre anglo-saxon, a fait mine de combattre le terrorisme dans le Sahel tout en l'ayant soutenu peu ou prou en Syrie.

 

La vision simpliste et manichéenne développée du président US n'a pas rencontré l'assentiment du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, M. Ghebreyesus, qui regrette que le choryphée cherchant à imposer l'ordre néolibéral à la planète entière, n'accorde pas une importance égale à chaque être humain. L'indignation de M. Biden en particulier, et des dirigeants occidentaux en général, est en effet très sélective. Les malheurs des Ukrainiens suscitent de la compassion et de la solidarité; sur les chaînes d'info continues, les éditions spéciales traitant de ce sujet succèdent aux éditions spéciales. Et pourtant, il y a, à l'heure actuelle, un vingtaine de conflits à travers le monde, dont celui mené par l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis contre le Yémen (400 000 morts à ce jour), où par ailleurs excellent les armes françaises, les russes d'ailleurs également, sans que personne n'y trouve à redire.

Le vice-président du think tank Quincy Institute for Responsable Statecraft souligne, de retour du Forum de Doha (26-27 mars 2022), où se sont côtoyés plus de deux mille responsables politiques, journalistes et intellectuels venus des cinq continents, que les pays du Sud «compatissent à la détresse du peuple ukrainien et considèrent la Russie comme l’agresseur. Mais les exigences de l’Occident, qui leur demande de faire des sacrifices coûteux en coupant leurs liens économiques avec la Russie sous prétexte de maintenir un “ordre fondé sur le droit”, ont suscité une réaction allergique, car l’ordre invoqué a permis jusque-là aux États-Unis de violer le droit international en toute impunité ».

 

Le positionnement de la théocratie saoudienne, un allié privilégié de l'Occident, est tout-à-fait singulier. Ryad refuse de s’enrôler dans la campagne antirusse et appelle à des négociations entre les deux parties sur la crise ukrainienne. Pourquoi une telle modération? Rappelons qu'en 2016, a été créé l’OPEP +, qui associe Moscou aux négociations sur le niveau de production de pétrole. Cette coordination a été fructueuse pour les 2 parties, Ryad la considérant même comme « stratégique ». De fait, la monarchie a récemment refusé d'augmenter ses exportations de pétrole suite à une demande occidentale et ce, bien que M. Biden se fût auparavant contenté d'une simple condamnation verbale de la guerre au Yémen et que l'affaire Khashoggi ait été définitivement enterrée. Cette posture américaine, couplée à la politique erratique menée contre l'Iran et le piteux retrait d'Afghanistan, a fini par faire perdre toute crédibilité aux USA sur la scène proche-orientale. Dès lors, l'Arabie Saoudite peut s'offrir le luxe d'être opportuniste, de profiter de la hausse des cours du brut engendrée par les sanctions occidentales contre la Russie sans craindre les foudres US. De plus, les observateurs ont noté la participation au mois d’août 2021 du vice-ministre de la défense saoudien au Salon des armements à Moscou et la signature d’un accord de coopération militaire entre les deux pays, laquelle se complète d'une coopération pour le développement du nucléaire civil. Plus largement, la Russie est devenue un interlocuteur incontournable dans toutes les crises régionales du Moyen-Orient, étant la seule puissance à entretenir des relations suivies avec l’ensemble des acteurs, même quand ils sont en froid, voire en guerre les uns avec les autres: ainsi la Russie a-t-elle des relations avec l'Iran et Israël, la Turquie et les groupes kurdes, la Syrie et l'Irak, 2 pays qui ont été aux prises avec Daech, apparu curieusement après les interventions militaires US.

La presse saoudienne est devenue très critique vis-à-vis des États-Unis. Comme l’écrit l’influent quotidien Al-Riyadh : « L’ancien ordre mondial qui a émergé après la seconde guerre mondiale était bipolaire, puis il est devenu unipolaire après l’effondrement de l’Union soviétique. On assiste aujourd’hui à l’amorce d’une mutation vers un système multipolaire. » Et, visant les Occidentaux, il ajoute : « La position de certains pays sur cette guerre (l'actuel conflit ukrainien) ne cherche pas à défendre les principes de liberté et de démocratie, mais leurs intérêts liés au maintien de l’ordre mondial existant». (https://www.monde-diplomatique.fr/2022/05/GRESH/64659).

 

Une telle analyse est largement reprise au Proche-Orient. Il est considéré par le plus grand nombre, que la Russie ne porte pas seule la responsabilité de la guerre, celle-ci étant avant tout un affrontement entre grandes puissances pour l’hégémonie mondiale dont l’enjeu n’est en rien le respect du droit international mais la maitrise des flux énergétiques (affaire North-Stream II), le maintien du $ comme monnaie de réserve servant au commerce mondial ainsi que de l'extraterritorialité du droit US dans les affaires commerciales. Écrivant dans le quotidien officieux du gouvernement égyptien, lui aussi allié aux États-Unis, Al-Ahram, un éditorialiste évoque « une confrontation entre les États-Unis et les pays occidentaux d’une part, et les pays qui rejettent leur hégémonie d’autre part. Les États-Unis cherchent à redessiner l’ordre mondial après s’être rendu compte que, dans sa forme actuelle, il sert de moins en moins leurs intérêts, mais renforce plutôt la Chine à leurs dépens. Ils sont terrifiés par la fin imminente de leur domination sur le monde, et ils sont conscients que le conflit actuel en Ukraine est la dernière chance de préserver cette position".

 

En outre, les médias arabes dénoncent le double langage des Occidentaux. Ils aiment déblatérer sur la démocratie, les libertés, les crimes de guerre, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais leur maître US a, avec leur complicité, bombardé la Serbie et la Libye, envahi l’Afghanistan et l’Irak, voire soutenu le terrorisme en Syrie. Sont-ils ainsi les mieux qualifiés pour se réclamer du droit international ? N’ont-ils pas utilisé des armes à sous-munitions, des bombes au phosphore, des projectiles à uranium appauvri et même des armes chimiques à Falloujah en Irak ? Les crimes innombrables de l’armée américaine en Afghanistan et en Irak ont été largement documentés mais ils n'ont jamais abouti à la moindre inculpation.

 

La Palestine, occupée totalement depuis des décennies alors que l’Ukraine ne l’est que partiellement depuis quelques semaines, reste une plaie vive en méditerranée orientale. Mais elle ne suscite aucune solidarité des gouvernements occidentaux, qui continuent à offrir un blanc-seing à Israël. « Il n’est pas inutile de rappeler, note un journaliste, les chants scandés lors des manifestations, les déclarations pleines de rage qui, au fil des années et des décennies, ont imploré sans résultat à aider le peuple palestinien bombardé à Gaza ou vivant sous la menace d’incursions, de meurtres, d’assassinats, de saisies de terres et de démolitions de maisons en Cisjordanie, une zone que toutes les résolutions internationales considèrent comme des territoires occupés ». La prestation du président V. Zelensky devant la Knesset, dressant un parallèle entre la situation de son pays et celle d’Israël « menacé de destruction », a été commenté très défavorablement dans les capitales arabes. Il n'a d'ailleurs pas obtenu le soutien qu'il attendait de Tel-Aviv, l'Etat hébreu, voulant conserver de bonnes relations avec Moscou, se méfie instinctivement des déclarations extrémistes. Ni les Emirats arabes unis, ni l'Egypte, ni même le très pro-occidental Maroc n'ont voté de sanctions à l'encontre de la Russie. L'Algérie reste le partenaire principal de la Russie en Méditerranée occidentale et compte d'avantage profiter de la hause du prix du gaz que d'en augmenter les exportations vers l'Europe pour remplacer les exportations russes. Dans un contexte de tension avec le voisin marocain, les autorités algériennes n’entendent pas s’aliéner la Russie, qui est leur principal fournisseur d’armement. Cette prévention d’ordre géopolitique vaut aussi pour l’Égypte, puissance gazière en développement (elle figure au seizième rang mondial avec 2 000 milliards de mètres cubes de réserves), mais qui dépend à 90 % de la Russie mais aussi de l’Ukraine pour ses importations de céréales.

D'une manière générale, en Afrique, l'image de la Russie est positive, elle reste perçue comme étant l'héritière de l'URSS, laquelle avait soutenu les mouvements de décolonisation. Des liens forts, autant économiques que militaires ont été établis entre la Russie et l'Algérie, mais aussi la Mauritanie, l'Ethiopie, Madagascar, l'Egypte et, depuis l'éviction des Français, le Mali et la Centrafrique.

 

Quant à la Libye, pays coupé en deux avec une faction soutenue militairement par la Russie, ses champs pétrolifères sont régulièrement à l’arrêt en raison de combats ou de grèves, et l’absence de toute solution politique à la guerre civile empêche une normalisation du secteur. L'Europe ne peut compter sur ce pays pour son approvisionnement en gaz et hydrocarbures. Enfin, la situation géographique éloignée d’autres producteurs comme le Nigeria ou l’Angola, doublée d’une vétusté plus ou moins importante de leurs installations, les empêche de figurer au rang de remplaçants fiables de la Russie.

L’accord avec l’Iran sur le nucléaire en échange de la levée des sanctions décrétées unilatéralement par les USA, pourrait permettre à Téhéran d’exporter plus de brut et de gaz naturel, mais la République islamique ne veut évidemment pas être en contradiction avec son partenaire russe avec qui elle intervient militairement en Syrie. De son côté, Moscou suspend son acceptation de cet accord à la garantie que ses relations commerciales avec Téhéran ne seront pas affectées par les sanctions occidentales à son encontre. De quoi pousser les Occidentaux, jusque-là fort peu pressés de conclure mais soudainement attentifs au bien-être du peuple iranien, à dénoncer les risques d’un « effondrement de l’accord ». Mais l'Iran suivra la politique de la Russie, puisque cette dernière lui assure un rôle géopolitique non négligeable. Plutôt que de se rabibocher avec l'Occident, Téhéran préférera également traiter avec la Chine, ce qui lui permettra de contourner le $.

 

On notera aussi l'absence de toute condamnation de la Russie de la part de l'Inde qui, fort de ses 1,4 milliard d'habitants, est devenu un partenaire privilégié de la Russie. Il y a fort à parier que les USA n'oseront traiter l'Inde comme ils l'ont fait avec l'Iran et n'appliqueront aucune sanction à son égard. De fait, non seulement l’abstention indienne lors du vote à l'ONU est passée sans provoquer le moindre remous, mais les dirigeants américains firent preuve d’une rare indulgence. « Nous savons que l’Inde a des relations avec la Russie qui ne sont pas identiques aux nôtres. C’est OK », a déclaré le porte-parole du département d’État Edward Price. Pourtant, en 2018 déjà, le premier ministre Narendra Modi signa un accord pour la fourniture d’un système de défense antimissiles S-400 hypersophistiqué dont les livraisons ont commencé l’an dernier, sans que Washington, d’habitude si prompt à imposer aux autres les embargos qu’il décide, ne bronche. Les USA pensent que l'Inde peut les aider à contenir la Chine. Mais c'est oublier qu'il existe une entente entre les pays asiatiques liés par leur adhésion à l'OCS (organisation de coopération de Shangaï). Aucun de ces pays ne veut de relation conflictuelle avec la Russie.

 

Un monde multipolaire émerge tout doucement du chaos créé par les USA au sortir de la Guerre Froide. Ceux-ci avaient alors considéré qu'il leur fallait diviser pour régner. Ce qui pouvait leur permettre de mettre en place le concept de "full spectrum dominance", leur assurant une domination ou du moins un contrôle sur les affaires du monde. La nouvelle donne qui se met en place offre une marge de manœuvre élargie aux nations non-occidentales. Mais le drapeau de la révolte contre l’Occident et son désordre ne constituent pas (encore ?) une feuille de route pour un monde qui serait régi par le droit international plutôt que par le droit du plus fort. On peut considérer comme sensée la thèse selon laquelle l'Otan, qui avait été conçue au départ pour faire face au danger que représentait le Pacte de Varsovie, est responsable des tensions de l'après-guerre froide. Celles-ci sont principalement le fruit de la politique de sanctions, décidées unilatéralement par les USA au lieu de chercher une solution par la négociation lorsqu'apparaît une situation conflictuelle. Les Européens suivent béatement, alors que la politique US est le plus souvent totalement erratique. De fait, le monde unipolaire, mis en place à partir de 1991, a conduit à la poursuite des tensions et à la guerre malgré la disparition du Pacte de Varsovie. Et maintenant, le but avoué de l'aide militaire à l'Ukraine est moins d'aider ce pays, que de mettre la Russie à genoux, ce qui explique la subite montée des tensions au Donbass à partir du 16.02.2022. La Russie est tombée dans le panneau, ce que n'auraient certainement jamais fait les dirigeants chinois. D'ailleurs ce conflit ne ralentira pas le basculement à venir de l'axe du monde vers l'Asie. Ce mouvement entraînera la Russie, ne le voudrait-elle pas qu'elle y serait contrainte du fait de la politique des sanctions qui l'oblige à trouver de nouveaux clients et à élaborer de nouvelles stratégies. Pour de nombreux observateurs et économistes, l'avenir du monde s'écrira de plus en plus à Pékin (nouvel ordre monétaire), voire à Moscou, dont l'échec de la tentative, entre 2000 et 2005, d'un rapprochement avec l'Europe qui, sur le plan économique, eût été salutaire pour celle-ci, a été provoqué par l'extension de l'OTAN. Washington n'aura néanmoins d'autre choix que celui d'abandonner son rêve d'un monde unipolaire obéissant à ses lois.

 

Quelle que soit l'issue de la guerre, elle provoquera l'affaiblissement de l'Europe si celle-ci reste dans le sillage des USA. Si elle poursuit sa politique de sanctions à l'encontre de la Russie, elle ruinera son économie, aucun pays n'ayant accepté de lui fournir plus de matières premières et l'idée de remplacer le gaz russe par du gaz de schiste US est comique. La Russie a remporté une première victoire sur le front monétaire, en dédollarisant la vente de matières premières. On oublie en outre qu'en juin 2021, le président V. Zelensky a signé avec la Chine un « accord stratégique de coopération », consacrant le rôle pivot de son pays dans les projets eurasiatiques des nouvelles routes de la soie. Il n’est donc pas question pour Pékin d’abandonner Kiev, qui constitue un pont entre l’Asie et l’Europe, ni Moscou. Les USA ont eu le front de demander à la Chine de lâcher la Russie, l'un des conseillers de leur président affirmant crânement que "si la Chine tend une bouée de sauvetage à Moscou, elle devra en payer les conséquences". A cela, la Chine a répondu, par la voix de son ministre des affaires étrangères: " Lorsque les États-Unis ont conduit cinq vagues d’expansion de l’OTAN vers l’est jusqu’aux portes de la Russie et déployé des armes stratégiques offensives avancées en violation de ses assurances à la Russie, ont-ils jamais pensé aux conséquences d’acculer au mur un grand pays?" (https://www.monde-diplomatique.fr/2022/04/BULARD/64541)

 

En réalité, la Chine a besoin de montrer que sa stratégie fondée sur les trois « non » — non-alliance, non-ingérence et non-confrontation avec un tiers — est ce qu'il y a de plus efficace pour assurer à l'ensemble des nations du monde un développement équitable. Ce qui est à l'extrême opposé de la politique de confrontation permanente menée par Washington.


Jean Luc

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  • Avant-propos: les questions d'ordre politique déchaînent parfois les passions, il n'y a en cela rien d'anormal car ces questions évoluent davantage un univers bismarckien ("Macht geht vor Recht") que kantien (le "Verstand" est parfois défaillant, mais le "Vernunft" plus encore), la compréhension est faible et le bon sens, à défaut de morale, fait presque toujours défaut. Ne restent en conséquence que l'avidité, la rapacité, la voracité, que l'on travestit en Occident en "valeurs", en "droits humains" et autres discours "inclusifs" ou "résilients". Lesquels sont destinés à inculquer au bon peuple l'idée qu'est vertueux ce qui relève d'un comportement "durable" et "responsable", cad basé en réalité sur le fatalisme, la résignation et la soumission à l'égard des faiseurs d'opinion et de leurs donneurs d'ordres. Je ferai en conséquence valoir des points de vue non conformes à la doxa ambiante, mais comme le monde est vaste, il faut parfois savoir décentrer son regard.

La question taïwanaise.

Au XVIème siècle, des marins portugais qui passaient au large de l'île dont il est question aujourd'hui la nommèrent « Ilha Formosa », Belle Île, devenu Formose en français. Dans la première moitié du XVIIème siècle, la Compagnie hollandaise des Indes Orientales, après avoir tenté d’installer un comptoir sur un archipel situé à l'ouest de Formose et d’en être chassée par l’armée chinoise, s’implanta finalement sur l’île même de Formose. Ils purent y rester jusqu'en 1661, année où il furent délogés par des troupes venues de Chine.

L'île fut ensuite annexée par l'empire chinois. Le processus de sinisation des populations primitives de l’île s’amorça, non sans réactions. En effet, l’île allait être secouée par des révoltes et des guerres tribales. Puis, ce qui avait définitivement été appelé Taïwan devint la vingtième province chinoise. Elle se modernisa lentement, notamment par la construction de la première ligne ferroviaire chinoise. Lors de la guerre sino-française, qui dura de 1881 à 1885, l'armée française essaya, en vain, de s'emparer de l'île.

En 1895, éclata la guerre sino-japonaise, et suite à la défaite de la Chine, Taïwan et ses îles attenantes furent cédées, en 1895, à l’empire du Japon dans le cadre du traité de Shimonoseki. Durant les cinquante années qui suivirent, Taïwan serait exploitée au profit du Japon. Les Hans (Chinois du continent) et les populations aborigènes habitant sur l’île furent classés citoyens de seconde et de troisième zones et donc marginalisés. Aux alentours de 1935, les Japonais entreprirent la japonisation forcée de l’île afin de la lier plus fermement à leur empire. Les Taïwanais, dans leur ensemble, durent se considérer comme japonais, la culture et la religion taïwanaises furent proscrites, et les citoyens encouragés à adopter des noms de famille japonais. En 1938, plus de 300 000 colons japonais s'étaient installés sue l'île.

En Chine continentale était née, en 1912, la République de Chine, qui mit fin à plus de 2 millénaires de régime impérial. En 1921 fut fondé à Shangaï le parti communiste chinois, qui s'allia au chef du parti alors dominant dans le pays, le Kuomitang (KMT), de tendance nationaliste. Le chef de celui-ci, Sun ya-Tsen, mourut en 1925, et son successeur, Tchang Kaï-Chek, refusa de poursuivre l'alliance avec les communistes. Cette friction dégénéra par la suite en une véritable guerre civile.

En 1928, la majeure partie du territoire chinois était passée sous le contrôle du Kuomintang, de sorte qu'en 1934, les troupes de Tchang Kaï-Chek purent chasser les communistes. Ceux-ci, pour éviter une déroute complète, entamèrent leur retrait, épisode qui resta connu comme étant celui de la Longue Marche. Elle dura près d'une année, coûta la vie à 100 000 hommes de ce qui s'était nommé l’Armée de Libération Populaire. Durant cette période, présentée par la suite comme héroîque, le chef des fuyards, Mao Tsé Toung, put faire son apprentissage de dictateur.

En 1937, soit six ans près leur invasion de la Mandchourie, les troupes japonaises entrèrent à Pékin, ce qui provoqua une trêve dans la guerre civile. Nécessité faisant loi, les troupes nationalistes de Tchang kaï-Chek et celles de l’Armée de Libération Populaire s'allièrent pour contrer l’envahisseur. En 1943 eut lieu la Conférence du Caire, réunissant Franklin Roosevelt, Winston Churchill et Tchang Kaï-Chek. Elle porta sur la nécessité de défaire l’empire japonais et, dans ses conclusions, contint notamment une clause de restitution à la Chine des territoires antérieurement chinois mais occupés militairement par le Japon. Parmi ceux-ci figurait l’île de Taïwan.

A l'issue de la 2e guerre mondiale, la puissance militaire japonaise s'étant effondrée, la guerre civile chinoise reprit entre communistes et nationalistes. Elle s'acheva en 1949, par la victoire des troupes maoistes. Les nationalistes, vaincus, se replièrent sur l’île de Taïwan, accompagnés par environ 2 millions de Chinois du continent. Tchang Kaï-Tchek proclama ensuite Taipei comme seule capitale de l'ensemble de la République de Chine, alors qu'à Pékin, Mao affirma que l'île faisait partie intégrante de la République populaire de Chine. Les communistes n'intervinrent cependant pas, Taïwan venant d'être placée sous tutelle des USA (du fait, notamment du déclenchement de la guerre de Corée). Le gouvernement de Tchang Kaï-Tchek établit la loi martiale, un état d'exception qui allait être maintenu jusqu'en 1987. 

Le gouvernement nationaliste, après sa défaite, en 1949, avait obtenu le siège de représentant de la Chine aux Nations unies, siège qu'il conserva jusqu'à 1971. Quelques années plus tard, en 1979, Washington mettra un terme à ses relations diplomatiques avec le gouvernement de Taipei (la France, durant la période gaullienne, ne reconnaissait que des Etats et non des régimes politiques; elle avait déjà reconnu le gouvernement de Pékin comme seul représentant de la Chine dès 1964).

Il est à remarquer qu'en 1979, seules 24 représentations diplomatiques étaient encore présentes sur l'île, un chiffre qui est tombé à 14 à l'heure actuelle. Consciente d’être en position de force, la République Populaire de Chine, changea, cette année-là, de stratégie. Elle ne parla plus de la « libération » de l’île par les armes mais affirma vouloir promouvoir une unification pacifique des 2 Chines par la création et le renforcement de liens économiques et culturels. Dans un "message aux compatriotes taïwanais" publié le jour de l’établissement des relations officielles avec Washington, les autorités communistes proposèrent l’ouverture d’échanges dans ces domaines. L’usage éventuel de la force n’est toutefois pas totalement abandonné mais a été relégué en solution de dernier recours.

Deux ans plus tard, la Chine de Pékin alla un peu plus loin en formulant les conditions de l’intégration pacifique: l’île pourra conserver "un haut degré d’autonomie en tant que région administrative spéciale" et Pékin ne s’ingérerait pas dans tout ce qui relèverait des "affaires locales". Autrement dit, les Taïwanais pourront conserver leur système économique et leur mode de vie. La position de Pékin n’a ensuite plus évolué. Dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion des 40 ans du "message aux compatriotes taïwanais", le 2 janvier 2019, le président Xi Jinping rappelait encore que la seule perspective pour Taïwan était l’intégration à la Chine populaire dans le cadre d’"un pays, deux systèmes", Taipei ne pouvant prétendre qu’à un statut d’autorité locale, mais en aucun cas nationale.

L'intransigeance du gouvernement de Pékin prend sa source dans la proclamation de ce qui s'apparente à une conception essentialiste de la nation chinoise: est Chinois celui dont les ascendants sont Chinois: de fait, étant pour une grande part d'entre eux, originaires du continent, les Taïwanais sont chinois par nature et ne peuvent en conséquence prétendre, selon Pékin, former un pays à part. Or, selon M. Xi Jinping, le legs historique et le "rêve chinois" de celui-ci, formulé en 2012, après son accession à la tête du PCC, devrait pousser l’ensemble de la population chinoise à redonner sa fierté et sa grandeur à leur pays en effaçant le "siècle d’humiliations" subi à partir de la fin de la première guerre de l’opium (1842). Après le retour de Macao et de Hongkong, Taïwan reste le dernier territoire chinois perdu, la dernière "humiliation" imposée par l'Occident. Bien évidemment, malgré le différend idéologique qui l’oppose aux communistes, ce nationalisme essentialiste, faisant de l'affirmation de la puissance chinoise une mission sacrée, était partagé par Tchang Kaï-chek et le reste par le KMT. Toutefois, dans le sillage de la démocratisation de l’île, opéré vers la fin des années 1980, le nationalisme chinois, prôné tant par les communistes que par les nationalistes, fut concurrencé par l’identification croissante d'une partie de la population à une nation taïwanaise ayant certes une partie de ses racines culturelle et historique en Chine, mais ayant établi sa propre trajectoire politique. Cette position fut renforcée en 2000 lors de la première alternance et de la formation d’un gouvernement indépendantiste.

Un parti d'opposition, le Parti Démocrate Progressiste (PDP), remporta cette allée-là l'élection présidentielle. Succédant au KMT, le gouvernement de Taipei se rapprocha ostensiblement du Japon, derrière lequel se cachent, comme un troupeau d’éléphants derrière une tige de bambou, les États-Unis d’Amérique. Mais l'arbre qui cache la forêt arrive toujours à incarner le rôle d'un parfait illusionniste. Taïwan voulut se persuader de son indépendance réelle, occultant le fait qu'elle restait dépendante, dans les faits, de Washington. Depuis 1949, les USA disposent en effet de l'exclusivité de la vente d'armes à Taipei et leur objectif est d’installer un arsenal comprenant des ogives nucléaires à quelques encablures du littoral chinois. Ce qui, face à la Chine, complèterait le dispositif militaire US déjà installé au Japon, en Corée du Sud et aux Philippines. Taipei, en outre, s'abstint d'abolir ou de modifier sa Constitution, laquelle affirme que l'ensemble de la Chine doit certes être réuni, mais surtout reconnaître l'autorité du gouvernement de Taipei comme étant la seule légitime. Ce qui, on s'en doute, irrite grandement Pékin mais laisse indifférents les USA. Le Parti Démocrate Progressiste perdit le pouvoir en 2008, mais parvint à le reconquérir en 2016. Le 11 juillet 2022, trois jours après la mort de Shinzo Abe, ancien premier ministre japonais et fervent soutien du nationalisme anti-Pékin, la présidente de Taïwan fit mettre les drapeaux en berne. Le KMT tout de même protesté contre ce geste, le Japon ne s’étant jamais excusé des crimes massifs qu’il a commis en Chine.

Pour l'heure, l'île, dirigée par le PDP, continue de revendiquer son autonomie, alors que le gouvernement de Pékin affirme son droit à exercer son autorité sur l'ensemble de ce qu'il considère comme formant le territoire chinois. Depuis l'élection, en 2016, d'un candidat farouchement indépendantiste, Pékin a coupé tous les canaux de discussion avec l'administration taiwanaise. Et ce, alors même que la position officielle des USA n'a pas changé depuis 1979: il n'y a qu'une seule Chine, la RPC; dès lors, Washington refuse de prendre position sur la "question de la souveraineté de Taiwan"...qu'elle considère cependant comme faisant partie de son camps.

L’ONU, qui a reconnu la République Populaire de Chine en 1971, continue néanmoins à tenir un double discours consistant à ne plus donner à Taïwan le statut de pays afin de ne pas froisser le dragon pékinois tout en défendant le droit à l’autodétermination du peuple taïwanais pour plaire au pygargue washingtonien. Cette position du "en même temps", comme toujours, ne satisfait personne mais favorise l'ambiguïté, laquelle finit toujours par générer des tensions potentiellement dangereuses.

Depuis la libéralisation de la vie politique, en 1987, le KMT, qui est resté une force politique de premier plan, a gardé, vis-à-vis de la Chine continentale, une position bien moins tranchée que celle du PDP. Dès l'an 2000, à la suite de sa défaite et considérant l’indépendantisme taïwanais comme une inutile source de tensions, la direction du KMT a amorcé un rapprochement avec le Parti Communiste Chinois. Au nom de leur attachement commun à la "Grande Chine", l'ennemi d'hier est, peu ou prou, devenu l'allié de circonstance, face à la politique pro-USA du PDP, qui est en réalité ce qui se cache derrière les proclamations indépendantistes de leurs dirigeants. Le KMT revint au pouvoir en 2008, dans la foulée, de nombreux accords commerciaux furent alors signés avec la Chine continentale, qui posèrent notamment les bases d’un "marché commun des deux rives". Les échanges en tous genres se multiplièrent et l'imbrication de l'économie taïwanaise avec celle de la Chine finit par prendre des proportions jugées inquiétantes par les indépendantistes : 40 % des exportations s’y dirigent alors. La voie tracée trente ans plus tôt par les autorités chinoises pour parvenir à l’unification pacifique semble, à ce moment-là, devenir progressivement une réalité.

Mais le "rêve chinois" de Xi Jin-Ping prit brusquement fin en 2014. Le gouvernement KMT fut alors confronté à une mobilisation nationale contre un accord de libéralisation des services qu’il avait du reste tenté de faire passer en force au Parlement. Autorisant les investissements chinois dans les secteurs de l’édition, des médias et de la culture, mais aussi l’ouverture du marché de l’emploi local aux travailleurs chinois du continent, cet accord fut abondamment critiqué par l'opposition. L’occupation du Parlement et des rues alentour pendant près d'un mois, lors du "mouvement des tournesols", marqua un tournant dans les relations de Taïwan avec la Chine continentale. Les générations les plus jeunes, celles qui n'avaient connu que la démocratie, firent, à cette occasion, part de leur méfiance et de leur rejet de la poursuite de la politique d'intégration économique des deux rives.

Les sondages d'opinion menés actuellement indiquent un raffermissement continu de l’identification des sondés à une nation taïwanaise indépendante et souveraine. En 2020, selon le Centre d’études des élections de l’Université nationale Chengchi, à Taipei, les deux tiers de la population se disaient uniquement taïwanais, contre moins d’un cinquième en 1992. Une enquête publiée dans le magazine CommonWealth confirme ce chiffre et donne une image plus précise de la situation vue de Taïwan. 2 tendances nouvelles se dessinent. D’une part, les relations avec la Chine ne doivent plus se développer selon la feuille de route établie par Pékin. L’attractivité économique du continent s’affaisse, et 90% de la population rejette la formule "un pays, deux systèmes". D'autre part, chez les moins de 30 ans, le "rêve chinois" ne signifie rien. Plus des 4/5es d’entre eux se considèrent "uniquement taïwanais", les deux tiers pensent que Taïwan plutôt que République de Chine devrait être le nom de leur pays, et presque autant se prononcent en faveur de l’indépendance pure et simple.

Les Taïwanais étant devenus sourds aux sirènes de la coprospérité chinoise, Pékin, craignant d'être entravé dans le développement de sa marine par un chapelet ininterrompu de bases militaires US le long de ses côtes est, brandit à nouveau la menace militaire. Certes, depuis la rupture de leurs relations diplomatiques, Washington n’est plus lié à Taipei par un traité de défense en bonne et due forme. Le Taiwan Relations Act, une loi adoptée en avril 1979 et qui est toujours en vigueur, souligne en effet l’importance d’une résolution pacifique du différend qui oppose les deux rives. Il prévoit toutefois la fourniture à Taïwan des armes nécessaires à sa défense et engage à "maintenir la capacité des États-Unis à résister à l’emploi de la force ou d’autres formes de coercition qui mettraient en danger la sécurité" de l’île. Tout en évitant de notifier de façon explicite l’hypothèse d’une intervention militaire en cas d’intervention de Pékin, la formule la rend néanmoins possible; elle est au fondement de l’"ambiguïté stratégique" maintenue par Washington.

Aux yeux des États-Unis, Taïwan a toujours été un pion dont la valeur stratégique relative s’inscrit dans des calculs de realpolitik régionale. Or cette valeur est en hausse depuis quelques années. Après avoir été une brique dans la politique d’endiguement du communisme pendant la guerre froide, l’île est devenue le modèle de société capitaliste, acceptant le pluralisme politique, que Washington pensait pouvoir insuffler à l'ensemble de la Chine. Pendant trois décennies, cette approche, associée aux appétits de multinationales y déversant leurs industries polluantes, gourmandes en main-d’œuvre corvéable à merci, a nourri l’optimisme des dirigeants américains quant à l'intégration dans leur monde, celui prétendument "fondé sur des règles". Mais ce qu'il faut entendre par là, est l'absence de toute limite à l'application extra-territoriale du droit US et l'usage exclusif du $ dans le règlement des transactions commerciales. L'ordre "fondé sur des règles" n'est rien de plus qu'un néo-colonialisme. A partir de la présidence Obama, cette vision purement mercantile a cédé le pas à une perspective plus conflictuelle des relations avec la Chine. Taïwan y occupe bien évidemment une place non négligeable. D'autant que sur le plan géostratégique, l'île reste un maillon essentiel de la chaîne insulaire qui va du Japon à l’Indonésie, barrant potentiellement l’accès au Pacifique ouest à la marine chinoise. Au niveau économique, Taïwan est amenée à jouer un rôle capital dans la volonté de Washington de freiner l’ascension chinoise. Notamment dans le projet de l’administration Biden de constituer une alliance des "techno-démocraties". Les fonderies de l’île produisent en effet la majeure partie des semi-conducteurs de dernière génération, composants indispensables à l’économie numérique mondiale (smartphones, objets connectés, intelligence artificielle, ...). Les États-Unis veulent naturellement s’assurer que toutes ces capacités resteront dans leur camp. Car, pour eux, mondialisation a toujours signifié la création et le maintien d'un monde unipolaire qu'ils pourraient diriger en fonction de leurs intérêts. Mais ce qu'ils ont réussi à faire à Bruxelles, à savoir la vassalisation de l'Europe (voir café politique précédent: la question de l'énergie), ils n'ont pour l'heure pu le rééditer ni en Russie (période eltsinienne), ni en Chine (période post Deng Xiao-Ping).

Et cela nous amène à l'actualité la plus immédiate, à savoir la récente visite à Taipei de la présidente du congrès US, Mme Nancy Pelosi. Cette visite a été interprétée par Pékin comme la volonté non seulement de remettre en cause le principe d’une seule Chine, mais encore d’inciter la Chine à une réponse qui pourrait servir de prétexte à une future guerre en Extrême-Orient: on soulignera que les pays regroupés sous l'acronyme BRICS, auxquels vient de se joindre l'Iran, sont d'une manière générale extrêmement méfiants vis-à-vis des USA: une des causes de cette méfiance et peut-être la cause principale en est leur retrait unilatéral, en 2001, de l'accord ABM (anti-balistic missiles) signé avec l'URSS en 1972, et sa furie guerrière depuis. Toutefois, Pékin a toujours déclaré qu’elle n’enverrait pas de troupes sur l'île tant que Taïwan ne déclarerait pas son indépendance. La visite de Mme Pelosi était-elle une tentative de renforcer les forces indépendantistes au point où elles s’enhardiraient assez pour agir? Mais, au vu des résultats catastrophiques de l'armée US depuis le début du siècle, il serait étonnant que les autorités taïwanaises aient une grande confiance dans les capacités du Pentagone. 

Après l’atterrissage de Mme Pelosi à Taipei, le ministère chinois des Affaires étrangères a immédiatement réagi en déclarant que son arrivée aurait "un impact grave sur les fondements politiques des relations sino-américaines". De fait, la réponse de Pékin a été à la mesure de son irritation et fut d'une ampleur sans précédent: 11 tirs de missiles ont traversé Taïwan, survolant les batteries anti-missiles américaines Patriot densément déployées. 5 d’entre eux ont atterri dans la zone économique exclusive du Japon, signe que toute guerre liée à Taïwan pourrait s’étendre rapidement à l’archipel nippon, lequel abrite de nombreuses bases militaires américaines. Les exercices ont également été les plus proches de Taïwan jamais menés et pour la première fois, l’île a été encerclée par la marine chinoise, ce qui laisse entrevoir son intention d’organiser un blocus en cas de crise aigue. Cela a permis à Pékin d'établir son contrôle sur le détroit de Taïwan et d'empêcher l'espace aérien entre Taïwan et la Chine d'être monopolisé par les insulaires.

On semble donc changer d'époque: depuis le rétablissement des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine sous l’administration de James Carter (1977-1981), les dirigeants américains ont toujours adhéré (au moins publiquement) au principe d’une « Chine unique », Taïwan et le continent constituant un seul pays bien que ne dépendant pas nécessairement d’un même gouvernement. Pékin laisse faire Taïwan tant que celle-ci ne revendique pas expressément et officiellement son autonomie. Dans le même temps, par le Taiwan Relations Act voté par le Congrès en 1979, les États-Unis sont tenus de livrer des armes défensives à Taipei selon ses besoins et de considérer toute tentative chinoise de modifier le statut de l’île par la force comme un fait "extrêmement préoccupant"; une formulation manifestant ce qui a été reconnu comme une "ambiguïté stratégique", dans la mesure où elle ne dit pas explicitement si Washington interviendrait ou pas en cas d'annexion. Cette notion d'"ambiguïté stratégique" laisse les Taïwanais comme les Chinois dans l’incertitude sur la réponse américaine en cas de déclaration d’indépendance des premiers qui serait suivi d'une manoeuvre d’invasion par les seconds. De quoi dissuader les uns et les autres de toute prise d’initiative irréfléchie.

Même si les dirigeants américains assurent toujours s'en tenir à une même ligne de conduite, les plus hauts responsables du gouvernement et du Congrès ont donné l’impression ces derniers mois de s'en être éloignés, au profit d’une politique affirmant l’existence de deux États : la Chine d’une part, Taïwan de l’autre (« one China, one Taïwan »), ceci, en faveur d'une plus grande "clarté stratégique". M. Biden lui-même y a contribué : interrogé sur Cable News Network (CNN) pour savoir si Washington défendrait Taïwan en cas d’attaque chinoise, il a répondu clairement: "Nous sommes tenus de le faire". Encore que l'on voit mal les USA, qui pataugent en Ukraine, ouvrir un nouveau front. 

Dans le domaine commercial, la Chine a annulé un grand nombre de contrats, suspendant notamment ses exportations de sable vers Taïwan. Cela peut faire sourire mais l'Europe dépend fortement des exportations des semi-conducteurs de Taïwan, pour la fabrication desquels le sable est une matière première indispensable.

 Quelles ont été les réactions internationales à cette visite?

Les dix membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) - un bloc composé de Singapour, de la Thaïlande, des Philippines, de l’Indonésie, de la Malaisie, du Vietnam, du Cambodge, du Laos, du Myanmar et de Brunei - ont exprimé leur inquiétude face à la montée des tensions à propos de Taiwan. Le journal Straits Times de Singapour (3 août) a rapporté que "les observateurs politiques à Singapour" pensaient que la visite de Pelosi "était inutile et ne servait aucun objectif stratégique ou de politique étrangère".

Le principal journal indien, le Hindu Times, a également qualifié la situation de « crise évitable » (3 août). Le président sud-coréen était "en vacances" lorsque Mme Pelosi s’est rendu dans son pays après sa visite à Taïwan. Le Pakistan a clairement condamné cette initiative, affirmant qu’il soutenait "la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine". Les puissances régionales, quelle que soit leur allégeance politique, sourient de la posture de matador adoptée par Biden, alors que la Russie a réussi à créer un remarquable effet boomerang suite aux sanctions occidentales qui étaient censées la mettre à terre. Pour les BRICS et leurs soutiens, Moscou a fait la démonstration que l'Occident non seulement n'était pas un partenaire fiable dès lors qu'il cosignait un accord mais qu'il était aussi un tigre de papier. En effet, l'Occident est resté de marbre alors que les accords de Minsk étaient ignorés par la partie kiévienne durant 7 longues années mais est devenu hystérique lorsque l'un des cosignataires a décidé, manu militari, d'en tirer les conséquences. Nul doute que la leçon sera retenue par l'ensemble du monde émergeant. 2 poids, 2 mesures: Pékin n'a pas oublié la vive réaction US, lorsqu'en 1962, l'URSS voulut installer des missiles nucléaires près de ses côtes. Il est certain que la RPC ne tolérera jamais l'installation de matériel militaire nucléaire à Taïwan tout comme la Russie ne tolérera jamais la nucléarisation de l'Ukraine.

Bien évidemment, l'attitude du 3e personnage de l'Etat fédéral US est condamné par ceux qui soutiennent le principe d’une seule Chine: il s'agit de la Russie, la Biélorussie, la Serbie, la Corée du Nord, la Syrie, l’Iran, la Ligue arabe, Cuba, le Venezuela, le Nicaragua, la Palestine.

Même certains hommes politiques et commentateurs occidentaux ont eu une attitude dubitative suite à la visite de Mme Pelosi, inquiets (comme Henry Kissinger) de la guerre menée par les États-Unis contre la Chine et la Russie en même temps. Un éminent chroniqueur du New York Times, Tom Friedman, a qualifié Mme Pelosi de "complètement imprudente, dangereuse et irresponsable" (1er août). Les Républicains, sentant ayant le vent en poupe pour les élections de novembre, ont applaudi leur champion Donald Trump, lorsqu'il déclara: "Tout ce qu’elle touche se transforme en chaos, en perturbation et en merde... "le désordre chinois est la dernière chose dans laquelle elle devrait être impliquée - elle ne fera qu’empirer les choses. Crazy Nancy s’insère et provoque de grandes frictions et de la haine. Elle est un tel gâchis !!!" (New York Post, 2 août).

Cependant, les remarques du "Donald" ne sont pas le reflet de fractures dans la stratégie bipartite américaine sur la Chine, mais plutôt une question de différences tactiques et de timing. Après tout, Trump a rédigé l’accord sur les armes de 7 milliards de dollars que Biden a poursuivi, dans le cadre d’un effort pour "se rapprocher de Taipei" selon le Wall Street Journal (16 septembre 2020). L’accord de 7 milliards de dollars s’ajoutait aux 15 milliards de dollars d’armes déjà vendus durant le mandat de M. Trump, s'ajoutant aux 14 milliards de dollars d’armes vendus par M. Obama au cours de ses deux mandats.

Voyons maintenant quelle a été la réaction taïwanaise: la majorité des insulaires ont considéré la visite de Mme Pelosi comme déstabilisante et souhaitent en réalité que le statu quo actuel se poursuive. Des manifestants ont crié devant l’hôtel de Pelosi : "Nous n’avons pas besoin que l’Amérique nous traite comme un pion". Bien que l'actuel gouvernement taïwanais (PDP) soit contre l’unification et pour la sécession, cette ligne dure envers les USA est un comportement nouveau dans la politique de l’île. Evidemment, le KMT condamne fermement les évolutions actuelles. Comme l’a dit Alexander Huang, le chef des affaires internationales du KMT : "Nous devons comprendre que la seule norme de la politique taïwanaise des États-Unis est basée sur les intérêts américains, pas sur ceux de Taïwan" (dans la revue The Diplomat, 8 février 2022).

Empire en crise, les États-Unis attisent les conflits là où ils le peuvent, afin de provoquer des guerres qui, espèrent-ils, leur permettraient de préserver leur domination mondiale. Les forces politiques sécessionnistes de Taïwan commencent à comprendre qu'une entrée en guerre des USA contre l'Empire du Milieu serait catastrophique pour tout le monde. Ils ont pu constater et tirer les leçons des débâcles américaines, en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, au Yémen et de l'enlisement en cours en Ukraine qui, par un effet d'aubaine pour le Kremlin, permet à celui-ci d'asphyxier lentement mais sûrement l'économie du vassal européen des USA. Ce qui illustre le fait que les dirigeants européens sont incapables de concevoir une stratégie et se contentent d'improviser en fonction des événements. Tout en acceptant d'être à la remorque d'une puissance belliciste mais toujours défaite sur le champ de bataille.

Mme Pelosi savait parfaitement que sa visite ne pourrait conduire qu’à aggraver une situation déjà tendue. Les responsables du Pentagone comme ceux de la Maison Blanche l’ont avertie que l’effectuer maintenant susciterait l’ire des dirigeants chinois et provoquerait d’une façon ou d’une autre une réaction cinglante de leur part. Elle a malgré tout fait le choix de se rendre à Taipei — tout en s’assurant d’attirer au maximum l’attention internationale en faisant planer le doute sur sa visite. On ne peut pas ne pas se dire qu’elle a fait le voyage avec la ferme intention de provoquer et d’accélérer le processus d’inflexion de la politique américaine vers la doctrine « la Chine d’une part, Taïwan de l’autre », avec tous les risques que cela comporte.

Si telle était son intention, son initiative n'est pas passée inaperçue. En dépit des efforts déployés par les responsables de la Maison Blanche pour assurer leurs homologues chinois de la séparation des pouvoirs au sein du système politique américain, Pékin a eu du mal à croire que Mme Pelosi ne représentait qu’elle-même et non le gouvernement des États-Unis. Aux yeux des dirigeants chinois, cette visite n’est que l’aboutissement d’une campagne conjointe du Congrès et de la Maison Blanche pour répudier le principe d’une seule Chine, un premier pas vers la reconnaissance de Taïwan comme État indépendant politiquement, mais rattaché militairement aux USA.

Le 10 août, une semaine après le voyage de Mme Pelosi, le gouvernement chinois a publié un nouveau Livre blanc sur « la question de Taïwan », réaffirmant la volonté de Pékin de réaliser la réunification de l’île par des moyens pacifiques, sans exclure le recours à des moyens militaires afin de briser toute résistance de la part des forces indépendantistes taïwanaises ou de leurs soutiens étrangers : " Nous sommes prêts à créer un vaste espace de coopération afin de parvenir à une réunification pacifique, mais ne céderons pas le moindre pouce de terrain aux activités sécessionnistes, quelle que soit la forme qu’elles puissent prendre, peut-on lire. La question de Taïwan est une affaire intérieure qui concerne les intérêts fondamentaux de la Chine, aucune ingérence extérieure ne sera tolérée". 

Les déclarations officielles ont été accompagnées de toute une série d’opérations militaires et diplomatiques, visant à faire savoir que les dirigeants avaient abaissé leur degré de tolérance à l’égard des "ingérences extérieures". Ils ont haussé le niveau de préparation du pays en vue d’un éventuel blocus de l’île ou même de son invasion si celle-ci s’engageait plus loin dans la voie de l’indépendance. Toutes ces mesures ont été qualifiées d'irresponsables et de provocatrices par la partie américaine. 

On l'aura compris, le conflit en cours dépasse très largement la question taïwanaise; il oppose les USA, qui veulent, coûte que coûte, maintenir en place le monde unipolaire tel qu'ils l'ont conçu après 1991 et les pays non-occidentaux (80% de la population mondiale), dont les dirigeants veulent faire émerger un monde multipolaire. Nul doute, qu'en dépit d'une dépense dépassant 50 milliards de $, une défaite militaire de M. Biden en Ukraine le fera réfléchir avant de s'engager dans une nouvelle aventure, cette fois sur le continent asiatique. D'autant plus que si Taïwan proclamait sa souveraineté pleine et entière, il est vraisemblable qu'en dehors de l'Occident, bien peu de pays y enverraient une représentation diplomatique.

De sorte qu'il serait étonnant qu'une partie à 3, opposant un joueur de poker US à un joueur d'échec russe et à un joueur de go chinois, le premier disant aux 2 autres qu'il allait les faire dégager, se termine par la victoire du joueur de poker. L'organisation, en ce mois de septembre, de manoeuvres militaires dans l'extrême-Orient russe, associant la Russie, la Chine, l'Inde, la Biélorussie, la Syrie, la Mongolie et le Tadjikistan, semble être une réponse donnée à l'aventurisme militaire US, dont le coût global, depuis 2001, est estimé à 6 500 milliards de $. Quant aux Européens, ils seraient peut-être avisés de réfléchir à la forme que pourrait prendre une coopération euro-asiatique, laquelle complèterait la coopération russo-sino-africaine en train de se mettre en place.

Jean Luc

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Taiwan
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L'appauvrissement linguistique.

 

Ceux d'entre nous qui se souviennent que l'Europe fut jadis chrétienne n'ont pas oublié le récit biblique selon lequel, avant la construction de la tour de Babel, les humains se seraient exprimés en usant d'une seule langue. Evidemment, il s'agit d'un mythe, auquel cependant les apôtres d'un culte tout-à-fait contemporain semblent vouloir donner une nouvelle jeunesse. Il conviendrait, pour les laudateurs du néolibéralisme (la tentative devant permettre aux marchés financiers de mettre les société civiles en coupe réglée) et les sectateurs du néoconservatisme (assurer à l'auto-proclamée "nation indispensable" le rôle de guide de l'humanité) de faire triompher une langue unique. L'usage de l'anglais assurerait aux partisans de l'ordre nouveau une sorte de parousie à leur dogme, où les miasmes putrides qui auraient entravé jusque-là le développement des civilisations seraient définitivement écartés. 

En réalité, les mythomanes qui, de moins en moins masqués, avancent derrière le rouleau compresseur des multinationales du divertissement, lui-même renforcé par le pouvoir décérébrant et abrutissant de la publicité, ne cherchent en rien promouvoir l'élégante langue des grands auteurs anglais ou nord-américains. Ils sont les fourriers d'un nouveau langage, le "globish", une sorte d'anglais global prétendument non discriminant et par conséquent inclusif, au vocabulaire plus que limité et qui permettrait à tous d'entrer dans le monde merveilleux de la "fin de l'histoire". Du moins telle qu'elle est promue par les financiers des grands fonds de pension anglo-saxons et qui, pour ce faire, cherchent à mettre en pratique ce que dit l'un des personnages du roman, "1984", de George Orwell: " Ne voyez-vous pas que le but de la novlangue est de restreindre les limites de la pensée? A la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n'y aura plus de mots pour l'exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité".

 

"Instrument de communication, la langue est aussi un instrument du pouvoir", écrit fort justement Pierre Bourdieu, dans "Ce que parler veut dire". Ainsi, pour prendre un exemple qui fait couler beaucoup d'encre en ce moment, l'Ukraine, longtemps dominée par la Russie, principalement avant 1905 et pendant la période soviétique, a-t-elle commis l'imprudence, notamment après 2014, s'estimant, à juste raison d'ailleurs, être soutenue inconditionnellement par la "nation indispensable", d'imposer sa langue officielle sur tout son territoire. Pourtant, une langue minoritaire peut devenir une langue partenaire, sans que cela ne nuise à l'unité d'un pays. Toutefois, lorsqu'apparaît ce que les linguistes nomment une diglossie, où une langue doit s'effacer devant une autre, son éradication étant toujours précédée de son appauvrissement, cela provoque parfois des remous. Le Maroc a su mieux gérer sa situation, où la langue berbère, certes minoritaire, a cependant un statut de seconde langue officielle. La Tchéquie et la Slovaquie, bien que n'étant pas en conflit sur une question linguistique, ont quant à eux, su gérer leur séparation à l'amiable. Mais il est vrai que dans ces 2 cas, les "grandes consciences" occidentales ne s'en étaient pas mêlées. 

 

"Quand nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l'hégémonie d'une seule", écrit un essayiste québécois, Pierre Bougault. Un tel effort n'est évidemment pas salué par l'actuel président français, qui est perçu par les francophones étrangers, comme, "arrogant et son gouvernement comme un boulet" (selon le périodique "Manière de voir" édité par le Monde diplomatique).

Une langue peut ainsi être déconsidérée par ses locuteurs même, voire être mise en danger par l'indifférence des élites chargée de la défendre. Bien qu'historiquement, il y a eu également d'autres causes à une telle situation. Ainsi, par exemple, la conquête militaire. Les langues amérindiennes ont pratiquement disparu du continent nord-américain; en Europe, le gaulois a cessé d'exister après le massacre de près de 7 millions de guerriers gaulois par les armées de Jules César. En Irlande, l'anglais est devenu la langue officielle après l'élimination, au XIXe siècle, par les armées de Grande-Bretagne, de 2 millions d'insulaires de ce pays. Mais une langue peut aussi disparaître parce qu'elle n'est plus transmise. C'est très souvent le cas des langues minoritaires. Les linguistes considèrent qu'une langue finit par s'évanouir si le nombre de ses locuteurs passe sous le seuil du million de pratiquants. Une langue est également en danger lorsqu'une population est remplacée, ou du moins asservie, par une autre. Le danger est plus important dans le premier cas, car lorsqu'une population se voit simplement contrainte d'adopter une autre langue, elle tente le plus souvent de résister. Revenons sur l'emblématique  cas ukrainien, car il illustre tragiquement ce qu'une guerre des langues peut provoquer. La défunte URSS avait voulu imposer le russe sur tout le territoire soviétique, les langues dites, dans le jargon soviétique, tutélaires, devant progressivement s'effacer. Lors d'un congrès tenu à Bakou, qui s'était tenu en 1926, avait été prévu l'adoption de l'alphabet latin pour les peuples musulmans vivant en URSS. En 1930, l'abandon du cyrillique fut envisagé, afin de "libérer les masses ouvrières de toute influence des imprimés prérévolutionnaires à caractère bourgeois-national et religieux". Finalement, en 1934, Staline décida que l'édification du socialisme se ferait pour tous par l'apprentissage du russe, au détriment donc, des langues dites tutélaires. L'Ukraine, dont la langue fut considérée comme un dialecte, paiera sa résistance par 5 millions de morts du fait d'une famine provoquée (Holodomor). Après 1991, le pays devint indépendant et l'ukrainien fut considéré comme étant la langue d'Etat. Tous cependant, ne le parlaient pas et, en 2012, le président élu, Ianoukovitch, promulgua une loi accordant au russe un statut de langue coofficielle. Ce statut lui fut retiré après le coup d'Etat de 2014, soutenu par les USA. Ce retrait provoqua des troubles, notamment dans l'est et le sud-est du pays. La Russie soutint les insurgés, annexa la Crimée, tandis que l'armée ukrainienne intervint pour éradiquer les rebelles de l'autre grande région russophone, le Donbass. Pour éviter un embrasement, Ukraine, Russie, France et Allemagne signèrent les accords de Minsk en 2015, lesquels furent ensuite entérinés par l'ONU (résolution 2202). Ce texte, qui prévoyait notamment l'autonomie linguistique du Donbass, ne fut en réalité jamais appliqué, les Ukrainiens fustigeant, ou prétextant, le soutien de Moscou aux insurgés. Le conflit s'envenima au point que la Russie décida, en 2022, d'une "opération militaire spéciale" pour finalement annexer le Donbass.     

 

Paradoxalement, il est déjà arrivé, dans l'Histoire, que les vainqueurs s'assimilent aux vaincus et adoptent, en le transformant toutefois, leur langage. Ainsi les Francs délaissèrent-ils le francique (une forme primitive d'allemand) pour adopter, en le modifiant considérablement, le latin, de même que plus tard, les Vikings installés en Normandie, abandonnèrent-ils leur langue, alors que rien ne les y contraignait. Une langue peut également être négligée  lorsque ses locuteurs estiment qu'ils ont un intérêt d'ordre économique à le faire. Ainsi l'urbanisation et l'industrialisation au XIXe siècle, en Europe, ont-ils fini par faire disparaître bien des parlers locaux, jugés handicapants pour l'ascension sociale ou tout simplement l'intégration dans un nouvel ordre socio-économique. A l'heure actuelle, où les medias pénètrent dans chaque foyer, une langue n'a de chance de perdurer et de se développer que si une institution politique la défend.

Or, seule une centaine de langues dans le monde bénéficient de l'appui d'un Etat qui en a fait la langue officielle. Qu'adviendra-t-il du kurde (encore 30 millions de locuteurs dispersés sur plusieurs Etats) ou du tibétain (8 millions) dans les temps futurs? Alors que les 385 000 Islandais n'ont guère de souci à se faire pour la pérennité de leur langue (il est vrai qu'ils ne sont pas dans l'Union européenne, une entité s'affaissant dans une sorte de "Globishsland"). Car la domination culturelle, comme nous l'avons déjà souligné, conduit peu ou prou à l'affaiblissement, à la dénaturation voire à l'éviction des langues des groupes dominés. Après 1945, L'Europe de l'Ouest, pour bénéficier du plan Marshall, a dû, en contrepartie accepter la tutelle américaine sur ses productions culturelles (le soft-power, matérialisé en France par la signature de l'accord Blum-Byrnes). Cette acceptation, toutefois intéressée, a perduré pour se transformer, après que le plan Marshall eût produit ses effets bénéfiques, en complaisance, en alignement et finalement en servitude volontaire par "construction européenne" interposée. A laquelle, en France, adhère même le dernier résidu communiste qui proclame fièrement, par la voix de son secrétaire général: "PCF is back". C'est le prix de la fidélité à ce que ce parti a toujours voulu être: le caniche d'un maître tout puissant. Il n'a jamais réalisé que la voix du maître ne rassure que si on oublie volontairement de penser à la laisse.

 

Les camarades auraient dû comprendre qu'une langue est essentiellement une réalité sociale; elle permet l'échange entre partenaires égaux et l'enrichissante communication entre des gens qui se respectent. Mais lorsque certains, parmi l'élite ("choose France" (1) de Macron, au nom de l'international business summit) l'abandonne subrepticement, c'est qu'ils ont une finalité tout autre: la création, en l'occurrence, d'une société de contrôle et de surveillance, afin que rien n'entrave le fonctionnement de la finance spéculative. Evidemment, ils ne le diront pas ouvertement, préférant mettre l'accent sur l'ouverture à d'autres cultures, le refus du repli sur soi, l'acceptation de "valeurs" que l'on s'abstiendra de définir mais que l'on présentera comme universelles. Tout pouvoir, qu'il soit démocratique ou non, est légitime lorsque le bloc élitaire propose au bloc populaire une évolution, lui indique un sens, une direction, avec des avantages matériels à la clé. Un pouvoir, qu'il soit démocratique ou non, n'est en rien légitime lorsque le bloc élitaire se transforme en un bloc parasitaire, avec pour but, la concentration extrême des richesses, laquelle est rendue possible, entre autres, par la dérégulation financière sur laquelle aucun électorat n'a jamais eu l'occasion de se prononcer. De surcroît, un tel pouvoir ne se gêne pas pour manifester ensuite son mépris envers la vile canaille taxée de populiste, ne comprenant rien à rien. A cela, le globish à une fonction d'accompagnement. De sorte que les adeptes et les thuriféraires de ces borborygmes verbaux peuvent ensuite manipuler l'opinion, pour l'adapter à la consommation de masse qui est avant tout l'école de la conformité. Parfois, même ceux qui se disent vouloir représenter le peuple, n'éprouvent aucune gêne pour renier leur langue ("working time festival" de la CFDT). Toujours, il convient d'abrutir pour asservir, et jamais de convaincre dans le but de susciter de l'adhésion. Le benêt se satisfait de la première attitude, le citoyen exige la seconde attitude.  

 

Le but du jeu est de déstabiliser les gens afin que plus personne ne se pense en tant que Français, ou Allemand ou Italien, et ensuite, de créer un conditionnement de sorte de ce qui est dit par chacun d'entre eux ne diffère pas de ce qui aurait été formulé par un Américain, s'ébaudissant de préférence dans la mouvance néoconservatrice.

 

Ainsi entend-on épisodiquement des aberrations comme "L'anglais est l'avenir de la francophonie", B. Kouchner dans "deux ou trois choses que je sais de nous", ou encore C. Allègre, qui ânonna, en 1997 déjà: "L'anglais plus le minitel plus l'ordinateur, c'est pour le futur comme lire, écrire, compter". On ne s'étendra pas sur les pitreries du "one planet summit", qui n'a rien trouvé à redire à la conversion de ce qui reste de l'économie européenne à l'usage du gaz de schiste états-unien.

En Occident, l'appauvrissement linguistique et donc culturel, organisé par les autorités, vise à permettre l'émergence de glossolalies cherchant à exprimer ce que les maîtres du moment veulent que l'on croit et qui ne doit jamais être mis en doute. Il s'agit en particulier d'évacuer la question de la souveraineté en la ramenant à celle de l'identité. Or celle-ci interroge toujours la question de l'origine. Mais où la situer? En tous cas, le piège fonctionne à merveille puisque les partis s'auto-définissant comme patriotes s'y sont précipités les pieds joints. Après avoir ainsi créé de la confusion, comment procède l'adversaire pour parvenir à ses fins? Il y a parfois plus de vérité et surtout de perspicacité dans les propos d'un quidam que dans ceux d'un érudit. Or, voici ce qu'a écrit un certain Ron Suskind dans le New York Times du 17 octobre 2004 :  "Le conseiller a dit que les gars comme moi faisions partie ‘de ce que nous appelons la communauté basée sur la réalité’, qu’il a définie comme des gens qui croient que les solutions émergent de votre analyse judicieuse d’une réalité discernable. Ce n’est plus la façon dont le monde fonctionne vraiment. Nous sommes un empire maintenant, et quand nous agissons, nous créons notre propre réalité. Et pendant que vous étudiez cette réalité – judicieusement, à votre façon – nous agissons à nouveau, créant d’autres réalités nouvelles, que vous pourrez étudier également, et c’est ainsi que les choses se passent. Nous sommes les acteurs de l’Histoire, et vous, vous tous, ne pourrez que vous contenter d’étudier ce que nous faisons". 

 

Au moins, le propos a le mérite d'être franc et clair. On répondra par le propos de J. Cocteau: "La décadence est la grande minute où une civilisation devient exquise". Si l'on considère le globish comme l'expression même de la décadence occidentale, du fait de l'épuisant appauvrissement du langage qu'il engendre, nul doute que des temps exquis, où les fausses idoles seront définitivement renversées, nous attendent.

 

 

(1) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/choose-france

(2)«Without a Doubt – Faith, Certainty and the Presidency of Georges W. Bush» 

Jean Luc

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defis diplomatiques

Quels défis diplomatiques en 2023?

 

Dans son ouvrage, "Diplomatie sur le vif", Roland Dumas, ministre français des affaires étrangères au moment de la chute de l'URSS, relate un échange verbal entre le président US et la président français, au sujet de l'OTAN.  George Bush déclara : "L’Alliance a été utile, il ne faut pas la détruire, il faut la consolider et je serai amené, dans l’avenir, à vous faire des propositions sur l’utilisation que l’on peut faire de l’OTAN dans tous les conflits du monde". À quoi François Mitterrand répondit : "Dans le fond, ce que vous proposez, c’est une résurrection de l’Alliance de Vienne, la Sainte-Alliance. Pas question que la France entre dans ce système". Et de proposer, dans la foulée, un système confédéral qui, s'il avait vu le jour, aurait réuni toute l'Europe, "de l'Atlantique à l'Oural". 

Mais les dirigeants européens ont rapidement oublié cette ambitieuse proposition. L'ancien président a d'ailleurs dû se retourner dans sa tombe en voyant comment, en 2022, son successeur a conduit de désastreuses négociations sur l'Ukraine, a dû subir une véritable débâcle en Afrique sub-saharienne, a été humilié par l'Australie pour finalement s'entendre dire, lors d'un voyage aux USA, qu'il devait se contenter du rôle d'un figurant.

 

L'année 2022 avait pourtant bien démarrée, ainsi le 3 janvier 2022, les dirigeants des cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Biden, Poutine, Xi-Jinping, Johnson et Macron), dans une déclaration conjointe, en préparation d'une conférence sur l'actualisation du Traité de non-prolifération nucléaire, avaient précisé: "Nous affirmons qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée. Compte tenu des conséquences de grande ampleur qu’aurait l’emploi des armes nucléaires, nous affirmons également que celles-ci, tant qu’elles existent, doivent servir à des fins défensives, de dissuasion et de prévention de la guerre". En clair, cela signifie que celui qui tire le premier avec ce genre d'armes meurt aussi. Bien que M. Biden eut affirmé, lors de son investiture, que l'Amérique (comprendre les USA), devait être prête à guider à nouveau le monde comme elle l’avait toujours fait, une lecture optimiste de cette déclaration pouvait signifier que les milieux dirigeants US s'étaient faits à l'idée que leurs concurrents, qu'ils ont toujours vu comme des adversaires, pouvaient eux aussi avoir des intérêts à faire valoir et disposer de moyens dissuasifs pour les défendre. Car en effet, mise à part une Union européenne toujours prête à faire assaut de servilité face aux exigences de Washington, ce genre de considérations tel qu'énoncé par M. Biden lors de son investiture, passe de plus en plus mal dans un nombre croissant de capitales. De sorte que les USA, enfin conscients que leur capacité de "frappe nucléaire en premier" pourrait être neutralisée préventivement par des armes ennemies, se résigneraient enfin à écouter des points de vue adverses aux leurs et à discuter, renonçant enfin aux menaces et aux sanctions pour faire de la diplomatie comme le font la quasi-totalité des autres Etats du monde.

 

Le 17 décembre 2021, le ministère des Affaires étrangères russe avait-il été inconscient ou simplement trop optimiste? Il avait dévoilé 2 projets de textes: un "Traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité" ainsi qu'un "Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des États membres de l’OTAN". L’objectif déclaré de Moscou était d’obtenir "des garanties juridiques de sécurité de la part des États-Unis et de l’OTAN". En liant l'accord avec les USA à celui avec l'OTAN, Moscou faisait savoir qu'il considérait les USA comme étant le véritable patron de l'Occident, qu'ils dirigent de fait l'OTAN et qu'en conséquence, il n'y avait rien à négocier avec les Européens. Le 18.12, le vice-ministre russe des affaires étrangères précisa: "Nous proposons des négociations sur une base bilatérale avec les États-Unis. Si nous y impliquons d’autres pays, nous allons tout simplement noyer tout cela dans les parlotes et le verbiage. J’espère que les Américains ne sous-estiment pas à quel point tout a changé". La demande du Kremlin, voulant traiter d'égal à égal avec les USA, peut sembler irrévérencieuse mais elle aurait néanmoins pu servir de document de base pour ouvrir une négociation. Il est vrai que Moscou avait placé la barre très haut; énonçant un "renoncement à tout élargissement de l’OTAN vers l’est, l’arrêt de la coopération militaire avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines de l’Europe et le repositionnement des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997". Naturellement les USA considérèrent ces revendications comme déraisonnables et refusèrent tout commencement de discussion. Lorsqu'on est le maître du monde, on ne traite pas avec les vaincus de l'Histoire!

 

Le 1-12-2022, l'ancienne chancelière allemande, Angela Merkel a confirmé dans une interview dans un quotidien allemand ce que de nombreux analystes disaient depuis des années, à savoir que les relations hostiles de Washington avec le gouvernement russe n’ont que peu à voir avec l’idéologie, à savoir la défense de la démocratie face aux menaces qu'exerceraient sur elle les autocraties. En réalité, le défi permanant que lance la Russie à Washington est qu’elle occupe une région stratégique du monde, laquelle regorge de vastes ressources naturelles. Elle représente donc un obstacle majeur au plan US de "pivot vers l’Asie", théorisé en son temps par M. Obama, dont du reste le mépris pour la Russie était manifeste. De fait, l'existence même d'une Russie indépendante constitue une gêne pour le projet mondialiste visant à étendre les bases militaires américaines en Asie centrale, afin d'encercler la Chine et de devenir l’hégémon régional dans la région potentiellement la plus prospère et la plus peuplée du monde. Les aveux de l'ancienne chancelière furent de taille, digne d'une confession publique de la grande époque soviétique. Qu'y apprend-on? 

"Les accords de Minsk de 2014 étaient une tentative de donner du temps à l’Ukraine. L’Ukraine a utilisé cette période pour devenir plus forte, comme on le voit aujourd’hui. Le pays de 2014/15 n’est pas le pays d’aujourd’hui...Nous savions tous que c’était un conflit gelé, que le problème n’était pas résolu, mais c’est précisément ce qui a donné à l’Ukraine un temps précieux".

Mme Merkel admet cyniquement qu’elle a participé à une manœuvre qui a duré sept ans et qui visait à tromper les dirigeants russes en leur faisant croire que les Européens souhaitaient véritablement résoudre la question du Donbass ukrainien. Il n'est donc pas étonnant que les puissances occidentales ont ensuite délibérément ignoré le traité qu'elles avaient signé. Il s'agissait tout simplement de gagner du temps afin d'armer et d'entraîner une armée ukrainienne qui aurait pour vocation d'être utilisée dans une guerre contre la Russie. Toutefois le Kremlin ne fut pas dupe, ses stratèges savaient que la pitrerie qui venait de se dérouler à Minsk n'était que la conséquence logique des événements de Maïdan, à Kiev, en 2014, et qui avait abouti au renversement d'un président démocratiquement élu. L'élection présidentielle de 2010 avait en effet été jugée "transparente et honnête" par les observateurs de l'OSCE. Dans ses déclarations du 1er décembre, Mme Merkel continua ses épanchements pour se lancer dans des considérations plus générales: "Je veux vous parler d’un aspect qui me fait réfléchir. C’est le fait que la guerre froide n’a jamais vraiment pris fin, parce qu’en fin de compte, la Russie n’a jamais été pacifiée". Mais si la guerre froide n'a jamais pris fin, qui, après la dissolution du Pacte de Varsovie, en porte la responsabilité? Et, dans la bouche d'une dirigeante occidentale, que signifie "car en fin de compte la Russie n’a jamais été pacifiée"? Une Russie pacifiée, cad acceptant avec docilité son rôle de subordonné à "l’ordre fondé sur des règles", est-ce cela que voulait dire l'ancienne chancelière? On peut à la limite comprendre que l'ancienne citoyenne de la RDA ait voulu régler ses comptes avec son ancien mentor du KGB soviétique, mais qu'avait alors à faire la France dans cette galère?

Bien évidemment, la Russie savait, lors des négociations de 2014, qu'elle avait affaire à des menteurs. Elle n'ignorait pas qu'elle était perçue par les USA comme un obstacle à neutraliser, et cela du seul fait de son voisinage avec la Chine. Ce pays est en effet le grand rival des USA depuis qu'il a proclamé sa volonté de dédollariser, au moins partiellement, l'économie mondiale. Le Kremlin en a conclu que l'objectif ultime des stratèges du Pentagone et de ses chiens de garde, était de morceler la Russie comme le fut l'ancienne Yougoslavie et en a tiré les conséquences. S'appuyant sur la résolution n° 2202 du Conseil de sécurité de l'Onu, laquelle résolution avait entériné les accords de Minsk, arguant du fait que cette résolution n'avait jamais été appliquée par la partie kiévienne et considérant par ailleurs les conclusions de l'AG de l'ONU, tenue le 16.09.2005 sur le thème de la "responsabilité de protéger" les populations en danger, la Russie entra en guerre contre l'Ukraine en février 2022. La guerre évolua rapidement en un conflit opposant l'OTAN à la Russie. Mais cela n'impressionna pas le président russe qui, en phase avec le président chinois, Xi-Jinping, précisa à Moscou le 16.08 2022 : "Je répète que l’ère du monde unipolaire est en train de devenir une chose du passé. Peu importe la force avec laquelle les bénéficiaires du modèle mondialiste actuel s’accrochent à la situation, il est voué à l’échec".

 

Les Occidentaux, nommé "Occident collectif" par les Russes, ont parfaitement compris le message. Il leur faut en conséquence, vaincre Poutine, quel que soit le prix à payer pour ce faire. Ainsi fit-on fit mine, au nom de "valeurs" à défendre, de redécouvrir les vertus, jusque-là frelatées, du nationalisme. Sa version ukrainienne revêt des aspects bien étranges qui auraient dû chagriner les âmes sensibles, mais il faut parfois savoir écarter les sensibleries qui n'ont pas lieu d'être. Comme l'écrit le Monde diplomatique (01-23), dans "les noces de la guerre et de la vertu": "Aujourd'hui, alors que s'accélère (aux USA) la fusion entre élites intellectuelles et diplomatiques, la définition d'une idéologie adéquate pour justifier l'expansion impérialiste se trouve au cœur de la compétition interne aux classes intellectuelles (neo-conservateurs vs wokistes). L'enjeu pour elles, est de concilier leurs intérêts hégémoniques avec leur sentiment de supériorité morale, cad d'étaler leur vertu tout en huilant les rouages de la machine de guerre".

 

La conséquence de cet engrenage est un schisme à présent consommé : l’Occident est définitivement opposé au bloc eurasiatique, lequel bloc draine à sa suite un nombre croissant de pays africains et latino-américains, nommé le "sud global" par le Kremlin. Or, cet ensemble, selon les stratèges occidentaux, doit disparaitre sans qu'il n'y ait quoi que ce soit à négocier. Dans ces conditions, l’"opération spéciale" entreprise par la Russie en février 2022 n’a pas fait qu'amplifier la crise ukrainienne, provoquée et entretenue depuis 2014 par l’interventionnisme US dans ce pays. Car, et cela est plus important, cette crise a accéléré la recomposition du monde. Il y a désormais les partisans des sanctions contre la Russie (le camp du bien) et les autres (la nouvelle mouture de l'axe du mal). Toutefois ces derniers n'ont pas oublié l'échec des "printemps" arabes et des interventions militaires US qui devaient avoir pour finalité d'arrimer les pays nouvellement démocratisés du Proche et Moyen-Orient à l'Occident. La contestation de l'ordre américain avait déjà trouvé une première concrétisation en octobre 2011 lorsque le veto russo-chinois à l'ONU a rendu impossible à l’OTAN une intervention militaire en Syrie. Le Kremlin n'avait pas oublié le camouflet que l'Occident lui a infligé en Libye, le veto à l'ONU lui a ouvert la voie à un soutien militaire à la Syrie et a barré pour la première fois en ce siècle la route à l'interventionnisme occidental. 

 

Le camp atlantiste, dirigé par Washington et incarné militairement par l’OTAN, englobe 18% de la population mondiale si l'on y inclut les Occidentaux "exotiques" (Japon, Corée du Sud, Taiwan). Il cherche désespérément à préserver le privilège hégémonique que lui avait donné la chute de l’URSS. Mais bien que Washington perde, plus vite que prévu, ses atouts, ses positions, ainsi que son emprise sur le ROW (rest of the world), qu'il considère toujours et encore de la manière dont leurs ancêtres voyaient les Sioux et de Apaches, l'exécutif US conserve une capacité de nuisance dont il use avec prodigalité. Cet Occident préfère les règles, que tel un maffieux il fabrique pour lui-même, au droit international qu’il ignore superbement. Ces règles lui ont permis de créer le chaos par les interventions militaires et les sanctions économiques dont il arrose généreusement les pays qui ne lui conviennent pas. Toutefois, à cela le Kremlin s'était préparé, de sorte qu'il a pu enclencher un remarquable effet boomerang aux sanctions qui étaient censées l'abattre. Le monde non-occidental, où vit 82% de la population mondiale, a d'ailleurs refusé de suivre la croisade occidentale contre la Russie et a préféré accorder son intérêt au projet conduit par ce même pays, la Chine et des puissances eurasiatiques, proposant quant à eux un monde multipolaire respectueux des souverainetés et des stratégies nationales. Nouvelle version de l’alliance entre feu le bloc socialiste et les non-alignés, ce camp dit des BRICS +, insiste, dans ses différentes déclarations, sur le respect du droit international et de la charte des Nations unies. La Russie y a imprimé son image de référence et d’appui face aux pulsions atlantiques. Elle a développé avec la Chine un partenariat stratégique qui fait des émules. Et ainsi, la Russie éternelle et l'Empire céleste forment un couple séduisant pour les nations en quête d’émancipation, irritées par la tutelle exercée par l’Occident et sa prétention à considérer comme "progressiste" ses élucubrations intersectionnelles. 

De sorte qu'il y a maintenant deux « communautés internationales », qui ne partagent pas les mêmes repères et ne se fondent pas sur les mêmes principes. Dans l'état actuel des choses, la marge laissée à la négociation est très réduite. La responsabilité de cet état de fait incombe aux USA qui ont ignoré systématiquement les ouvertures répétées de l'URSS de Gorbatchev d'abord et, durant les années 2000-2007, de la Russie ensuite (voir: "quand la Russie rêvait d'Europe", le Monde diplomatique, septembre 2018). Le dialogue pourrait-il néanmoins reprendre ? Il est désormais conditionné au rapport de forces sur le terrain militaire ukrainien. On notera la virtuosité de la diplomatie turque. Ce pays, membre de l'OTAN, non seulement n'a pas suivi ses oukases mais a multiplié par 2 les échanges commerciaux avec son grand voisin du nord. En mars dernier, Ankara avait accueilli des pourparlers de paix, qui, selon certains commentateurs, n'étaient pas loin d'aboutir. L'Ukraine aurait perdu 30 000 km2 de son territoire, alors qu'à l'heure actuelle, ce sont 100 000 km2 de territoire ukrainien qui ont été annexés par la Russie. Ankara a quand même réussi à conclure un accord sur les exportations de céréales ukrainiennes et russes par les ports de la Mer Noire. L'Arabie saoudite a obtenu des échanges de prisonniers tandis que l'intervention des EAU a eu pour conséquence l'exportation d'ammoniac russe via un pipeline ukrainien. Reste à voir si la Turquie va réussir à transformer l'essai. Il est vrai que les pays cités, tout comme la Russie, sont membres de l'OCI (Organisation de la Coopération islamique). Ce qui leur permet d'être en contact en restant à l'abri des regards occidentaux.

Ces premiers résultats soulignent l'échec de la diplomatie occidentale en 2022; celle-ci pourra-t-elle néanmoins relever les défis qui l'attendent en 2023? D'autant que mis à part l’affrontement entre l’OTAN et la Russie, il y en a d'autres.

 

Ainsi la tension croissante entre les USA et la Chine ne va pas s'apaiser. La question concernant Taïwan n'est que la face visible d’une compétition impitoyable pour l’hégémonie mondiale. Dans le rôle du méchant, la Chine va très certainement succéder à la Russie, car il ne s'agit rien de moins pour les USA que de conserver le rôle dévolu au $ et à l'extraterritorialité du droit US que cela entraîne. En état de guerre avec leur grand voisin russe et malgré le coût exorbitant pour eux et pour eux seuls des sanctions contre Moscou, les vassaux européens de Washington se sont d'ores et déjà vu dissuadés de recourir à l’Empire du Milieu comme partenaire économique de rechange. Le chantage fonctionne : le Royaume-Uni est prêt à "soutenir l’Ukraine sans limite" et a mis un terme à son entente cordiale avec Pékin, initiée lors de la période Cameron. L’Allemagne a été priée de mettre un bémol à ses velléités de rapprochement économique avec la Chine alors même qu'un arrêt des relations commerciales entre les 2 pays signifierait la mise à mort de l'industrie allemande. La France avait proposé que l'UE durcisse sa position à l’égard de la Chine, à condition que Washington renonce aux lois incitant les entreprises européennes à migrer outre-Atlantique où elles bénéficieraient de couts énergétiques bas et des lois protectionnistes mises en place par l'"inflation reduction act". Les exigences françaises ont naturellement été ignorées par le gouvernement US, les entreprises de ce pays ne souffrant en rien des sanctions antirusses.

La conséquence de tout ceci est que l’Union européenne a déjà perdu la guerre sur le plan économique alors, que pour l'heure, rien n'assure à l'Occident qu'il vaincra militairement. Les dirigeants européens ont misé, suite à la tromperie Merkel-Hollande, sur un récit (aider Zelenski "aussi longtemps qu’il le faudra") qui les amène à soutenir des intérêts qui ne sont pas ceux des peuples européens. Mais l’UE aime s'illusionner en se voyant comme un intervenant sur la scène mondiale, alors que ses dirigeants ne veulent pas voir que la politique étrangère US, tant démocrate que républicaine, reste fondée sur la doctrine Wolfowitz telle qu'elle a été définie après 1991: " Bien que les Etats-Unis soutiennent le projet d’intégration européenne, nous devons veiller à prévenir l’émergence d’un système de sécurité purement européen qui minerait l’OTAN, particulièrement sa structure de commandement militaire intégré" (https://www.elwatan.com/archives/portrait-archives/le-banquier-qui-tapait-dans-la-caisse-19-04-2007). 

 

La crise a aussi mis en exergue l’impact de l’intégration massive de l’Europe orientale sur la cohésion de l’UE. La Pologne notamment, quoique fidèle exécutant de la politique étrangère états-unienne, se révele être un dangereux challenger pour l'Allemagne. Celle-ci, à l'heure actuelle, prend ses distances avec le mythe du "couple franco-allemand" tant vénéré à Paris; Berlin voudra-t-il se lancer dans un duo germano-américain dans un partenariat de leadership du monde occidental? Pense-t-elle ainsi sauver son industrie? La Pologne, qui rêve d'un tel partenariat pour elle-même, a perçu le danger; elle vient de réclamer 1 300 milliards d'€ de réparations à l'Allemagne, pour une guerre qui s'est terminée il y a 3/4 de siècle ! Bien sûr, l'Allemagne n'a pas donné suite. Mais cette querelle signifie que le rêve macronien de défense européenne ne peut être qu'une chimère d'autant, qu'en même temps, le président français souligne la nécessité de consolider l'OTAN dont le principale contributeur, les USA, ne veulent pas entendre parler d'autonomie stratégique européenne (doctrine Wolfowitz). 

 

La position de l’Allemagne vis-à-vis des États-Unis, de l’UE et du partenaire français est particulièrement surprenante, notamment depuis le sabotage des 2 Nord-stream. Ayant décidé de se passer d'un gaz russe peu cher et abondant, Berlin risque de payer cher un choix politique aberrant, mais qui est conforme aux canons de la géopolitique tels qu'ils sont établis à Washington et qui bénéficient à Washington. Fallait-il s'aliéner la Russie pour donner la priorité à un allié aussi peu fiable? Kurdes et Arméniens peuvent témoigner de ce que vaut l'alliance avec l'Occident otanisé quand on n'est dépourvu de ressources naturelles. L'abrupte décision allemande traduit un esprit de soumission que rien ne justifie et que Berlin n'a même pas cherché à négocier. Il semblerait que l'ami allemand ne puisse pas vivre sans laisse à son cou, et pour cela, comme il l'avait déjà démontré avec l'affaire yougoslave en 1992, il est prêt à toutes les compromissions ( https://www.monde-diplomatique.fr/2019/04/HALIMI/59723 ). Les belles âmes, qui prétendent défendre l'Ukraine, ne se sont à l'époque, indignées en rien de cette violation flagrante des accords d'Helsinki signés en 1975, entre autres par l'Allemagne.

 

Pour terminer, abordons la question du Proche et Moyen-Orient.

Dans l'esprit du président russe, le conflit syrien et la guerre d’Ukraine sont étroitement liés. La résolution du premier impliquera, outre la Syrie et la Russie, la Turquie et l'Iran. Les dirigeants de ces pays suivent de très près l'évolution de la situation en Ukraine. M. Erdogan, qui a échappé à un coup d'Etat en 2016, a dû méditer la déclaration du président syrien al-Assad, prononcée devant le Parlement de Damas, le 12 mars 2020 : « La guerre sur la Syrie n’est pas un cas isolé, mais une partie de la lutte internationale menée par l’Occident, pour maintenir son contrôle sur le monde après avoir été secoué par la montée de puissances internationales qui refusent le mode unipolaire ». La Syrie a mis un coup d’arrêt au cycle des "printemps arabes", qui, sous couvert de démocratie et de "droits de l'homme", devaient arrimer définitivement les producteurs de matières premières au monde occidental. Il y a fort à parier que lorsque les négociations sur l'Ukraine démarreront, la Russie fera un lien entre les 2 dossiers, ce qui, in fine, renforcera la position de Damas.

En attendant, on assiste à un rapprochement entre la Syrie et la Turquie. M. Erdogan, qui a bien compris l'évolution en cours, va-t-il basculer vers le camp euro-asiatique ou restera-t-il le pilier de l'OTAN en Méditerranée orientale? Il est certain qu'une défaite de l'OTAN en Ukraine aurait des conséquences dépassant le cadre de la simple Ukraine de sorte qu'Ankara, qui en 2022 a multiplié par 2 ses échanges commerciaux avec la Russie, reverrait de fond en comble sa politique étrangère. Le gouvernement iranien n'a pas oublié qu'il a été roulé dans la farine au sujet de l'accord sur le nucléaire le concernant. Il tient désormais tête à l'Occident, d'autant qu'il ambitionne d'être un de piliers des Brics +. De même, la théocratie saoudienne a des yeux de Chimène pour la matérialiste Chine, officiellement encore communiste, pour échapper enfin à l'emprise du $. Va-t-elle réussir là où l'Irak de Saddam Hussein et la Libye de Khadafi avaient échoué? Sa demande d'adhésion à l'organisation Brics +, tout comme celle de l'Algérie, n'a pas entraîné de réaction violente de la part de Washington, ce qui indique que le rapport de forces est en train de changer. A noter aussi le sérieux coup de canif de l'Algérie contre la mondialisation. Elle a exigé et obtenu que le prix de son gaz échappe à l'errance des cotations sur le marché au comptant. Seuls des contrats à long terme, offrant un prix constant et préalablement défini, ont été négociés.

 

On peut rester raisonnablement optimiste. Si les différents intervenants, à l'échelle mondiale, se résignent à agir, non pas uniquement en fonction de leurs intérêts immédiats, mais de manière rationnelle, des accords évitant des conflits armés peuvent être conclus. Pour faire front au "full spectrum dominance" US, il serait souhaitable qu'un nombre croissant de ces intervenants acceptent de s'en remettre à des instances internationales comme la Cour internationale de Justice ou encore la Cour permanente d'Arbitrage. Une évolution heureuse a eu lieu le 30-12 dernier, ou a été adoptée, à une large majorité, une résolution de l'ONU demandant à la Cour internationale de Justice de statuer sur l'occupation israélienne en Palestine. Les USA n'ont pas pu s'y opposer.

 

Il est, d'une manière générale, plus difficile de s'en remettre à la réflexion que de s'abandonner à ses pulsions et ensuite, pour les hommes de pouvoir, tenter de les légitimer par la manipulation de l'opinion. A. Huxley avait écrit: "la philosophie nous apprend à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter". A quoi doit servir la propagande? A permettre à l'élite de tricher, de mentir et de voler comme l'a candidement reconnu l'ancien chef de la diplomatie US, M. Pompéo (https://www.france-irak-actualite.com/2020/04/mike-pompeo-et-l-arme-du-mensonge.html). Mais il n'a fait que compléter ce qu'avait prophétisé un ancien directeur de la CIA , William Casey, en février 1981 "Notre programme de désinformation aura atteint son objectif quand tout ce que la population américaine croira est faux".

Nous aurons la faiblesse de croire, que la diplomatie, qui est l'art de l'acrobatie, repose sur des conceptions plus saines de l'action politique.

 

Jean Luc

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